tag:theconversation.com,2011:/es/topics/afrique-subsaharienne-33937/articlesAfrique subsaharienne – The Conversation2024-01-17T16:46:16Ztag:theconversation.com,2011:article/2181582024-01-17T16:46:16Z2024-01-17T16:46:16ZComment électrifier l’Afrique à bas coûts et bas carbone ?<p>600 millions de personnes <a href="https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022">n’ont pas accès à l’électricité</a> en Afrique Sub-Saharienne, soit 43 % de la population. Les Nations unies ont placé cette problématique au cœur de l’un de leurs objectifs du développement durable : assurer un <a href="https://sdgs.un.org/goals/goal7">accès universel à une énergie propre, durable et abordable d’ici 2030</a>. Pour atteindre cet objectif, le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) <a href="https://www.undp.org/energy/our-flagship-initiatives/africa-minigrids-program">promeut le développement de mini-réseaux isolés</a> pour électrifier des communautés souvent éloignées des réseaux électriques nationaux. Ce serait, développe l’Agence Internationale de l’Énergie, <a href="https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022">l’option la moins coûteuse</a> pour plus d’un tiers des futures connexions en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/afrique-subsaharienne-33937">Afrique Subsaharienne</a> d’ici à 2030.</p>
<p>Ces mini-réseaux isolés sont des systèmes électriques constitués d’un ou plusieurs moyens de production (panneaux photovoltaïques, groupe électrogène utilisant du diesel) avec ou sans stockage (batteries) et d’un réseau de distribution qui fonctionne indépendamment du réseau national. Ils permettent ainsi de fournir un accès à l’électricité, sans recourir à l’extension souvent lente et coûteuse des réseaux nationaux.</p>
<p>Si la majorité des mini-réseaux installés au cours des dernières décennies s’appuyaient sur des groupes électrogènes, de plus en plus de mini-réseaux <a href="https://www.seforall.org/system/files/2020-06/MGP-2020-SEforALL.pdf">intègrent aujourd’hui des panneaux photovoltaïques et des batteries</a> pour réduire leur consommation de diesel et minimiser leurs coûts, on parle alors de mini-réseaux hybrides solaire/diesel. Ainsi, ces mini-réseaux s’appuyant de plus en plus sur l’énergie solaire semblent une solution prometteuse pour accélérer l’électrification rurale tout en conciliant un faible coût de l’énergie et de faibles émissions de gaz à effet de serre. Mais de la théorie à la pratique, qu’en est-il vraiment ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Exemples de mini-réseaux isolés au Kenya : à gauche, les groupes électrogènes du mini-réseau de Mfangano, à droite l’installation solaire du mini-réseau de Talek" src="https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=178&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=178&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=178&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=223&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=223&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560372/original/file-20231120-26-hvidqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=223&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Exemples de mini-réseaux isolés au Kenya : à gauche, les groupes électrogènes du mini-réseau de Mfangano, à droite l’installation solaire du mini-réseau de Talek.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emilie Etienne</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les avantages de l’énergie solaire pour les mini-réseaux</h2>
<p>Le choix entre les différentes solutions d’électrification est généralement dicté par des contingences économiques. Les coûts de production du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/panneaux-solaires-46527">solaire photovoltaïque</a> ont été divisés par 5 en 10 ans, passant ainsi sous les coûts moyens de production des groupes électrogènes dans de nombreux pays, à quelques exceptions près, comme le Nigeria où les combustibles fossiles sont subventionnés. Le remplacement d’une partie de la production d’un groupe électrogène par de l’énergie solaire permet ainsi de réduire les coûts de l’électricité, d’où l’essor actuel des mini-réseaux hybrides solaire/diesel.</p>
<p>En plus de réduire les coûts des mini-réseaux, intégrer de l’énergie solaire permet aussi de réduire la dépendance des populations à une ressource fossile dont le prix varie fortement et dont l’approvisionnement n’est pas toujours garanti dans les zones reculées où ces systèmes sont installés, avec, par exemple, de grandes incertitudes sur l’arrivée de diesel lorsque de fortes pluies rendent certaines routes inutilisables.</p>
<p>Cette réduction de la consommation de diesel s’accompagne aussi d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien que les pays d’Afrique Sub-Saharienne aient des niveaux d’émissions très inférieurs à ceux des pays industrialisés, ceux-ci se sont aussi engagés dans le développement des énergies renouvelables et dans des <a href="https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022">trajectoires de neutralité carbone</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Les mini-réseaux 100 % solaires : une solution sans émission ?</h2>
<p>Mais lorsque l’on s’intéresse aux émissions de gaz à effet de serre d’un système énergétique, il est important de prendre en compte les émissions sur l’ensemble du cycle de vie de ce système, c’est-à-dire son empreinte carbone. En effet, si les émissions liées à un groupe électrogène se font principalement lors de son utilisation, les émissions associées aux panneaux photovoltaïques ou aux batteries <a href="https://pastel.hal.science/tel-02732972">proviennent au contraire de leur fabrication</a> (extraction des matières premières, transformation des matériaux, assemblage). Dans le cas des mini-réseaux 100 % solaires, <a href="https://meetingorganizer.copernicus.org/EGU23/EGU23-3367.html">ces émissions indirectes sont loin d’être négligeables</a> : elles représentent environ un quart de l’empreinte carbone d’un mini-réseau fonctionnant exclusivement avec des groupes électrogènes.</p>
<p>Ces émissions relativement élevées malgré l’absence de ressources fossiles viennent du besoin pour ces mini-réseaux de gérer la co-variabilité entre la ressource solaire locale intermittente et la demande électrique. Pour fournir de l’électricité la nuit ou par des temps nuageux, sans accès à une source d’énergie pilotable et bas carbone (hydroélectricité par exemple), il est nécessaire de stocker l’énergie solaire dans des batteries.</p>
