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Enseigner le fait religieux ne requiert pas une nouvelle laïcité

Dans quelle mesure les religions doivent-elles soutenir le travail de l'école?

L’enseignement du fait religieux fait toujours débat et suscite la mobilisation d’organisations confessionnelles ou laïques, nombreuses à se prononcer sur le sujet. Cet enseignement existe pourtant depuis longtemps dans les programmes et manuels de l’école publique, mais on entend souvent qu’il aurait été « introduit » à la suite de différents rapports ministériels (comme celui de Philippe Joutard en 1989 ou de Régis Debray en 2002) ou que la laïcité devrait s’ouvrir, du moins évoluer pour prendre en compte ce nouvel enjeu.

Le vivre-ensemble et la question du sens

Dans ce genre de discussion, il est important de considérer les arguments non seulement pour eux-mêmes, mais aussi en prenant en compte la façon dont ils sont progressivement configurés, comme l’a montré Joan Stavo-Debauge à propos d’une valorisation de la croyance religieuse en philosophie.

Il s’agit donc de comprendre pourquoi des promoteurs importants de l’enseignement du fait religieux prônent une laïcité ouverte, une raison ouverte, ou une intégration des réponses qu’apportent les cultures religieuses à la question du sens. C’est le cas de Jean-Paul Willaime par exemple, issu de la faculté de Théologie protestante de Strasbourg et qui fut ensuite directeur de l’Institut européen en Sciences des Religions (IESR).

Cette question est d’autant plus aiguë qu’on assiste à des tentatives de rapprochements entre l’enseignement confessionnel et public sur le sujet, ce qui ne manque pas de susciter des étonnements : à quel titre l’enseignement privé, notamment catholique, peut-il contribuer au vivre-ensemble alors qu’il est un acteur important de la ségrégation en échappant aux politiques publiques de mixité sociale ?

Il est certes louable que différents acteurs se mobilisent pour un enseignement nécessaire, qui pourrait favoriser la tolérance. Les préjugés anti-musulmans pourraient être affaiblis si les élèves comprenaient qu’il existe une grande hétérogénéité de courants au sein de cette religion.

Aborder le pluralisme religieux à l’école, notamment au sujet de certaines religions comme l’islam, permettrait de mieux lutter contre les préjugés. Revac/pexels, CC BY

Une approche méthodique, notamment historique et sociologique, permet de le montrer. Mais jusqu’où faut-il valoriser une perception « inclusive » de la laïcité, une image de la religion comme une réalité « créatrice de lien » ?

C’est cette vision que présente le fonds de dotation Grandir Ensemble, qui regroupe les associations Coexister et Enquête. Celle-ci coopère entre autres avec Agapan, une formation à la culture éthique et religieuse soutenue par l’enseignement catholique et le collège des Bernardins. Les justifications mobilisées permettent de frayer un passage entre enseignement public et privé confessionnel : ainsi Jean-Paul Willaime est-il crédité d’avoir contribué à une nouvelle approche du fait religieux, permettant de présenter le meilleur d’une tradition. Ce qui minimise la dimension théologico-politique, dogmatique et oppressive des religions, constatée dans l’histoire et le présent.

De façon similaire, on entend parfois que c’est surtout la visée spirituelle qui importe, celle qui permet d’offrir un accès – soigneusement bordé – à l’expérience religieuse, une initiation au spirituel à travers un enseignement du religieux. D’où la nécessité d’une fondation pour « faire enfin bouger les choses » malgré le « blocage hexagonal ». Ce projet ambitieux a été formulé en 2010 par Éric Vinson, aujourd’hui président de la fondation Grandir ensemble, président d’Enquête jusqu’en 2015, ainsi que directeur de l’IFER au sein de l’Institut Universitaire Catholique de Bourgogne jusqu’en 2013. Cette mobilisation n’empêche pas que des propositions compatibles avec la laïcité soient faites. Mais force est de constater que les objectifs sont pluriels.

À court terme, le principe de laïcité ne permet pas de propositions trop hardies. Toutefois, l’objectif à long terme d’une association comme Agapan est de convaincre l’école publique d’adopter un enseignement de culture éthique et religieuse. Faut-il alors, comme le préconise Abdennour Bidar, chargé de mission laïcité au ministère de l’Éducation puis Inspecteur général, que l’école publique « regarde avec confiance » cette initiative du collège des Bernardins, en se donnant pour « mission commune » de conduire chaque individu à se soucier de sa vie spirituelle ?

L’enseignement confessionnel et la laïcité européenne

Il est donc important de poser les deux questions suivantes : l’école publique peut-elle élaborer des ressources par elle-même pour l’enseignement des faits religieux ? Le vivre-ensemble peut-il être réalisé en collaboration avec le privé qui est un acteur majeur de la ségrégation ? Je n’ai pas l’ambition d’y répondre, mais elles sont effectivement posées par des référents laïcité au sein des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE), ou dans des milieux chrétiens comme le CEDEC.

Certes, on peut enseigner les faits religieux comme des langages qui sont immergés dans les sociétés. Mais cette description risque également de minimiser les tendances cléricales sous-estimées par ceux qui se réfèrent à une laïcité européenne, et supposent que les risques de menées absolutistes des religions seraient faibles dans l’Union européenne.

Jarosław Kaczyński, le très catholique et conservateur homme politique polonais inscrit-il son pays dans une Europe de la laïcité ?

Il faudra pourtant répondre à la question : est-ce laïque d’accepter des cours d’histoire où l’on apprend que Jésus est Dieu, comme c’est le cas en Pologne, ou de justifier l’apposition de crucifix aux murs des salles de classe dans plusieurs pays d’Europe ?

Les débats citoyens sont vifs et nombreux à ce sujet, mais on court précisément le risque de les court-circuiter en défendant ce que Cécile Laborde appelle une laïcité de statu quo. En France, l’enseignement du fait religieux peut faire consensus s’il s’agit de l’aborder à travers les disciplines scolaires constituées. L’accord sera plus difficile à trouver s’il s’agit de souligner excessivement sa dimension expérientielle, spirituelle, créatrice de lien, voire de pallier la supposée incompétence des enseignants de l’école publique par la participation de l’enseignement confessionnel.

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Sébastien Urbanski a publié en septembre 2016 L’enseignement du fait religieux : école, république, laïcité, aux Presses Universitaires de France.

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