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Derrière les feux de forêt, le rôle clef des politiques agricoles

Un troupeau qui paît près de Novo Grosso, dans l’État du Para, au Brésil, avec en arrière-plan un pan de forêt brûlé, le 25 août 2019. Joao Laet/AFP

Ce texte reprend un extrait de l’ouvrage de Christian de Perthuis à paraître le 1er octobre 2019 : « Le tic-tac de l’horloge climatique » (édition De Boeck Supérieur).


Alors que les incendies brûlent toujours en Amazonie, la question de la protection des forêts tropicales se pose de manière accrue. Dans le monde, elles ont sans doute perdu un cinquième de leur superficie depuis 1970.

Couvrant près de 12 % des terres émergées, soit bien moins que les forêts boréales et tempérées, elles constituent une réserve sans pareil de biodiversité, fournissant de multiples services écosystémiques. La grande majorité de ces services ne font d’ailleurs pas l’objet d’une valorisation sur les marchés ; ils ne sont pas non plus comptabilisés dans les grandeurs économiques standards, comme le PIB ou l’IDHI (indicateur de développement humain).

La motivation première des actions de protection qui ciblent ce milieu naturel exceptionnel est de sauvegarder ces services. Notamment le stockage de carbone, un volet majeur pour viser la neutralité carbone et freiner le réchauffement global. Les forêts tropicales primaires étant arrivées à maturité depuis longtemps, elles n’absorbent plus guère de CO2 supplémentaire. Mais elles piègent un important stock de carbone qui retourne à l’atmosphère en cas de déforestation ou de dégradation.

Sous l’angle du climat, l’enjeu majeur de la protection de la forêt tropicale est d’empêcher ce transfert de carbone depuis le réservoir terrestre vers l’atmosphère.

Des zones sous pression

En Indonésie, en Afrique sub-saharienne et au Brésil – les trois grandes aires géographiques où se concentrent les forêts tropicales –, la pression exercée par l’agriculture et l’élevage est l’un des facteurs déterminants à l’origine de la déforestation. C’est sur ces causes que doit prioritairement porter l’action.

Commençons par l’arc forestier Asie-Pacifique – qui part de la péninsule indochinoise, traverse la Malaisie, l’Indonésie et le nord de l’Australie, pour déboucher en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il couvre environ 3 millions de km2 ; c’est le massif qui a décliné le plus rapidement depuis 1970.

L’Indonésie, devenue au début des années 2010 le premier défricheur mondial devant le Brésil, en constitue l’épicentre. Ici, l’extension des cultures de rente, en particulier le palmier à huile, et l’industrie de la pâte à papier en sont deux moteurs importants ; tout comme le grignotement des forêts pour l’agriculture vivrière généralement à l’origine des feux déclenchés intentionnellement. L’exportation, souvent en contrebande, de bois d’œuvre vers la Chine a accéléré le mouvement.

Le quart de la forêt indonésienne est d’autre part implanté sur des tourbières, des milieux humides particulièrement riches. Quand ces sols sont retournés et drainés, ils relâchent des quantités de CO2 de trois à six fois supérieures à celles présentes dans les arbres.

En Indonésie, la forêt tropicale est menacée par l’expansion des plantations pour la pâte à papier et l’huile de palme. Chaideer Mahyuddin/AFP

En Afrique – au sud du Sahara et à Madagascar –, la forêt tropicale couvre une surface double de celle de l’arc Asie-Pacifique. La première cause de la déforestation concerne l’extension de pratiques agricoles ou pastorales provoquées par la croissance démographique. En savane arborée (forêt tropicale sèche), le surpâturage se conjugue à la culture sur brûlis pour appauvrir le milieu naturel. En zone humide, l’extension des plantations de café et de cacao (Ghana, Côte d’Ivoire) et les exportations de bois exotique viennent s’ajouter à la pression des systèmes vivriers. La quête du bois de feu pour les systèmes de cuisson exerce enfin une pression supplémentaire dans l’ensemble de la zone.

Quant à l’Amérique latine, elle abrite la moitié des forêts tropicales mondiales. Principal massif, la forêt amazonienne brésilienne occupait 4 millions de km2 en 1970 (plus de 7 fois la superficie de la France métropolitaine), mais seulement 3,3 millions en 2018. Elle a constitué le principal foyer de déforestation dans le monde jusqu’au milieu des années 2000. Entre 2004 et 2012, le rythme de déforestation a été divisé par quatre d’après les données satellitaires officielles, une performance sans équivalent dont on peut tirer quelques enseignements.

En Amazonie, l’inconstance des gouvernements

L’État brésilien a mené jusqu’à la fin des années 1980 une politique vigoureuse de colonisation agricole de l’Amazonie, subventionnant l’installation de petits agriculteurs tournés vers des systèmes vivriers, avec une vision stratégique d’occupation du territoire fédéral. Après la chute de la dictature militaire (1985), la politique libérale favorise l’« agro-business » à base de ranchs exportant la viande bovine sur le marché de Chicago et la culture du soja.

Malgré la mise en place dans les années 1990 de réserves forestières en lien avec les peuples autochtones, le rythme de la déforestation continue de progresser jusqu’en 2004.

La situation change radicalement dans la décennie suivante sous la présidence de Lula (2003-2010). Le système national d’imagerie satellite permet au gouvernement fédéral de mieux lutter contre la déforestation illégale. En réaction à des campagnes d’ONG, un moratoire est mis en place en 2006 sur les exportations de soja et les règles sur le marché de Chicago interdisent l’importation de viande issue de zones récemment défrichées.

Lula, l’ancien président brésilien, lors d’une présentation sur la déforestation illégale en Amazonie en 2009. Entre 2005 et 2013, la déforestation avait diminué de 70 %. Evaristo Sa/AFP

Simultanément, le pays devient un laboratoire de projets visant à concilier l’amélioration des pratiques des petits agriculteurs (intensification des productions à l’hectare, agro-foresterie, etc.) et la protection de la forêt.

Comme l’a analysé Gabriela Simonet dans sa thèse où elle approfondit le cas de projets conduits dans le cadre du Fonds Amazone, la difficulté est de mettre en place des incitations économiques qui rémunèrent durablement les pratiques respectueuses de la forêt. En l’absence de modèles économiques donnant un avantage définitif à ces pratiques, les résultats obtenus restent fragiles.

Le Brésil, premier défricheur de forêt tropicale

C’est ce que montre bien la reprise de la déforestation sur la période récente au Brésil.

Entre 2012 et 2018, le rythme de déforestation a de nouveau doublé, alors que le pays faisait face à une grave crise économique et morale, affaiblissant la capacité d’impulsion du pouvoir fédéral. Depuis l’arrivée à la présidence de Jair Bolsonaro, en janvier 2019, cette dynamique s’est accélérée. Comme simultanément l’Indonésie a réalisé des progrès rapides en réduisant le rythme de sa déforestation en 2017 et 2018, le Brésil a retrouvé son statut de premier défricheur mondial de forêt tropicale.

On peut retenir deux leçons principales de l’expérience brésilienne : les cycles d’accélération et de décélération de la déforestation répondent aux changements de priorité opérés à l’égard des producteurs agricoles, grands et petits ; en l’absence de modèles économiques donnant un avantage définitif aux pratiques agricoles respectueuses de la diversité biologique des forêts, les progrès réalisés par les politiques forestières restent réversibles.

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