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Entre croissance verte et décroissance, enseigner l’économie circulaire en école de commerce

L’économie circulaire est un concept qui polarise, entre les tenants d’une croissance verte qui l’instrumentalisent, et ceux de la décroissance qui la jugent contre-productive. Shutterstock

Le concept d’économie circulaire rencontre un très fort engouement ces dernières années auprès des acteurs publics, associations professionnelles, organisations non-gouvernementales et entreprises privées. En France, un projet de loi est actuellement en discussion sur le sujet, avec pour objectif de multiplier les filières de récupération et d’accentuer les démarches d’éco-conception afin de prévenir les déchets en amont.

Au vu de l’ampleur du défi écologique auquel nos sociétés sont confrontées, le pari de l’économie circulaire repose sur la nécessité et la possibilité de repenser l’économie en s’inspirant de la nature : c’est ce qu’on appelle le biomimétisme. Il s’agit d’évoluer vers des modèles plus soutenables sans pour autant faire le deuil de l’économie de marché, en réduisant l’empreinte énergétique et environnementale, les pollutions, le gaspillage et les déchets, ou en rallongeant la durée de vie des produits.

Les sirènes de la croissance verte

En matière d’économie circulaire, on assiste à une polarisation des approches entre deux positions difficilement conciliables. Le vif succès rencontré par le concept d’économie circulaire dans les milieux d’affaires s’inscrit dans le paradigme de la « croissance verte », au risque de basculer dans une utilisation très instrumentale du concept.

Cette vision célèbre l’entrepreneur, moteur de l’innovation, du progrès technologique et de la « disruption », capable de dépasser les rigidités bureaucratiques établies par les acteurs en place.

Dans la même veine, le progrès technologique et le marché sont censés apporter les réponses les plus efficaces aux enjeux actuels. Les investissements en R&D et le fonctionnement libre du marché apparaissent comme les moteurs de l’innovation et du progrès. D’un point de vue politique, il s’agit alors de favoriser la main invisible du marché, en limitant l’État à un rôle de soutien aux secteurs entrepreneuriaux de la high et de la green tech. Il s’agit de prévenir toute intervention réglementaire contraignante, telle qu’une taxe.

Enfin, au sein des entreprises établies, les démarches d’économie circulaire restent conditionnées à une recherche de rentabilité économique ou de contribution stratégique. Malgré son intérêt managérial, cette vision comporte de nombreuses limites : le marché n’intègre que très imparfaitement les contraintes de disponibilité ou de renouvellement des ressources, ou dans une temporalité qui n’a rien à voir avec les rythmes de renouvellement des ressources naturelles. Lorsque la technologie offre une solution à certains problèmes environnementaux, elle tend aussi à en créer de nouveau, déplaçant les problèmes sans offrir une solution absolue.

Les apôtres de la décroissance

Aux antipodes de cette vision optimiste, la perspective de la décroissance tend à considérer que le capitalisme est « par nature » incompatible avec le respect de l’environnement. Face aux risques d’effondrement, cette approche pointe le décalage extrême entre l’urgence environnementale d’une part, l’inertie réglementaire et la dictature du « business as usual » d’autre part.

Tandis que le GIEC alerte sur le délai de 10 ans pour contenir un réchauffement dans des proportions maîtrisables (c’est-à-dire au-dessous de deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle), les réponses apportées par les entreprises et les acteurs politiques semblent en profond décalage.

Dans cette perspective, le concept même d’économie circulaire est un oxymore et participe d’une mystification. L’horizon apparaît globalement sombre, tant l’effondrement des écosystèmes qui supportent nos sociétés semble difficilement évitable au vu de l’inertie de nos systèmes sociaux, économiques et politiques.

L’issue résiderait dans le dépassement de la firme, du modèle capitaliste et de la société de consommation, via la décroissance et le retour vers des modèles non marchands plus locaux, ainsi que la redéfinition du progrès et du bien public.

Devant cette polarisation des discours, comment enseigner l’économie circulaire en école de management ? S’agit-il d’embrasser sans retenue la posture managérialiste et de les orienter vers une vision apaisée qui concilie écologie et économie de marché ? Quelle place accorder aux discours résolument critiques à l’égard de l’entreprise et des technologies ?

Une troisième voie est-elle possible ?

Depuis quatre ans, nous avons développé des enseignements en économie circulaire au sein d’ESCP Europe. Notre parti pris pédagogique est de rendre compte mais aussi de dépasser ces deux postures, afin que les étudiants prennent conscience de la complexité de ces enjeux et du rôle des entreprises, des réglementations et des technologies. Nous avons souhaité tisser une passerelle entre ces deux visions opposées, en réintroduisant du débat, et en nous efforçant d’articuler le rôle du politique avec les dynamiques d’innovation.

Notre approche se caractérise par trois traits distinctifs. Tout d’abord, chaque édition du cours est construite autour d’un secteur particulier – le secteur agro-alimentaire et le gaspillage alimentaire en 2019, par exemple. Au-delà de la relation classique entre professeurs et étudiants, nous mobilisons au sein du cours un acteur privé (entreprise établie ou start-up) ainsi qu’un organisme institutionnel (ex : Ademe ou éco-organismes), afin de croiser les regards d’acteurs différents sur un même objet.

Ensuite, nous adoptons une approche résolument multidisciplinaire, en croisant les différents champs du management – stratégies, opérations, marketing, finance – mais en abordant aussi des débats d’ordre philosophique : le rapport au progrès, les relations homme/nature, le rôle social de la technique. Cette multiplicité d’ancrages disciplinaires permet aux étudiants de comprendre les différences de point de vue, les contradictions et la complexité de ces questions.

Enfin, nous cherchons à combiner cette démarche réflexive avec une approche tournée vers l’innovation et l’action. Pour ce faire, les partenaires de cet enseignement soumettent à nos étudiants des problématiques d’innovation. Sur 10 semaines, les étudiants décortiquent les différentes facettes d’un problème donné, interrogeant les choix stratégique ou opérationnel d’un entrepreneur, dressant une comparaison internationale d’un enjeu d’économie circulaire, ou questionnant les orientations réglementaires d’un état ou d’une collectivité locale. Au-delà du travail de diagnostic, les étudiants proposent des solutions, certes partielles, aux modèles linéaires et insoutenables largement généralisés.

Cette expérience pédagogique en cours, renforcée par la chaire économie circulaire tente de s’attaquer aux grands défis que doivent intégrer nos institutions académiques. Face au caractère collectif et multidisciplinaire de ces enjeux, ce témoignage est aussi un appel à des initiatives inter-institutions : à côté des gestionnaires, la mobilisation doit inclure des ingénieurs, des économistes, des politistes, des agronomes… pour transformer collectivement nos systèmes linéaires et court-termistes.

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