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Donald Trump a perdu

Donald Trump n’hypnotise plus l'Amérique. Mary Schwalm/AFP

L’élection 2016 est un peu folle et plus personne ne se risque à faire de pronostic. Lorsque quelques rares observateurs prédisaient, voici plus d’un an, que l’homme d’affaires Donald Trump allait dominer cette élection, on les regardait en souriant et beaucoup de journalistes leur ont ouvert la porte de leurs plateaux pour faire un peu de spectacle. Le phénomène, expliquait-on alors, défie les lois de la gravité politique : ce serait une balle qu’on jette en l’air et qui ne retombe pas.

On peut pourtant voir les choses différemment aujourd’hui. Car après s’être beaucoup élevée dans les airs, la balle a obéi aux lois de la gravité et vient de retomber avec fracas : si Ivanka se rend à la Maison-Blanche l’année prochaine, ce sera très certainement pour rendre visite à Chelsea Clinton, qui serait elle-même venue voir sa propre mère. Car la probabilité que le père d’Ivanka occupe le Bureau ovale est devenue quasi nulle.

Tout s’est subitement accéléré : il y a à peine un mois encore, le monde se penchait au chevet d’Hillary qui, victime d’une pneumonie, était apparue chancelante dans une vidéo tournée par un de ses propres supporters. On parlait alors de la fin de sa campagne, et même de ses chances de l’emporter, après une erreur de communication tentant de faire passer cette maladie pour un « coup de chaud ». Donald Trump a alors bénéficié d’une vague déferlante en sa faveur et tous les sondages le mettaient, sinon en tête, du moins à égalité. Tout était donc possible et l’expression la plus virale était alors « la surprise de novembre », à laquelle il fallait s’attendre.

Seize mois à couper le souffle

Il faut dire que cet homme a fait preuve d’une résistance absolument stupéfiante : attaquant – bille en tête – le 16 juin 2016, il a dénoncé le manque d’initiative des gouvernants – démocrates comme républicains – qui auraient laissé les choses se dégrader dans une Amérique qui devait faire face à une des plus graves crises de son existence de jeune nation. S’adressant à un peuple en souffrance et plus particulièrement à ceux qui, délaissés par les partis politiques, étaient dans une humeur quasi-insurrectionnelle, il a désigné des boucs émissaires.

Le jour de l’annonce de sa candidature ce furent les Mexicains, auxquels il ajoutera pêle-mêle ceux qui, d’après lui, sont les profiteurs de tous poils, avant de s’en prendre – dans des outrances devenues célèbres – aux femmes, aux handicapés, aux héros de guerre, aux musulmans, aux losers, aux fainéants, à tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans la logique d’une Amérique qui porte haut les couleurs traditionnelles faites d’individualisme, de valeur de travail, de dur labeur, de liberté, d’autosuffisance ; ces valeurs qui, depuis 1776, ont gommé toute hiérarchie entre les individus, permettant à chacun de croire en sa chance.

C’est cela l’Amérique et son « rêve américain ». Donald Trump est venu le rappeler dans une campagne-marathon de seize mois qui a coupé le souffle et les moyens de la riposte à tous ses adversaires et à tous les observateurs ou commentateurs.

La « Trump fatigue »

Il y a eu, depuis, deux débats présidentiels entre les deux candidats. Ces deux débats ont été catastrophiques, et pas seulement pour le New-Yorkais. Ils ont été mauvais parce qu’aucun des deux n’a su élever le débat, le maintenir à un échange d’idées et que tout a sombré en dessous de la ceinture, dans des charges qui ont succédé à d’autres attaques, un florilèges d’insultes, de noms d’oiseaux et d’accusations insensées.

On sait grâce à de nombreuses études que les débats n’ont aucune influence sur le résultat ou, du moins, on sait qu’ils ne font pas le vainqueur. Car toutes les expériences précédentes le montrent également : les débats font, en réalité, le malheur de celui qui n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le destin de Donald Trump dépend, malgré lui, de cette règle non-écrite. Avec le premier débat, sa cote a plongé dans des États dont l’importance est cruciale pour accéder à la victoire : l’Ohio, en particulier a commencé à le lâcher.

Donald Trump a négligé le point qui lui fera le plus de tort : celui de la dynamique, qui désormais n’est plus de son côté. Car c’est bien son ton nouveau et sa capacité de jouer le rôle du chien dans un jeu de quilles qui lui a donné cette emprise sans précédent sur la campagne. Mais cette nouveauté n’a pas duré : tout passe, tout lasse, on le sait bien ; l’attrait pour son style est également passé. Il s’est alors installé une certaine lassitude vis-à-vis du personnage, une « Trump-fatigue ».

