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En Hongrie, on peut critiquer l’UE à volonté, mais pas le gouvernement de Viktor Orban

«Soutenez le programme de Viktor Orban: stop à l'immigration!»: une affiche dans la ville de Csorna (à l'ouest de Budapest), le 25 avril 2019. Attila Kisbenedek/AFP

Depuis la première élection du Parlement européen (PE) au suffrage universel en 1979, les élections européennes sont longtemps restées des « élections de second ordre », centrées davantage sur des enjeux nationaux que sur des questions européennes. Conséquence ? Peu d’attention accordée à l’Union européenne (UE), à son fonctionnement et à ses politiques.

La donne a changé depuis le début de la crise de la zone euro en 2010. Les enjeux européens sont davantage contestés, médiatisés et politisés. L’UE est plus présente que jamais dans le débat politique. C’est le cas de la Hongrie, où le Fidesz de Viktor Orban a construit sa campagne électorale sur la critique de l’UE.

Car à Budapest, on peut critiquer l’Union européenne (UE) mais difficilement le gouvernement dirigé par Viktor Orban (Fidesz).

Une presse massivement acquise à la cause d’Orban

Selon la Fédération européenne des journalistes, 78 % des médias hongrois sont pro-gouvernement, alors que la presse indépendante et les plates-formes online comme le HVG, Index.hu et 444 sont considérés par le Fidesz comme ses principaux « ennemis », tout comme l’opposition, peu visible dans cette campagne électorale.

Depuis novembre 2018, le gouvernement a mis en place une nouvelle organisation centralisée de la presse, rassemblant 450 titres. Dans le classement des Reporters sans frontières, la Hongrie est descendue très bas, passant de la 56ᵉ place sur 180 en 2013 à la 87ᵉ position en 2019.

Selon le degré de proximité de la presse avec le pouvoir, deux grands thèmes se sont imposés dans le débat médiatique à la veille des élections européennes du 26 mai 2019 : la volonté du Fidesz de changer radicalement l’UE et l’état de la démocratie hongroise. Sans surprise, le premier est promu dans les pages de la presse progouvernementale, comme le Magyar Nemzet, tandis que le second fait l’objet d’analyses relativement nombreuses et nuancées dans les pages du Heti Világgazdaság (HGV) et sur les plates-formes online comme Index.hu.

Réduire l’Union à une simple coopération entre États

La transformation de l’UE est un objectif majeur du Fidesz, d’où l’importance des élections européennes (graphique 1) et sa mobilisation massive. Chaque vote compte, tel est le message du parti. Stopper l’immigration, renationaliser certaines compétences de l’UE et renforcer le contrôle aux frontières, c’est le projet de Viktor Orban pour l’avenir de l’Union.

DR, Author provided

Dans sa vision, l’UE doit être réduite à une simple coopération entre États, basée sur la défense de leur souveraineté et de leurs intérêts. La Commission et le Parlement, dont la légitimité a été contestée par Viktor Orban à maintes reprises depuis 2010, auraient un avenir incertain dans l’UE telle que projetée par le Fidesz.

Le problème numéro un, selon Orban ? L’immigration

La lecture du Magyar Nemzet – devenu la tribune d’expression des membres du Fidesz – nous livre le portrait d’un pays dont le seul et unique problème serait l’immigration (voir graphique 1), présentée comme une menace pour les familles hongroises, pour l’identité européenne, pour la culture, les valeurs et les traditions chrétiennes.

Les Hongrois ne sont pas appelés à choisir entre des partis de gauche ou de droite, mais entre « globalistes » (favorables à l’immigration) et « souverainistes » (dont le Fidesz, (présenté comme le vrai défenseur des intérêts du pays et des familles hongroises)).

Auparavant journal critique de la politique du gouvernement, le Magyar Nemzet a été fermé au printemps de 2018 pour réapparaître le 6 février 2019 en kiosque avec une politique éditoriale proche… de celle d’Orban. Depuis son retour, le journal a réaffirmé son « attachement aux valeurs conservatrices, aux traditions centre-européennes et aux intérêts nationaux ».

En quête d’alliés régionaux et mondiaux

Pour que le Fidesz puisse transformer l’UE, le Magyar Nemzet encourageait le parti, dans un éditorial paru le 7 mars 2019, à quitter le Parti populaire européen (PPE) afin de constituer une alliance avec la Ligue de Matteo Salvini, le FPÖ autrichien et le parti polonais Droit et Justice. Magyar Nemzet présente Viktor Orban comme un leader européen incontournable tant en Europe qu’à l’échelle mondiale.

Le « prestige grandissant » de Viktor Orban sur la scène internationale, toujours selon Magyar Nemzet, complète l’image dorée d’un leader mondial de premier plan, qui négocie avec la Turquie, qui développe des collaborations avec la Chine, cherche des partenariats avec le Brésil et offre aux entrepreneurs hongrois des possibilités d’investissement dans les anciennes républiques soviétiques. La Russie est aussi un partenaire que Viktor Orban considère avec intérêt du fait de « sa proximité régionale ».

Viktor Orban reçu à la Maison, le 13 mai 2019. Mark Wilson

À l’exception de la collaboration avec les pays de l’Europe centrale, de l’Italie et de l’Autriche, ce n’est pas la coopération intra-européenne qui semble primer dans la vision du Fidesz de l’UE. Son projet est davantage tourné vers l’extérieur, privilégiant l’élargissement de l’UE vers la Turquie et vers les pays des Balkans à l’approfondissement de l’intégration européenne à 27/28.

Des inquiétudes grandissantes quant à l’isolement de la Hongrie en Europe

Heti Világgazdaság (HGV), cet hebdomadaire libéral hongrois souvent comparé avec The Economist, reste la principale voix critique à l’égard du gouvernement, même s’il a été récemment déclaré « ennemi » du Fidesz et a vu son espace d’affichage dans les rues du pays limité.

Le HGV se penche davantage sur l’état de la démocratie dans le pays, sur l’isolement politique de la Hongrie en Europe et les possibles alliances avec les partis d’extrême droite, les seuls « amis du pays » (graphique 2). Le HGV exprime des inquiétudes quant aux effets sur le long terme de la politique du gouvernement.

DR, Author provided

Quant à la politique internationale de Viktor Orban, le HGV a dénoncé, en février 2019, « l’équilibrisme diplomatique » de Viktor Orban, le présentant « en pole dancer lascif hypnotisant ses partenaires » internationaux.

À l’heure des sondages et des pronostics, le Fidesz s’annonce comme le grand gagnant de ces élections européennes en Hongrie face à une opposition faible et fragmentée et à une presse dont l’indépendance est menacée ou restreinte.

L’Union européenne est plus que jamais présente dans le débat national hongrois, critiquée à volonté par un gouvernement qui déclare comme « ennemi » tout acteur politique, social ou médiatique critique à son égard.


Cet article a été écrit avec la collaboration de Sophie Meszaros (Vrije Universiteit Brussel) et Dorottya Kosa (Université de Strasbourg).

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