<p>Il est aussi possible <a href="https://hal.science/hal-03740059v1">d’installer plus de panneaux photovoltaïques</a> pour produire davantage d’énergie et réduire ce besoin en stockage, notamment pour de longues périodes de faible ressource solaire. Les émissions indirectes liées à ce stockage et à ces panneaux supplémentaires augmentent l’empreinte carbone des mini-réseaux 100 % solaire qui est alors équivalente, <a href="https://ourworldindata.org/grapher/carbon-intensity-electricity">voire même supérieure</a>, pour de nombreux pays d’Afrique, à l’empreinte carbone de leur mix électrique sur le réseau national.</p>
<p>Ce besoin en stockage ou en panneaux supplémentaires est d’autant plus grand que la demande électrique est forte pendant ces périodes de faible ressource solaire. D’où l’importance pour les développeurs de mini-réseaux de bien connaître la variabilité de la ressource solaire locale, mais aussi de la demande électrique pour correctement dimensionner le système, c’est-à-dire le nombre de panneaux et de batteries à installer. Actuellement, on peut avoir une assez bonne estimation de la ressource solaire grâce à des mesures in situ ou <a href="https://globalsolaratlas.info/map">à des données satellites</a>, mais il n’en est pas de même pour l’estimation de la demande électrique.</p>
<h2>L’adaptation à la demande : l’un des enjeux majeurs des mini-réseaux</h2>
<p>C’est de fait un problème de taille :comment estimer la demande électrique d’une communauté qui n’a pas accès à l’électricité ? On peut d’abord en avoir une idée en observant les caractéristiques de la communauté : nombre d’habitants, activités déjà présentes (pêche, agriculture, artisans, etc.), types d’habitations, etc. Pour une vision plus complète, on questionne les habitants sur leur volonté de se connecter, sur les équipements électriques qu’ils souhaiteraient avoir, sur leurs revenus, sur leurs usages actuels d’énergie – lampes à kérosène ou solaire, groupe électrogène individuel, bois/charbon pour la cuisson, solar home systems (constitué d’un panneau et d’une batterie pouvant alimenter des éclairages, chargeurs de téléphone, radio, etc.).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="À gauche, une lampe à kérosène utilisé par les pêcheurs de Mfangano (Kenya). A droite, des panneaux solaires sur une toiture à Kisii (Kenya)" src="https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560374/original/file-20231120-17-uixdlk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">A gauche, une lampe à kérosène utilisé par les pêcheurs de Mfangano (Kenya). À droite, des panneaux solaires sur une toiture à Kisii (Kenya).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photos : Emilie Etienne, Avril-Mai 2022</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais ces méthodes restent très peu précises. Face à de nouveaux usages, certains habitants peuvent <a href="https://strathprints.strath.ac.uk/61818/1/Blodgett_etal_ESD2017_Accuracy_of_energy_use_surveys_in_predicting_rural_mini_grid.pdf">surestimer leur capacité</a> à se procurer certains équipements ou à payer pour leur utilisation. Le remplacement de certaines sources d’énergie existantes par l’électricité du mini-réseau dépend de plusieurs facteurs qui <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305750X00000760">ne sont pas toujours correctement identifiés</a> par les développeurs de mini-réseaux. Les sondages sont le plus souvent réalisés sur une courte période et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960148120310739">ne prennent pas en compte les variations de revenus et d’habitudes de la population sur l’année</a> (périodes de récolte, dépenses scolaires, etc.). De plus, ces études ne permettent pas d’estimer quelle sera l’évolution de cette demande dans les années à venir.</p>
<p>Dans le cas d’un mini-réseau diesel, ces difficultés à prédire la demande ne sont pas critiques : l’opérateur du mini-réseau peut s’adapter relativement facilement à une demande mal estimée. Les coûts d’investissements dans les groupes électrogènes sont faibles, on peut en installer plus que nécessaire au départ ou en rajouter a posteriori au cas où la demande serait plus grande que prévu. Et si celle-ci est plus faible que prévu, la consommation de diesel sera plus faible, réduisant les coûts de production pour l’opérateur.</p>
<p><a href="https://hal.science/hal-03896359v1">En revanche, il n’en est pas de même pour les mini-réseaux solaires</a>. Les panneaux photovoltaïques et les batteries ont des coûts de fonctionnements faibles mais demandent un investissement très important au départ, qui repose en grande partie sur des crédits. Le remboursement de ces crédits représente des coûts fixes, indépendant de la consommation électrique et qui s’étalent souvent sur <a href="https://mdpi.com/1996-1073/14/4/990">plus d’une dizaine d’années</a>.</p>
<p>Ainsi, si la demande a été surestimée, l’opérateur ne tire pas assez de revenus du mini-réseau pour assurer le remboursement des crédits, la maintenance, et le remplacement des équipements, notamment des batteries. Cela entraîne une dégradation plus ou moins lente du mini-réseau et réduit la disponibilité et la fiabilité de l’électricité (coupures fréquentes, plages horaires de fonctionnement limitées).</p>
<p>Un résultat similaire peut être obtenu lorsque la demande a été sous-estimée : le délai nécessaire pour retrouver des fonds et agrandir le système n’est souvent pas suffisant pour éviter une surcharge des équipements et une dégradation des équipements qui met en péril la fiabilité du mini-réseau. Dans ces deux cas, les utilisateurs finissent souvent par se détourner du mini-réseau en revenant à leurs anciennes sources d’énergie (lampes à kérosène, etc.) ou en investissant dans des systèmes individuels.</p>
<p>Ce risque sur la demande conduit les investisseurs à demander des rendements bien plus élevés, menant à une forte augmentation des coûts du capital <a href="https://www.nature.com/articles/s41560-022-01041-6">qui impacte le coût de l’électricité</a>. Il mène aussi certains opérateurs à développer des business model basés sur des stratégies marketing plus ou moins agressives : les usagers du mini-réseau sont régulièrement sollicités par des envois de SMS ou par la visite « d’ambassadeurs » (des usagers qui bénéficient d’avantages en échange de la promotion de l’électricité auprès de la communauté) pour les inciter à augmenter leur consommation ou à acheter à crédit des appareils de cuisson électriques.</p>
