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En Allemagne, le déclin des « anciens » partis pousse Angela Merkel vers la sortie

Le soir des élections en Hesse, les chefs de file des principaux partis en grande discussion à la télévision. Oliver Dietze/AFP

Les résultats des élections régionales en Hesse de ce dimanche 28 octobre ressemblent, dans leurs grandes tendances, à ceux de Bavière quinze jours plus tôt. Ils confirment l’établissement d’un système pluripartite à six dans les parlements régionaux d’Allemagne comme au parlement fédéral lors des élections de l’automne 2017 et ont eu d’ores et déjà pour effet de provoquer le renoncement de la chancelière à briguer un nouveau mandat de présidente de son parti, la CDU. Jusqu’ici, Angela Merkel avait toujours estimé que la chancelière devait en même temps exercer cette fonction. Celle-ci entame donc un retrait ordonné de ses fonctions sans cesser pour autant d’être chancelière. Angela Merkel disait encore récemment savoir que ce n’était pas elle qui déciderait de sa succession.

Principal enseignement : ce qu’il faut bien désormais appeler les deux « anciens » grands partis de rassemblement populaire (Volkspartei), chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, perdent à nouveau chacun une dizaine de points par rapport aux élections régionales de 2013, pour se situer, les premiers à 27 %, les seconds à 19,8 %. Les Verts gagnent pour leur part 8,7 points, et font jeu égal avec le SPD.

En revanche, leur score est inférieur à celui de l’AfD qui, avec 13,1 % des voix, dépasse de 9 points le résultat obtenu il y a cinq ans, tout en stagnant par rapport à son score au niveau fédéral : 12,6 % lors du scrutin de septembre 2017.

À côté de ces quatre formations, deux autres – nettement plus petites – s’établissent durablement au parlement de Wiesbaden, passant cette fois sans difficulté la barre des 5 %, seuil en dessous duquel un parti n’est pas représenté, en Allemagne, dans un parlement : Les Libéraux (7,5 %) et La Gauche (6,3 %).

Dans ce contexte de fortes fluctuations, il convient de souligner que la CDU enlève 40 des 55 mandats directs de circonscription – pour lesquels une majorité relative suffit –, le SPD 10 et les Verts 5 – ce qui atteste malgré tout de l’attachement d’une partie non négligeable de leur électorat et, pour les Verts en particulier, de leur capacité à obtenir de tels mandats.

En Hesse, les Verts profitent de la coalition, pas la CDU

La désaffection frappe avec la même vigueur les deux partis constitutifs de la Grande coalition à Berlin – ce qui a conduit de nombreux commentateurs à se poser la question de sa survie et celle de l’avenir de la chancelière. Pour certains seul un renouvellement à la tête du Parti chrétien-démocrate lui permettrait de prendre un nouveau départ et de reconquérir son électorat.

Ce n’est pas le moindre paradoxe de ces élections régionales que de voir les deux composantes du gouvernement sortant de Hesse – CDU et Verts – traités aussi différemment : la CDU essuie de fortes pertes, mais les Verts continuent de progresser alors qu’ils ont été cinq ans durant partie prenante du même gouvernement. On leur a même reproché d’avoir été plus gestionnaires que visionnaires et d’avoir abandonné certains des objectifs chers à l’électorat vert tel que la réduction des nuisances sonores de l’aéroport de Francfort.

Les deux dirigeants des Verts en Hesse, Tarek Al-Wazir et Priska Hinz, le soir du scrutin. Torsten Silz/AFP

Cette différence de traitement dans les urnes s’explique par la place qu’a prise dans les élections de Hesse la politique de la Grande coalition à Berlin. Les Verts apparaissent comme un parti auquel il est possible de faire davantage confiance qu’à ceux de la Grande coalition. Ils prennent d’ailleurs à peu près autant de voix à l’un qu’à l’autre : 101 000 au SPD, 92 000 à la CDU, alors que l’AfD draine d’abord des électeurs à la CDU et continue de mobiliser d’anciens abstentionnistes et des nouveaux électeurs.

Une « bonne leçon au gouvernement fédéral

Comme en Bavière, les résultats en Hesse constituent un désaveu certain du gouvernement fédéral. Ou plutôt « une bonne leçon » puisque 50 % des électeurs hessois ont confié à un institut de sondage avoir profité de ces élections régionales pour en donner une à la CDU-CSU et au SPD : il s’agissait de faire comprendre aux anciens partis que les citoyens en avaient assez du « spectacle lamentable » qu’ils avaient offert ces derniers mois avec leurs sempiternelles querelles quand les Allemands attendent d’abord d’eux qu’ils trouvent des solutions aux problèmes du pays.

