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Une femme, membre du conseil autochtone maya chorti, vient de voter à Laguna Cayur, Chiquimula .Le premier tour des présidentielles au Guatemala laissent entrevoir peu de changements dans ce pays corrompu. Sauf l'arrivée remarquée d'une candidate autochtone, qui suscite de l'espoir. Norma Sancir, Author provided

Élections au Guatemala : corruption, impunité… et une candidate qui incarne l'espoir

Le Guatemala vient de tenir le premier tour de ses élections présidentielles et tout semble pareil… sauf qu'une candidate autochtone vient insuffler un peu d'espoir de changement dans ce pays d'Amérique centrale miné par la corruption, l'impunité et la pauvreté.

Les élections du 16 juin sont survenues dans un contexte nettement différent de celui des précédentes, en 2015. Le Guatemala était alors secoué par d’importantes mobilisations sociales contre la corruption. L'ébullition du printemps 2015, que plusieurs ont qualifié de « printemps démocratique », semble aujourd'hui bien loin.

Étant présentement au Guatemala pour effectuer ma recherche doctorale sur le processus de consultation du peuple xinka préoccupé par le développement de la mine Escobal dans le sud-est du pays, j'ai pu observer le contexte pré-électoral actuel et ses développements. J'ai également suivi de près les élections précédentes (2015) en participant en tant qu'observatrice électorale au 2ème tour des présidentielles auprès de l'Organisation des États américains (OEA).

Des femmes autochtones participent à la Marche pour la Dignité, à Guatemala City, le 8 mai 2019. La marche a débuté 8 jours plus tôt de Quetzaltenango, en guise de protestation contre la corruption du gouvernement de Jimmy Morales. AP Photo/Moises Castillo

Un État gangrené par la corruption

À l’époque, la Commission internationale contre l’impunité et la corruption au Guatemala (CICIG) avait le vent dans les voiles. Cette commission d'enquête avait été mise sur pied pour démanteler les structures de corruption à même les institutions étatiques, composées de « groupes illégaux et d'appareils clandestins de sécurité».

Ces groupes, des militaires démobilisés à la suite de la signature des Accords de paix en 1996, entretiennent des relations avec des fonctionnaires, le crime organisé, des députés et des partis politiques, des juges, ainsi que des élites commerciales pour s'approprier les ressources de l’État. Connus comme « pouvoirs occultes » en raison de leurs ramifications entre acteurs puissants, ces réseaux paralysent aujourd’hui le pays en entretenant la corruption et l’impunité et en bloquant toute initiative susceptible de limiter leur pouvoir.

Todd D. Robinson, l’ambassadeur des États-Unis au Guatemala (2014-2017) nommé sous l'administration de Barack Obama, était favorable aux efforts anti-corruption de la CICIG. Il y percevait une occasion pour le Guatemala d'assainir sa structure politique et ainsi de voir légitimé son projet d’Alliance pour la prospérité du Triangle nord, en vue du vote du congrès états-uniens de septembre 2015 pour y allouer près d'un milliard de dollars. Créée par le gouvernement américain en réponse à la crise des enfants migrants issus des pays du « Triangle du nord » (Guatemala, El Salvador, Honduras) aux prises avec des problèmes de violence, de pauvreté et de narcotrafic, l'Alliance pour la prospérité vise à renforcer la militarisation et le commerce dans le secteur.

La démocratie guatémaltèque : du printemps à l’automne

La grisaille qui prévaut aujourd’hui laisse à penser que la trajectoire démocratique du Guatemala soit passée du printemps à l’automne.

Porté par un ras-le-bol généralisé, le président sortant Jimmy Morales a gagné ses élections sous le slogan « Ni corrompu, ni voleur ». Cependant, lui-même et ses proches ont été ciblés par des enquêtes de la CICIG, notamment pour financement électoral illégal de son parti, le Front de convergence nationale (FCN).

Le président du Guatemala Jimmy Morales, au Palais national, le 27 mai 2019. AP Photo/Moises Castillo

L’appui du gouvernement américain aux efforts de la CICIG s’est aussi fortement estompé sous l'administration Trump. En 2018, le sénateur républicain Marco Rubio a même gelé temporairement les fonds dédiés à la Commission.