<p>À ce risque majeur viennent s’ajouter d’autres obstacles, comme l’arrivée du réseau national, les démarches pour l’obtention des licences, le choix du tarif et le monopole du réseau national, qui réduisent l’attractivité de ces projets d’électrification et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S136403211500800X">ralentissent leur développement</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="A gauche, des batteries usagées du mini-réseau de Talek (Kenya). A droite, un cuiseur électrique vendu à crédit par un opérateur de mini-réseaux à Kisii (Kenya)" src="https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560377/original/file-20231120-23-askaeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">A gauche, des batteries usagées du mini-réseau de Talek (Kenya). A droite, un cuiseur électrique vendu à crédit par un opérateur de mini-réseaux à Kisii (Kenya).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photos : Emilie Etienne, Avril-Mai 2022</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une situation qui peut s’améliorer</h2>
<p>Ainsi, les mini-réseaux solaires ne tiennent pour l’instant pas leurs promesses de solution à faible coût et faibles émissions pour électrifier rapidement l’Afrique Subsaharienne. Et cela sans même parler des autres impacts environnementaux <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0973082622001405">liés aux batteries</a> ou aux <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-13825-6_1">enjeux de justices énergétiques associés à ces systèmes</a>. Néanmoins, sous leur forme hybride solaire/diesel, ils constituent actuellement un compromis intéressant pour répondre à certains besoins vitaux des populations éloignées des réseaux nationaux tout en limitant l’impact de l’utilisation des groupes électrogènes massivement répandus sur le continent.</p>
<p>Plusieurs pistes restent à explorer pour accroitre le potentiel de ces solutions en réduisant à la fois leurs coûts et leurs impacts environnementaux. Une piste importante est celle de l’augmentation de la durée de vie de ces mini-réseaux, <a href="https://energypedia.info/images/1/17/Livrable_1_%C3%A9tudeERIL_Note_de_cadrage_m%C3%A9thologique.pdf">qui est souvent plus courte que prévu</a>. Cela demande d’étendre les recherches sur les questions de maintenance, de gouvernance et sur les modes de financement de ces projets qui peuvent notamment affecter la capacité d’adaptation de ces mini-réseaux aux évolutions des besoins de la communauté.</p>
<p>On peut par ailleurs espérer que les coûts et l’empreinte carbone des technologies utilisées dans ces mini-réseaux décroissent avec le temps. L’empreinte carbone d’un panneau ou d’une batterie est très variable et dépend en grande partie du mix énergétique <a href="https://pastel.hal.science/tel-02732972">avec lequel ces composants sont produits</a>. La décarbonation des mix énergétiques et les potentiels gains d’efficacité dans les processus d’extraction et de fabrication de ces composants pourraient au moins diviser par deux l’empreinte carbone des mini-réseaux solaires. De même, le déploiement massif de ces technologies dans le monde pourrait favoriser l’émergence de filières de recyclage des composants qui représente aujourd’hui un enjeu important du développement des mini-réseaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Chamarande a reçu des financements du Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, et de Schneider Electric dans le cadre d'une CIFRE. </span></em></p>Pour permettre aux 43 % d’habitants d’Afrique subsaharienne vivant sans électricité d’y avoir accès, il faudra déjà évaluer les besoins en électricité de populations qui ne l’ont jamais eue.Théo Chamarande, Postdoctorant, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189452023-12-14T19:10:51Z2023-12-14T19:10:51Z40 ans de lutte contre le VIH en Afrique : de la tragédie à l’espérance<p>La commémoration des <a href="https://www.pasteur.fr/fr/journal-recherche/actualites/40-ans-decouverte-du-vih-virus-responsable-du-sida-est-identifie-20-mai-1983">40 ans de la découverte du virus d’immunodéficience humaine</a> (VIH) invite à jeter un regard rétrospectif sur quatre décennies de lutte contre ce fléau dans l’Afrique au sud du Sahara. Cette région <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/lafrique-region-du-monde-la-plus-touchee-par-le-vih-virus-responsable-du-sida_3738733.html">a payé le plus lourd tribut</a> à la pandémie.</p>
<p>Au début des années 2000, les trois quarts des adultes mourant du sida et 80 % des enfants vivant avec le VIH étaient des Africains. La création en 2001-2002 du <a href="https://www.theglobalfund.org/fr/about-the-global-fund/history-of-the-global-fund/">Fonds mondial</a>, à l’initiative du secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Kofi Annan, va contribuer à l’accès universel au traitement et à désamorcer la bombe du sida. Lors du lancement officiel du Fonds mondial à New York en 2001, moins de 1 % des patients africains ont accès aux traitements. À cette époque où des chercheurs militants parlent de <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(02)11722-3/fulltext">« crime contre l’humanité »</a> pour dénoncer l’apathie de la communauté internationale face à la pandémie, la naissance du Fonds inaugure une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2009-4-page-84.htm">réponse d’envergure au niveau mondial</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne abrite 65 % du nombre total de personnes vivant avec le VIH dans le monde, soit 25,6 millions d’individus sur 39 millions. Le continent a également connu des progrès non négligeables en matière d’accès au traitement : les trois quarts des personnes vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/07/sida-en-afrique-le-temps-de-l-espoir_6133771_3212.html">suivent désormais un traitement antirétroviral</a>.</p>
