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Du Sénat aux lobbies, retour sur le vote de la loi antigaspillage

Selon l’Ademe, en France, moins de la moitié des appareils ménagers en panne sont réparés. Shutterstock

Suite au vote final de la loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire » par le parlement, le 30 janvier 2020, plusieurs mesures phares vont prochainement entrer en vigueur.

Si l’attention médiatique à l’égard de ce texte s’est focalisée sur la consigne ou le plastique, un autre volet – la lutte contre l’obsolescence programmée – était également au cœur des débats. Plusieurs mesures ont ainsi pour objectif d’allonger la durée de vie des produits pour en finir avec « cette arnaque pour le consommateur comme pour la planète », pour reprendre les termes de la secrétaire d’État Brune Poirson. La création d’un indice de réparabilité pour 2021, figure parmi les initiatives les plus marquantes.

D’autres mesures sont à noter : les éco-organismes devront mettre en place un fonds de la réparation et un fonds du réemploi, pour financer au-delà du recyclage ces piliers de l’économie circulaire ; les consommateurs devraient être mieux informés de la durabilité des produits pour faire des choix éclairés ; l’irréparabilité intentionnelle devient un délit au même titre que l’obsolescence programmée ; les fabricants vont devoir respecter de nouvelles obligations sur la disponibilité des pièces détachées…

Or nombre de ces dispositions n’étaient pas prévues dans le projet de loi initial. Comment expliquer ce résultat final ? Nous proposons de dévoiler ici le jeu entre les différents acteurs (élus et lobbies) qui a conduit à l’évolution du cadrage réglementaire concernant la durabilité des objets.

Des sénateurs pionniers contre l’obsolescence

Suite aux nombreux échanges organisés par le gouvernement autour de la « feuille de route économie circulaire », un projet de loi a été proposé au banc des sénateurs en septembre 2019 ; cette première copie a ensuite été revue et amendée par les députés, avant l’accord définitif de janvier 2020.

Contrairement à leur réputation conservatrice, les sénateurs ont été à l’avant-garde de l’économie circulaire, votant de nombreuses dispositions en première lecture pour favoriser notamment la réparation et la durabilité des produits.

Ils ont, par exemple, intégré dans le projet de loi un nouvel indice de durabilité ; exigé la transparence des critères permettant de déterminer l’indice de réparabilité proposé par le gouvernement ; obligé la disponibilité des pièces détachées dans le secteur médical pendant 10 ans ou encore la mise en place d’un compteur d’usage sur les produits (à l’instar d’un compteur kilométrique sur les automobiles). Les sénateurs ont également voté deux fonds ambitieux – dédiés à la réparation et au réemploi.

Certains reculs par rapport au projet de loi initial du gouvernement ont toutefois été constatés : date d’entrée en vigueur de l’indice de réparabilité repoussé d’un an, tout comme le délai maximal de livraison des pièces détachées, passé de 20 à 30 jours.

Beaucoup de ces mesures ont été votées contre l’avis du gouvernement, sous l’impulsion de sénateurs écologistes, socialistes, communistes ou républicains, ayant sans doute cherché une caisse de résonance politique pour faire de l’écologie un sujet phare en pointant les lacunes du gouvernement en ce domaine.

Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a ainsi dénoncé un projet de loi « pas à la hauteur de la nécessaire “accélération écologique” annoncée par le premier ministre ». Dans ce même communiqué de presse, la rapporteur (LR) souligne que le Sénat a « substantiellement enrichi le texte [pour] promouvoir le réemploi et la réparation par la création d’un fonds d’aide à la réparation permettant de prendre en charge une partie des coûts, souvent dissuasifs » ou encore « d’interdire la publicité incitant à jeter des produits encore en état de marche ».

Les sénateurs avaient donc mis la barre assez haut avant le passage du projet de loi à l’Assemblée nationale.

Des mesures en demi-teinte

Les députés et la majorité gouvernementale n’ont pas voulu se montrer moins déterminés que le Sénat en matière d’écologie. Les rapporteurs ont dit chercher à « consolider » le texte afin d’en assurer la sécurité juridique, c’est-à-dire éviter de voter des textes inapplicables ou attaquables au niveau européen.

