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En Ouganda, ces bidonvilles qui s’emparent du recyclage des déchets

À Kampala, seule la moitié des déchets est collectée et acheminée vers les décharges. SuSanA Secretariat, CC BY

Dans les municipalités qui rencontrent des problèmes pour recueillir et gérer les déchets, les autorités ont tendance à concentrer leurs efforts sur certains quartiers, souvent les plus riches. Les implantations sauvages restent, elles, mal desservies, voire pas du tout. Cela entraîne l’accumulation de déchets.

Avec 1,5 million d’habitants, Kampala, la capitale ougandaise, affiche un taux de croissance de 5,1 %. Ce chiffre témoigne de la vitesse à laquelle les villes moyennes se développent. Dans ces zones urbaines en expansion, la prestation de services s’avère difficile car les routes et infrastructures sont rares.

La plupart des logements et des bâtiments étant construits en amont du plan d’urbanisation formel, ils ne disposent pas d’un accès satisfaisant aux différents services. Quelque 87 % des habitants de Kampala vivent ainsi dans des logements informels. Ils ne sont que 78 % à avoir l’électricité et 17 % à bénéficier de l’eau courante. Selon une estimation, la ville produit 1 300 tonnes de déchets par jour, dont seule la moitié est collectée et acheminée vers les décharges.

Dans ce contexte, l’absence de gestion des déchets et d’assainissement a poussé les résidents à chercher des solutions pour transformer et recycler leurs déchets. L’une de ces innovations consiste à produire des briquettes combustibles à partir de déchets organiques humains, aussi appelés « boues fécales ».

Vente de briquettes combustibles. By Shuaib Lwasa

Un secteur informel innovant

Nos études montrent que, dans des villes comme Kampala, de nombreux individus tirent profit de ce secteur informel, leur permettant d’améliorer les services de gestion des déchets afin, notamment, de mieux faire face au changement climatique.

Transformer les déchets en source d’énergie fiable n’est pas évidemment pas une idée nouvelle. Des exemples existent déjà en Inde, au Bangladesh, en Bolivie et dans bien d’autres pays. Si cette méthode de recyclage a été initialement prévue pour lutter contre le changement climatique (en réduisant les émissions), elle a aussi des effets sur l’emploi.

Au Népal, transformation des déchets organiques en énergie.

Même s’il ne fait pas partie de l’économie urbaine officielle, ce type d’activité peut être très profitable. Il requiert de l’innovation, une certaine implication à l’échelle commerciale et communautaire, et le soutien de scientifiques. La création d’une petite entreprise de fabrication de briquettes avec une machine de moulage semi-mécanisée nécessite un capital d’environ 15 millions de shillings ougandais (soit environ 3 700 €).

Pour la communauté, les promesses et enjeux de cette activité sont importants. À Kampala, nous avons observé que ce modèle économique encourage le recyclage dans les quartiers pauvres afin de créer des emplois et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Exploiter une ressource gratuite

De manière générale, les déchets ne sont pas considérés comme des ressources. À Kampala, fabriquer des briquettes combustibles à partir de déchets organiques n’est pas nouveau – cela existait déjà dans les années 1980 – mais, pour optimiser ce potentiel, il faut que les entreprises atteignent une taille moyenne afin d’étendre le rayon de ramassage.

Dans la capitale ougandaise, les déchets organiques des résidents (alimentaires, végétaux ou issus de matières fécales) sont récupérés par des groupes de collecte avant d’être séchés, concassés et brûlés. Le charbon qui en résulte est ensuite mélangé avec un fond d’eau et du liant, comme de la sciure de bois, de la poussière ou de l’argile, puis versé dans une machine de moulage produisant des briquettes de différentes tailles et formes. Celles-ci sont ensuite séchées et emballées pour la vente.

Séchage des briquettes combustibles. Shuaib Lwasa

En se décomposant, les déchets solides organiques produisent des gaz à effet de serre. Une étude réalisée en 2017 a estimé que 69 522 tonnes de CO2 ont été ainsi générées sur l’année, soit 9,72 % des émissions totales de Kampala. 87 % des émissions dues aux déchets sont produites directement dans les décharges. Les entreprises qui réduisent en amont le volume de déchets contribuent ainsi à réduire les émissions.

