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La dernière frasque d'Elon Musk sera-t-elle celle de trop ? Joshua Lott / Getty Images North America / AFP

Elon Musk et Tesla : tweeter n’est pas jouer

« Envisage le retrait de Tesla de la bourse à un cours de 420 dollars. Financement assuré. »

Par ce tweet laconique publié le 7 août dernier, Elon Musk a affolé les marchés financiers et fait grimper le cours de l’action Tesla de 11 %, pour atteindre 379,57 dollars au plus haut de la séance. Le dirigeant de Tesla et SpaceX nous a habitués à des annonces très médiatisées et à de multiples « coups » de communication. Mais s’agit-il du tweet de trop ? Quelles seraient les implications d’un retrait de la bourse ?

Trois questions fondamentales se posent : le tweet d’Elon Musk est-il autre chose qu’un nouvel effet d’annonce (afin de faire monter le cours de l’action par exemple) ? Le bouillant PDG envisage-t-il réellement de « délister » Tesla, et pourquoi ? Enfin, a-t-il enfreint les règles de communication financière ?

Pourquoi retirer Tesla de la bourse ?

À notre avis, la motivation principale de cette sortie est de ne plus avoir à se conformer aux obligations de publications, notamment semestrielles et trimestrielles. En effet, selon Elon Musk, les publications trimestrielles impliqueraient des résultats trop centrés sur le court terme, qui ne refléteraient pas la stratégie de Tesla à long terme.

Depuis sa création en 2003, Tesla n’a jamais réalisé de bénéfices : à fin décembre 2017, l’entreprise affichait une perte nette de 1,96 milliard de dollars et à fin juin 2018, lesdites pertes s’élevaient à 1,5 milliard de dollars (chiffres non audités), contre une perte de 799 millions de dollars à fin juin 2017. Les analystes ne manquent pas de relever que la question de la rentabilité demeure cruciale, avec une perte à fin juin 2018 qui a presque doublé par rapport à celle de fin juin 2017. Sans parler de la vitesse à laquelle Tesla « brûle » du cash pour financer ses différentes dépenses opérationnelles (notamment ses frais de recherche et développement), ses investissements ou encore ses frais financiers qui ne cessent d’augmenter. Elon Musk voudrait ne plus avoir à subir les remontrances des analystes.

Ensuite, les fluctuations des cours de bourse de l’action Tesla semblent être un vrai sujet de préoccupation, non seulement pour les investisseurs, mais aussi pour les employés, dont beaucoup sont actionnaires. La focalisation extrême sur l’évolution des cours de bourse risquerait de détourner les employés de leur objectif principal. Cet élément, évoqué par Elon Musk sur son blog, est quelque peu paradoxal puisque ce sont les annonces du PDG ou ses tweets qui impactent le cours de l’action et qui induisent cette volatilité…

Enfin, Elon Musk a peut-être aussi voulu donner une leçon aux investisseurs qui ont prédit une chute du cours de Tesla et ont engagé des millions sur des ventes à découvert. Ce mécanisme consiste à vendre à terme des actifs, ici des actions Tesla, qu’ils ne détiennent pas et à les acheter pour les avoir au moment de la livraison. Si la prédiction se réalise, les vendeurs achètent les titres à un cours inférieur à celui de revente, réalisant ainsi un profit. Dans le cas contraire, ils encourent des pertes illimitées.

Avec le tweet, certes le titre a grimpé jusqu’à 11 % mardi 7 août, mais il a reperdu plus de 2 % le mercredi et poursuivi sa baisse les jours suivants. Selon Bloomberg, les pertes initiales auraient pu avoisiner le milliard de dollars, mais les investisseurs ont su tirer les leçons des tactiques de Musk en se couvrant et ont limité leurs pertes à environ 300 millions de dollars dans les jours qui ont suivi. Le PDG de Tesla n’aurait finalement pas réussi à infliger des pertes colossales à ces investisseurs qui l’insupportent.

Trois scénarios envisageables

Si l’on en croit son post de blog, le dirigeant de Tesla souhaiterait que les actionnaires conservent leurs actions. Ils auraient ensuite la possibilité de les échanger sur un marché de gré à gré, tous les six mois. Cette solution serait pour Elon Musk la meilleure, car il n’y aurait pas de sortie de trésorerie à réaliser pour racheter les titres.

Un autre scénario envisageable est que certains investisseurs souhaitent revendre leurs titres. Dans ce cas Tesla devrait faire un rachat partiel d’actions. Difficile à ce stade de quantifier le nombre d’investisseurs qui pourraient être intéressés par la revente de leurs titres à 420 dollars (prix indiqué par Elon Musk dans son tweet). La question serait de savoir quel montant pourrait être nécessaire et qui pourrait financer le rachat des actions. En d’autres termes d’où viendraient les fonds pour racheter ces actions…

Un troisième scénario serait que tous les acteurs sauf Elon Musk (qui détient 20 % des actions) décident de vendre leurs actions. Dans ce cas, le montant du rachat serait encore plus conséquent. Au 13 août 2018, le cours de l’action clôturait à 356,41 dollars valorisant Tesla à 60,8 milliards de dollars. A 420 dollars l’action, la capitalisation boursière de Tesla avoisinerait les 71 milliards de dollars. Dans les deux derniers cas, Tesla aura besoin de beaucoup d’argent frais pour financer le rachat. S’il est difficile d’estimer le coût à ce stade, le rachat pourrait franchir plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Même si des noms ont été évoqués comme le fonds souverain d’Arabie saoudite, reste à avoir la confirmation d’un accord. Le groupe Tencent (entreprise chinoise spécialisée dans les services Internet et mobiles et la publicité en ligne) a déjà pris une participation de 4,89 % dans Tesla. Serait-il prêt à investir davantage, notamment dans la perspective de lancement d’une autre Gigafactory à Shanghai ? Aucune banque ne semble avoir été contactée pour un financement.