L’Amérique hypnotisée… pour un temps

Lorsqu’il est entré en campagne, il racontait une histoire que les gens comprenaient : celle d’une Amérique en souffrance, à qui il faut apporter de l’écoute et du soutien. Cette compréhension lui a donné une force qui a elle-même entraîné une adhésion de plus en plus puissante. Les soutiens de la première heure ont été ses principaux alliés pour grandir très rapidement dans l’espace politique : c’est bien parce qu’ils étaient 15.000, 20 000, voire 30 000 à se ruer à chacun de ses meetings que d’autres ont voulu alors se joindre à ce mouvement, en faire partie, ne pas être laissés de côté.

Il faut dire que ce mouvement de foule était stupéfiant lorsque, dans le même temps, les challengers les plus en vue réunissaient quelques centaines de sympathisants dans une salle parfois bien trop grande pour le peu de public qui venait les écouter. L’Amérique était hypnotisée par la réussite insolente de cet homme qui montrait par son exemple que la légende attachée à la démocratie américaine, celle qui affirme que n’importe quel petit gosse peut un jour devenir président des États-Unis – l’homme le plus puissant de la planète – n’était pas un leurre.

Il y a aussi des électeurs qui suivent immanquablement le gagnant, celui qui est à la mode ou qui a le vent en poupe, des électeurs qui vont invariablement dans le sens du mouvement. Et ce phénomène a également profité à Donald Trump, lui qui ne passait pas une journée sans être en première page des journaux, qui bénéficiait d’une couverture médiatique extraordinaire, 500 fois plus importante que celle dont bénéficiait celui qui semblait être son concurrent direct, Jeb Bush, et qui faisait exploser les chiffres d’audience des émissions auxquelles il participait.

Parce qu’il était le seul sujet de conversation véritable du début de la campagne, il a attiré à lui comme la lumière attire les lucioles : cet homme-là brillait. La vedette de la télévision, le magnat de l’immobilier, le milliardaire mondain se lançait maintenant en politique et on allait voir ce qu’on allait voir. « Lorsque je serai élu ce sera tellement bien que vous en aurez marre que ce soit aussi bien », lançait-il dans ses premiers meetings.

Plus dure est la chute

Mais l’homme s’est perdu dans sa campagne. Son thème premier était l’économie. Et pour lui, pas réellement besoin d’en parler, disait-il, puisque sa réussite parlait pour lui. Mais quand même, il le faisait un peu, en évoquant les barrières douanières censées retenir les emplois aux États-Unis, en tapant sur ces grandes entreprises qui délocalisent ou en promettant un plein emploi véritable, « pas des chiffres trafiqués » alors que le chômage serait en vérité entre 18 et 20 %, d’après lui. Toujours cette exagération, ce sens de la vantardise, l’absence de barrières dans l’expression, une liberté totale dans le discours, qui remplaçaient les programmes politiques et les démonstrations fastidieuses censées promettre un avenir plus rose au pays.

Les deux débats ont cassé cette mécanique. Les révélations sur son rapport aux femmes ont retourné une partie de la colère de l’Amérique contre lui. La mécanique parfaitement huilée du camp démocrate a alors pris le dessus : elle a longtemps eu du mal à trouver sa stratégie, consciente qu’en réponse à une attaque frontale, le Donald lui aurait réservé le même sort qu’aux seize challengers républicains pendant les primaires. Elle réalisait aussi qu’elle était inaudible dans sa volonté de ne se concentrer que sur l’exposition d’un programme de gouvernement et sur le plan des idées. Cela ne tenait pas deux heures face à la politique-spectacle de ce candidat très inhabituel.

C’est étonnamment parce qu’elle ne trouvait pas ses marques qu’Hillary Clinton a fini par terrasser le dragon. Donald Trump a voulu durcir encore son discours, alors que, dans un même temps, la mécanique républicaine cherchait à remplir les vides programmatiques avec les propositions traditionnelles du parti. Deux logiques qui n’étaient pas compatibles. Et plus Hillary Clinton s’enlisait en cherchant comment battre cet adversaire, plus le Parti républicain pensait pouvoir imposer de nouveaux impératifs à Donald Trump, à le faire rentrer dans un moule de politicien qui n’était décidément pas taillé pour lui.

C’est finalement sur la thématique qui est la plus chère à la concurrente démocrate que Donald Trump a chuté : les femmes. Ses multiples déclarations pendant la campagne, quelques révélations bien choisies et la publication d’une vidéo dans laquelle il tenait des propos déplacés ont mis le feu aux poudres. Les accusations de nombreuses femmes qui affirment avoir subi des agressions sexuelles de la part du candidat ont fini de le précipiter dans les abîmes de ce spectacle qui n’a plus rien de politique. Il s’est brûlé au feu qu’il a lui-même allumé et voit maintenant se consumer toutes ses chances de gagner à la fin.

