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Diaspora et mobilité : enrichir la recherche africaine

Le professeur et épidémiologiste Salim Abdool Karim lors d'une ‘marche pour la science’ à Durban, en Afrique du Sud le 14 avril 2018 and Global Laboratories. Rajesh Jantilal/AFP

Dans son projet « Bienvenue en France », le gouvernement français a annoncé sa volonté d’attirer davantage les étudiants étrangers, en particulier asiatiques sur son sol. Il a également fait part de son envie d’augmenter les frais de scolarité pour ceux qui ne sont pas de la communauté européenne. Ce plan a suscité diverses réactions. Certains y ont vu une mesure discriminatoire. D’autres s’interrogent sur l’attractivité de la France, en questionnant le rayonnement de la Francophonie à laquelle l’Afrique et ses étudiants contribuent largement

Si ces mesures font écho à la controverse actuelle en Europe sur les migrations, particulièrement africaines, celles-ci ne sont pas nouvelles dans le débat public, notamment pour sa frange la plus qualifiée.

L’idée selon laquelle ces étudiants devaient absolument retourner chez eux pour servir leur pays – impératif de développement oblige – et « être des ambassadeurs politiques, économiques et culturels » de leur pays de formation, en l’occurrence la France, a longtemps prévalu.

La docteure en immunologie Yvonne Mburu s’exprime au sujet d’une plate-forme destinée à mettre en réseau les chercheurs en médecine issus de la diaspora ou du continent africain.

Une très forte mobilité

Si la pertinence de cette assertion n’est pas en débat ici, celle-ci semble ne pas prendre suffisamment en compte la mondialisation et les formes de reconfigurations qu’elle imprime. En l’occurrence, elle ouvre des espaces de circulation, remodèle le marché de compétences et du travail mondial, confronte voire transforme les différentes sociabilités et identités acquises tout au long du parcours de vie et d’études, ouvre d’autres formes de participation à la vie collective, etc.

Et les étudiants africains sont depuis longtemps inscrits dans ces dynamiques. En effet, les mobilités pour études ont toujours cours, souvent en rapport avec les nouvelles exigences liées aux transformations des savoirs, des connaissances et des métiers. D’après Campus France (Hors-Série n°16, novembre 2017), 432 589 Africains sont en mobilité internationale, soit 10 % de la population étudiante mobile mondiale ; et par exemple, en France, 142 608 étudiants africains sont inscrits dans l’enseignement supérieur où ils représentent 43,2 % des étrangers.

Les étudiants africains mobiles choisissent à 42,5 % les pays anglophones, à 34,4 % les mondes francophones, et à 7 % les pays arabes. D’autres destinations, toujours selon Campus France retrouvent un certain intérêt : la Chine, l’Inde, et à des proportions moindres la Russie ou encore le Brésil.

Le maintien de cette tradition de mobilité s’accompagne d’une dynamique qui ne cesse de s’ancrer depuis plus de deux décennies : à la faveur de l’ouverture plus grande des marchés du travail européens et nord-américains, de plus en plus d’étudiants restent dans le pays où ils ont été formés ou ré-émigrent vers d’autres contextes plus favorables à leur embauche.

Des enseignants et chercheurs fortement touchés

Or, ces dynamiques concernent également les enseignants et les chercheurs africains. Des scientifiques – dont ces auteurs- se sont attaqués au problème dans le volume 12, n°4 de la Revue d’anthropologie des connaissances, paru fin 2018. Ils ont, à partir de leur ancrage diasporique et africain, scruté le quotidien de cet enseignement supérieur sur le continent, notamment à travers les mouvements des enseignants et chercheurs, les bénéfices qu’en retirent tout à la fois ces professionnels et leurs institutions, l’engagement des universitaires de la diaspora là où ils travaillent, mais aussi dans les contextes académiques africains.

Quelques enseignements forts s’imposent à tous ceux qui sont intéressés par cette problématique. On observe une mutation progressive, mais profonde de ces lignes migratoires avec, d’une part un décloisonnement des espaces linguistiques et politiques constitués avec la diversification des pays et des aires de circulation, ce qui a favorisé l’émergence d’autres pôles de mobilités, y compris au sein même de l’Afrique. En l’occurrence, l’Afrique du Sud est devenue un pôle important de mobilités d’enseignants et chercheurs africains.

D’autre part on enregistre une multiplicité des formes d’engagement des enseignants et chercheurs africains de la diaspora au travers des initiatives diverses qu’ils développent, telles les publications conjointes, les projets de recherche, des invitations, les co-directions d’étudiants, etc.

