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En Iran, des chercheurs étrangers qui dérangent

Rassemblement dans un stade de Téhéran, le 11 juillet 2019, en faveur du port du voile. AFP

Il y a un fort contraste entre les impressions des touristes qui reviennent, enchantés, de leur bref séjour à Ispahan et à Shiraz, et les expériences de chercheurs en sciences sociales qui, hors des sentiers battus, mènent de longues enquêtes sur l’Iran contemporain. L’arrestation et la détention scandaleuses de Fariba Adelkhah, chercheuse reconnue et appréciée aussi bien en Iran qu’en Occident, suscitent ainsi, outre l’indignation, plusieurs observations.

Tout d’abord sur le statut des bi-nationaux en Iran : Téhéran ne reconnaît pas la bi-nationalité et s’acharne sur ses ressortissants qui ont osé solliciter une autre citoyenneté. Douze bi-nationaux sont actuellement incarcérés en Iran, surtout des américano-iraniens mais aussi britanniques (tel l’anthropologue Kamil Ahmadi récemment arrêté) et d’autres nationalités europénnes, ces détentions arbitraires intervenant en période de crise diplomatique ou comme monnaie d’échange contre des agents du régime islamique incarcérés en Occident.

L’accusation d’espionnage

Les chercheurs en sciences sociales, telle Fariba Adelkhah – directrice de recherche dans un centre de Sciences po à Paris, auteure de plusieurs ouvrages de référence sur l’Iran contemporain – sont, par ailleurs, soupçonnés de bien d’autres méfaits. L’accusation la plus fréquente est celle d’espionnage. Que vont donc faire dans les campagnes ou les quartiers de ville ces éminents chercheurs et professeurs ?

Est-ce vraiment pour connaître les systèmes de parenté, les activités de production (l’élevage, l’agriculture, l’artisanat…), les croyances populaires… que ces étrangers séjournent longuement, dans des conditions matérielles difficiles, dans des localités éloignées – socialement et spatialement – des centres de la « civilisation » ?

Ces soupçons ne pèsent pas seulement sur les étrangers mais aussi sur des chercheurs iraniens, confrontés, comme le montre l’un d’entre eux (dans Conceptualizing Iranian Anthropology : Past and Present Perspectives,Berghahn Books), à de « reluctant bureaucrats » reniflant d’obscurs projets sous un masque scientifique.

Ces préventions sont d’autant plus fortes qu’on imagine mal, en Iran et sans doute ailleurs, un professeur d’université ou un chercheur ayant fait ses preuves se déplaçant seul et se pliant, pendant une longue période, aux contraintes d’une vie modeste. Or l’enquête en sciences sociales (anthropologie, sociologie…) implique un travail solitaire, discret, autonome, de longue haleine, où l’on écoute et l’on regarde sans trop poser de questions.

Des thèmes de recherche sensibles

Les soupçons des autorités sont d’autant plus avivés que les sujets de recherche portent sur des thèmes sensibles : l’usage de la drogue, le statut des femmes, la religion comme dans le cas de Fariba Adelkhah (voir ses ouvrages La révolution sous le voile, Les paradoxes de l’Iran, idées reçues sur la République islamique…). Or il suffit de lire les résultats de ces recherches qui, contrairement aux informations glanées par les espions, sont publiques pour se convaincre de l’inocuité de leurs auteurs. Fariba Adelkhah dans ses travaux tente d’ailleurs de démonter clichés et images négatives qui courent sur l’Iran actuel.

Le 10 juillet 2019, le secrétaire du Conseil suprême de sécurité Ali Shamkhani, reçoit à Téhéran Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron. Atta Kenare/ AFP

Les autorités iraniennes comprennent, à la rigueur, que des universitaires étrangers se passionnent pour l’archéologie ou la philologie mais toute recherche sur la société contemporaine est suspecte. L’orientalisme a droit de cité mais l’intérêt pour les petites choses et les petites paroles du quotidien qui n’ont pas le lustre des chefs d’œuvre et des grands textes est regardé de haut et considéré comme louche.

Or ce sont précisément ces enquêtes de longue haleine, au contact de la population, de chercheurs connaissant la langue et les usages, qui peut donner de l’Iran une autre image que celle colportée en Occident.

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