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Donner du sens au travail, voici une nouvelle mission que s’attribue l’entreprise et une injonction supplémentaire faite au salarié, après le bien-être et le bonheur. Shutterstock

Donner un sens à son travail, oui, mais lequel ?

Après le bonheur et le bien-être, la quête de sens fait son entrée au travail.

Aux tables de billard, cours de yoga, mobilier écologique ou CHO (Chief Hapiness Officer ou Responsable du bonheur), l’ingrédient manquant pour que le salarié trouve enfin son plein épanouissement dans l’organisation serait en effet de lui apporter du sens.

Une quête qui, parfois, peut amener ce même salarié jusqu’à… changer de métier et d’organisation !

C’est ce que j’ai moi-même constaté dans cette recherche que j’ai réalisée et qui met en évidence les motivations et le processus de perte de sens au travail qui conduit les cadres, notamment, à changer radicalement de vie professionnelle.

Une préoccupation largement partagée

Récemment, une étude du cabinet Deloitte s’est intéressée à la question du sens au travail. Il s’avère que près de 87 pour cent des travailleurs interrogés y accordent de l’importance. Il s’agit donc d’une préoccupation largement partagée.

Cependant, la compréhension de cette notion de « sens » est très hétérogène. Les répondants n’y voient pas tous les mêmes aspects du travail : pour certains le sens est lié à leur activité réelle quotidienne (29 pour cent), pour d’autres au travail d’équipe (26 pour cent), aux valeurs de l’organisation (26 pour cent), ou encore au métier exercé (12 pour cent), au secteur d’activité (5 pour cent) ou au produit vendu (2 pour cent).

Bien que les salariés considèrent le sens comme un processus permanent de recherche d’équilibre entre leurs aspirations propres et ce que leur offre leur entreprise, une majorité (63 pour cent) reste tout de même en attente d’une direction clairement exposée par leurs gestionnaires de proximité, par leur direction ou encore par la direction des Ressources humaines.

Donner du sens au travail, voici une nouvelle mission que s’attribue volontiers l’entreprise dans le but d’attirer, de fidéliser et de motiver les employés. Dans ces conditions, trouver du sens à son travail devient une injonction supplémentaire faite au salarié.

Or, la question du sens ne peut être réduite à un nouvel objectif de la part des entreprises et des salariés pour mieux vivre le travail.

Le sens au travail, une notion transversale

Comprendre la notion de sens nécessite de remonter à ses origines. Tiré du latin sensus le mot sens est polysémique : il renvoie d’une part à la faculté d’éprouver des impressions, de se représenter une idée ou une image face à un signe ou encore à une expérience. D’autre part, le sens est lié à la notion de finalité et de raison d’être. Par ailleurs, les sens représentent les fonctions psychophysiologiques par lesquelles les individus reçoivent des informations (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher).

En ce qui concerne plus précisément le sens au travail, il est nécessaire de distinguer le sens au travail du sens du travail. Le premier permet de qualifier l’environnement de travail dans lequel le salarié évolue (équipe de travail, finalité de l’organisation, le type de locaux, etc). Le second renvoie davantage à l’activité de travail (missions, activités, compétences mises en œuvre).

Le sens, du point de vue du travail, se décompose en trois aspects :

  • La signification du travail (les représentations et la valeur qu’il a aux yeux du sujet)

  • L’orientation du sujet dans son travail (ce qui guide ses actions)

  • La cohérence entre le sujet et le travail qu’il accomplit (ses attentes, valeurs).

Le sujet du sens va donc bien au-delà des questions organisationnelles ou de QVT (Qualité de Vie au Travail), mais touche également le développement des compétences, la rémunération, l’équilibre personnel et professionnel, les conditions de travail ou encore les perspectives de carrière. La notion de sens au travail est transversale, mais reste avant tout guidée par un souci de cohérence entre les besoins du salarié et ce qu’offre l’organisation.

En effet, le sens comprend une dimension à la fois individuelle et collective. Sinni, en islandais, la plus ancienne langue germanique, signifie le compagnon de route. Le mot, à ses origines, semble ainsi exclure l’idée d’un sens solitaire. Rechercher du sens par une quête d’un absolu de soi-même est aux antipodes du sens initial du mot.

Cependant, il n’existe plus dans notre société hypermoderne de système de sens collectif permettant de structurer la vie commune. Les deux systèmes de sens considérés comme dominants au cours du 20e siècle, à savoir le système communiste et le système libéral, ont tous deux montré leurs limites. Le premier a vu nombre de ses régimes s’effrondrer tandis que le second a évolué vers un monde dans lequel la consommation s’impose à nous comme la seule valeur de référence.

Face à ce constat de manque de piliers fondamentaux, la recherche de sens de la vie ne peut être qu’individuelle et construite à partir de son propre système de valeurs et ses croyances.

Comment générer (ou pas) du sens ?

Générer du sens dans les organisations de travail c’est apporter des références collectives dont les salariés pourront s’emparer afin de construire eux-mêmes leur sens individuel.

Il s’agit par exemple d’exposer clairement les finalités et les valeurs de l’entreprise dans lesquelles les salariés pourraient se reconnaître. Mettre en œuvre une politique de développement des compétences qui favorise l’évolution professionnelle est également un signal fort envoyé aux salariés. Cependant, il faut être vigilant à ne pas tomber dans le purpose washing, à savoir une communication exacerbée sur des valeurs prétendues dans une organisation qui n’existeraient que très peu dans les faits.

En effet, une des composantes du sens étant la cohérence entre le sujet et le travail qu’il accomplit, les discours discordants et les injonctions paradoxales mettant en décalage les mots et les actes seront donc néfastes. Et c’est justement ce type de paradoxe qui pousse de nombreux salariés à penser une réorientation en dehors de l’entreprise, créant eux-mêmes leur activité qui sera construite en cohérences avec leurs valeurs, leurs finalités.

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