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Diagnostic sur la montée des fondamentalismes en France et sur ses conséquences

Après le choc des attentats, la « marche républicaine » du 11 janvier 2015. Maya-Anaïs Yataghène, CC BY

Ce texte a été rédigé par les auteurs suivants : Antoine Arjakovsky, Bernard Bourdin, Anne Flambert, Patrice Obert, Guillaume de Prémare, Dominique Reynié, Antoine de Romanet


Depuis les attentats commis les 7-9 janvier 2015 à Paris la question des nouveaux fondamentalistes, mais aussi celle de l’équilibre entre l’État et les religions existant en France, à travers le principe de laïcité, ont fait l’objet de multiples analyses.

Le séminaire de recherche du Collège des Bernardins, mené en partenariat avec Fondapol, la Faculté des sciences sociales de l’ICP, les associations Ichtus et Les poissons roses, a été préparé au printemps 2014, en amont de la tragédie de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de Vincennes.

Il s’est constamment adapté depuis à l’évolution des événements qui ont endeuillé la France et le monde par la suite. Plusieurs séances publiques ont eu lieu au Collège des Bernardins avec la participation de Pierre Manent, Frédéric Louzeau, Rachid Benzine, Giulio de Ligio, Antoine Arjakovsky, Fabienne Keller, Dounia Bouzar, Antoine de Romanet. On trouvera un compte rendu des interventions des 35 personnes auditionnées sur les sites du Collège des Bernardins et des partenaires. On a veillé également à partager immédiatement et en continu, entre 2015 et 2017, le fruit de nos travaux grâce à nos partenaires média, en particulier La Croix.

On trouvera ci-dessous un diagnostic, réalisé par le Conseil scientifique du séminaire, du bouleversement en France de l’équilibre « État-religions-laïcité » provoqué par la montée des nouveaux fondamentalismes. Ce diagnostic sera présenté lors d’un colloque qui se tiendra au Collège des Bernardins le 15 mars 2017 sur ce thème. Ce colloque visera, en outre, à discuter un certain nombre de propositions sur les justes voies du désembrigadement des jeunes fondamentalistes mais aussi sur les moyens possibles, tant pour l’État que pour les religions, de proposer des chemins de sens face aux évolutions du monde.

Cultiver un espace commun

Le phénomène du fondamentalisme n’est pas nouveau. Il se trouve en germe dans la jalousie qui fit de Caïn le premier meurtrier de l’humanité. On le retrouve dans l’orgueil qui anima les disciples du Christ lorsque ces derniers souhaitèrent faire tomber la foudre sur les villages ayant refusé leur parole évangélisatrice (Luc 9, 51-56). Il est présent également dans l’interprétation wahhabite du djihad.

Il peut être caractérisé par un refus résolu de penser ensemble la foi et la culture, mais aussi le respect de la loi avec le devoir de justice. Il est possible, cependant, de concilier des institutions justes et un travail de conscientisation par chacune de ses propres pulsions.

Il est possible également de cultiver le principe de laïcité – c’est-à-dire d’indépendance et d’impartialité de l’État, mais aussi des religions par rapport à l’État – sans pour autant le transformer en instrument de propagande de l’agnosticisme ou d’une vérité idéologique. Un État neutre ne signifie pas un État sans convictions. Au contraire, l’État juste se doit, dans le respect de la liberté de conscience de chacun, de cultiver un espace commun d’expérience citoyenne et un horizon partagé de justice.

Nihilisme doux et nihilisme violent

Le monde est confronté aujourd’hui à des nouveaux fondamentalismes. On trouve, d’une part, une recrudescence du fondamentalisme religieux, et notamment du fondamentalisme islamiste, idéologie se revendiquant d’un islam retrouvé dans sa pureté originelle. Celui-ci a emporté déjà dans ses rets plusieurs milliers d’enfants nés et éduqués en France.

On trouve, d’autre part, une autre réalité, elle aussi dévastatrice, qui ne dit pas son nom, mais qui détruit progressivement l’ensemble des repères capables de donner sens à l’aventure collective nationale. L’ultra-modernité individualiste et financière en est le visage insaisissable. De fait, la modernité traverse une crise de fondement.

