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Découvrir de nouvelles théories

L’ouvrage d’Isabelle Walsh « Découvrir de nouvelles théories : une approche mixte et enracinée dans les données » a reçu le Prix des Meilleurs Ouvrages en Management de la FNEGE (dont The Conversation France est partenaire) dans la catégorie : ouvrage de recherche non-collectif, pour la période 2014-2015.


Dans toutes les sciences, les théories sont des « choses » que les académiques sont censés développer afin que des praticiens puissent les appliquer. Si l’on schématise grossièrement, les nouvelles théories peuvent être élaborées soit par déduction à partir de théories existantes, soit par induction en partant de données empiriques. Dans ce deuxième cas, cela mène à une théorie enracinée dans des données empiriques.

Le management est une science « jeune » qui a besoin de théories pour se construire. Dans une science jeune, par définition, il y a peu de théories existantes à partir desquelles bâtir de nouvelles théories. Une approche enracinée dans les données empiriques est donc particulièrement adaptée à la recherche en management. Barney Glaser et Anselm Strauss ont donné les grandes lignes de cette approche dans leur livre fondateur de 1967. Ils ont mis en exergue qu’une telle approche peut utiliser toutes sortes de données, des données qualitatives et des données quantitatives, sous la forme de textes, de mots et, également, sous format numérique. Cette approche peut être adoptée quel que soit le positionnement épistémologique du chercheur, qu’il soit à la poursuite d’une loi universelle ou d’une théorie liée à un contexte spécifique donné.

Entretien avec Isabelle Walsh.

Voyage au pays des théories

Dans le livre « Découvrir de nouvelles théories », je raconte mon propre voyage au pays des théories et je montre pourquoi il peut être utile de combiner des données qualitatives et quantitatives (donc des données que l’on peut qualifier de « mixtes ») pour élaborer et développer une théorie enracinée dans des données empiriques.

En m’appuyant sur les travaux de Glaser et Strauss, je propose ce que je considère comme une voie passionnante pour découvrir de nouvelles théories qui sont à la fois parcimonieuses, c’est-à-dire aussi simples que possibles mais, également, qui sont parfois « en rupture » avec la littérature existante. Je propose d’adopter une approche typologique mixte et enracinée.

Les typologies sont souvent négligées ; mais l’approche typologique est considérée par certains comme la plus importante des approches possibles pour faire des découvertes et développer la science. La recherche nous offre de nombreux exemples de travaux innovants qui ont commencé par un effort typologique, par exemple Miles et Snow en stratégie ou Mintzberg et ses configurations organisationnelles ou encore Myers-Briggs et Myers et leur questionnaire souvent utilisé dans les entreprises ; ce questionnaire permet d’identifier les types de personnalités en partant des travaux de Jung en psychologie.

S’appuyer sur les typologies pour avancer

Une typologie, c’est beaucoup plus qu’un système de classification. Une typologie comprend deux types de construits : des idéaux-types et des attributs, dont on se sert pour décrire les idéaux-types. Une typologie permet de mettre en exergue les relations entre la similarité d’un cas à un idéal-type et une variable dépendante (le phénomène étudié) qui nous intéresse. Les idéaux types représentent la perspective du chercheur qui observe, tandis que les attributs représentent la perspective des personnes observées.

Typologie.

Par exemple dans une de mes propres recherches, j’ai étudié les idéaux-types de culture numérique, idéaux-types définis à partir des besoins et motivations des participants à ma recherche. Ces idéaux-types m’ont permis d’expliquer les différents usages des nouvelles technologies.

Illustration d’une typologie.

Un parcours en cinq étapes

Le cheminement que je propose dans mon ouvrage est en 5 étapes : une théorie enracinée dans les données empiriques commence en général par une première étape qui est l’identification de la préoccupation principale des personnes étudiées, au travers d’entretiens qualitatifs. Cette première étape nous guide vers l’identification d’un phénomène important, qu’il peut être utile d’étudier.

Au fil des entretiens qualitatifs, un élément, une catégorie centrale émerge comme expliquant significativement la préoccupation principale. L’identification de la catégorie centrale constitue la 2e étape.

Pendant la 3e étape la collecte de données qualitatives continue et les attributs qui permettent de définir et décrire cette catégorie centrale, sont également identifiés. À ce stade, et à partir des données qualitatives, il est possible de proposer une typologie liée au contexte étudié. Cette typologie est ancrée dans la catégorie centrale : chaque idéal-type de la catégorie centrale va correspondre à des variations de la préoccupation principale, c’est-à-dire du phénomène étudié.

Les trois premières étapes.

Une fois que les concepts constituant la théorie enracinée sont identifiés et définis, un ensemble d’indicateurs peut être extrait des verbatim collectés ; cela permet de développer un questionnaire destiné à collecter des données quantitatives pour mesurer les nouveaux construits et les analyser quantitativement avec l’aide de l’analyse de nuages statistiques. Pendant cette 4e étape, l’analyse statistique permet d’identifier comment les participants à notre recherche se regroupent naturellement en fonction de leurs attributs et si ces groupes présentent effectivement des variations significatives du phénomène que l’on cherche à expliquer.

Dans cette 4e étape, complémenter l’analyse de données qualitatives par des analyses statistiques de données quantitatives permet d’éliminer des attributs qui sont redondants et de finaliser les nouveaux construits en émergence.

La quatrième étape.

Dans la dernière et 5e étape, des données quantitatives supplémentaires avec un nombre important de participants aussi diversifiés que possible sont alors collectées afin de formaliser les résultats et permettre leur généralisation. La théorie reliant la catégorie centrale, la préoccupation principale ainsi que les autres concepts mis en lumière peut alors être proposée afin d’être vérifiée par d’autres chercheurs.

La cinquième étape.

À toutes les étapes du cheminement proposé, il convient de rester dans un positionnement exploratoire, d’analyser toutes les données ensemble, de les comparer au fur et à mesure de leur collecte et d’être prêt à revoir, si nécessaire, toute la théorie qui est en émergence.

Une telle approche peut permettre d’aider à développer des théories dont le management, les sciences de gestion, ont besoin pour continuer à se construire, mais aussi plus largement toutes les sciences qui impliquent l’humain, comme la médecine. Dans ces sciences, l’interprétation aidée par les données qualitatives a autant d’importance que la généralisation aidée par les données quantitatives.

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