<p>Au cœur des drames causés par la maladie dite du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), l’Afrique subsaharienne a aussi contribué à faire avancer la connaissance et à générer des mobilisations collectives inédites, associatives et politiques, certains de ses médecins et chercheurs ayant mené leurs combats jusqu’au sommet des programmes internationaux. La lutte contre le sida en Afrique représente un combat global, transnational, auquel ont significativement contribué quelques personnalités parfois insuffisamment connues.</p>
<h2>Premières années : le tout-prévention</h2>
<p>Le virus d’immunodéficience humaine est officiellement découvert en 1983 par une équipe de l’Institut Pasteur (pour cela, Françoise Barré-Senoussi et Luc Montagnier seront récompensés par le prix Nobel de médecine 25 ans plus tard, <a href="https://www.librairie-ledivan.com/ebook/9782705906375-sida-les-secrets-d-une-polemique-bernard-seytre/">après moult controverses)</a>. Initialement diagnostiqué en France et aux États-Unis dans les milieux gays, le VIH va se propager et devenir une pandémie.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’Afrique subsaharienne va vite devenir la région du monde la plus touchée par cette maladie. La mise à disposition du <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/dossiers/medecine-sida-vaincre-vih-1696/page/8/">test diagnostique Elisa</a> intervient en 1985 et la majorité des pays peut déclarer officiellement les premiers cas de sida. Pour autant, quelques cas sont détectés avant la généralisation du test Elisa grâce à des réseaux d’instituts de recherche, notamment la présence d’antennes américaines du Center for Disease Control (CDC) dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, au Sénégal et en Côte d’Ivoire par exemple. Les premiers cas sont également diagnostiqués au sein de la communauté homosexuelle en Afrique du Sud. Des ONG vont aussi permettre de diagnostiquer des cas de sida, <a href="https://books.google.fr/books/about/Politiques_publiques_du_sida_en_Afrique.html?id=DyUgAQAAIAAJ&redir_esc=y">comme la Croix-Rouge dans l’ex-Zaïre</a>.</p>
<p>Des médecins travaillant sur les maladies infectieuses dans les hôpitaux des grandes villes africaines seront les précurseurs de la lutte contre le sida dans leurs pays, en mettant en place des comités de suivi ou des ersatz de veille épidémiologique, avec ou sans l’aide de partenaires internationaux, suivant les concours de circonstances. Ils deviendront des fers de lance officiels de la riposte au sida dans leurs pays lorsque l’OMS mettra en place le premier programme mondial de lutte contre le sida, le <a href="https://data.unaids.org/pub/report/2008/jc1579_first_10_years_en.pdf">Global Programme on AIDS</a> (GPA), en 1986.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vC0C0m1YU7Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Sous la direction d’un professeur de santé publique de l’Université de Harvard, Jonathan Mann, le GPA va inciter à la mise en place des Programmes nationaux de lutte contre le sida (PNLS) en Afrique. Le Sénégal en Afrique de l’Ouest et l’Ouganda en Afrique australe seront parmi les premiers pays à mettre en place ces PNLS, dès 1986. Ils vont également illustrer, de manière différente, le rôle du leadership politique et le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781351147880-3/patterns-mobilization-political-culture-fight-aids-fred-eboko-babacar-mbengue?context=ubx&refId=21a1a383-0d35-40a1-8d58-673a41eef0c0">lien entre les sommets des États et les associations</a>.</p>
<p>En l’absence de traitements efficaces et du fait des moyens modiques affectés à la riposte dans cette première décennie des années sida, les PNLS vont être tournés vers le « toute prévention ». La thématique des « populations à risque » va orienter le ciblage des campagnes de prévention : les « prostituées », rebaptisées plus tard « les professionnelles du sexe » ; les transporteurs par car, réputés comme étant vulnérables au « risque sida » du fait de leur surexposition aux relations sexuelles non protégées ; et plus largement « les jeunes ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"673930952100487172"}"></div></p>
<p>Après une petite période de relativisation ou de déni politique de la maladie, les slogans vont passer à la vitesse supérieure dès la fin des années 1980. Ils mettent alors en avant la lutte contre « le vagabondage sexuel » et s’accompagnent de discours catastrophistes. Les campagnes de prévention affichent des images de malades du sida en phase terminale accompagnées du message abrupt : « Le sida tue. » Ces pratiques vont se heurter à la réalité cognitive des représentations des plus jeunes : personne ne s’infecte avec des malades squelettiques en phase terminale.</p>
<p>Les précurseurs africains évoqués plus haut vont avoir un rôle pionnier et des carrières connectées aux réseaux internationaux, entre hasard et nécessité. L’histoire du jeune docteur Pierre M’Pelé est aussi emblématique qu’elle est peu connue au-delà des spécialistes.</p>
<h2>Pierre M’Pelé du Congo-Brazzaville, au cœur du combat initial</h2>
<p>Après des études de médecine à la faculté des sciences de la santé de Brazzaville, en République du Congo, Pierre M’Pelé poursuit sa formation à Paris, dans un service de maladies infectieuses et de médecine tropicale. Au sein de l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris, il intègre le département de médecine tropicale et de santé publique au moment même où apparaissent les premiers cas de sida en France.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Pierre M’Pelé a raconté son parcours dans un ouvrage paru en 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-maia.com/livre/itineraire-dun-medecin-africain/">Éditions Maïa</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sous la direction du professeur Marc Gentilini, il sera confronté à cette « nouvelle » maladie qui ne faisait partie ni de son projet de formation ni des activités de ce service. Il va donc vite découvrir l’expérience de la prise en charge du VIH/sida en même temps que ses pairs médecins, notamment les docteurs Willy Rozenbaum et Jean-Claude Chermann et leur patron Marc Gentilini.</p>
<p>C’est à partir d’un prélèvement effectué par Willy Rozenbaum sur le ganglion d’un patient que Françoise Barré-Senoussi va isoler ce qui sera désigné comme étant le VIH. Pierre M’Pelé est présent dans l’équipe, avec laquelle il travaille au quotidien. Dans un <a href="https://www.editions-maia.com/livre/itineraire-dun-medecin-africain/">ouvrage publié en 2019</a>, il revient sur l’histoire de la découverte du VIH :</p>
