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Enseigner à distance aux étudiants incarcérés : un défi pour les universités

Facade de La Santé. Elodie Drouard/France Télévisions

Les étudiants en prison sont souvent des personnes en grande difficulté personnelle qui sont soumises à l’interdiction partielle voire totale d’accès aux usages numériques. C’est pour ces raisons que l’enseignement à distance (EAD) en prison pose un réel défi à nos universités. Pour garantir ce service public, elles doivent définir une politique de formation ambitieuse en adaptant leurs modalités administratives et pédagogiques et en sensibilisant les équipes.

1 300 étudiants

Parmi plus de 1 300 étudiants incarcérés inscrits dans l’enseignement supérieur, plus d’un tiers préparent le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Ce nombre cache une grande dispersion des étudiants dans de nombreuses disciplines et universités. C’est le résultat d’une fragmentation résultant de la diversité des offres de formation mais aussi de la diversité des réponses en termes de pratiques et de politiques d’établissements… Plus que jamais, au regard des événements récents et face au risque de radicalisation des détenus, un travail de clarification, de structuration de l’offre et de mobilisation des équipes est nécessaire pour répondre aux besoins de formation des étudiants incarcérés et sous main de justice.

L’identité de l’étudiant incarcéré

Avant d’être reconnu « étudiant incarcéré », le détenu doit faire face à l’ampleur des difficultés d’apprentissage : manque d’information, de sociabilité et d’espace de travail dédié, rapport au temps. Sa démarche doit être soutenue par des attentions parfois simples : par exemple, la délivrance d’une carte d’étudiant valorise la personne, elle devient un étudiant…

« J’étais incapable d’autodiscipline. Je fais ce que je veux, quand je veux… Et petit à petit, j’ai compris qu’il fallait des règles quoi… » Yacine, 25 ans, L3 Histoire.

Spécificités de l’enseignement à distance en prison

L’accès à l’enseignement est un droit fondamental : ainsi, le suivi des cours à distance est autorisé dans les différents établissements pénitentiaires. Pour autant, alors que l’EAD repose sur un dispositif pédagogique mobilisant des ressources numériques (cours complets scénarisés) et renforcé par un accompagnement (tutorat, forums, regroupements), l’enseignement en prison tend à se confondre avec l’enseignement par correspondance. L’objectif des politiques de formation des universités devra passer entre autres, par la proposition de dispositifs administratifs et pédagogiques adaptés.

Prisonniers non connectés

Le défi pédagogique tient à la difficulté d’apprentissage, à l’absence de culture méthodologique, souvent à une motivation qui s’affaiblit rapidement… D’autant plus que, dans un environnement sécuritaire, la restriction des usages numériques rend difficiles les échanges d’information et le suivi des étudiants. Or, l’isolement des détenus et le moindre manquement au suivi peuvent être source de décrochage. Pour y remédier, des expériences ont été menées récemment par l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ou l’université Paris Nanterre qui proposent des formations à distance tutorées (le tutorat étant effectué par des enseignants en présentiel). Au-delà de ces expériences, au plan national, il convient de proposer un dispositif pédagogique à distance, mieux adapté et motivant pour ces étudiants non connectés.

Pour la réussite des études supérieures en prison

Afin de favoriser les formations universitaires à distance dans les prisons, les universités doivent agir en mutualisant, en coordonnant les bonnes pratiques aux plans organisationnel et pédagogique en lien avec les prisons. Des conventions entre les universités et les centres pénitentiaires sont le fruit d’un travail de terrain de personnels engagés et volontaires. La signature en février 2017 d’un accord-cadre de coopération en vue du développement de l’accès aux études supérieures des personnes placées sous main de justice entre les universités représentées par la Conférence des Présidents d’Université et les ministères de la Justice et de l’Éducation nationale est le fait générateur d’actions qui seront plus ambitieuses.

Comme le souhaiteraient de nombreux acteurs engagés dans l’enseignement en prison, il serait préférable de proposer une offre de formations restreinte, plus lisible. Aussi, des universités « partenaires » devraient mettre en avant leurs formations à distance et notamment le DAEU qui, pour les prisonniers purgeant des peines plus courtes semble être un but en soi, tout en permettant aussi l’accès aux études supérieures.

Poster d’information de la FIED. FIED, CC BY

Des travaux menés au sein de la Fédération interuniversitaire d’enseignement à distance (FIED) visent à définir des adaptations pédagogiques pour les universités « partenaires », à conforter les bonnes pratiques et à sensibiliser les enseignants. Une première réponse est la publication d’un livret de la scolarité universitaire en milieu carcéral guidant les personnels dans les démarches administratives. Mais, au-delà du dispositif, une question centrale se pose : comment réduire la distance entre les enseignants et l’étudiant détenu ? Pour ces étudiants détenus, le risque de décrochage et d’isolement est souvent très fort, notamment par le seul manquement à la diffusion d’informations ou un simple retard d’envoi de cours…

La Santé. Élodie Drouard/France Télévisions

Il ne peut y avoir de réussite de l’EAD dans les prisons sans la mobilisation de deux acteurs pivots au sein des établissements (prisons/université) : un enseignant « référent » côté université et le responsable local d’enseignement (RLE) côté prison. Une collaboration active jouera en faveur d’une meilleure visibilité de l’offre de formation pour l’étudiant. Pour chaque formation, elle garantira la fluidité de l’information : objectifs pédagogiques, calendriers des cours, périodes d’examens et retour des notes. Il s’agit aussi de prévoir des aménagements tout en proposant un cursus le plus proche possible de ce qui se fait « à l’extérieur ». Au final, il s’agit d’un diplôme de même « valeur ».

Comment réduire la distance entre les enseignants et l’étudiant incarcéré au regard du pilotage par ce binôme ? Tout d’abord en proposant une contextualisation du dispositif pédagogique autour d’un cahier des charges commun – envoi de documents par CD-Rom, accès aux ressources via le RLE, interventions ponctuelles en présence, accès aux sources documentaires, assouplissement des stages. Ensuite, par des pédagogies innovantes (capture automatique d’animations en PDF, capture des forums sur CD-Rom adressés au RLE). Enfin, par un suivi individualisé et de nouvelles modalités d’accompagnement pédagogiques (tutorats par des étudiants plus anciens, référent pédagogique unique, visioconférences via l’accès Internet du RLE, organisation des ruptures de cursus et de la fin d’études, l’enseignement par projet).

Ouverture vers le numérique

La réussite des étudiants incarcérés passera également par le déploiement du numérique dans les prisons. Quand bien même au niveau local l’Internet serait ponctuellement accessible, il est contraint par des priorités sécuritaires et judiciaires. Il n’empêche qu’après plusieurs expériences, un projet prometteur NED (Numérique en détention) est aujourd’hui soutenu par la Direction de l’administration pénitentiaire et les responsables locaux. Centré sur la détention, notamment les réservations au parloir, les saisines par voie électronique, la cantine, incluant une messagerie, il pourrait aboutir à faciliter la visibilité et le suivi des formations en prison avec une plateforme d’apprentissage en ligne dédiée. À moyen terme, il pointera des ressources pédagogiques sur les plateformes universitaires.

Mais au-delà, l’utilisation d’outils innovants ne suffira pas sans l’amélioration franche des conditions de détention, une priorité pour commencer à envisager la poursuite d’études supérieures en milieu carcéral.

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