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Si une bouteille en PET sur deux en Europe est recyclée, moins d’une sur dix redeviendra bouteille. Hans/Pixabay, CC BY

Déchets plastiques : la dangereuse illusion du tout-recyclage

En juillet dernier, le gouvernement présentait son plan climat ; parmi les mesures, un objectif de « 100 % des plastiques recyclés à l’horizon 2025 ». La France, avant-dernière des 28 pays de l’Union européenne en matière de recyclage du plastique, est pressée d’améliorer son piteux classement.

Dans le même temps, la Chine, première terre d’accueil de nos détritus plastiques, ferme ses frontières aux déchets étrangers. Des vortex géants de plastiques s’installent au cœur de nos océans et, comble de malheur, d’invisibles particules de déchets plastiques s’invitent, c’est officiel, dans nos assiettes.

Une question se pose dans un tel contexte : le recyclage intensif de ces déchets constitue-t-il vraiment une étape incontournable du déploiement de l’économie circulaire ? Ou n’est-ce qu’une couche supplémentaire à notre modèle consumériste, une sorte d’emplâtre sur une jambe de bois ?

Symbole de modernité au XXe siècle

Rappelons d’abord que le plastique constitua dans les années 1960 une formidable découverte de la chimie du pétrole. En 1963, deux co-prix Nobel sont attribués en chimie des plastiques pour la découverte de catalyseurs permettant la polymérisation des polyéthylène et polypropylène, aujourd’hui couramment utilisés dans les emballages, par exemple.

Le plastique est devenu depuis une source de richesse (27,5 milliards d’euros de contribution aux finances publiques dans les pays européens) et d’emplois (plus de 1,5 million d’emplois en Europe).

Il a révolutionné le quotidien dans tous les secteurs : bâtiment, automobile, électronique, aéronautique et surtout alimentation ; ici, utilisé comme matériau d’emballage léger et peu coûteux, il assure un progrès énorme en matière de sécurité alimentaire. L’emballage plastique constitue en effet l’élément essentiel de prévention des contaminations extérieures (chimiques ou microbiennes), de préservation de la qualité, de traçabilité des produits et de réduction des pertes et gaspillages en protégeant les aliments.

Un essor sans précédent

L’essor de la production de plastique au cours des 50 dernières années ne se dément pas et devrait doubler dans les deux décennies à venir ; 300 millions de tonnes sont produites chaque année dans le monde – dont plus de 60 en Europe. L’emballage absorbe la grande majorité des plastiques à courte durée d’utilisation (quelques heures seulement pour l’emballage plastique d’une baguette ou d’un steak haché) qui envahissent de façon consternante nos poubelles.

Aujourd’hui, le plastique providentiel s’est transformé en une bombe à retardement dont on découvre les effets à long terme sur notre santé et notre environnement. Il est visuellement présent partout autour de nous et tellement répandu dans toutes les couches et tous les compartiments géologiques qu’il est désormais étudié comme marqueur stratigraphique de l’Anthropocène, cette époque géologique post-XVIIIe qui se distingue par l’interférence de l’activité humaine avec les cycles naturels.

Synthétisés et utilisés massivement depuis une cinquantaine d’années, ces plastiques mettront plus de 100 à 200 ans à se dégrader en micro puis en nanoparticules. Une fois ces tailles atteintes – ce qui se produira massivement dès la fin du XXIe siècle –, les particules issues des plastiques accumulées auront alors toute latitude pour se répandre très largement et rapidement dans notre environnement et aussi dans tous les organismes vivants.

Les nanoparticules possèdent en effet la faculté de traverser les barrières tissulaires pour venir s’accumuler dans nos organes, tels que le foie, et d’en perturber à long terme le fonctionnement. Ces minuscules et invisibles fragments de plastique contamineront de façon invasive toute la chaîne alimentaire, avec des effets sur la santé très mal évalués à l’heure actuelle, car les méthodes de détection sont elles-mêmes encore à la peine. Il faut aussi signaler leur regrettable tendance à se lier facilement aux polluants organiques qu’ils rencontrent sur leur chemin puis qu’ils transportent et redistribuent.

Ces micro et nanoparticules ont déjà été repérés dans l’eau potable, le miel, le sel, les produits de la mer. Avis à celles et ceux qui, comme Saint Thomas le sceptique, ne sont sensibles qu’à ce que leurs sens peuvent percevoir ! Pour la même raison, on assiste à une mobilisation incroyable autour des plastiques flottant dans les océans, qui ne représentent pourtant qu’une toute petite partie (2 à 3 %, c’est-à-dire 8 millions de tonnes de déchets plastiques jetées annuellement dans les mers sur les 300 consommées) de l’iceberg des plastiques dont l’infinie majorité est enfouie dans les décharges.

Que deviennent ces déchets ?

Nous utilisons et jetons chaque année l’équivalent de notre poids corporel en plastique (résultat obtenu par un ratio moyen consommation/population : 40 kg/an au niveau mondial en 2015, 63 en Europe et 68 en France) ; 90 % de ces déchets persisteront longtemps après notre propre disparition.