Les avantages de la circulation des cerveaux

Notre recherche souligne surtout que ces circulations présentent de nombreux avantages. Outre des formes de coopérations scientifiques que génère la constitution des diasporas, ces circulations permettent de renouveler les objets de recherche ainsi que les épistémologies et conduisent à des transformations qualitatives des institutions des pays d’origine et des territoires d’accueil professionnel.

Longtemps également a prévalu l’idée que ces professionnels hautement qualifiés étaient perdus pour le continent africain ; ils ont parfois même été qualifiés de traitres ou de fuyards par leurs pays face à l’ampleur des défis qui interpellent cette région du monde, c’est ce qu’on a appelé le brain drain ou fuite des cerveaux.

Désormais, il est de plus en plus admis que le départ ne signifie pas surtout rupture ; de même que la migration internationale d’ouvriers et d’employés s’est caractérisée, entre autres, par d’importants transferts d’argent envers les pays d’origine au point de dépasser l’aide publique au développement (41 milliards de dollars en 2018 selon la Banque Mondiale) la mobilité des enseignants et chercheurs se traduit aussi par le maintien de liens académiques avec les espaces de départ.

Le départ n’est pas une rupture

En effet, les scientifiques africains installés dans les pays du Nord développent toute une série d’actions, en rapport avec leurs métiers, envers leur pays d’origine : conception et participation à des programmes de formation, organisation d’événements scientifiques internationaux comme des colloques, des conférences, encadrement d’étudiants, publication d’ouvrages ou d’articles, participation à des groupes de réflexion de haut niveau sur d’importantes questions telles le changement climatique, les migrations, la refonte des organisations internationales, l’évaluation des rapports entre pays du Nord et pays du Sud, élaboration et conduite de programmes de recherches, évaluation et questionnement des écrits scientifiques sur l’Afrique.

C’est ainsi que se tiennent à Dakar, depuis 2016, un événement scientifique d’envergure internationale : Les Ateliers de la pensée.

Ces derniers fédèrent des intellectuels de la diaspora et leurs collègues en activité sur le continent ; un des objectifs de cette manifestation est de « réfléchir sur le présent et les devenirs d’une Afrique au cœur des transformations du monde contemporain ». Ces Ateliers organisent aussi une école doctorale dont la première édition s’est tenue à Dakar du 21 au 29 janvier 2019 autour de la thématique : « Nouveaux savoirs et enjeux planétaires : épistémologie, pédagogie et méthode ». C’est un désormais un des moments majeurs de l’agenda scientifique en Afrique.

Achille Mbembé et Felwinn Sarr en conversation lors du lancement des Ateliers de la Pensée, 2017.

Les anglophones plus visibles

Jusqu’à présent ce sont les anglophones qui ont été cependant les plus visibles dans ce type d’activités, étant mieux positionnés dans les espaces académiques des pays où ils sont installés et, surtout, mieux organisés.

En effet, les enseignants et chercheurs africains installés en Amérique du Nord sont davantage impliqués dans ces dynamiques.

De plus, les pays anglophones, à l’instar du Ghana, Nigéria, l’Afrique du Sud ou de l’Ouganda bénéficient de ces investissements des diasporas pour redynamiser leur enseignement supérieur.

Ces initiatives ont été précédées pour certaines, ou renforcées pour d’autres, par des dispositifs internationaux tels le programme du PNUD Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals lancé en 1977 mais mis en œuvre à partir de 1985, le projet de l’Organisation internationale des migrations Return of Qualified Nationals, engagé en 1983, ou encore son programme Migration for Development in Africa lancé en 2008.

Sur le continent, l’Union africaine s’est imprégnée de ces enjeux à travers des initiatives de financement conjointes avec l’UE par exemple. Sur le plan symbolique, l’organisation a également attribué vingt postes de son Conseil économique, social et culturel à des membres des diasporas.

L’idée fait par conséquent son chemin : les diasporas scientifiques et techniques sont aussi des ressources pour les pays. Il manque un chaînon important dans ce travail de lien entre l’Afrique et les diasporas : les politiques publiques étatiques nationales et continentales.

Aussi bien les États que les universités, les centres de recherches sur le continent, les communautés scientifiques et techniques à l’étranger doivent y travailler à l’échelle nationale, sous-régionale et continentale. L’Afrique ne peut pas se permettre de rater son autre rendez-vous avec la science au XXIe siècle.

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