Sa dernière chance

L’enjeu pour Donald Trump est de pouvoir se sortir de ce cycle infernal en moins de trois semaines. Pour cela, il va certainement tenter de replacer le débat sur l’économie. C’est son premier objectif et cela reste son point fort face à Hillary Clinton et également la première préoccupation des électeurs. Il sait bien qu’il est entendu lorsqu’il stigmatise l’Obamacare ou évoque la nécessité de réformer l’impôt qui écrase les classes moyennes.

Les petits entrepreneurs veulent entendre qu’ils pourront investir demain et qu’ils seront aidés pour cela. En répétant sur tous les tons que l’Amérique va dans la mauvaise direction, il pourrait limiter la casse, voire reprendre l’avantage. Mais en est-il encore capable ? Cela semble désormais insurmontable en moins de trois semaines, tant l’incendie fait rage.

Une . Mary Schwalm/AFP

Il lui faudrait toutefois lier ce discours à une deuxième objectif, la promesse de dépasser les clivages, dont les Américains ne veulent plus : le rejet de la classe politique souffre du spectacle désolant d’une opposition systématique que le Congrès a livrée au président Obama pendant huit ans. Toutes les enquêtes indiquent que les électeurs veulent que les hommes politiques travaillent désormais ensemble pour le bien du pays. C’était un élément de son discours qui fonctionnait parfaitement bien pendant les primaires, qui lui permettait d’attaquer ses adversaires républicains et de les mettre à terre. Il semble que cette volonté n’ait pas tenu face à la candidate démocrate. Il souffre maintenant d’un déficit de crédibilité sur ce sujet.

Difficile, donc, pour lui d’atteindre un but absolument nécessaire à la mise en place de n’importe quel programme : unir le pays. Une des plus grandes craintes des Américains est en effet de retomber dans les affres de la division, en particulier raciale, mais aussi homme-femme ou d’orientation sexuelle. Beaucoup en veulent à Barack Obama de ne pas avoir mis en place la société post-raciale qu’il avait promise dans son célèbre discours de Philadelphie, en 2008. Tous les Américains veulent se voir inviter à la table de la reprise américaine, quelle que soit leur origine ou leur communauté d’appartenance : l’Amérique est faite de blancs, d’Hispaniques, d’Afro-Américains, d’Asiatiques, d’Indiens, d’hommes et de femmes, d’hétérosexuels et d’homosexuels, ou même de transgenres ; tous veulent qu’on leur parle et qu’on les invite à vivre ensemble.

C’est à ce prix que le prochain président pourra atteindre une autre condition de son élection, la restauration d’une confiance envers le gouvernement et les dirigeants. Là encore, difficile d’imaginer que Donald Trump est l’homme de la situation, lui qui a menacé son opposante directe de prison et qui fait désormais hurler cette menace par ses supporters dans ses meetings. « La démocratie est en danger », a alors pilonné Barack Obama, qui est le mieux placé pour expliquer que la Constitution et les valeurs de l’Amérique viennent d’être foulées aux pieds des outrances de certains extrémistes.

Oui, Donald Trump a perdu, parce qu’il a délaissé son sens de la rhétorique pour une stratégie jusqu’au-boutiste, parce qu’il a délaissé son sens inné pour l’hyperbole pour des attaques boueuses et indignes, parce que « faire du Trump » il y a un an c’était tenter de redonner de l’espoir à des gens qui en avaient besoin et que c’est désormais les pousser dans leur colère, presque jusqu’à l’insurrection. Trump a perdu le soutien des hommes politiques les plus aptes au compromis, juste avant de perdre les électeurs modérés. Il a pensé pouvoir manipuler la presse et a joué le seul contre tous. Il a récolté la monnaie de sa pièce : 184 journaux, dont les plus conservateurs du pays, ont refusé de lui donner leur soutien, quand ils ne s’affichaient pas ouvertement anti-Trump.

Une des victoires d’Hillary Clinton sera d’avoir réussi à trouver le défaut de la cuirasse et de terrasser le monstre en transformant cette élection en un vaste référendum sur le caractère de Donald Trump. Il est évident que beaucoup d’électeurs, en particulier parmi les conservateurs, ne voudront pas que leur élection se transforme en mascarade et ne laisseront pas s’installer à la Maison-Blanche quelqu’un qui dégrade ainsi la fonction.

Pour toutes ces raisons, Hillary a d’ores et déjà gagné.

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