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En Italie, Matteo Salvini pour la première fois sur la défensive

A Milan, le 18 mai 2019. Un Matteo Salvini moins sûr de lui qu'il n'y paraît. Miguel Medina / AFP

On commence à distinguer les premières fissures dans la success story de Matteo Salvini et de la Ligue. Certes, il est probablement encore trop tôt pour pouvoir parler de l’épuisement d’un cycle politique, même si en Italie les cas de montée et de déclin politique rapide ne manquent pas. Mais certains signes laissent deviner un mouvement souterrain dans le paysage politique en Italie, tout en suggérant que le pari de Matteo Salvini i les élections européennes pour devenir l’acteur politique hégémonique en Italie et en Europe risque d’échouer.

Virtú et Fortuna, les ressorts de l’ascension de Matteo Salvini

Au début de la campagne, le sentiment général était celui que cette élection aurait dû s’apparenter à la marche triomphale de Salvini vers l’hégémonie politique en Italie et, dans le cadre d’un projet plus vaste, en Europe. D’autre part, l’histoire récente de Matteo Salvini et de la Ligue témoignait d’une réussite formidable.

En 2013, Salvini sort du second rang de la Ligue avec un parcours caractérisé par une forme d’extrémisme politique. Il intègre la Ligue du Nord dans les années quatre-vingt après avoir milité dans les rangs de l’extrême gauche et, jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, il représente la tendance d’extrême gauche au sein du parti.

Après les élections du 2013, Salvini prend un parti qui plafonne à 4 %, discrédité par des scandales de corruption, affaibli par un leadership en déclin et doté d’un programme politique basé sur un clivage nord-sud désormais dépassé. Il le transforme en l’actuelle Ligue nationaliste, parti dominant dans le champ du centre-droit italien, en tête dans les derniers sondages disponibles avec plus de 30 % des intentions de vote, et à la tête d’un gouvernement de coalition avec le Mouvement 5 étoiles. Rappelons ici sonexcellent résultat aux élections législatives de 2018 : de 17 % des suffrages exprimés.

Au pays de Machiavel, une combinaison adéquate de « Virtú » (la capacité politique) et « Fortuna » (les circonstances) a favorisé la montée en puissance de Matteo Salvini. Virtú comme sa capacité innée de communication, son habilité à imposer des thèmes à l’agenda politique (notamment l’immigration), son transformisme et capacité d’adaptation aux divers contextes politiques.

Fortuna comme le déclin progressif du leadership politique de Silvio Berlusconi, et le nouvel espace politique créé par le déplacement vers le centre du Parti démocratique qui a permis à la Ligue (ainsi qu’au M5S) de s’approprier des thèmes à la fois d’extrême droite (immigration, sécurité, nationalisme) et de gauche (problèmes sociaux liés aux difficultés économiques de l’après-crise de 2008).

Premières difficultés pour Salvini et la Ligue

Toutefois, en attendant les résultats de l’élection de ce dimanche dans laquelle la Ligue est sur le point de devenir le premier parti italien, la campagne électorale a montré – pour la première fois – Salvini et la Ligue en difficulté, souvent placés dans une posture défensive.

Même l’événement organisé, samedi 18 mai, à Milan avec les dirigeants des partis européens d’extrême droite n’a pas eu l’impact espéré : les manifestations organisées contre l’événement ont fait la une des journaux télévisés, et le message politique lancé par Salvini est resté très vague dans sa référence à la nécessité d’un renouveau radical en Europe.

La réunion a eu aussi lieu au moment exact où l’un des principaux alliés de Salvini, le FPÖ autrichien (Parti de la liberté d’Autriche), a sombré dans une crise inédite et a été évincé du gouvernement de coalition en raison du scandale concernant les liens de ses dirigeants avec la Russie et les soupçons de financements occultes.

Les trois menaces qui pèsent sur la Ligue

La Ligue, malgré les sondages et malgré sa capacité d’imposer le discours politique dominant en Italie, connaît donc des difficultés croissantes, et les raisons sont principalement au nombre de trois :

  • Premièrement, on observe en Italie un phénomène paradoxal qui pourrait être défini comme la « neutralisation des populismes ». En d’autres termes, la Ligue commence à payer la cohabitation avec le Mouvement 5 étoiles au sein du gouvernement. Ces derniers mois, le plus pénalisé par l’alliance a été le M5S, en baisse dans les sondages et forcé à accepter de nombreux compromis qui ont dénaturé son agenda politique. Désormais, c’est au tour de la Ligue de souffrir de cette alliance : l’inaction du gouvernement Conte, en raison des vetos croisés de la part des deux partis, les tensions et querelles persistantes risquent d’éclipser les sujets sur lesquels la Ligue a construit son discours politique, telles que l’immigration et la sécurité, soulignant ainsi l’instabilité du gouvernement et sa manque d’efficacité.

  • Deuxièmement, la Ligue subit, beaucoup plus que le Mouvement 5 étoiles, les répercussions des enquêtes judiciaires sur les affaires de corruption impliquant ses dirigeants. Les cas d’Armando Siri, sous-secrétaire d’État accusé d’avoir touché un pot-de-vin, ainsi que l’enquête pour corruption visant le maire de Legnano (près de Milan), lui aussi membre de la Ligue, affaiblissent l’image de la « nouvelle » Ligue. Cette menace est particulièrement redoutée par Salvini, qui a construit sa propre carrière en marquant son opposition à la vieille Ligue du Nord touchée par des scandales et des enquêtes.

  • Troisièmement, le plan d’hégémonie européenne de la Ligue se heurte aux difficultés rencontrées par la droite populiste pour construire des alliances solides en Europe et mener à bien son projet politique. Les désaccords insurmontables sur des questions telles que le rôle de la Russie (sur lequel, par exemple le Rassemblement national en France et le parti Droit et Justice en Pologne se trouvent sur des positions opposées), ou les questions budgétaires (entre la rigueur du FPÖ autrichien et la critique des politiques d’austérité de la part de Ligue italienne) font vaciller l’alliance et affaiblie la capacité opérationnelle de cette future « Alliance européenne des peuples et des nations » au Parlement européen. En outre, le cas autrichien montre clairement comment les tentatives de l’extrême droite visant à influencer le Parti populaire européen (PPE) dans le cadre d’une possible alliance post-électorale sont vouées à l’échec, après les prises de position claires des dirigeants du PPE en Europe à ce sujet.

Face au principe de réalité économique

Enfin, la précaire situation économique et financière italienne, et en particulier le poids de la dette publique, sont à la fois un fardeau qui empêche le développement du pays mais aussi un frein politique sur toute sorte d’aventure populiste. Cela obligera le gouvernement actuel (comme les gouvernements précédents) à faire face, tôt ou tard, au principe de réalité, celui des ressources limitées, et donc à payer en terme de soutien électoral les promesses non tenues.

Dans un tel contexte, la concurrence avec le M5S, les problèmes judiciaires, l’absence de résultats économiques du gouvernement actuel et de débouché politique européen, menacent de faire dérailler les projets de Matteo Salvini au lendemain des élections européennes.

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