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« En direct des espèces » : dites-le avec des bananes !

Pour le consommateur européen, le milieu naturel de la banane est le rayon fruits du supermarché. Shutterstock

Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.


Qui ne connaît pas le bananier ? On repère immédiatement cette plante emblématique des tropiques grâce à ses larges feuilles lui donnant un aspect de palmier, avec lequel les néophytes le confondent parfois. Le bananier nous semble familier grâce à son célèbre fruit jaune, la banane, rencontrée principalement dans son milieu naturel : le rayon fruits du supermarché.

Les bananes que vous achetez dans votre magasin préféré vous semblent toutes identiques ? Bien vu, elles le sont, et c’est même fait exprès : la grande majorité des fruits importés et commercialisés provient des clones d’une unique variété, plantée partout dans le monde et dont le fruit réunit tous les aspects désirés chez une banane : grande, jaune, avec sa forme unique. Une banane qui ne réunit pas ces caractéristiques est invendable. Résultat : elles sont toutes calibrées pour se ressembler et rassurer le consommateur.

Des bananes plantains de Côte d’Ivoire. Guilboua/Wikimedia, CC BY-SA

Pourtant, la diversité des bananiers ne peut être réduite à des fruits jaunes identiques. Il existe une multitude de formes cultivées et d’espèces sauvages, présentant des tailles, des couleurs, des textures très variées. Certaines peuvent se manger crues, d’autres cuites (les plantains). Chez d’autres, encore, on mange le bouton floral en salade, on utilise les fibres des feuilles pour s’habiller, on les cultive pour en donner les tiges aux cochons. D’où le célèbre adage populaire : « tout est bon dans le bananier ». Il existe même des bananes « auto-pelantes » dont la peau s’ouvre tout seule en étoile pour laisser apparaître la chair du fruit.

Vos bananes ne proviennent que de deux espèces

L’intérêt pour la banane ne date pas d’hier : les premières cultures avérées en Nouvelle-Guinée remontent à environ 7 000 ans. De nos jours, les bananiers cultivés sont issus d’un long processus de sélection de variétés adaptées aux goûts locaux, et surtout aux conditions locales de culture. On trouve maintenant des variétés capables de survivre et de produire des fruits dans toutes les zones tropicales, certaines y parvenant même sous un climat méditerranéen.

L’écrasante majorité des variétés de bananes consommées aujourd’hui provient de la domestication et de l’hybridation de deux espèces sauvages asiatiques : Musa acuminata et Musa balbisiana. Ces deux espèces appartiennent aux Musaceae, famille de plantes native de l’Ancien Monde, proche des Strelitziaceae (la famille des Strelitzia ou « Oiseaux de paradis », qui, elle, est exclusivement africaine).

Il existe un autre type de bananiers domestiqués, les Fe’i, cultivés sur les îles du Pacifique, et tout particulièrement à Tahiti. Ces bananiers, aux régimes pointant vers le haut, portent des fruits droits et anguleux (les bananiers « normaux » portent des régimes pointant vers le bas), sont issus d’une lignée purement océanienne et ne sont absolument pas apparentés aux autres bananiers asiatiques. Ils sont consommés cuits, comme les bananes plantains.

Des bananes Fe’i de Tahiti. Saga70/Wikimedia, CC BY

Une diversité méconnue

Les bananiers, contrairement à une croyance commune, ne sont pas des arbres : comme ils n’ont pas de vrai tronc ni de bois, ce sont des herbes. La taille des « pseudo-troncs » des bananiers adultes va de quelques dizaines de centimètres, jusqu’à 16 mètres pour un bananier de Papouasie, Musa ingens (le champion de la famille, et accessoirement la plus grande herbe du monde). Comme il ne s’agit pas d’un tronc, les fleurs que l’on trouve tout en haut de la plante naissent à partir de la vraie tige, une sorte de tubercule au ras du sol. Pour que l’inflorescence puisse s’épanouir au sommet de la plante et porter les fruits, elle doit donc se frayer un chemin à l’intérieur de l’intégralité du pseudo-tronc, et ce, que la plante fasse 1 ou 16 mètres.

Musa haekkinenii. A. Haevermans, CC BY

Intuitivement, on pense que tous les bananiers sont connus : on imagine bien que toutes les plantes spectaculaires (comme les orchidées, les bananiers, etc.) ont déjà été décrites, redécrites et reredécrites, et qu’il ne reste plus à découvrir que des plantes insignifiantes et peu spectaculaires. Pourtant, parmi les 2 000 espèces de plantes décrites chaque année, on continue de découvrir de nouvelles espèces de bananiers, plante pourtant « voyante » par excellence, à l’image de l’espèce illustrée ci-contre, Musa haekkinenii, décrite en 2013 seulement.

C’est lors d’une expédition au Vietnam organisée par le Muséum national d’histoire naturelle en 2008, que les botanistes de l’équipe franco-finno-vietnamienne sont tombés en arrêt devant cette plante singulière : un magnifique bananier aux bractées andrinoples (c’est-à-dire rouge-orange) qu’aucun scientifique ne semblait jamais avoir rencontré, et encore moins décrit. L’ensemble de la communauté scientifique spécialiste des bananiers de la région étant réuni au même endroit, il a été facile d’atteindre un consensus : l’espèce était nouvelle pour la science !

Une bouture a donc été transplantée dans un conservatoire national spécialisé dans la préservation des espèces locales à potentiel agronomique, non loin du lieu de collecte dans le nord du Viêtnam. C’est lors d’une mission, deux ans plus tard, rejointe par notre illustratrice scientifique, que l’espèce a pu être illustrée à l’aquarelle et publiée dans une revue scientifique.

Offrez un bouquet de bananes !

Ce bananier est beau, certes, mais ses bananes ne se mangent pas, sauf à les apprécier amères, pleines de graines et sans chair. Son utilisation principale, comme les autres bananiers de son groupe, est ornementale : on fait des bouquets magnifiques et très durables avec ses fleurs. Les visiteurs du Nord Viêtnam en auront immanquablement vu orner les maisons, les hôtels ou les étals de marchés, puisque la plante était déjà cultivée et commercialisée avant d’avoir été décrite scientifiquement !

Cette découverte permet de souligner que la valorisation de plantes locales à fort potentiel économique est très importante pour les pays riches en biodiversité. La mise en culture ornementale de plantes autochtones, cultivées localement, permet d’éviter de courir le risque d’utiliser un organisme exotique qui pourrait se révéler ensuite un redoutable envahisseur une fois échappé des jardins. Cette approche est d’autant plus respectueuse de l’environnement que les plantes ne sont pas prélevées dans la nature mais multipliées artificiellement. Les cas de plantes exotiques envahissantes ne se comptent plus et n’épargnent aujourd’hui aucun pays, tropical ou pas.

Encourager l’utilisation et le développement de plantes locales, dans le respect de l’environnement et des législations nationales et internationales, est donc une priorité pour ne pas continuer à perturber encore plus les fragiles équilibres naturels. À la prochaine occasion, plutôt que d’offrir de quelconques roses, offrez plutôt un bouquet de bananes ! Vous en trouverez facilement en saison sur les étals du marché aux fleurs d’Hanoï, dans le nord du Viêtnam…

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