Si la technique du Leveraged Buy Out (LBO) était utilisée, à savoir financer le rachat des actions par un emprunt, le problème du remboursement demeurerait. En effet, l’endettement total du groupe (dettes sur fonds propres) était déjà préoccupant au 31 décembre 2017 à 543 % et, pour l’instant, Tesla ne génère pas de trésorerie d’exploitation positive. À fin mars 2018, la trésorerie d’exploitation était négative à 398 millions de dollars, elle est encore négative de 130 millions à fin juin 2018 (chiffres non audités). Lors de l’annonce des résultats semestriels le 1er août 2018, Elon Musk a néanmoins indiqué que la trésorerie d’exploitation deviendrait positive sur la fin 2018.

Elon Musk a-t-il enfreint les règles en matière de communication financière ?

Tesla est cotée au NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotations), marché réglementé de référence pour les valeurs technologiques et second plus important marché d’actions aux États-Unis (en volume traité) après le NYSE (New York Stock Exchange).

Or lorsqu’une entreprise est cotée sur un marché réglementé, elle est tenue de respecter un certain nombre d’obligations, notamment en termes d’information auprès des marchés financiers. Comme nous l’avons évoqué, elle doit par exemple publier (au-delà des comptes annuels), des comptes semestriels et également une information trimestrielle. Même si ces éléments sont plus réduits et les états financiers non audités, ils répondent à une obligation de forme (compte de résultat consolidé condensé, bilan et le tableau de flux de trésorerie à l’avenant etc.). Ils sont en effet scrupuleusement déchiffrés par les marchés financiers, et leur annonce a souvent un impact sur les cours de bourse.

En cas de volonté de sortie de la bourse, les dirigeants de l’entreprise doivent également se soumettre à certaines règles. Aux États-Unis elles sont énoncées par la Securities and Exchange Commission (SEC). Si les dirigeants informent le public (normalement par communiqué de presse) d’une volonté de sortie de la bourse, celle-ci doit être confirmée. L’entreprise doit soumettre un formulaire de demande (Form 25) auprès de la SEC dix jours après avoir fait l’annonce dans un communiqué de presse et avoir obtenu l’aval des actionnaires.

Selon la BBC le conseil d’administration « se serait réuni plusieurs fois la semaine dernière » pour discuter de la possibilité de sortir de la bourse et six membres du conseil d’administration (sur 9) auraient déclaré que le PDG avait « ouvert la discussion » sur la possibilité d’une sortie de la bourse la semaine passée. Peut-on considérer que le tweet est recevable dans ce contexte et sera le prélude au dépôt du Form 25 ?

En attendant, ce court message semble poser deux problèmes : premièrement, quid de la véracité de l’affirmation d’Elon Musk sur le « financement sécurisé », alors que les banquiers ou autres apporteurs de capital ne semblaient pas être au courant ? Deuxièmement, comment le prix de 420 dollars mentionné a-t-il été déterminé ? Est-ce un simple calcul avancé par Elon Musk ou relève-t-il d’une réflexion et une analyse déjà réalisées ?

Une enquête de la SEC (Securities and Exchange Commission) a été ouverte

Selon le Wall Street Journal la SEC, l’organisme de régulation des marchés américains (équivalent de l’AMF (Autorité des marchés financiers en France) a ouvert une enquête pour s’assurer que l’affirmation est bien « réelle », afin d’écarter toute tentative de manipulation de cours voire même de fraude. Il s’agira de vérifier que le financement est bien sécurisé.

Une tâche qui devrait être facile si la SEC applique la recommandation de Thomas Farley, ancien patron du NYSE dont le tweet a été repris par Forbes

« Chère SEC, c’est simple : demandez à Tesla de vous présenter l’accord ou les accords signé(s) avec les parties apportant les fonds pour 17 h démontrant que le financement est « sécurisé « et « certain ». S’il n’y a pas d’accord(s), exigez une déclaration écrite à 17 h 30. Inspirez confiance au marché. »

Une manœuvre contre-productive ?

Même si Tesla a réussi à atteindre la production des 5 000 véhicules de Model 3 à fin juin 2018 et que des progrès significatifs ont été accomplis en matière de production et livraisons, retirer Tesla (même temporairement) de la bourse n’effacera pas les problèmes de financement qui demeureront pour rembourser les dettes et financer la croissance.

Elon Musk voulait sans doute éviter que ses comptes soient scrutés à la loupe et fassent l’objet de remarques souvent critiques des analystes financiers. Il souhaitait sans doute libérer les actionnaires (surtout les salariés) de leurs préoccupations relatives au cours de bourse. Mais il semblerait que ce tweet ait au contraire affolé les marchés financiers et attiré encore plus d’attention sur Tesla.

Ce nouveau cas soulève aussi une question clé : celle de l’acceptabilité de faire une annonce de cette importance sur les réseaux sociaux. Si le tweet d’Elon Musk était recevable en matière de communication financière, Tesla aurait dix jours pour compléter le formulaire officialisant la demande de retrait de la bourse (Form 25). Il devrait donc le faire parvenir à la SEC pour le 17 août 2018. Il faudrait aussi qu’il obtienne l’aval des actionnaires. Mais dans l’immédiat, l’enquête de la SEC pourrait retarder les choses. Ce tweet pourrait en définitive coûter très cher à Elon Musk si le financement n’était pas assuré…

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