Menu Close

Domestication des plantes sauvages : que savaient vraiment les premiers agriculteurs ?

Les débuts de l’agriculture, qui marquent une véritable révolution dans l’histoire de l’humanité, fascinent les scientifiques depuis des siècles. L’événement, vieux de quelque 10 000 ans, est pourtant difficile à étudier et un certain nombre d’énigmes restent à résoudre. Comment les chasseurs-cueilleurs ont-ils commencé à pratiquer l’agriculture ? Comment s’y sont-ils pris pour domestiquer les plantes ? Comment expliquer les différences qui existent entre plantes cultivées et plantes sauvages ?

Si l’on compare en effet les cultures domestiquées avec leurs apparentées sauvages, la différence est souvent impressionnante. L’exemple du maïs est à ce titre tout à fait significatif, comme en témoigne l’image ci-dessous.

À gauche, le téosinte, que l’on trouve essentiellement au Mexique. À droite, sa version domestiquée, le maïs. Nicolle Rager Fuller, National Science Foundation

Le processus de domestication qui explique ces transformations entre plantes sauvages et cultivées remonte pour l’essentiel aux premiers temps de l’agriculture, c’est-à-dire à l’âge de pierre. C’est à cette période que l’on a commencé à semer, cultiver et récolter à l’aide de faucilles en pierre.

Les populations de l’époque avaient-elles conscience que cette domestication entraînerait de tels effets sur les plantes ? Recherchaient-elles ces résultats ? La question reste entière…

Est-ce que quelqu’un a vraiment pu, 8000 av. J.-C., penser que des plants de téosinte pourraient donner un jour des épis de maïs ou que le riz sauvage pourrait donner à terme du riz basmati ou à long grain ? Beaucoup d’archéologues pensent que non, mais il semble difficile d’exclure définitivement cette piste.

Le rôle des premiers agriculteurs

Les premiers fermiers ont-ils domestiqué les plantes et cherché à les faire évoluer ? Ou les caractéristiques de ces plantes ont-elles tout simplement évolué à mesure que les agriculteurs les travaillaient et les récoltaient ?

L’article publié par notre équipe dans la revue Evolution Letters se penche sur ces questions. Nous avons ainsi cherché à connaître et à comparer les tailles des grains des plantes sauvages avec ceux des plantes domestiquées. À noter que ces dernières – comme le blé, le riz ou le maïs – ont perdu la capacité de disperser naturellement leurs grains.

Au niveau de la taille, la différence s’avère importante : les grains de maïs sont 15 fois plus gros que ceux du téosinte, ceux du soja sept fois plus gros que ceux de son « cousin » sauvage. En ce qui concerne l’orge, la différence n’est que de 60 %, mais l’écart de rendement entre les deux variétés est énorme.

Bien sûr, il est possible que les fermiers qui cultivaient les versions primitives de ces cultures aient cherché à obtenir des grains de plus grande taille pour assurer un meilleur rendement. Pour y voir plus clair, nous avons décidé de comparer l’évolution de ces plantes à celle des légumes cultivés.

Des grains plus gros avec la domestication

En effet, dans le cas où les premiers fermiers auraient pratiqué la culture des légumes basée sur la sélection, les effets auraient été visibles sur les feuilles, les tiges ou les racines qui se consomment, mais pas directement sur la taille des grains. Il est ainsi probable que les changements intervenus au niveau de la taille des grains pour ces légumes n’aient pas de caractère intentionnel.

La sélection naturelle est une autre façon d’expliquer cet accroissement de la taille des grains, les plants les plus imposants ayant mieux survécu que les petits.

Ce phénomène peut aussi s’envisager comme une conséquence de transformations génétiques : les fermiers auraient pu produire des cultures de taille importante volontairement, en conservant et en replantant les grains issus des plantes les plus grandes, ou involontairement, en accordant plus d’attention, sans même le remarquer, aux plantes de grande taille, au détriment des plus petites. Mais il existe de nombreuses plantes qui, bien que grandes au moment de leur maturité, poussent à partir de petits grains.

Nous avons rassemblé des données renseignant la taille des grains de nombreuses cultures modernes, ainsi que d’espèces sauvages encore vivantes aujourd’hui qui leur sont apparentées. Nous avons trouvé, pour sept espèces de légumes, des preuves solides accréditant l’idée que la domestication a engendré une croissance générale des grains. C’est particulièrement frappant pour des cultures comme celle de la pomme de terre, du manioc ou de la patate douce, pour lesquelles les fermiers n’ont même pas besoin de semer. Dans ces cas, l’augmentation de la taille des grains s’est certainement produite sans que les hommes l’aient recherché.

Le système racinaire d’un plant de patate douce. Les pommes de terre poussent généralement à partir de leurs semblables ou de boutures. Pourtant, les graines ont malgré tout grossi depuis la domestication du légume. saint1533/Pixabay

Sélection naturelle et génétique

Si, rien qu’en cultivant des légumes, les premiers fermiers ont fait grossir leurs grains, cela peut nous apprendre quelque chose sur les céréales. En effet, les effets liés à la domestication des légumes sont tout à fait comparables à celle qui intervient pour les céréales ou les légumineuses (lentilles ou haricots, par exemple). Il est donc tout à fait probable que la croissance des grains observée sur ces cultures se soit produite, au moins en partie, pendant la phase de domestication, sans qu’elle soit le fruit de la volonté des fermiers de l’âge de pierre. Ceux-ci n’avaient pas prévu de cultiver des céréales de plus grande taille : c’est la sélection naturelle ou la génétique qui ont fait leur travail.

Les travaux menés dans le cadre de notre étude contribuent à mieux comprendre l’évolution des cultures. Et la sélection « involontaire » décrite dans cet article constitue un phénomène probablement plus important que nous le pensions.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now