Mais la réponse apportée par le fondamentalisme dit « religieux », le fantasme de l’âge d’or des origines, est évidemment dangereuse. Elle est révélatrice, cependant, du besoin de « sens » des jeunes, de plus en plus confrontés à un « individualisme radical ». À une ultra-modernité financiarisée et individualiste, qui distille un nihilisme doux, répond un fondamentalisme djihadiste intégriste porteur d’un nihilisme violent.

L’embrigadement d’une jeune fille, dans le film « Le ciel attendra ». AlloCiné/Guy Ferrandis, CC BY

Ce cercle vicieux aboutit aujourd’hui à une crise majeure qui se déploie dans quatre dimensions : crise écologique, crise sociale, crise culturelle et crise économique. Cette situation extrêmement préoccupante souligne le manque de liens : entre les gens, entre l’humain et la nature/création, entre la société civile et le pouvoir politique, entre l’humain et le divin/sacré. Or, sans ces liens, les sociétés ne peuvent espérer perdurer.

Favoriser la cohésion culturelle

La société française se trouve en situation paradoxale : elle exalte la liberté individuelle et la diversité culturelle, mais elle se raidit lorsque cette diversité se déploie concrètement. Elle découvre qu’il est difficile de reléguer strictement la religion dans la croyance intime ; elle redécouvre que le fait religieux est en quelque sorte « producteur de mœurs ».

Elle tend, par ailleurs, à appréhender les religions indistinctement, sans penser suffisamment les spécificités de l’islam comme phénomène social et culturel. La loi et le principe de laïcité n’ont pas suffi à répondre aux défis posés par des manières de vivre (vêtement, nourriture, mixité) qui sont la manifestation culturelle du fait religieux musulman. Vivre ensemble implique la traduction pratique de manières de vivre communes, donc un minimum de cohésion culturelle.

Dans cette optique, la valorisation et le partage de la culture française et européenne – histoire, patrimoine, littérature, anthropologie, art de vivre, etc. – constituent des facteurs déterminants du modus vivendi à faire émerger. Il s’agit d’aimer et de faire aimer ce qui nous constitue.

Penser à nouveau la nation

La conception française de la nation est liée au contrat social depuis la Révolution française. Il n’en demeure pas moins que la Troisième République, qui s’est voulue héritière de la Révolution, a dû renouer avec l’histoire française depuis la royauté, jusqu’à faire mémoire de « nos ancêtres les Gaulois ». Preuve en est qu’une fondation rationnelle n’est pas suffisante pour créer un sentiment d’appartenance. Tout peuple a besoin d’un récit historique, voire de mythes fondateurs. Les notions de récit historique (et surtout de roman national) et de mythes apparaissent pourtant anachroniques en ce début du XXIe siècle.

« La liberté guidant le peuple », d’Eugène Delacroix.

C’est pourtant aussi dans ce contexte de désaffiliation politique dont témoignent la violence religieuse et le retour du nationalisme que l’idée de nation redevient pertinente. Il convient dès lors de la penser à nouveaux frais. Communauté politique dans l’histoire, elle est à même de répondre aux défis de toutes les formes de fondamentalisme. De surcroît, elle n’est pas, contrairement à une idée reçue, antinomique avec la construction d’un espace européen. Comprise comme particularité ouverte à l’universel, elle en est même une condition majeure.

Donner du sens à la globalisation

On fera l’hypothèse que l’on ne peut comprendre les nouveaux fondamentalismes sans prendre la mesure des puissances déstabilisatrices qui travaillent en profondeur notre époque et notre monde. Parmi celles-ci, il faut compter les innovations technologiques et scientifiques. Le posthumanisme se distingue de l’humanisme classique de la Renaissance. Il résulte d’une prodigieuse accélération du savoir, tout particulièrement des sciences et techniques situées au confluent de la biologie, des nanotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives.

Poser ces questions, précisément « fondamentales », partager nos espoirs et nos doutes, s’interroger sur les conditions qui permettront de placer ces nouveaux progrès de la connaissance au service d’une humanité fidèle à son impératif de dignité sera aussi l’une des voies permettant de résorber l’émergence et l’expression des nouveaux fondamentalismes. Ils sont l’expression d’un désarroi considérable devant le bouleversement du monde.

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