<blockquote>
<p>« C’est Willy qui orienta les biologistes de l’Institut Pasteur à la recherche étiologique d’origine virale de la maladie chez BRU, les trois premières lettres de ce jeune malade français, fébrile, épuisé mais sympathique, admis dans le service depuis quelques semaines et dont le ganglion adressé à l’équipe du Pr Luc Montagnier permettra la découverte en 1983 du rétrovirus “LAV-BRU” responsable du sida. Bru mourut en 1988 […]. »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà du cycle de la découverte du VIH, le docteur M’Pelé effectuera une autre découverte dont sa paternité est connue et peu reconnue en tant que telle.</p>
<p>Il commence à distinguer des symptômes spécifiques aux patients originaires d’Afrique, précisément du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) et du Congo-Brazzaville. Par rapport aux autres patients, il révèle une prédominance de la coïnfection avec la tuberculose et une faible prédominance chez les patients africains d’une pathologie pulmonaire fréquente chez les autres patients, le <em>Pneumocystis carinii</em>.</p>
<p>La revue de référence <em>Lancet</em> ne publiera pas son article alors que ces spécificités vont être reconnues par ailleurs autour de ce qui sera appelé « le sida africain », dont la présentation a été effectuée en 1985 lors d’une conférence organisée à Bangui (en République centrafricaine), sous la houlette de Françoise Barré-Senoussi. M’Pelé explique que le <em>Lancet</em> n’a pas publié son article, « peut-être parce que venant d’un Africain inconnu, premier sur la liste des auteurs sur ce constat qui différencie le sida des Américains, des Européens de celui des Africains et c’est dommage et injuste ».</p>
<p>Fort de cette expérience, M’Pelé rentre à Brazzaville en juin 1986 et devient le « Monsieur sida du Congo » comme d’autres pionniers africains, <a href="https://www.routledge.com/Public-Policy-Lessons-from-the-AIDS-Response-in-Africa/Eboko/p/book/9780367616250">riches de leurs collaborations internationales dans leurs pays respectifs</a>.</p>
<h2>Abdourahmane Sow, un précurseur de Dakar à Genève</h2>
<p>Dans la majorité des pays africains, les premiers cas de sida sont diagnostiqués à partir de 1985, date de la mise à disposition par l’OMS des tests Elisa. Dans certains pays, comme le Sénégal, des relations entretenues avec les partenaires internationaux, dont le Center for Disease Control, vont permettre de reconnaître plus tôt la présence du VIH. C’est dans cette logique qu’à l’issue d’une recherche clinique menée par une équipe sénégalaise du Pr. Souleymane M’Boup de l’hôpital Le Dantec à Dakar, une équipe française et une équipe américaine révèlent dès 1984 l’existence en Afrique de l’Ouest d’un second sous-type du VIH, le VIH2, diffèrent du sous-type 1 (le VIH1, le plus répandu dans le monde) et présent au Sénégal, au Cap-Vet et en Guinée-Bissau. Le VIH2 se révèle moins pathogène et moins virulent que le VIH1.</p>
<p>Abdourahmane Sow est un médecin formé à la faculté de médecine de Dakar puis à Paris, où il est lauréat du concours d’agrégation en maladies infectieuses et tropicales. Il fait partie des jeunes médecins qui diagnostiquent les premiers cas de sida au Sénégal, au CHU de Dakar. Il prend la tête de la lutte contre le sida en tant que chef du service des maladies infectieuses de Dakar en 1986. Il est appelé à Genève en 1989, suite à la création du Global Programme on AIDS en 1986. Ce programme est dirigé par un professeur de santé publique issu de l’école de santé publique de Harvard, le professeur Jonathan Mann, qui s’entoure d’une petite équipe d’une dizaine de spécialistes venus du monde entier.</p>
<p>Le Pr. Sow s’inscrit dans cette dynamique internationale où il est question de répondre à un péril mondial avec des moyens thérapeutiques d’une grande modicité jusqu’au milieu des années 1990. Au sein de cette équipe, il va s’impliquer dans la mise en place des PNLS en Afrique, notamment au Togo, au Bénin et au Gabon. Il restera au GPA jusqu’à la fin de cette structure, qui sera remplacée par l’organisation inter-agences des Nations unies sur le sida (ONUSIDA) en 1996.</p>
<p>Au Sénégal, dont les bases de la riposte au sida ont été fixées par le Pr. Sow, la relève sera assurée par le docteur Ibra Ndoye, qui restera à la tête du PNLS sénégalais de 1986 à son départ à la retraite en 2014. Un record de longévité en Afrique dans la lutte contre le sida, et un mandat marqué par la mise en place dès 2002 du <a href="http://mediatheque.lecrips.net/docs/PDF_GED/S43720.pdf">premier programme d’accès aux ARV en Afrique francophone</a>.</p>
<h2>Une distribution inégale du VIH en Afrique</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Prévalence du VIH en Afrique, 2021. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Origine_du_virus_de_l%27immunod%C3%A9ficience_humaine#/media/Fichier:HIV_Prevalence_Africa_2021.png">Polaert/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la fin des années 1980, <a href="https://www.karthala.com/accueil/1705-lepidemie-du-sida-en-afrique-subsaharienne-regards-historiens-9782845867833.html">explique Philippe Denis</a>, « l’épidémie était solidement installée dans les territoires “pionniers” (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Rwanda, Burundi, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe)_ ». Il poursuit : « La décennie 1990 vit l’embrasement de l’Afrique australe. Alors que le nombre de cas nouveaux semblait plafonner dans plusieurs sites d’Afrique centrale, orientale et occidentale, il explosait au sud où des taux inégalés étaient atteints. »</p>
<p>En 2003, la géographe française <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-4-page-117.htm">Jeanne-Marie Amat-Roze</a> montre de manière magistrale cette distribution et cette progression inégales de la maladie sur le continent africain. L’Afrique australe va constituer l’épicentre de la maladie. L’Afrique du Sud compte à ce jour près de 9 millions de personnes vivant avec le VIH, mais également un des <a href="https://doi.org/10.3917/polaf.156.0021">taux d’accès aux médicaments parmi les plus élevés en Afrique</a>.</p>
<h2>Du sida sans médicaments à l’accélération de l’accès aux antirétroviraux en Afrique</h2>