L’essor des « laboratoires à déchets »

Afin de repérer les établissements informels et leur confier la gestion d’entreprises, nous avons collaboré avec des ONG telles qu’ACTogether (affiliée à Slum Dwellers International). Ensemble, nous avons mené une étude visant à référencer la nature et les quantités de déchets organiques produits, les débits, les types de déchets et leurs principales sources dans les différents quartiers. Nous avons organisé des consultations auprès de dix groupes communautaires producteurs, comptant en moyenne 15 membres – hommes et femmes –, dans l’hypothèse d’une création de nouvelles fabriques de briquettes combustibles.

Nous avons organisé plusieurs réunions et ateliers de formation traitant de la fabrication des briquettes, de l’élaboration d’un business plan, de l’image de marque, du marketing et de la comptabilité. En effet, les groupes communautaires n’en sont pas tous au même stade : certains sont expérimentés et produisent jusqu’à une tonne par semaine, tandis que d’autres viennent tout juste de se lancer.

Les groupes de production débutants seront subventionnés pour acquérir des machines de fabrication, des fours de carbonisation, des broyeurs et des séchoirs. Les plus avancés auront plutôt besoin de séchoirs solaires et d’aide pour faire la promotion de leurs produits et les commercialiser.

Dans les bidonvilles, les groupes de production ont établi des laboratoires où ils testent les différents ingrédients avant de mettre en vente leurs produits. Certains échantillons tests sont utilisés pour la promotion, et l’un des principaux arguments de vente est la réduction des émissions des briquettes par rapport au charbon de bois.

Mise en place d’un réseau

D’autres équipes collectent et livrent les déchets organiques aux groupes de fabrication. Certaines vont même plus loin, en produisant du charbon qu’elles leur revendent. Le système est donc constitué d’entreprises évoluant en arrière-plan, qui embauchent des jeunes pour la collecte et le transport des déchets, tandis qu’au premier plan émergent des groupes de jeunes et des équipes formées de membres de la communauté, spécialisés dans la production de charbon.

Machine de fabrication de briquettes. Shuaib Lwasa, Author provided

Les groupes communautaires mettent sur pied des coopératives de commercialisation qui se chargent du contrôle qualité et de la normalisation des briquettes, les groupes de fabrication fonctionnant de manière indépendante.

Le contrôle qualité consiste à examiner les ingrédients utilisés, le processus de carbonisation, les proportions des mélanges et les types de déchets utilisés dans la production du liant. En effet, ce dernier détermine la durée de combustion et donc la valeur calorifique des briquettes.

Les boues fécales créent des emplois

Plus de 75 % des ménages de Kampala utilisent une fosse, et seuls 13 % sont raccordés aux égouts. Par conséquent, le pourcentage des déchets humains traité est faible. De petites entreprises innovantes ont donc été fondées pour collecter et transporter ces déchets vers les stations de traitement. Cette activité économique émergente crée des emplois, à petite et moyenne échelle.

Des groupes de femmes et de jeunes ont développé des entreprises de collecte des déchets qui utilisent la technologie Gulper, pour vider les latrines à fosse ; ils transportent les déchets vers les stations de traitement des eaux à l’aide de triporteurs équipés de petits réservoirs.

Il est important d’assurer un suivi continu des émissions de gaz à effet de serre des briquettes, depuis leur production jusqu’à leur utilisation. Pour ce faire, notre équipe a instauré un protocole de mesures périodiques dans les principales unités de production, tout au long la fabrication, ainsi que dans quelques ménages voisins qui les utilisent pour cuisiner.

Les étiquettes indiqueront les émissions produites au moment de la combustion, et expliqueront en quoi leur utilisation contribue à limiter le changement climatique. Nous espérons ainsi que les utilisateurs prendront l’initiative d’adopter la briquette pour protéger la planète du réchauffement.

Utilisation de la technologie Gulper pour vider les latrines.

Une initiative reproductible

La quantité de GES générée par Kampala – environ 200 grammes par personne et 0,7 million de tonnes de CO2 par an – est relativement négligeable. Toutefois, la production de briquettes combustibles à partir de déchets organiques solides est une innovation dont pourraient s’inspirer toutes les villes à la recherche de solutions durables.

Nous collaborons également avec des groupes de jeunes qui cherchent à exploiter les boues fécales en les transformant directement en briquettes combustibles. Ce processus n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais il s’intègre parfaitement à notre démarche inclusive, résiliente et durable.


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Cet article a été traduit de l’anglais par Typhaine Lecoq-Thual pour Fast ForWord.

This article was originally published in English

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