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Entrepreneuriat des femmes, pourquoi les rôles-modèles sont si importants

Le parcours d’Arianna Huffington est souvent cité comme exemple de trajectoire d’entrepreneure à succès. C2 Montréal / Flickr, CC BY-SA

Parmi les leviers de l’entrepreneuriat des femmes souvent cités par la presse, la mise en valeur de rôles-modèles est souvent évoquée. Nos travaux de recherche confirment l’efficacité de ce levier. Prendre en exemple des parcours de femmes ayant réussi renforce l’envie d’entreprendre, selon les porteuses de projets, mais également selon les accompagnants et les acteurs institutionnels.

Mais pourquoi la mise en valeur d’exemples d’entrepreneures peut favoriser la création d’entreprises par d’autres femmes ? Cet élément ressort fortement dans notre analyse : l’exemplarité agit comme un puissant révélateur de potentiels et pousse les autres femmes à l’action dans un élan de « pourquoi pas moi ? ». Le fait de pouvoir jauger sa propre situation par rapport à celle d’autres femmes qui vivent des situations similaires porte, et conforte dans l’idée qu’il est possible d’entreprendre.

En nous basant sur la théorie sociocognitive du psychosociologue Albert Bandura, nous pouvons rapprocher cela de l’apprentissage vicariant, qui peut se résumer simplement de la manière suivante : plus j’observe les autres faire, plus je me sens capable, et plus cela augmente ma propre perception de légitimité. Nous proposons ici une lecture des éléments pouvant favoriser l’entrepreneuriat des femmes vus par la presse, à la lumière de nos recherches en lien avec cette théorie.

Des exemples inspirants

Dans nos cours, lorsque l’on demande aux étudiants de travailler sur des trajectoires d’entrepreneurs, les mêmes noms reviennent souvent. Par exemple, celui de la fondatrice du site d’information The Huffington Post Arianna Huffington, qui a réussi à intégrer Cambridge et son club de débats – malgré ce que disaient les gens de son accent grec et de son milieu social d’origine. Elle a ensuite rejoint les États-Unis et fait entendre sa voix en lançant plusieurs médias. Autre exemple : Céline Lazorthes, lancée dans l’entrepreneuriat à 26 ans et créatrice de Leetchi, dont l’idée lui était venue pendant ses études à HEC. La fintech est aujourd’hui implantée dans 150 pays et disponible en 5 langues.

Des parcours inspirants, il en existe beaucoup d’autres et l’on gagnerait à ce qu’ils soient plus connus et reconnus. Car c’est en s’appuyant notamment sur l’exemple de tels rôles-modèles que les femmes pourront occuper une place grandissante dans l’entrepreneuriat, que la norme sociale évoluera, qu’il deviendra courant d’avoir autant de femmes que d’hommes lors de tables rondes d’entrepreneurs, et que nous aurons régulièrement autant d’étudiantes que d’étudiants dans les incubateurs d’écoles ou dans les spécialisations en entrepreneuriat. Cela permet de rendre ce parcours possible, d’ouvrir la voie.

Le poids de l’autocensure

En France, le nombre de créations d’entreprises créées par des femmes est en croissance (avec des variations du pourcentage exact, entre 30 à 40 %, si l’on prend en compte les créations microentreprises par exemple). Cette tendance se retrouve également à l’échelle mondiale : le taux d’activité entrepreneuriale des femmes a augmenté de 10 % en deux ans dans 63 pays observés. Pour autant, elles restent sous-représentées.

Pourquoi ? De nombreux articles de presse et rapports d’organismes privés évoquent notamment une certaine autocensure de la part des femmes - causée par un manque de confiance – comme l’un des principaux freins psychologiques entravant leur démarche entrepreneuriale. Plus précisément, ce manque de confiance en leurs capacités est connu par les chercheurs sous le nom d’auto-efficacité entrepreneuriale, concept central de la théorie sociocognitive.

La pertinence d’une approche systémique

Comment développer l’auto-efficacité entrepreneuriale ? Un élément intéressant à relever concerne la mise en place de dispositifs ou d’évènements dédiés aux femmes. Cette démarche présente en effet un intérêt, comme le montrent nos résultats de recherche. Les temps ou les événements spécifiquement dédiés aux femmes sont ainsi perçus comme plus sécurisants, et plus simples pour aborder des thématiques touchant par exemple à la conciliation des temps de vie – puisque l’impact de l’encastrement social et familial est, aujourd’hui encore, plus fort pour les femmes.

En revanche, il est essentiel de maintenir un accompagnement mixte, ancré dans la réalité du contexte entrepreneurial. De plus, l’accompagnement entrepreneurial doit aller au-delà des outils ou des connaissances techniques à maîtriser ; il est nécessaire d’accompagner les individus plutôt que les projets de créations d’entreprises – sachant qu’il existe une pluralité de besoins, de freins psychologiques, et de mécanismes motivationnels.

« L’entrepreneuriat au féminin en 3 minutes », basée sur la thèse de doctorat de Juliane Santoni (vidéo PEPITE France, 2019).

L’entrepreneur.e, ses cognitions, ses émotions produisent des comportements interagissant avec le contexte dans lequel il/elle évolue, coconstruisant ainsi son environnement. Cette approche inclusive des besoins d’accompagnement est un moyen de faire évoluer les croyances autour de l’entrepreneuriat, et donc les comportements. La possibilité de rencontres avec des entrepreneures, d’échanger sur le parcours, montrer la diversité de l’entrepreneuriat et de ses modèles de réussite va ainsi s’insérer dans ce jeu d’interactions et stimuler l’envie d’entreprendre.

Par ailleurs, comme le soulignent d’autres articles de presse, au-delà des barrières psychologiques évoquées plus haut, il existe des freins structurels à l’entrepreneuriat des femmes. Il est essentiel de considérer le sujet dans sa globalité, adopter une vision systémique basée sur l’interaction entre l’individu et ses facultés cognitives, son comportement, et son environnement – essence de la théorie sociocognitive de Bandura. Un.e entrepreneur.e est certes acteur de son parcours, mais il convient de ne pas oublier que l’environnement influe d’autant plus fortement sur l’entrepreneuriat des femmes à travers la culture nationale et la norme sociale qui le constituent, et qui produisent notre vision des rôles liés au genre.

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