<p>L’annonce officielle de l’efficacité des molécules antirétrovirales (ARV), les trithérapies, intervient lors de la Conférence mondiale sur le sida à Vancouver en 1996, peu après la promulgation, en janvier 1995, de <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/trips_f.htm">l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce</a> (ADPIC) qui protège ces médicaments sur 20 ans. L’ADPIC est la première résolution adoptée par l’Organisation mondiale du Commerce, créée en 1994. La bonne nouvelle de l’efficacité des ARV rend amers les militants pour l’accès aux médicaments et aux soins en Afrique. Le slogan employé ces militants lors de la Conférence mondiale de Genève en 1998 est clair : « Les médicaments sont au Nord, les malades sont au Sud. » C’est la thématique du <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000145646">« droit contre la morale »</a>.</p>
<p>Après bien des atermoiements et de <a href="https://journals.openedition.org/apad/195">vraies-fausses concessions des laboratoires pharmaceutiques</a> sur l’élargissement de l’accès aux médicaments pour les patients du Sud, dont la Côte d’Ivoire et l’Ouganda vont être les “pilotes” en Afrique dans les années 1990, le combat va se poursuivre au niveau international. L’ambassadeur américain à l’ONU, Richard Holbrooke, <a href="https://doi.org/10.3917/ris.046.0129">inscrit la question du sida en Afrique à l’agenda du Conseil de Sécurité en janvier 2000</a>. L’oligopole de 39 laboratoires pharmaceutiques qui avaient déposé des plaintes contre le Brésil et l’Afrique du Sud pour non-respect des brevets est contraint de retirer ses plaintes en avril 2001 sous la pression des ONG internationales, dont MSF et Act’Up, qui rebaptisent les laboratoires en question « Marchands de mort ».</p>
<p>Sous la houlette du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le <a href="http://journals.openedition.org/faceaface/1214">Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose</a> est fondé en 2001 et les premières subventions sont accordées avec les contributions des pays du G8 en 2002 à Gênes en Italie. Les copies des médicaments antirétroviraux fabriqués avant 2005 peuvent être distribuées via des financements du Fonds mondial et le passage à l’échelle <a href="https://journals.openedition.org/amades/1335">peut devenir réalité sur le continent africain</a>. Entre 2002 et 2012, la prévalence et la mortalité liées au VIH chutent de manière significative en Afrique. Et le Fonds mondial peut se targuer d’avoir sauvé plusieurs dizaines de millions de vies depuis sa création. Le programme américain, lancé en 2003 sous la houlette du président George W. Bush (<a href="https://www.state.gov/pepfar/">President Emergency Plan fo AIDS relief – PEPFAR</a>), suit la cadence. Les présidents Lula et Chirac lancent en 2006 un fonds complémentaire, <a href="https://unitaid.org/">l’Unitaid</a>.</p>
<p>Les années 2000-2010 vont représenter une remarquable inversion de paradigme qui rend effective la prise en charge des patients africains vivant avec le VIH.</p>
<p>Dans ce registre, le président du Botswana, Festus Mogae, va incarner un <a href="https://michelfortin.leslibraires.ca/livres/prendre-soin-de-sa-population-fanny-chabrol-9782735117390.html">modèle achevé d’engagement pour l’accès universel aux ARV</a>. Il lance en 2000 le premier programme d’accès gratuit aux ARV en Afrique avec 80 % des financements domestiques. C’est <a href="https://www.routledge.com/Public-Policy-Lessons-from-the-AIDS-Response-in-Africa/Eboko/p/book/9780367616250">« l’État militant »</a>.</p>
<p>Reste la question des maladies non transmissibles qui posent la question de « la santé globale ». Celle-ci vise à promouvoir, au niveau international, l’inscription sur les agendas internationaux des <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520271999/reimagining-global-health">principaux chocs épidémiologiques et des questions majeures de santé</a>. Autrement dit, il s’agit de rompre avec la « biopolitique » définie par Michel Foucault comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/-il-faut-defendre-la-societe-michel-foucault/9782020231695">« le droit de faire vivre et de laisser mourir »</a> pour privilégier ce que Didier Fassin nomme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-vie-didier-fassin/9782021374711">« les politiques de la vie »</a>. C’est encore un autre chantier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Eboko ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le VIH a été découvert il y a 40 ans. Retour sur quatre décennies d’efforts de la communauté internationale et des chercheurs du continent en Afrique, continent particulièrement affecté.Fred Eboko, Directeur de Recherche. Sociologie politique. Politiques de santé en Afrique. Représentant de l'IRD en Côte d'Ivoire, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181842023-12-06T13:45:28Z2023-12-06T13:45:28ZChangement climatique et agriculture : les économistes alertent sur la nécessité d'intensifier les efforts d'adaptation en Afrique subsaharienne<p>Les pays d'Afrique subsaharienne dépendent fortement des secteurs agricole et forestier. L'agriculture représente jusqu'à <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NV.AGR.TOTL.ZS?locations=ZG">60 %</a> du produit intérieur brut de certains pays. Mais ce secteur est très vulnérable au changement climatique car il dépend fortement des facteurs climatiques. Cette vulnérabilité est particulièrement marquée dans la région en raison de la lenteur des progrès technologiques.</p>
<p>En tant qu'économistes agricoles, nous avons effectué une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">revue</a> de la littérature sur le défi du changement climatique pour l'agriculture en Afrique subsaharienne. Nous avons étudié la répartition de divers facteurs climatiques (tels que les précipitations, les températures et les événements météorologiques extrêmes) dans la région, ainsi que leur impact sur l'agriculture. Nous avons également étudié les mesures prises par les agriculteurs ruraux pour faire face au changement climatique. </p>
<p>Nous avons constaté que les implications du changement climatique sur le développement agricole et économique sont diverses dans la région. Il est difficile de prédire exactement comment le changement climatique affectera l'agriculture et le développement économique. </p>
