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Entrepreneuriat féminin : il faut aller plus loin

Entreprenariat féminin.

Du 7 au 12 mars prochains se tiendra la quatrième édition de la semaine de sensibilisation à l’entrepreneuriat féminin. L’objectif est clair : montrer que l’entrepreneuriat est une voie professionnelle pertinente et largement possible pour les femmes. Une des modalités : aller dans les collèges, les lycées et les universités – grandes écoles et faire témoigner les femmes entrepreneurs et dirigeantes d’entreprises.

Suivant d’assez près ce qui se passe sur la région grenobloise à ce sujet, je ne peux que me réjouir de la mobilisation très forte des femmes de l’économie, des collèges et des lycées pour cette cause et du lien social qu’occasionne la préparation de cette semaine ! Pour autant, sur le fond, que doit-on vraiment attendre d’un tel dispositif ?

Me concernant, je suis comme Pascal (le philosophe) avec sa réflexion sur le Jansénisme et le salut : sans pour autant aller jusqu’à dire que tout destin est tracé, comme Bourdieu l’avait un peu montré en son temps, je constate que l’entrepreneuriat est une affaire de famille, donc, indirectement de prédisposition, et que cela est d’autant plus fort chez les femmes entrepreneurs. Pour autant, ce n’est pas parce que l’étudiante a des dispositions qu’elle a envie d’entreprendre. Aussi, oui, cette démarche est très bonne mais il faut aller plus loin et creuser plus et différemment pour obtenir les plantes entrepreneuriales de demain.

Le témoignage professionnel et ses limites

Permettez-moi de démarrer mon propos par une anecdote : alors que j’étais lycéenne, le père d’une amie est intervenu dans mon lycée et nous a permis de visiter l’entreprise Axa… Moi, qui ne connaissait rien à la vie de l’entreprise, si ce n’est ce que mon père (qui ne travaillait pas du tout dans les assurances) en rapportait et l’ennui, c’est qu’il avait pris le parti de ne pas parler de « ses soucis de travail » à la maison, j’avais découvert ce qu’était une entreprise, comment fonctionnait le principe de l’assurance, etc.

Ironie du sort ou pas, lorsque j’ai cherché un stage long durant mes études supérieures, j’ai postulé avec succès pour un poste d’assistante-chef de produits dans une entreprise qui a fusionné la même année… avec Axa ! S’il existe très peu de théorie sur le lien entre témoignages diffusés durant l’adolescence sur les choix de carrière, les exemples, celui-ci parmi d’autres, montrent que le témoignage marque le jeune étudiant…

Si en théorie, le témoignage peut avoir un impact, il n’en est pas de même dans la pratique, du moins dans l’enseignement supérieur. La preuve : Sur une promotion de près de 600 personnes (moyenne basse de la taille d’une promotion de Bac+5 dans une école de management), à peine 1 % d’entre des diplômées créent ou reprennent une entreprise, ceci dans un contexte où l’entrepreneuriat est devenu le biberon de l’étudiante. Sensibiliser, certes, mais sensibiliser autrement qu’avec des témoignages ou avec quelque chose en complément (un réseau ? Un coaching dès qu’une jeune femme émet un signe d’intention entrepreneuriale ?) !

L’intention entrepreneuriale trouve son fondement dans la famille…

Une explication à ce manque de motivation par les femmes réside dans quelque chose que l’on oublie trop souvent : l’acte entrepreneurial et qui plus est de l’entrepreneuriat féminin est avant tout une affaire de famille et, sur ce plan, la France ne fait pas (encore) exception. L’affaire de famille en entrepreneuriat est à prendre dans un double sens : pour l’entrepreneur, qu’il soit artisan ou créateur d’une activité de haute technologie, la séparation entre les frontières de la vie privée et de la vie professionnelle sont floues : le lieu de vie est parfois le lieu de travail et inversement ; le moment attribué à la vie personnelle est aussi celui de la vie entrepreneuriale mais l’entrepreneur, surtout le papa, déclare avoir le privilège de gérer des affaires privées sur le temps professionnel. Et surtout, entrepreneuriat familial ou pas, l’entrepreneuriat reste une affaire de famille. Impossible de comprendre la réussite entrepreneuriale de la femme, mais aussi de l’homme sans soutien du conjoint, des parents

Par sa présence ou son absence remarquée, l’entrepreneur, homme comme femme, communique avec ses enfants. La prise de risque, les réseaux, les clients, les partenaires, l’équipe, les succès, les ennuis, bref, la vie de l’entreprise fait partie de la vie famille, au mieux comme le grand frère dont on est admiratif ou jaloux, au pire, comme l’animal de compagnie que l’on affectionne et qui partage le quotidien. Si l’on observe les antécédents familiaux des entrepreneurs dans la France d’aujourd’hui, mais cela est aussi le cas dans d’autres pays, les États-Unis en tête, on constate que dans plus de 71,13 % des cas, un parent – le père plus généralement – ou un proche– l’oncle, le grand frère, est entrepreneur. Si on regarde les émettent la plus forte intention de croissance pour leur entreprise, on constate que les entrepreneurs les plus motivés et a priori expérimentés, sont ceux qui certes sont diplômés (et bien diplômés), mais aussi ceux qui sont issus de famille d’entrepreneurs.

Ce fait est d’autant plus présent si chez la femme entrepreneur. Toutes les études que nous avons eues l’occasion de mener ou de lire sur le sujet relatent la très forte présence d’une figure masculine – on m’a souvent parlé du père, éventuellement de l’oncle – pour conseiller et encourager la jeune femme – surtout si elle a moins de 30 ans – à embrasser une carrière de dirigeante ou de cadre, d’une part, et plus spécifiquement à entreprendre si lui-même est entrepreneur.

Sensibiliser différemment pour casser le déterminisme social

Dans un contexte où 95 % de la population française est non entrepreneur et où l’auto-emploi représente 7 % de la population active, l’enjeu de la sensibilisation à l’entrepreneuriat et surtout à l’entrepreneuriat féminin repose sur un effort pour casser le déterminisme social.

Aussi, sensibiliser les jeunes femmes à l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur, en particulier dans les Écoles – universitaires ou non – en management et en ingénierie, peut sembler logique – les femmes y apprennent justement les fondamentaux pour gérer une entreprise…. Mais c’est trop tard puisque la reproduction sociale a déjà fait son effet. En revanche, plus tôt, au collège, tout reste encore possible : les jeunes envisagent encore tous les possibles et chaque témoignage en provenance du monde économique n’est que trop précieux. Doubler cette sensibilisation en accueillant un stagiaire de classe de troisième dans des entreprises créées et dirigées par des femmes, je pense que l’expérience sera d’autant plus efficace.

Dans le supérieur, l’enjeu de l’accompagnement quasi personnifié de la jeune femme dès qu’elle émet l’intention d’entreprendre est un combat qu’il va falloir initier… Coûteux, direz-vous ? Peut-être mais c’est à ce prix que le déterminisme social sera cassé et, qu’in fine, la femme entreprendra.

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