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En Bavière, les limites du discours radical de droite

Rassemblement en faveur de l'ouverture de routes sécurisées pour les migrants, à Berlin, le 4 août 2018. David Gannon / AFP

La fin du mois d’août est marquée en Allemagne par les manifestations et violences racistes de Chemnitz, en Saxe (est de l’Allemagne). L’expression de la frange la plus extrémiste de la droite radicale est visible sur tous les écrans de télévision européens. L’étonnement de beaucoup de médias est important devant la capacité mobilisatrice de la droite radicale saxonne : quelques 4 500 personnes à Chemnitz (ville de 250 000 habitants) se sont réunies le 1er septembre.

Si les élections du Land avaient lieu cette semaine, le parti radical de droite, l’AfD, obtiendrait près de 25 % des voix, selon les derniers sondages. Le contexte politique est donc celui d’une droite radicale bien établie dans certains Länder – avec des propensions à la violence qui ne sont plus à démontrer.

Intéressons-nous, dès lors, aux stratégies des partis de gouvernement, comme le parti chrétien-social (CSU, parti sœur de la CDU), en vue des prochaines élections qui auront lieu le 14 octobre prochain et aux réactions qu’elles suscitent.

Mobilisation en Bavière

Au cœur de l’été, le dimanche 22 juillet, une manifestation, frappante de par son ampleur, mais certainement moins visible que celles de Chemnitz, a eu lieu dans la capitale bavaroise, Munich. Plus de 20 000 personnes se sont rassemblées afin de protester contre la politique d’asile menée par le ministre fédéral de l’Intérieur (ancien Ministre-Président du Land), Horst Seehofer, et la CSU. Avec des slogans comme « Seebrücke statt Seehofer » (« Seebrücke l’[association venant à la rescousse de migrants dans la mer Méditerranée] plutôt que Seehofer »), les manifestants sont venus rappeler à la CSU que toute la Bavière n’était pas réceptive à sa politique migratoire restrictive.

À la veille des élections de l’État de Bavière où la CSU détient la majorité absolue, cette mobilisation civile sonne comme un avertissement. Davantage, elle semble indiquer la cooptation par le parti social-chrétien des idées radicales de droite n’est pas sans susciter des réactions critiques.

Un retour sur l’histoire des stratégies politiques de la famille chrétienne-démocrate face à l’émergence des partis radicaux de droite semble utile pour éclairer la situation actuelle.

L’enjeu central du droit d’asile

Dans les années 1980, l’Allemagne de l’Ouest, et particulièrement les deux États du sud de l’Allemagne, la Bavière et le Bade-Wurtemberg, font face à l’essor d’un parti radical de droite, les Republikaner – dont les cadres sont des dissidents de la CSU (et de la CDU). Dans un contexte marqué par l’arrivée de réfugiés des Balkans et de violences racistes, les chrétiens-démocrates adoptent alors une rhétorique proche de celle des Republikaner, particulièrement sur la thématique du droit d’asile – stratégie de cooptation qui atteindra son apogée en 1993 avec la réforme qui vient restreindre le droit d’asile en Allemagne.

Une vingtaine d’années plus tard, la politique d’accueil des demandeurs d’asile affirmée par la chancelière en 2015 et symbolisée par le désormais célèbre « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ») est immédiatement suivie de réticences émanant de la CSU. Dès l’automne 2015, Seehofer se positionne en faveur de quotas d’accueil, dans une tentative de limiter le nombre de demandeurs d’asile.

Durant 2017 et les négociations portant sur le programme de la CDU-CSU en vue des élections législatives de septembre 2017, la chancelière reprend le dessus et la question des quotas n’apparaît pas. À l’issue des élections parlementaires fédérales du 24 septembre, la CSU bavaroise obtient un score de près de 10 points inférieur qu’en 2013. En parallèle, l’AfD, parti radical de droite, obtient 10,5 % des suffrages exprimés.

À cette occasion, le leader de la CSU affirme son intention de fermer l’espace à la droite de la CSU (« wir werden diese rechte Flanke schließen »). Il semble alors clair que le parti va se repositionner plus fortement sur des thématiques visant à attirer l’électorat perdu au profit de l’AfD. Le différend entre la CDU et la CSU sur la question migratoire débouche, au printemps 2018, sur un ultimatum d’Horst Seehofer, devenu depuis ministre de l’Intérieur fédéral, venant déstabiliser le gouvernement pendant plusieurs semaines. Le conflit se focalise sur l’application de la législation européenne permettant le renvoi des demandeurs d’asile vers le premier pays européen pénétré.

« L’original plutôt que la copie »

Dans ce contexte, la mobilisation d’une partie de la population en faveur d’une autre politique migratoire est le signal le plus visible de l’opposition à la reprise de la rhétorique des partis radicaux de droite. D’influents représentants de l’Église en Bavière prennent également leurs distances avec la CSU. Les sondages, qu’il faut prendre avec toutes les précautions habituelles, tracent la baisse de popularité de la CSU dans l’opinion qui se situe désormais, et depuis plusieurs semaines, sous la barre des 40 % – score dont rêverait tout parti français mais historiquement bas pour la Bavière conservatrice.

Horst Seehofer, le leader de la CSU et ministre fédéral de l’Intérieur, en juillet 2018. Tobias Schwarz/AFP

La reprise du discours radical de droite par des partis de gouvernement fonctionne en termes électoraux sur certains territoires, le FIDESZ hongrois (parti conservateur) en est l’exemple le plus frappant. Cela semble plus compliqué en Bavière où les positions radicalement restrictives concernant la politique d’asile restent associées à l’AfD et ne résonnent pas complètement au sein de la population – deux conditions pourtant nécessaires pour que la cooptation soit réussie.

De fait, une partie de l’électorat chrétien-social semble vouloir se tourner vers l’AfD suivant le désormais célèbre adage choisir « l’original plutôt que la copie ». On remarque également que l’autre grand parti de gouvernement, le Parti social-démocrate, qui a progressivement vu sa base électorale s’effriter depuis trois décennies ne profite pas de cette chute de la CSU. Le parti vert, en revanche, devient attractif pour une partie de l’électorat chrétien-social en opposition avec les récents choix politiques de la CSU.

L’efficacité des politiques de prévention

Si ces tendances venaient à se vérifier dans les urnes, cela montrerait les risques politiques pour un parti de gouvernement à coopter les idées de partis radicaux de droite – ce qui a d’ailleurs déjà été mis en évidence par une partie de la littérature en science politique.

L’objectif de la mobilisation actuelle est donc bien de rendre visible l’opposition d’une partie de l’électorat aux partis de gouvernement cooptant le discours radical de droite. Elle semble aussi indiquer que les politiques préventives menées depuis deux décennies pour contrer le radicalisme de droite ont marqué les attitudes d’une partie de la population, capable de se mobiliser largement contre les idées radicales de droite.

A contrario, les récentes manifestations xénophobes de Chemnitz suggèrent l’importance de ces politiques sur les (contre)-dynamiques militantes.

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