<p>Mais il est clair que les pays d'Afrique subsaharienne comme le Nigeria, l'Afrique du Sud, le Botswana et le Kenya sont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">extrêmement vulnérables</a> au <a href="https://www.afdb.org/en/cop25/climate-change-africa">changement climatique</a>. </p>
<p>Les agriculteurs n'utilisent pas de stratégies d'adaptation efficaces. Il s'agit notamment de planter des variétés de cultures résistant à la sécheresse et de conserver l'eau et le sol. Le manque de ressources et d'infrastructures les a freinés. Les programmes d'atténuation tels que la taxation du carbone, la gestion de l'eau, le recyclage, le boisement et le reboisement n'ont eu qu'un impact limité. Le manque de sensibilisation au changement climatique, l'instabilité des politiques gouvernementales et l'instabilité politique ont entravé les programmes.</p>
<p>L'impact du changement climatique sur les ménages vulnérables sera extrême si des mesures adéquates ne sont pas prises à temps. Des études indiquent qu'en l'absence d'adaptation, des pays comme le Togo, le Nigeria, le Congo et le Mali connaîtront davantage de <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/AR5_SYR_FINAL_SPM.pdf#page=13">pertes agricoles</a>. Les gouvernements, les organisations internationales, les communautés locales et les autres parties prenantes doivent élaborer des stratégies pour répondre aux divers besoins des agriculteurs d'Afrique subsaharienne.</p>
<h2>Ce que notre étude a révélé</h2>
<p>Les études que nous avons examinées indiquent que les régimes de précipitations, les températures et les phénomènes météorologiques extrêmes ont changé de manière significative dans la région. Cette tendance ne devrait pas changer au cours des prochaines décennies.</p>
<p>L'Afrique subsaharienne connaît <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">des régimes pluviométriques divers</a>. Les précipitations annuelles peuvent descendre jusqu'à 100 millimètres dans les zones arides du Sahel et dans certaines parties de l'Afrique de l'Est, et dépasser 500 millimètres dans les zones tropicales de l'Afrique centrale et de l'Ouest. </p>
<p>Les températures peuvent souvent dépasser 40° C (104° F) pendant les mois les plus chauds. Au cours du siècle dernier, la température moyenne a <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405880722000292">augmenté</a> d'environ 0,74° C. </p>
<p>La région <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405880722000292">connaît</a> divers phénomènes météorologiques extrêmes, notamment des sécheresses, des inondations et des vagues de chaleur. Les zones côtières, en particulier dans les régions de l'est et du sud, subissent <a href="https://africacenter.org/spotlight/cyclones-more-frequent-storms-threaten-africa/">des cyclones ou des tempêtes tropicales</a>.</p>
<p>De nombreuses études montrent que ces conditions affectent la production agricole et la société de plusieurs manières :</p>
<ol>
<li><p>Réduction des rendements : le changement climatique réduit le rendement des cultures. La hausse des températures, la modification du régime des précipitations, les sécheresses et les inondations affectent les récoltes. Au Nigeria, par exemple, les agriculteurs ont constaté une baisse des rendements due à l'apparition de nouveaux parasites, à l'apparition de maladies et à l'assèchement des cours d'eau. </p></li>
<li><p>L'insécurité alimentaire : une faible productivité agricole entraîne souvent l'insécurité alimentaire, qui touche à la fois les populations rurales et urbaines. La baisse des rendements agricoles peut entraîner une hausse des prix. Un accès réduit à la nourriture peut aggraver la malnutrition et la faim.</p></li>
<li><p>Perte de revenus et pauvreté : la baisse de la production agricole affecte le revenu des petits exploitants. Cela peut accroître les niveaux de pauvreté et la vulnérabilité économique. Nous avons constaté une baisse de la production céréalière au cours de la dernière décennie au Ghana, au Congo et en Afrique du Sud. </p></li>
<li><p>Diminution de la productivité du bétail : la hausse des températures, les changements dans la disponibilité du fourrage et la rareté de l'eau constituent un défi pour les éleveurs. Ces facteurs rendent le bétail vulnérable aux maladies et à la mort. Les agriculteurs doivent supporter des coûts élevés pour vacciner et traiter les animaux.</p></li>
<li><p>Vulnérabilité des petits exploitants agricoles : ces agriculteurs n'ont pas toujours les ressources et la capacité de s'adapter à l'impact du changement climatique.</p></li>
</ol>
<h2>Recommandations et implications politiques</h2>
<p>L'examen des études a montré que l'Afrique subsaharienne pourrait se développer économiquement si les agriculteurs ruraux prenaient des mesures plus efficaces contre le changement climatique.</p>
<p>Nous avons formulé les recommandations suivantes pour protéger les agriculteurs de l'impact du changement climatique :</p>
<ul>
<li><p>Renforcer les institutions pour l'élaboration et la mise en œuvre des politiques. La coordination des efforts d'adaptation au changement climatique et des pratiques agricoles durables améliore la productivité des exploitations. </p></li>
<li><p>Améliorer les infrastructures rurales. Cela permettrait de promouvoir la croissance économique, de réduire la pauvreté et de rendre les communautés rurales plus résilientes. </p></li>
<li><p>Lancer des programmes d'action sociale. L'amélioration de l'accès au financement, aux marchés, à l'éducation et aux informations sur le climat renforcerait la protection sociale.</p></li>
<li><p>Créer davantage de plantations forestières et maintenir les plantations existantes. Elles contribueraient à absorber l'impact du changement climatique sur l'agriculture et à promouvoir le développement économique.</p></li>