Bulletin de vote du dimanche 28 octobre. DR

Le ministre-président chrétien-démocrate sortant de Hesse, Volker Bouffier, voit clairement dans les pertes de son parti « un appel en direction de Berlin à se réveiller ». Le ministre-président social-démocrate de Basse-Saxe, Stephan Weil, n’a pas hésité pour sa part à mettre en cause nommément le ministre fédéral de l’Intérieur et président de la CSU, Horst Seehofer, à l’origine des querelles au sein de la CDU-CSU et des tensions avec le SPD. La secrétaire générale de la CDU, Annegret Karren-Krampbauer, a laissé entendre à la télévision qu’il revenait à la CSU de régler en toute autonomie ses problèmes de personne.

Quelle coalition en Hesse ?

Les Chrétiens-démocrates ont pourtant la satisfaction de rester le premier parti du Land de Hesse et d’avoir ainsi, selon l’usage, la charge de former le gouvernement. La CDU dit vouloir engager des pourparlers avec tous les partis représentés au Landtag de Wiesbaden sauf avec l’AfD et avec La Gauche.

Plusieurs options s’offrent à elle : reconduire la coalition sortante (CDU-Verts) qui dispose juste de la majorité qualifiée nécessaire, négocier une coalition aux couleurs de la Jamaïque (noir, vert, jaune, soit CDU+Verts+FDP) lui garantissant une majorité plus large. Arithmétiquement parlant, la CDU pourrait également négocier avec le SPD une grande coalition.

De son côté, le SPD pourrait être tenté de former une coalition avec les Verts et le FDP. Tout comme, d’ailleurs, les Verts, à égalité de voix et de sièges au parlement de Wiesbaden avec le SPD, pourraient prendre l’initiative d’une telle coalition sous leur direction. Mais ce qui est arithmétiquement possible ne l’est pas forcément politiquement.

Le président fédéral des Verts, Robert Habeck, a ainsi exclu que son parti fasse appel au FDP dès l’instant qu’il n’a pas besoin de son appoint. Il s’était auparavant vivement querellé, lors d’un talk-show, avec son homologue du FDP, Christian Lindner, à l’origine de la rupture des pourparlers pour former une coalition aux couleurs de la Jamaïque après les élections fédérales de septembre 2017. FDP et Verts se perçoivent comme des partis rivaux.

Angela Merkel fragilisée

Une grande coalition des perdants comme à Berlin apparaît également peu vraisemblable : le SPD de Hesse ne voudra pas s’engager dans une aventure aussi risquée alors qu’au plan fédéral, la présidente du SPD, Andrea Nahles, visiblement sonnée par le score de son parti en Hesse, fait pression sur la CDU-CSU pour « mettre en place une feuille de route qui permette de vérifier, comme cela est prévu à mi-mandat, si le SPD a sa place dans cette coalition. »

La Chancelière, le 29 octobre 2018. Tobias Schwarz/AFP

Le SPD sait qu’il a besoin de s’affirmer par rapport à une CDU social-démocratisée et qu’il lui faut présenter des succès tangibles dans les domaines de la justice sociale, de la politique du logement, de l’école, mais aussi dans celui de la numérisation, etc. – autant d’objectifs qu’Angela Merkel dit également poursuivre !

Certains commentateurs prédisent un mois de novembre difficile pour une chancelière, à nouveau fragilisée. Celle-ci avait répété, dès avant le scrutin de dimanche, qu’il s’agissait d’une élection régionale. D’autant que la Hesse (4,4 millions d’électeurs) est un Land qui a connu dans le passé bien des sautes d’humeur, provoquant chez les chrétiens-démocrates comme chez les sociaux-démocrates et les libéraux des pertes ou des gains de l’ordre de 10 % (en 2009, 2009 ou 2013).

Le « malus » Merkel

Mais, comme le souligne le politologue de l’université de Duisburg-Essen, Karl-Rudolf Korte, il ne suffira pas à la Grande coalition de faire preuve de sa capacité à travailler dans une plus grande sérénité pour se défaire de la mauvaise image que les Allemands ont désormais d’elle et qu’il faut à la CDU un renouvellement à sa tête pour pouvoir prendre un nouvel élan. Il parle même du « malus » que représenterait désormais Angela Merkel pour la CDU.

Tirant les conséquences du double désaveu de son parti en Bavière et en Hesse Angela Merkel a donc fait filtrer, le lendemain des élections, qu’elle ne serait pas candidate à la présidence de son parti lors de son congrès de décembre prochain.

Est-ce la bouffée d’oxygène qui doit lui permettre de poursuivre plus sereinement son travail de chancelière ? Mal aimée, la Grande coalition devrait se maintenir sous sa direction et chercher à reconquérir la confiance des Allemands. C’est théoriquement possible si le calme revient dans les rangs chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates. Mais cela ne sera pas chose aisée.

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