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Einstein et les ondes gravitationnelles : une heureuse idée, vraiment

Illustration de la courbure de l'espace-temps. Johnstone/Wikimedia, CC BY-SA

C’est un beau jour de novembre 1907 qu’Einstein eut l’idée qui fut à ses yeux « la plus heureuse de sa vie » :

J’étais assis sur ma chaise au Bureau fédéral de Berne. Je compris soudain que si une personne est en chute libre, elle ne sentira pas son propre poids. J’en ai été saisi. Cette pensée me fit une grande impression. Elle me poussa vers une nouvelle théorie de la gravitation.

Ce qu’Einstein venait là de comprendre, c’est que lorsque nous tombons en chute libre, tout ce qui est proche de nous (parapluie, chapeau) tombe comme nous puisque la vitesse de chute des objets est la même pour tous. Nous avons donc l’impression que la pesanteur a disparu dans notre voisinage alors même que nous sommes en train de subir sa loi. N’est-ce pas bizarre ?

Einstein prolongea cet émoi en énonçant le « principe d’équivalence » selon lequel il y a une sorte d’identité entre accélération et gravitation. Huit années plus tard, c’est-à-dire il y a très exactement un siècle, à l’issue d’un labeur acharné, il publia plusieurs articles présentant une théorie révolutionnaire de la gravitation, « la théorie de la relativité générale ». Selon elle, l’espace-temps n’est pas rigide mais souple, dynamique, courbé, et la gravitation n’apparaît plus comme une force proprement dite se propageant au travers de l’espace : son action sur un corps n’est qu’un effet de la déformation de la géométrie à l’endroit où se trouve ce corps.

Le scarabée aveugle

Tout ceci semble compliqué, mais Einstein savait expliquer simplement ses travaux. Lorsque Eduard, son second fils, lui demanda pourquoi il était devenu si célèbre, il obtint cette jolie réponse : « Quand un scarabée aveugle marche à la surface d’une branche incurvée, il ne se rend pas compte que le chemin qu’il suit est lui aussi incurvé. J’ai eu la chance de remarquer ce que le scarabée ne peut pas voir ».

En 1916, alors qu’il était malade, épuisé par ces années de travail intense, Einstein commença à se demander si une masse en mouvement accéléré pouvait rayonner des « ondes gravitationnelles », de la même façon qu’une charge électrique qu’on accélère rayonne des ondes électromagnétiques. Il découvrit rapidement des solutions de ses équations correspondant à des ondulations de l’espace-temps se propageant à la vitesse de la lumière. Au cours de leur voyage, elles devraient secouer l’espace-temps, ce qui aurait pour effet de modifier brièvement la distance séparant deux points dans l’espace.

Il y a un milliard d’années…

Deux trous noirs en train de fusionner, image reconstituée grâce aux téléscopes Chandra et Hubble. NASA/Flickr, CC BY-NC

La gravitation étant très faible en intensité, de telles ondes sont très difficiles à détecter. De fait, elles n’ont pu l’être qu’avec la complicité d’un événement gargantuesque qui s’est produit il y a plus d’un milliard d’années : deux trous noirs voisins ont fusionné à une vitesse égale aux deux tiers de la vitesse de la lumière ; ce phénomène hyperviolent a libéré une énergie inimaginable en seulement 20 millisecondes, et engendré un train d’ondes gravitationnelles qui ont progressivement perdu de la puissance au cours de leur long voyage ; leur passage au travers de la Terre, le 14 septembre 2015, a pu être détecté grâce à une expérience extrêmement sensible baptisée LIGO. Attardons-nous une seconde sur la prouesse réalisée : les variations de longueur que cet instrument est parvenu à mesurer sont largement inférieures à la taille d’un proton !

Mathématiquement articulée, la physique agit décidément comme un véritable treuil ontologique : elle révèle de nouveaux éléments de réalité, ainsi qu’elle le fit déjà en 2012 avec la découverte du boson de Higgs. Mais là, l’histoire a des allures de joli pied de nez, car Einstein n’a jamais cru en l’existence des trous noirs. Or ce sont bien deux tels objets qui, en s’accouplant jusqu’à ne plus faire qu’un, viennent de lui donner raison à propos des ondes gravitationnelles !

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