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En 2020, les « générations climat » haussent le ton

Des écoliers, collégiens et lycéens manifestent lors des ‘Fridays for Future’, Essen, Allemagne, le 29 novembre 2019. INA FASSBENDER / AFP

Le Time vient de déclarer Greta Thunberg personnalité de l’année.

Inspiratrice de la Global climate strike qui a réuni, fin septembre 2019, plus de sept millions de personnes sur plusieurs continents, elle est devenue l’une des « figures » de l’écologie.

Depuis plus d’un an, Greta Thunberg contribue à faire exister sur les scènes politique et médiatique la « génération climat ». Imposée par et dans les médias, cette appellation recouvre en réalité des jeunes de plusieurs classes d’âge, dont les intérêts et les rapports au politique sont différents.

Quelques années avant que ne se mobilisent les collégiens et les lycéens inspirés par Greta Thunberg, nombre de jeunes adultes rassemblés sous la bannière des « générations futures » s’étaient en effet engagés, de manière certes moins médiatisée, à « changer le système, pas le climat ».

L’effet Greta Thunberg

Discourant devant assemblées internationales et parlements, et remportant de nombreux prix, Greta Thunberg suscite autant d’engouements que de polémiques. Si ces dernières sont symptomatiques de l’anti-jeunisme, du sexisme et du validisme de nos sociétés, elles sont aussi représentatives des violences symboliques qui visent, depuis longtemps, à décrédibiliser les porteurs de paroles écologistes.

Malgré cela, les mots et le ton de l’activiste suédoise font mouche. Car à défaut d’être uniques ou novateurs (elle a par exemple repris l’idée et les éléments de langage de l’organisation Climate strike qui avait proposé un jour de grève scolaire le 30 novembre 2015 dans le cadre du Global Youth Summit), ils tombent à point nommé.

Une jeune fille participe à une grève « Fridays for Future » à Turin, le 13 décembre 2019, où discourt le même jour l’activiste Greta Thunberg. Filippo Monteforte/AFP

L’invective qu’elle adresse aux riches pays occidentaux est devenue compréhensible par le grand public. Si le rôle de la Chine dans les émissions les plus récentes ne doit pas être occulté, le caractère historique de leur responsabilité dans la survenue des dégradations et des pollutions a été démontré, et justifie qu’un effort tout particulier leur soit demandé, en matière de réduction des émissions de carbone – locales et délocalisées, et d’accompagnement de la « transition » des pays plus pauvres ou anciennement colonisés.

Sa dénonciation de l’inaction des gouvernements résonne avec le discrédit et le rejet des professionnels de la politique. Motivés par des causes anciennes, ils se nourrissent désormais aussi des désillusions de citoyens qui, rendus « éco-anxieux » par la matérialisation croissante des menaces écologiques – épisodes climatiques, maladies chroniques ou encore instrumentalisations de la figure du « réfugié climatique » –, réalisent l’incapacité des politiques à prendre en charge le caractère systémique et durable des menaces.

L’injonction faite à « écouter les scientifiques », quant à elle, plaît autant à ces derniers qu’aux militants de l’écologie politique. Elle permet de renvoyer les anti-écologistes et les « carbo-fascistes » récemment arrivés au pouvoir dans le camp de l’obscurantisme, et de réaffirmer la légitimité – scientifique et politique – du projet écologiste.

Héritière controversée d’une longue tradition de luttes écologistes dont elle ne dit d’ailleurs rien, Greta Thunberg est ainsi devenue, à grand renfort de médiatisation, une ressource symbolique de plus au service de la cause écologiste. Mobilisant surtout les jeunes qui lui ressemblent le plus – ce sont majoritairement des jeunes femmes blanches éduquées de classe moyenne et supérieure vivant en ville qui lui ont emboîté le pas –, elle fait le pont entre les adolescents et d’autres jeunes activistes engagés depuis quelques années.

Manifestation d’adolescentes à Paris le 15 mars 2019 à Paris. AFP

Ils étaient déjà « plus chauds que le climat » !

Autour des années 2010, la scène militante écologiste s’est beaucoup renouvelée. Concurrençant le militantisme vieillissant, technicisé et institutionnalisé qui caractérisait l’écologie des années 1990-2000, de nombreux jeunes se sont investis dans l’animation de structures nouvelles, dont les inspirations et les revendications hybrident altermondialisme, écologie et démocratie participative.

