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Radeau d'oeufs de moustiques reposant à la surface d'un étang de jardin.
L'utilisation de l'insecticide Bti doit être réalisée avec précaution, afin de limiter ses impacts indirects sur les amphibiens. La photo illustre des oeufs de moustiques reposant à la surface d'un étang. Shutterstock

Des toxines de bactéries utilisées pour éliminer les insectes piqueurs : solution efficace avec effets collatéraux ?

L’enjeu des pesticides sur la santé publique et l’environnement a retenu l’attention ces dernières années au Québec. Les pesticides sont largement utilisés et aboutissent souvent dans notre environnement naturel.

Ils peuvent être utiles pour tuer les mauvaises herbes (herbicides), les champignons (fongicides), les insectes nuisibles en agriculture et les puces chez les animaux domestiques (insecticides). Une autre utilité cosmétique des pesticides est de diminuer la quantité d’insectes piqueurs dans les milieux urbains et ruraux.

Je suis professeure-chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne. Avec mes collègues de l’Université d’Ottawa et de l’INRS, nous avons récemment étudié les effets indirects sur la santé des grenouilles d’un « biopesticide » utilisé depuis plusieurs décennies surtout pour réduire le nombre de moustiques qui nous dérangent.

Des protéines bactériennes sont des insecticides d’origine naturelle

Le Bti est l’un des pesticides utilisés mondialement pour réduire les populations d’insectes piqueurs qui se reproduisent dans les milieux humides. Cet insecticide, dit « biologique », est composé d’une bactérie, la Bacillus thuringiensis israelensis (Bti), dont les toxines naturelles ciblent les larves de mouches noires et de moustiques afin de réduire leurs populations.

Ces toxines, synthétisées sous forme de cristaux, appartiennent à la famille CRY, qui présentent des propriétés insecticides spécifiques aux insectes piqueurs comme les larves de moustiques et de mouches noires. Une fois ingérés, les cristaux se dissolvent dans l’appareil digestif et se transforment en protéines toxiques qui détruisent les parois de l’intestin ; les larves en meurent.

En principe, les toxines CRY n’affecteraient pas les parois intestinales des espèces vertébrées (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons), car leurs conditions de digestion ne favorisent pas la transformation des cristaux en protéines destructrices. Le Bti n’est donc pas considéré comme étant à haut risque pour les autres animaux et pour les humains selon Santé Canada.

Son utilisation, qui date de plusieurs dizaines d’années, soulève quand même certaines controverses.

Effets toxiques ou pas d’effet des formulations de Bti ?

Le Bti est souvent appliqué directement dans de petites étendues d’eau, comme les marais, pour cibler spécifiquement les larves de moustiques aquatiques et de mouches noires. Par conséquent, les autres espèces animales aquatiques, telles que les têtards de grenouilles, connus pour être sensibles aux polluants, pourraient potentiellement être impactées.

Quelques études ont montré que les formulations de Bti peuvent être directement toxiques pour les grenouilles, alors que d’autres ont démontré le contraire.

Par exemple, deux études argentines ont démontré que la formulation commerciale de Bti Introban® était toxique à l’égard des têtards de la grenouille criolle, tandis que nos travaux ont démontré que la formulation de Bti VectoBac® 1200L (liquide) ou VectoBac® 200G (en granules) n’entraînait pas de mortalité chez les têtards de la grenouille des bois et du crapaud d’Amérique.

Laboratoire expérimental avec des aquariums
Valérie Langlois et son équipe s’affairent à évaluer, en laboratoire, les effets de certaines formulations commerciales de Bti sur les grenouilles. Fourni par l'auteur

Ces contrastes dans les résultats pourraient être attribués, entre autres, aux différents mélanges de substances utilisés d’un pays à l’autre, aux différentes puissances entre les produits, aux espèces utilisées, ou aux conditions environnementales durant les expériences. Chaque produit commercial du Bti contient également des additifs qui ne sont connus que de leurs fabricants et dont on ne connaît pas les effets.

Ces différences de toxicité entre les études et produits sont d’ailleurs abordées dans un article publié par notre équipe dans la revue scientifique Archives of Environmental Contamination and Toxicology.

Métamorphose et microbiote intestinal

Dans notre étude récemment publiée dans la revue Environmental Science & Technology, nos résultats ont tout de même révélé que ces formulations de VectoBac®, d’une façon complexe, affecteraient la métamorphose, c’est-à-dire le temps que prennent les grenouilles pour passer du stade de têtards à celui de petite grenouille.

Chez la grenouille des bois et les crapauds d’Amérique, les deux types de VectoBac® ont altéré le temps de la métamorphose des amphibiens, soit en l’augmentant de près de 5 jours, soit en le réduisant d’une journée, selon les traitements. Les études portant sur l’écologie des grenouilles ont montré qu’une métamorphose précoce pourrait être cruciale pour la survie dans les étangs et pourrait finalement affecter la survie de la population. Ainsi, il importe de se pencher sur la modulation de la transformation des têtards par le Bti dans les années à venir.

Outre la métamorphose, les deux types de VectoBac® ont aussi modifié la composition de la communauté bactérienne intestinale des jeunes crapauds exposés. En effet, aux taux d’application recommandés par le fabricant, il y avait une augmentation de l’abondance relative de certaines familles de bactéries intestinales. L’impact de ces changements du microbiote reste inconnu à ce moment.

Une étude du professeur Jason Rohr de l’Université de Pittsburgh en 2017 a montré que la perturbation du microbiote des amphibiens diminue la résistance aux parasites plus tard dans leur vie. Notre équipe se penchera à déterminer si les modifications du microbiote induit par Bti ont des répercussions sur la physiologie de nos grenouilles à long terme.

Le principe de précaution est-il demandé ?

Est-ce que le principe de précaution, qui stipule qu’« une substance doit être considérée comme potentiellement nocive pour la santé humaine et pour l’environnement, jusqu’à preuve du contraire », doit être utilisé pour les zones abritant les amphibiens ?

Nos résultats indiquent que les conséquences sur la santé des amphibiens par les produits commerciaux à base de Bti sont limitées et variables entre les espèces que nous avons étudiées. Un autre défi scientifique à décortiquer est que les formulations de Bti contiennent d’autres ingrédients que simplement les toxines naturelles. Est-ce que ces ingrédients additionnels ont des effets sur les têtards ?

Néanmoins, nous recommandons que les activités d’épandage dans les écosystèmes riches en amphibiens soient ciblées et réduites au minimum, en tenant compte des périodes sensibles durant la vie des grenouilles, soit la période de reproduction et de développement des œufs en de jeunes grenouilles métamorphosées.

Ces précautions doivent être appliquées jusqu’à ce qu’il y ait des recherches pour évaluer si les changements observés dans le temps de la métamorphose et du microbiote peuvent entraîner des effets néfastes sur les populations d’amphibiens.

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