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El Niño, qu’est-ce que c’est ?

La Terre vue de l’espace. Flickr, CC BY-NC-ND

Les récentes données rendues publiques par la Nasa et la NOAA l’ont confirmé : 2015 aura bien été l’année la plus chaude jamais observée par les scientifiques. Ce réchauffement global – dû à la concentration dans l’atmosphère de gaz à effet de serre imputable en majeure partie aux activités humaines –, est actuellement accompagné d’un épisode particulièrement puissant du phénomène El Niño, avec une température de la mer anormalement élevée dans le Pacifique tropical.

Anomalies de température de la mer dans le Pacifique tropical pendant les quatre dernières semaines (du 27 décembre 2015 au 23 janvier 2016). Les zones en rouge montrent des températures au-dessus de la moyenne atteignant 3 °C. Cette distribution d’anomalies chaudes le long de l’équateur et le long des côtes des continents américains est typique d’El Niño. Cette année, l’eau chaude s’étend particulièrement loin vers l’ouest du Pacifique. NOAA

Ses effets ont commencé à se faire sentir cet été pour s’intensifier au fil des semaines, provoquant des anomalies météorologiques, comme un trio inédit de cyclones simultanés dans le Pacifique, un événement rarissime et des pluies abondantes au nord de la Californie, mais encore limitées au sud.

Quelle est l’origine d’El Niño ? Qu’en savent les scientifiques ? Connaît-il une évolution sous l’effet du réchauffement climatique ?

Un phénomène à l’impact global

El Niño constitue la fluctuation la plus importante du système climatique et perturbe la circulation de l’atmosphère à l’échelle globale. On se trouve en présence de ce phénomène lorsque la température de la partie orientale du Pacifique tropical dépasse une certaine valeur seuil au-dessus de la moyenne.

En temps normal, les vents alizés soufflent sur le Pacifique tropical, entraînant les courants sous-jacents vers l’ouest. Ces courants transportent l’eau chauffée par le soleil des basses latitudes ; cette eau finit alors par s’accumuler dans les couches supérieures de l’océan Pacifique ouest, provoquant une élévation du niveau de la mer.

En temps normal, les vents alizés transportent l’eau chauffée d’est en ouest. Michael McPhaden/NOAA

L’eau chauffée s’évapore de la surface de l’océan, l’air humide et chaud (donc léger) s’élève. Une convection profonde sous forme d’énormes cumulonimbus s’ensuit et cause de fortes précipitations. Lorsque cet air ascendant atteint le sommet de la troposphère, il se trouve bloqué par la stratosphère, trop stable pour être pénétrée, et s’étale alors vers l’est, puis descend vers la surface plus froide du Pacifique est (dite « zone de subsidence »). Cette circulation est-ouest est appelée circulation de Walker.

Ses effets sur l’atmosphère et l’océan

La circulation de Walker est modifiée plusieurs fois par décennie, soit par un El Niño, soit par son phénomène opposé (froid), La Niña. Cette oscillation chaude-froide couplée à des variations de pression atmosphérique quasi périodiques est appelée ENSO (El Niño-Southern Oscillation).

Lors d’un El Niño typique, les alizés ralentissent et des coups de vent d’ouest soufflent épisodiquement sur le Pacifique ouest, générant le long de l’Équateur de larges ondes dans l’océan dont on peut voir la trace en surface grâce à des satellites qui mesurent l’élévation du niveau de la mer. Ces ondes déclenchent le transfert vers l’est du bassin de l’eau chaude accumulée à l’ouest.

Au cours d’un El Niño, la circulation de l’eau chauffée d’est en ouest se trouve modifiée. Michael McPhaden/NOAA

Ce gigantesque transfert de chaleur induit en contrepartie une réduction des remontées d’eau froide des profondeurs (“upwellings”) à l’est, à l’Équateur et le long de la côte sud-américaine. Apparaissent alors de profondes anomalies de la température de la mer notamment le long de l’Équateur, de la ligne de changement de date jusqu’à la côte.

Lorsque la partie centrale du Pacifique s’échauffe au cours d’un El Niño, la convection atmosphérique, qui se trouve normalement au-dessus du Pacifique ouest dans la région des eaux chaudes, migre vers le centre du Pacifique. Le transfert de chaleur de l’océan à l’atmosphère associé à cette convection se traduit en précipitations inhabituelles dans la région normalement sèche du Pacifique tropical oriental. L’air se déplaçant d’ouest en est nourrit la convection, affaiblissant encore les alizés. Ce processus de rétroaction (feedback) amplifie le phénomène et assure le maintien de la convection atmosphérique profonde et des précipitations dans le Pacifique équatorial central. El Niño prend fin lorsque les changements océaniques causent une rétroaction négative qui renverse sa dynamique initiale.

La météo perturbée aux États-Unis

La redistribution de chaleur dans l’océan associée à El Niño crée une réorganisation majeure de la convection atmosphérique globale, perturbant fortement les conditions météorologiques, de l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, de l’Australie à l’Inde, de l’Afrique du Sud au Brésil.

À l’origine des effets de ces phénomènes tropicaux sur les États-Unis, on trouve un type particulier de connexions, appelées téléconnexions extratropicales, entre l’échauffement généré par El Niño dans le centre du Pacifique et l’Amérique du Nord. Cet échauffement excite un train d’ondes qui se propagent vers le nord et relient ainsi le centre du Pacifique équatorial à l’Amérique du Nord. Il en résulte un déplacement vers le nord du jet subtropical. Ce ruban de vents très forts en altitude et soufflant d’ouest en est contribue à la formation des orages aux latitudes moyennes au cours de l’hiver, provoquant généralement une série d’orages sur la Californie et le Sud-ouest américain. L’augmentation des précipitations ne semble exister qu’au cours d’épisodes forts d’El Niño.