35 à 50 % des plastiques usagés sont dispersés de façon incontrôlée dans notre environnement. 20 à 40 % sont regroupés dans des stations d’enfouissement où, mélangés à d’autres déchets, ils temporairement retenus dans des géotextiles… eux-mêmes en plastique. Quand ces derniers seront dégradés, nos plastiques enfouis seront libérés. Au total, plus des trois quarts (en masse) des plastiques usagés finissent leur vie dans nos terres, nos eaux douces et nos océans.

Le quart restant est réparti entre recyclage et incinération. Selon les sources, entre 9 et 14 % sont incinérés pour être transformés en énergie, en composés volatils et résidus solides qui viendront grossir le rang des déchets toxiques persistants dont on ne sait que faire.

Venons-en au recyclage : 14 % en moyenne des plastiques usagés sont collectés pour être recyclés (les sources concordent sur ce chiffre). Sur ces 14 %, 4 % sont perdus au cours du processus de recyclage et rejoignent donc le rang des déchets dispersés. 8 % sont recyclés en circuit ouvert, c’est-à-dire pour des applications différentes – par exemple, pour faire un pull qui une fois usé ne sera plus recyclable. Les fibres du pull usagé étant chargées de nombreux additifs, colorants, contaminants, etc., la dégradation du polymère les rend en effet impropres pour un recyclage visant un usage similaire. Il convient ici de parler de décyclage plutôt que de recyclage.

Le mirage du recyclage

Il faut donc se rendre à l’évidence : moins de 2 % des plastiques usagés sont recyclés idéalement en circuit fermé, c’est-à-dire récupérés pour produire un matériau utilisable comme un plastique neuf et indiscernable de ce dernier.

Recycler en circuit fermé signifie collecter, trier, décontaminer et repolymériser un plastique qui se dégrade au cours du procédé de recyclage. Les contraintes logistiques de collecte sont importantes, la consommation d’énergie des multiples étapes se discute et sa probabilité de contamination dangereuse également. Aussi, le nombre maximal de cycles de décontamination est limité et le plastique recyclé doit être mélangé à du vierge.

Bilan des courses : seuls les plastiques de type bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate) – qui ne représentent qu’un pourcentage très faible des plastiques consommés – peuvent se plier aux contraintes du recyclage en boucle fermée et être régénérés pour une utilisation identique.

Or si une bouteille en PET sur deux en Europe est recyclée, moins d’une sur 10 redeviendra bouteille. Pour des raisons de sécurité du consommateur (risque de contamination) et technologiques (propriétés différentes du polymère vierge), le taux de recyclage en boucle fermée s’avère ainsi extrêmement faible ; il peut théoriquement atteindre un maximum de 5 % des plastiques usagés.

Soulignons ici que le recyclage d’une matière ne s’inscrit dans un principe d’économie circulaire que si la boucle peut être reproduite à l’infini, ce qui est quasiment le cas pour le verre ou le métal. Les matériaux biodégradables se situent naturellement dans le cycle biologique de la matière organique, qui leur assure un renouvellement illimité (à condition cependant que la vitesse de consommation reste compatible avec celle de production).

Le recyclage du plastique n’est donc un pas un sésame pour épargner à notre écosystème terrestre les méfaits potentiels de ses déchets, même s’il peut modestement contribuer à les retarder.

Comment expliquer alors que le recyclage soit devenu une mesure phare ? La circularité consiste ici à recycler la valeur économique du plastique en créant une économie du plastique usagé. Le monde du plastique se renouvelle, mais son modèle productiviste reste le même : tenter de résoudre le problème, c’est-à-dire résorber les déchets plastiques accumulés en créant des activités économiques, de la richesse et de l’emploi.

Un autre maillon consumériste est ici ajouté à la chaîne déjà bien longue du plastique… Et « l’écocitoyen » se désencombre ainsi de sa responsabilité dans la production de son propre déchet en le jetant dans la bonne poubelle, au risque d’un aveuglement collectif.

Que faire ?

Si le tri de nos déchets reste un geste précieux, ne nous laissons pas aveugler par le mirage du tout-recyclage, qui ne peut résoudre à lui seul le gros problème de gestion post-usage des déchets plastiques.

Il n’existe qu’une seule et unique solution : remettre à plat le cycle complet des matériaux plastiques dans un contexte plus général de bioéconomie circulaire, où le devenir des déchets sera un élément clé de nos choix de consommation. Et coordonner nos efforts à l’échelle internationale, car les petites particules de déchets ne respectent pas les frontières !

L’interdiction de la mise en décharge des déchets plastiques pour les diriger vers les stations de recyclage ou d’incinération (option cependant peu recommandée qui nécessite une étape de purification) est un premier pas que la France devra franchir d’ici 2025.

D’autres mesures sont attendues et doivent faire l’objet d’un soutien sans réserve et sans délai comme, par exemple, la réduction efficace de notre consommation de plastiques puis leur retrait graduel du marché. Citons également leur substitution autant que possible par des alternatives biodégradables (à ne pas confondre avec les plastiques biosourcés ou compostables) dont la fabrication ne doit cependant pas influencer négativement la production agricole destinée à la consommation humaine ni porter atteinte à l’environnement. Enfin, ne garder que les plastiques irremplaçables et effectivement recyclés en boucle fermée, comme c’est potentiellement le cas pour les bouteilles en PET.

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