Finalement, défiant la décision de la Cour constitutionnelle, Morales a mis fin en janvier dernier à l’entente avec les Nations Unies sur la CICIG, malgré un support populaire de près de 80 pour cent envers l'institution.

Le règne de la méfiance et de l'apathie

L'absence de confiance envers le système politique est frappante : un sondage du quotidien Prensa libre révélait en avril que seulement 8 pour cent des Guatémaltèques avaient confiance envers les députés, et 12 pour cent envers les partis politiques.

Moins d’une semaine avant les élections présidentielles, les médias révélaient que des fonctionnaires clés, dont le procureur en chef des délits électoraux, prendraient congé en raison de menaces et de pressions politiques.

À quelques exceptions près, tous les candidats présidentiels étaient issus de l’establishment guatémaltèque, opposés à la CICIG, qui a révélé que les partis politiques reçoivent plus de 50 pour cent de leur financement du crime organisé et de la corruption.

La moitié des Guatémaltèques se sont abstenus de voter, ou ont annulé leur vote. La candidate la plus populaire, Sandra Torres, a reçu 24 pour cent d'appui. C’est la méfiance et l’apathie face au système qui ont « gagné ».

2ème tour: plus ça change, plus c'est pareil

Les deux candidats qui s’opposeront au 2ème tour, le 11 août, sont des politiciens de longue date. Sandra Torres a divorcé de son mari, l'ancien président Álvaro Colom (2008 à 2012), pour briguer les élections, puisque la Constitution empêche les membres de la famille d’un ex-président de se porter candidat.

La candidate présidentielle Sandra Torres, au lendemain des élections, le 17 juin, à Guatemala City. AP Photo/Moises Castillo/

Sa candidature avait été rejetée en 2011, mais elle a réussi à se présenter aux élections suivantes (2015 et 2019). Torres et son parti, l’Unité nationale de l’espoir (UNE), sont accusés d'avoir financé illégalement la campagne électorale précédente pour un montant de 2,5 millions de dollars US. En février, la CICIG a demandé le retrait de son immunité diplomatique, mais la Cour constitutionnelle a refusé de trancher avant les élections.

Un autre candidat, Alejandro Giammattei, s’est présenté quatre fois aux présidentielles sous la bannière de partis différents, en plus d'avoir tenté en vain de se faire élire aux municipales. Il a été emprisonné en 2007 relativement à des exécutions extra-judiciaires (homicide sans procès dans lequel l’État est impliqué) de sept prisonniers de la prison Pavón.

Une lueur d'espoir appelée Cabrera

Peu importe le vainqueur, aucun changement structurel – dont le pays a cruellement besoin – n’est en vue.

Cependant, une lueur d’espoir pointe à l’horizon de ce sombre panorama : la popularité inattendue de Thelma Cabrera, leader communautaire autochtone et candidate pour le Mouvement de libération des peuples.

La candidate présidentielle Thelma Cabrera, du Mouvement de libération des peuples, livre un discours durant un rally tenu le 12 juin, à Palin, au Guatemala. Ses 450 000 voix illustrent le rejet d’une classe politique corrompue. AP Photo/Moises Castillo/

Arrivée au 4ème rang, elle a réussi à dépasser Roberto Arzu, le fils d’Álvaro Arzu, ancien président et élu quatre fois maire de la capitale. Les 450 000 appuis à Cabrera illustrent non seulement le rejet d’une classe politique corrompue mais aussi du classisme (la discrimination basée sur la classe sociale), du sexisme et du racisme qui empreignent encore aujourd’hui les relations sociales au Guatemala.

Dans ce pays, les peuples autochtones forment la majorité (environ 60 pour cent) de la population, mais sont traités en minorité: ils ne représentent que 11 pour cent des députés. Plus des trois-quarts des Autochtones vit dans la pauvreté.

Craignant le renversement de la pyramide du pouvoir, les « forces occultes » sont prêtes à tout pour maintenir leurs privilèges et leur emprise sur les affaires du pays… et sur la population.

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