Si les El Niño ont une signature assez typique dans les tropiques, leurs impacts sur l’Amérique du Nord varient beaucoup, car d’autres influences agissent de manière concomitante dans les latitudes tempérées. On peut cependant dire que les hivers qui suivent El Niño sont en général très doux dans l’ouest du Canada et le centre-nord des États-Unis, et particulièrement humides dans le sud, de la Californie à la Floride en passant par le Texas.

Et l’Europe ?

Ici, les avis sont partagés et les conclusions restent mitigées. Bien que certaines études indiquent un impact d’El Niño sur le nord de l’Europe, les Îles britanniques et la Méditerranée, tout particulièrement pendant les mois de janvier et février qui suivent l’événement, ces effets sont relativement faibles. Surtout, ils varient d’un événement à l’autre. Il n’existerait donc pas d’effet typique, à l’exception d’une grande variabilité météorologique hivernale. Quelques caractéristiques ont été cependant observées : des circulations cycloniques plus nombreuses en Europe centrale, un décalage vers le sud de la trajectoire des cyclones atlantiques, des situations de blocages dans le secteur Europe-Atlantique, ainsi que le déplacement vers le nord de la trajectoire des événements cycloniques de la région méditerranéenne influençant les précipitations dans cette région. Tous ces phénomènes restent cependant faibles et difficiles à détecter.

Cette absence d’effets majeurs, et surtout d’impacts typiques, s’explique en partie par le fait que d’autres facteurs entrent en compétition avec El Niño pour influencer l’évolution des situations météorologiques aux latitudes moyennes. Parmi ces facteurs, on retient les anomalies de température de la mer dans les régions extratropicales et l’Oscillation nord-atlantique (NAO). De plus, la grande distance entre la zone d’action énergétique d’El Niño dans le centre du Pacifique équatorial et l’Europe explique que les téléconnexions qui agissent sur l’Amérique du Nord (et du Sud de façon quasi symétrique), ne jouent pas pour l’Europe. Les seules connexions constatées passent par la stratosphère et sont de fait assez lointaines.

L’influence des gaz à effet de serre

Après avoir pensé qu’il existait un El Niño canonique, voire deux, les scientifiques s’intéressent aujourd’hui à une variété de comportements récemment observés pour ce phénomène. De nombreuses années d’observation révèlent en effet une surprenante diversité d’El Niño : au niveau de son intensité, de sa longévité et surtout du déplacement des zones d’anomalie maximum de température. Ces variations sont-elles liées au changement climatique ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Il existe en effet une grande variabilité naturelle dans le Pacifique à l’échelle d’une décennie (appelée PDO – Pacific Decadal Oscillation), voire plus, qui peut masquer les variations provoquées par le réchauffement du climat.

Les résultats des modèles climatiques suggèrent que les conditions moyennes du Pacifique vont évoluer vers un état plus chaud. Cela se traduira par une élévation de la température de la mer et une diminution des alizés, ce qui pourrait conduire à un El Niño quasi permanent ou à des épisodes plus intenses.

Certaines prédictions climatiques ainsi que des reconstructions d’El Niño passés ont fourni la preuve empirique que sous l’influence du réchauffement, les prochains El Niño pourraient être plus extrêmes. Elles suggèrent aussi un déplacement vers l’est de la zone où l’océan transfère de la chaleur à l’atmosphère. Cela impliquerait un déplacement des téléconnexions extratropicales vers l’est.

Mais les prédictions des modèles divergent quant aux variations d’intensité des téléconnexions : seront-elles différentes ? Plus marquées ? Il n’existe pas aujourd’hui de réponse simple à la question des variations des précipitations en Californie, par exemple, selon les changements prévisibles d’El Niño en liaison avec le réchauffement planétaire.

Des prédictions toujours difficiles

La sensibilité de l’atmosphère tropicale à la rétroaction entre les températures élevées de la mer et le ralentissement des alizés qui génère la convection atmosphérique dans le centre du Pacifique va-t-elle se poursuivre ?

Une telle rétroaction n’a pas eu lieu en 2014, alors même que les conditions favorables à un El Niño intense étaient réunies. La convection profonde n’a pas persisté dans le Pacifique central et les interactions entre l’atmosphère et l’océan normalement très fortes pendant El Niño n’ont pas joué leur rôle d’ancrage de la convection par l’intermédiaire des transferts de chaleur.

Ces résultats indiquent qu’il reste encore beaucoup à découvrir, même si des progrès scientifiques majeurs ont été accomplis ces dernières décennies à propos d’El Niño et du cycle de ENSO grâce à des programmes d’observations et de prédictions mis en place depuis le milieu des années 80 et poursuivis jusqu’à ce jour

Notre capacité à prédire El Niño et l’existence de relations entre l’augmentation des gaz à effets de serre et ce phénomène météorologique reste encore limitée par la complexité de la dynamique de ce phénomène, comme l’a montré la prévision défaillante de 2014. Aux États-Unis l’hiver est en partie dominé par El Niño qui ne s’est pas encore développé en un « méga » El Niño comme certains le prédisent.

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