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En 1927, la création d’un prix de littérature publicitaire

Une du Siècle du 22 juillet 1927. Retronews

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


« À l’heure où les difficultés de l’existence se font sentir pour l’intellectuel plus que pour tout autre, n’y a-t-il pas dans la littérature le moyen d’y pallier ? Il est une force exploitée à l’étranger et dédaignée, même méprisée en France : la publicité. »

Ainsi s’exprime Louis Brun, directeur des puissantes éditions Grasset, dans l’éditorial de Paris-Soir du 28 janvier 1927 destiné à annoncer le prix Beaumarchais de littérature publicitaire que vient de fonder l’agence L’Encartage, spécialisée dans la réalisation de supports publicitaires insérés dans les livres, en collaboration avec La Revue de la femme (Le Siècle, 11 mars 1927). Une dizaine de marques prestigieuses s’étant associées à cette initiative sans précédent, le prix se voit doté de la coquette somme de 35 000 francs.

Dès le 5 février, la presse parisienne s’empare de la nouvelle. Dans Le Rappel, cette dernière voisine avec l’annonce, non moins surprenante, du prochain roman d’un certain Sim (Simenon) qui sera écrit dans une cage de verre sous les yeux du public ! Décidément, commente Le Temps du 15 février, « Voici que des mains fortunées autant qu’habiles [tendent] un rameau d’or aux poètes et aux romanciers ». Le 22 février 1927 commence, à l’instigation de Paul Reboux, la publication quotidienne dans Paris-Soir, dont il est alors le directeur, de la grande enquête « Industrie, Commerce et Littérature ».

« Estimez-vous qu’un écrivain s’amoindrit en signant de son nom un texte de publicité ? », est-il demandé aux gens de lettres ; et à ceux du commerce : « Ne seriez-vous pas disposé à accueillir pour la propagande commerciale la collaboration d’écrivains ? ». Quelques jours plus tard, c’est dans l’hebdomadaire Chantecler du 26 février que face à Fernand Divoire prétendant que « l’Art s’abaisse s’il devient un boniment », Blaise Cendrars développe sous le titre « Publicité = Poésie », son vibrant hommage à la publicité, cette « fleur de la vie contemporaine », la 7e merveille du monde moderne.

Tous les écrivains sans exception peuvent prendre part à la « compétition ». Les concurrents devront consacrer à la gloire de l’une des maisons subventionnaires de leur choix (Le Siècle, 23 mars 1927) :

« 1e un texte à la fois littéraire et publicitaire de 150 lignes, sérieux ou humoristique ; 2e un écho d’information de dix lignes ; 3e une brève formule dans le genre de : “Oui, mais Ribby habille mieux”. »

Le jury, présidé par Paul Reboux, est composé de cinq écrivains, dont Jean Giraudoux, Pierre Mac Orlan et André Maurois, les dix autres membres appartenant au monde de l’édition ou de la presse, du commerce ou de la publicité, parmi lesquels : Louis Brun, Madame Couchoux, directrice de la Revue de la femme, Étienne Damour, président de la Corporation des techniciens de publicité et fondateur de la revue Vendre, le président de la Chambre syndicale de la couture parisienne, le directeur commercial de la Société des automobiles Voisin…

Tandis que les candidatures affluent, la polémique s’enflamme. Le grand prix Beaumarchais ? Une « pure rigolade » lance Ernest Tisserand (Paris-Soir, 22 mai 1927), un « délit de simonie », surenchérit L’Action française (14 avril 1927), un concours qui ne s’adresse certes pas aux « Purs », à « ces quarts de dieu qui écrivent d’une plume arrachée au croupion d’un cygne » (Le Siècle, 23 avril 1927), ironise Noël Sabord. Quand Paul Reboux se réjouit « que la plupart des hommes de lettres d’aujourd’hui, enfin désenvoûtés d’un orgueil saugrenu, prennent conscience de leur “valeur” au sens financier du mot », Vendre déplore qu’ils « ne se demandent jamais s’ils ont les qualités et les connaissances nécessaires pour faire un bon rédacteur publicitaire. »

Les paris vont bon train. Cendrars gage que c’est un poète moderne qui obtiendra le prix. L’ouverture des enveloppes, prévient Paris-Soir le 12 juillet, réservera des surprises. Le 13 les résultats tombent. Le jury réuni au Drouant (le restaurant des Goncourt), a décerné à l’unanimité le prix Beaumarchais à un chroniqueur du Figaro – cela ne s’invente pas ! – M. James de Coquet, à qui échoit la somme de 20 000 francs, pour « Le bonheur de vivre » (Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, 16 juillet 1927), élégante dissertation dédiée aux tissus Rodier qu’un lecteur de L’Intransigeant se refuse à qualifier de « publicitaire » : « C’est une page de littérature et rien de plus… », s’indigne-t-il le 20 octobre 1927.

Personne, en revanche, ne semble avoir soupçonné les candidatures de n’avoir pas été aussi anonymes que semblait le prévoir le règlement (Paris-Soir, 28 juin 1927). Le second prix (8 000 Francs à partager) revient à Paule de Gironde (Susse frères) et R. L. Dupuy (Vuitton), rédacteurs de la revue Vendre, tandis que la princesse Bibesco (Lanvin), Colette (Soieries Ducharne), Pierre Bost (Dim) et Eugène Marsan (Perugia) se partagent 5 000 francs.

On imagine volontiers la déconvenue des écrivains (sans compter les candidatures malheureuses de Pierre Mille et de Joseph Delteil). Mais qu’importe ! Avec ou sans prix, cela n’empêchera pas plusieurs d’entre eux de signer encore de nombreux textes publicitaires. Quant aux autres, ils purent se consoler en retrouvant quelques années plus tard « le lauréat du grand prix Beaumarchais » dans un feuilleton de L’Écho de Paris (26 mars 1931), sous les traits du malheureux Anatole Marjolin, « ex-professeur de phraséologie latine à la Sorbonne » qui, ayant vendu son talent à Satan, se trouve réduit à fournir les colonnes de Candide de quatrains en série faisant alterner à la rime La Peau de Porc et la « Joie de vivre ».

Révélateur des tensions et des connivences à géométrie variable qui existaient alors entre les mondes du journalisme, de la publicité et de la littérature, le prix Beaumarchais ne fut pas reconduit. Il n’en reste pas moins un passionnant témoin de l’histoire croisée de la littérature et de la publicité.


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