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Des solutions économiques au fléau du dopage

Le dopage est-il une fatalité ? Xoan Baltar / Flickr, CC BY

Le 9 novembre 2015, l’agence mondiale antidopage dévoilait un immense scandale qui touchait la fédération internationale d’athlétisme : de nombreux sportifs ont volontairement, avec l’aide de l’organisation, caché des résultats positifs à l’usage de produits dopants. La Russie et le Kenya sont montrés du doigt.

On reproche à ces pays d’avoir organisé institutionnellement le dopage dans l’athlétisme. Des sportifs vont mêmes jusqu’à affirmer que « 99 % des athlètes russes se dopent », que le pouvoir politique soutient délibérément ces pratiques déviantes dans un seul but symbolique.

Comment en est-on arrivé là ? Comment, malgré tous les scandales qui ont secoué le sport depuis les années 1990 (notamment dans le cyclisme) et les évolutions en matière de dépistage, le dopage reste courant et banalisé ? La science économique a peut-être des réponses à apporter.

L’économisme dans le sport

D’après la théorie de l’agence, en microéconomie, l’agent rationnel prend ses décisions en fonction des actions d’un principal, son employeur. Il cherchera à satisfaire le plus possible l’utilité de son donneur d’ordre si et seulement si ce dernier lui accorde une rémunération répondant à ses attentes. De même, celui-ci acceptera le salaire demandé si l’agent satisfait ses objectifs de production.

En d’autres termes, lors d’une négociation, il y a une application du théorème du minimax entre deux individus, le principal et l’agent : chacun souhaite optimiser son utilité (« gagner le plus d’argent » et « avoir la meilleure production ») sous contrainte des coûts (coût de production et coût d’opportunité, le coût de renonciation au choix alternatif), tout en considérant le choix optimisé de l’adversaire.

L’individu rationnel prend à la fois sa décision en fonction de ses propres considérations, mais aussi (et surtout) en fonction des choix de l’autre agent. Dans le cas du dopage, le sportif optimisera ses gains sous contrainte des coûts de production (l’effort et le risque) aussi en observant les décisions du principal (est-ce l’organisateur d’un événement sportif promet une prime de victoire importante ? Est-ce qu’il s’attend à voir du spectacle ? Est-ce qu’il met en place une forte politique antidopage ? Etc.).

Russia’s Mariya Savinova and Ekaterina Poistogova at the London 2012 Olympic Games. Phil Noble/Reuters

Ainsi, l’athlète se dope tant que le coût du dopage (le risque de se faire prendre, les sanctions mises en place, mais aussi le coût d’opportunité) reste inférieur à l’avantage de se doper (gagner la prime de victoire, finir en tête, devenir une star, etc.). Et le coût est dépendant de l’action du principal, de l’organisateur : si les fédérations d’athlétisme ne combattent pas durablement et efficacement le dopage, le coût reste inférieur aux avantages et les sportifs sont incités à se doper.

Une relation entre chaque individu

Mais ce n’est pas seulement à partir d’une relation « principal-agent » que le dopage peut être expliqué. Les sportifs prennent aussi leur décision en fonction de leur cohorte, pas en fonction des dirigeants.

Ici, la théorie des jeux, en économie, s’applique. C’est une analyse élaborée par Nicolas Elber, dans son article « le dilemme du sportif ». Il réutilise ici le très célèbre dilemme du prisonnier, énoncé en 1950 par le mathématicien Albert W. Tucker, qui met en avant l’absence d’optimum social lorsqu’aucune entente n’apparaît. Lorsque deux prisonniers suspectés d’un délit sont enfermés dans deux salles d’interrogatoire différentes, chacun va vouloir maximiser son utilité (minimiser sa peine de prison) en accusant l’autre. Résultat, les deux sont déclarés coupables.

En théorie, ce dilemme cherchait à montrer l’échec de la philosophie économique classique, considérant que la somme des intérêts individuels aboutissait mécaniquement à l’optimum collectif : le tout serait réductible au jeu des parties. Au contraire, il faut négocier et collaborer, à échelle individuelle, plutôt que de ne penser qu’à sa propre situation égoïste et individualiste.

Ce qui n’est précisément pas le cas dans le sport. Ici, chaque athlète est directement en concurrence avec le reste de sa cohorte. Il n’y a ni collaboration ni entente. Chacun souhaite gagner et met tout en œuvre pour réaliser son objectif. Encore plus dans le cadre des sports individuels, comme l’athlétisme.

De cette façon, si un sportif se dope, tous les autres, apprenant cela, vont considérer que le déviant dispose d’un avantage absolu sur eux et vont tous être amenés à se doper. C’est une course à l’armement, il suffit qu’un seul cas soit recensé pour que tous les autres suivent.

Des sanction à vie

Une solution, néanmoins, existe pour éviter ce genre de déviance. Illustrée à partir de la théorie des jeux, l’économiste français Wladimir Andreff a souhaité montrer qu’en faisant confiance au raisonnement individualiste de chaque sportif, on pouvait être amené à supprimer toute forme de tricherie.

La solution ? Une sanction à vie en cas de détection.

L’idée ici est de considérer que chaque compétition propose un gain fixe proportionnel à sa place finale. Par exemple, dans une course d’athlétisme, 1 million d’euros sont mis en jeu avec 10 participants. Le premier à 50 % du total, le deuxième 25 %, le troisième 10 %, etc.

Si un sportif est déclaré dopé pendant ou après la compétition, il sera banni à vie par la fédération et le partage économique sera bouleversé. Toujours 1 million d’euros à se partager, mais cette fois-ci non plus entre 10 personnes, mais entre 9 personnes.

Chaque individu rationnel devra donc se dire, pour maximiser ses gains économiques, qu’il suffirait d’attendre qu’un concurrent triche, le nouveau partage se fera à son avantage. Si tout le monde pense comme cela, personne ne se dope et la triche disparaît du sport.

Globalement, si l’on veut lutter efficacement contre ce fléau, il faut des sanctions lourdes et sévères, bien supérieures aux gains que pourraient apporter les victoires du dopage : des sanctions à vie, des amendes importantes, une pression des pairs et une honte sociale, souvent très douloureuse.

Le 17 janvier 2013, Lance Armstrong finalement avoue qu'il s'est dopé pendant tous ses Tours de France.

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