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Débat : Pourquoi les fondations d’universités peinent à lever des fonds

Aux États-Unis, il n’est en effet pas rare de voir des anciens, une fois qu’ils ont fait fortune, verser de généreuses oboles à l’établissement dont ils sont diplômés. Ruben Martinez Barricarte

La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 prévoyait l’autonomie des universités au 1er janvier 2013. Celles-ci auraient alors une liberté dans la recherche de financement auprès de donateurs privés au moyen de fondations. Inspirées du modèle nord-américain qui connaît de réels succès, ces fondations devaient encourager les anciens à faire des dons aux universités qu’ils ont fréquentées. Par extension, les réductions d’impôts, auxquels ouvraient droit les financements, devaient aussi inciter de généreux mécènes à contribuer.

Qu’en est-il six ans plus tard ? Force est de constater que les levées de fonds n’ont pas eu le succès escompté si l’on se réfère au bilan financier des universités. Dans son rapport annuel de 2018, la Cour des comptes soulignait que quinze d’entre elles traversaient de graves difficultés financières. En s’aggravant, celles-ci en contraignent au moins trois à ne pas procéder à de nouveaux recrutements. C’est le cas de l’Université de Lille, qui accuse un déficit de 600 000 euros.

Des résultats à mettre en parallèle avec une étude de la Conférence des grandes écoles sur le fundraising, publiée en 2017, et révélant que dans les 30 établissements, essentiellement des grandes écoles, qui étaient parvenues à lever des fonds, les 50 millions d’euros récoltés représentaient moins de 4 % de leur budget total (et un peu plus de 13 % de la subvention publique perçue). Dans ce groupe, HEC occupe la première place du podium, collectant près de 60 millions d’euros à elle seule, tandis que l’Université Paris-Descartes ne parvenait pas à susciter la générosité de ses anciens.

Autre constat : les dons aux fondations d’universités sont plus le fait de personnes morales de droit privé que de personnes physiques ; les entreprises abondent plus volontiers généreusement que les anciens. Les dons à des fondations étant apparentés à du mécénat, ils font l’objet de réductions fiscales de 60 % des montants versés. D’une certaine manière la fiscalité française se trouve plus incitative pour les entreprises que pour les particuliers.

Entretenir des liens

Ceci dit, les difficultés que rencontrent les fondations ne tiennent pas qu’au système fiscal. Il faut voir qu’on est aussi face à deux modèles universitaires incommensurables : le modèle nord-américain et le modèle français.

Aux États-Unis, il n’est en effet pas rare de voir des anciens, une fois qu’ils ont fait fortune, verser de généreuses oboles à l’établissement dont ils sont diplômés, en gage de remerciement ou de loyauté. Dans ce modèle, parfaitement incarné par Harvard, l’université est comme un club fermé qui choisit les « happy few » qui auront le privilège d’y faire leurs études. L’université elle-même est organisée en « colleges » distincts, recrutant également leurs membres, où se nouent des amitiés et des liens de fraternité très forts. Afin de permettre aux générations futures d’avoir les mêmes chances qu’eux à leur âge, les anciens n’hésiteront pas à se montrer généreux.

De manière très différente, l’université française repose sur le principe d’égalité d’accès, quand bien même Parcoursup y fait une entorse. L’article D612-9 de la partie réglementaire du Code de l’Éducation dispose en effet que « les candidats à une première inscription en première année d’enseignement supérieur, bacheliers ou admis à s’inscrire à un autre titre, ont le libre choix de leur université, en fonction de la formation qu’ils désirent acquérir ». Dans un tel contexte, il est difficilement envisageable de susciter le même attachement qu’outre-Atlantique.

Pour que les anciens financent l’université, encore faut-il qu’ils aient conservé des liens avec elle. Vient donc la question de la manière dont les établissements entretiennent cette flamme. Ceci peut se traduire par un réseau d’anciens très actif organisant régulièrement des événements avec et pour eux, à l’instar de ce que font Sciences Po Alumni ou Dauphine Alumni. A minima, l’établissement où a étudié l’ancien peut régulièrement envoyer un bulletin d’information physique ou électronique présentant les activités du moment.

Or, il semble que tisser des liens avec les anciens ne soit pas ancré dans la culture des universités françaises. Ceci peut se comprendre, notamment du fait que ces diplômés sont très nombreux et difficiles à localiser. À défaut donc de pouvoir attiser la flamme, les universités françaises sont condamnées à structurellement peiner à solliciter leurs anciens auxquels elles ne parviennent pas à offrir beaucoup en échange.

Là encore, les universités américaines et les grandes écoles ont une longueur d’avance, dans la mesure où elles présentent leur réseau d’anciens comme un élément d’attractivité à l’endroit des étudiants qui rejoindront un club.

Statut des anciens

Aux États-Unis d’où vient le modèle, les associations d’anciens sont très influentes, fonctionnant comme autant de fraternités s’inscrivant dans le prolongement du « college » fréquenté. Des réunions, des clubs fondés sur des centres d’intérêt commun ou encore des voyages sont régulièrement organisés par et pour les anciens. Ils sont aussi systématiquement invités aux grands événements marquant la vie de l’université. Même 30 ans après en être diplômés, les anciens peuvent encore se sentir membres de ce club qui les admis en son sein un jour.

Le sort des diplômés des grandes universités américaines et des universités françaises est très différent. Aux États-Unis, le consensus social suppose que chacun peut faire fortune. Il est évident que tous les diplômés des grandes universités américaines ne deviendront pas milliardaires. En revanche, il n’est pas rare que nombre d’entre eux exercent des emplois leur permettant de se trouver dans le premier centile de la population en termes de revenus.

En France, où le consensus social ne repose pas sur la fortune et où celle-ci est moins facile à constituer par le seul travail, le nombre de donateurs potentiels est mécaniquement moins élevé. Il découle de ceci que la probabilité que les anciens d’une université française soient financièrement en mesure de se comporter en généreux mécènes est beaucoup plus faible qu’aux États-Unis.

Une autre différence profonde réside dans le prolongement de l’éthique protestante : c’est spontanément que les Américains fortunés restituent une partie de ce qu’ils ont reçu. Ceci est en remerciement de ce qu’ils ont reçu et en soutien de ceux qui n’ont pas eu la même chance qu’eux. C’est le sens notamment des Œuvres et actions philanthropiques, dont font partie les dons importants à l’université dont on est diplômé. De manière très différente, en France, il semble que les plus fortunés s’inscrivent dans le prolongement d’un François Ier, généreux mécène des arts et de la culture plus que de l’éducation.

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