À l’image de celles co-fondées par l’activiste basque Txetx Etcheverry – les associations Bizi, créée en 2009 en perspective du sommet de Copenhague, ANV-COP21, conçue en marge de la Conférence de Paris pour le climat de 2015 et l’ONG Alternatiba, lancée en 2013 par l’organisation du premier Village des alternatives –, ces structures intergénérationnelles sont autant d’instances de socialisation et d’apprentissage des pratiques militantes.

En juin 2019 l’association Bizi fêtait ses dix ans en interpellant les consommateurs dans un supermarché pour interpeller sur le travail du dimanche (France 3 Nouvelle-Aquitaine).

Combinant contre-expertise, désobéissance civile et non-violence, elles invitent depuis plusieurs années les citoyens à « s’engager pour le climat » et à contribuer, par le bas, à l’écologisation de la société.

Villages d’initiatives, cyclotours, camps climat, formations à la résistance non-violente, conférences spectacles et autres actions symboliques, artistiques ou humoristiques se sont ainsi multipliés sur l’ensemble du territoire et un peu au-delà.

Tour Alternatiba : 5 800 km pour le climat, 2018.

D’autres militants se sont engagés au nom de la justice environnementale et climatique. « Notre affaire à tous », une autre association, fondée en 2015 par un collectif de militants politiques, de journalistes et de juristes a été tout particulièrement active.

Issue du mouvement « End Ecocide on Earth » engagé depuis 2013 pour criminaliser l’écocide – terme proposé par Barry Weisberg pour dénoncer l’usage des défoliants pendant la guerre du Vietnam qui a été depuis l’objet de plusieurs réappropriations - « Notre affaire à tous » a popularisé l’idée ancienne que le recours au droit pouvait être l’un des instruments phares de la contestation écologiste.

Des représentants de populations autochtones brésiliennes réclament des actions en justice face à l’inaction gouvernementale lors de la COP25 à Madrid, le 9 décembre. Cristina Quicler/AFP

Après le succès de la pétition « L’Affaire du siècle », l’association a déposé, en mai 2019, un recours en responsabilité contre l’État français pour inaction climatique.

Ces recours se multiplient désormais, à l’image de celui formulé fin septembre 2019 par un collectif, dont fait partie Greta Thunberg, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

Dans cette période, de nombreux jeunes se sont également engagés dans des organisations de jeunesse écologistes (notamment les Jeunes écologistes et la Federation of Young European Greens) ou ont écologisé celles qu’ils avaient rejointes pour d’autres motifs.

Le monde du scoutisme, qui contribue depuis longtemps à la socialisation de nombreux jeunes au militantisme écologiste, a été tout particulièrement réceptif.

Convergences des luttes à l’heure anthropocène

Militant dans plusieurs structures à la fois, médiactivistes expérimentés présents sur les réseaux sociaux et YouTube (le collectif « Partager c’est sympa » a, par exemple, reçu un large écho), tous ces jeunes de la première décennie 2000 ont réinterprété les registres de l’action citoyenne pour le climat.

Des militants en lien avec le mouvement Extinction Rebellion portent la Terre sur un brancard à New Delhi, Inde, le 6 octobre 2019. Prakash Singh/AFP

Ils ont promu, le plus souvent à distance critique des partis politiques et des institutions, des écologies plurielles, inégalement imbriquées dans les mouvements sociaux, et plus ou moins en phase avec la vision dépolitisée et climato-centrée de l’écologie mainstream dont ils avaient hérité.

Aujourd’hui, toutes ces « générations climat » mêlées haussent le ton.

À l’image des Décrocheurs de portraits de Macron et des membres d’Extinction Rebellion, leurs impatiences combinées s’expriment alors que les alliances partisanes sont délégitimées par les insuffisances gouvernementales en matière d’environnement, que l’attachement historique des écologistes à la non-violence est mis à l’épreuve par les violences policières, et que le succès de la collapsologie – terme proposé dès 2015 et qui a a fait florès depuis – influencent les motifs et les expressions des engagements écologistes.

L’entrelacement de ces trois dynamiques soutient déjà une nouvelle convergence des luttes écologistes. Placée sous le signe de la radicalité et des circulations transnationales, elle questionne le devenir et l’objet même de la politique à l’heure anthropocène.

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