Dans les faits, l’ambition de la plupart des mesures a été revue à la baisse, tout en restant plus importante que le projet initial de l’exécutif. Ainsi, l’indice de réparabilité a été rétabli pour 2021, et étendu dans son format à un indice de durabilité d’ici 2024. Le gouvernement et les députés ont supprimé le compteur d’usage obligatoire, le réduisant à une démarche volontaire dans le cadre de l’indice de durabilité (les produits ayant un compteur recevraient une meilleure note). La loi a ramené la disponibilité obligatoire des pièces dans le secteur médical à 5 ans, mais l’a étendu à d’autres catégories de produits, comme les ordinateurs et les smartphones, pièces qui devront finalement être fournies dans un délai maximum de 15 jours.

Brune Poirson et l’obsolesce programmée. (Arte, 2019).

En septembre 2019, les sénateurs avaient aussi fait preuve de volontarisme en créant une « garantie logicielle », rassurant le consommateur quant au bon fonctionnement de son téléphone ou de sa tablette avec des mises à jour pendant 10 ans. Seulement, les députés sont revenus en arrière : le consommateur aura simplement le droit de refuser toute mise à jour (sans dissociation de confort ou sécurité).

Dans les deux chambres, le sujet de l’extension de la garantie légale de conformité ou de la publicité sont restés tabous. Malgré de nombreux amendements déposés par des parlementaires sur ces deux thèmes, invoquant respectivement la protection des consommateurs face aux risques de pannes prématurées et le rôle de l’obsolescence culturelle, rien de significatif n’a été adopté.

Au-delà des consignes de vote pouvant émaner des ministères, qui influence les parlementaires dans le dépôt d’amendements et leurs arguments ?

Des lobbies bien organisés

En coulisses du vote des lois, les groupes d’intérêts s’activent pour freiner de nouvelles dispositions ou aller plus loin. Il est rare, en effet, que les propositions d’amendements d’un projet de loi émergent de la seule initiative des parlementaires. Ces derniers consultent, plus ou moins officiellement lors d’auditions ou de rendez-vous, des ONG, associations, think tank, fabricants, distributeurs, fédérations professionnelles, syndicats…

Depuis peu, certains parlementaires s’engagent dans une démarche de sourcing, afin de renseigner l’origine de l’amendement porté lorsque celui-ci a été proposé par un représentant d’intérêts, garantissant davantage de transparence, sans pour autant remettre en cause le principe selon lequel le mandat impératif est nul et que le droit de vote des membres du parlement est personnel (article 27 de la Constitution).

Avec seulement 4,4 % des amendements adoptés sourcés (ou 10 % des amendements recevables) dans le cadre de la loi antigaspillage pour une économie circulaire, cette pratique est encore trop récente et peu généralisée, pour permettre d’en tirer des résultats significatifs sur l’origine et la proportion des représentants d’intérêts présents.

Cependant, nous constatons que les acteurs de l’économie sociale, solidaire et de l’environnement ont été très actifs, aux côtés des fédérations professionnelles. Les associations WWF, Zero Waste France, Surfrider, Halte à l’obsolescence programmée et Tara Océan sont le plus souvent citées dans les amendements adoptés.

Quel « sourcing » pour la loi sur l’économie circulaire ? Cominst, CC BY-NC-ND

Toutefois, les parlementaires assument, plus ou moins aisément, leurs sources d’influence. Tous les groupes politiques ne le renseignent d’ailleurs pas dans les mêmes proportions. Les députés de la République en marche, la France insoumise, les Socialistes, le MoDem, Libertés et territoires sont plus enclin à la transparence que Les Républicains ou l’UDI.

De même, les industriels ou groupements d’entreprises ont certainement moins intérêt à être visibles auprès du grand public, contrairement aux associations qui peuvent ainsi démontrer leur efficacité auprès des citoyens et militants.

Les associations ont joué un rôle clef dans le résultat du débat parlementaire en rehaussant l’ambition de la loi. Dans un climat politique tendu au sujet du climat, illustré par de nombreuses manifestations, notamment des jeunes, ou encore les résultats du Grand débat ou de la Convention citoyenne pour le climat, les jeux d’acteurs ont eu raison d’un texte substantiellement renforcé entre le projet de loi initial du gouvernement et la loi finalement votée.

Bien que restant très mesuré, le texte prend désormais davantage en compte l’allongement la durée de vie des produits, essentiellement via l’incitation des citoyens à une consommation durable et des entreprises à davantage de transparence, voire – dans une moindre mesure – d’obligations, en faveur de la réparation, pour une logique de construction d’une économie plus « circulaire ».

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