<li><p>Le boisement et le reboisement peuvent également contribuer à l'absorption du carbone et à la conservation de la biodiversité.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/218184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abiodun Olusola Omotayo est financé par le programme Climap Africa, l'Office allemand d'échanges universitaires (DAAD-Grant Ref : 91838393), en Allemagne, et la National Research Foundation (NRF), Incentive Funding for Rated Researchers (Grant number : 151680), en Afrique du Sud.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abeeb Babatunde Omotoso does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Les petits exploitants subissent de plein fouet les effets du changement climatique en Afrique subsaharienne. Il faut des mesures volontaristes pour soutenir et stimuler la production agricole,Abeeb Babatunde Omotoso, Postdoctoral research associate, North-West UniversityAbiodun Olusola Omotayo, Senior lecturer/researcher, North-West UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183712023-11-28T13:01:09Z2023-11-28T13:01:09ZLa résistance aux antibiotiques cause plus de décès que le paludisme et le VIH/sida réunis : ce que fait l'Afrique pour lutter contre cette épidémie silencieuse<p><em>Chaque année, la <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/antimicrobial-resistance#:%7E:text=L'OMS%20a%20d%C3%A9clar%C3%A9%20que,de%20pathog%C3%A8nes%20r%C3%A9sistants%20aux%20m%C3%A9dicaments.">résistance aux antimicrobiens</a> - la capacité des microbes à survivre aux agents conçus pour les tuer - fait plus de victimes que le paludisme et le VIH/sida réunis. L'Afrique subit de plein fouet cette évolution, qui se nourrit d'inégalités et de pauvreté. Nadine Dreyer a demandé à Tom Nyirenda, chercheur scientifique ayant plus de 27 ans d'expérience dans le domaine des maladies infectieuses, ce que les organismes de santé du continent font pour lutter contre cette menace qui pèse sur le progrès médical.</em></p>
<h2>Qu'est-ce que la résistance aux antimicrobiens ?</h2>
<p>La résistance aux antimicrobiens se produit lorsque les bactéries, les virus, les champignons et les parasites changent au fil du temps et ne répondent plus aux médicaments (y compris les antibiotiques). Cela rend les infections plus difficiles à traiter et augmente le risque de propagation des maladies, de maladie grave et de décès. </p>
<p>En Afrique, la résistance aux médicaments est déjà un problème avéré pour <a href="https://africacdc.org/document-tag/amr/#:%7E:text=In%20Africa%2C%20AMR%20has%20already,%2C%20meningitis%2C%20gonorrhoea%20and%20dysentery.">le VIH, le paludisme, la tuberculose, la typhoïde, le choléra, la méningite, la gonorrhée et la dysenterie</a>. </p>
<h2>Quelle est l'ampleur du problème de la résistance aux antimicrobiens ?</h2>
<p>C'est l'une des <a href="https://www.who.int/fr/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019">10 principales menaces mondiales</a> pour la santé publique qui risque de compromettre des années de progrès médical.</p>
<p>Près de <a href="https://www.fao.org/animal-health/our-programmes/antimicrobial-resistance-(amr)/fr">5 millions de décès</a> ont été associés à la résistance aux antimicrobiens en 2019. </p>
<p>C'est sur le continent africain que le fardeau est le plus lourd. </p>
<p>La première <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext">évaluation complète</a> de la charge mondiale de la résistance aux antimicrobiens a estimé qu'en 2019, plus de 27 décès pour 100 000 étaient directement imputables à la résistance aux antimicrobiens en Afrique. Plus de 114 décès pour 100 000 personnes y ont été associés à cette résistance. </p>
<p>Dans les pays à revenu élevé, la résistance aux antimicrobiens a été directement à l'origine de 13 décès pour 100 000. Elle est associée à 56 décès pour 100 000 personnes.</p>
<p><a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext">L'étude</a> a montré que les jeunes enfants sont particulièrement exposés. La moitié des décès survenus en Afrique subsaharienne en 2019 concernaient des enfants de moins de 5 ans.</p>
<h2>Comment les inégalités et la pauvreté interviennent-elles ?</h2>
<p>Dans de nombreux pays africains, la pauvreté et les inégalités favorisent la résistance aux antimicrobiens.</p>
<p>L'accès à une eau courante propre, à un assainissement adéquat et à une gestion sûre de l'eau est un défi majeur dans de nombreux hôpitaux et cliniques des pays africains. </p>
<p>De plus, il y a souvent un grave manque drastique de personnel de santé. Les services sont souvent débordés. En conséquence, les infections se propagent plus rapidement. Certaines de ces infections sont résistantes aux antibiotiques. </p>
<p>L'utilisation inappropriée des antibiotiques, l'insuffisance des ressources sanitaires et l'accès limité aux médicaments appropriés ont également alimenté la résistance aux antibiotiques en Afrique subsaharienne. </p>
<p>Les médicaments <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14787210.2023.2259106">de qualité inférieure et falsifiés</a>, en raison de leurs doses inférieures, peuvent permettre aux bactéries de s'adapter, de résister, de se développer et de se propager. Des études montrent que le continent africain est touché par ces produits médicaux. </p>
<p>La pénurie mondiale d'antibiotiques encourage également l'utilisation de médicaments de qualité inférieure.</p>
<p>En raison d'une faible réglementation, la prescription d'antibiotiques <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14787210.2023.2259106">en vente libre</a> est très répandue en Afrique subsaharienne. Les taux les plus élevés de prescription d'antibiotiques en vente libre ont été relevés en Érythrée (jusqu'à 89,2 %), en Éthiopie (jusqu'à 87,9 %), au Nigeria (jusqu'à 86,5 %) et en Tanzanie (jusqu'à 92,3 %). En Zambie, jusqu'à 100 % des pharmacies ont délivré des antibiotiques sans ordonnance. </p>
<h2>Y a-t-il de bonnes nouvelles ?</h2>
<p>Si la lutte contre la résistance aux antimicrobiens sur le continent africain est plus difficile que dans d'autres régions, de nombreux décès peuvent sont évitables. </p>
<p>Il y a eu quelques initiatives encourageantes pour protéger les systèmes de santé et les communautés contre la résistance aux antimicrobiens.</p>
<ol>
<li><p>L'Union africaine a mis en place le <a href="https://africacdc.org/download/african-union-framework-for-antimicrobial-resistance-control-2020-2025/">Cadre de l'Union africaine sur la lutte contre la résistance aux antimicrobiens</a>. Ce cadre vise à renforcer la recherche, à promouvoir les politiques, les lois et la bonne gouvernance, à améliorer la sensibilisation et à impliquer les organisations de la société civile.</p></li>
<li><p>La lutte contre la résistance aux antimicrobiens implique le développement de nouveaux antibiotiques tout en s'assurant qu'ils atteignent les personnes qui en ont besoin. C'est pour cela que des organisations comme le <a href="https://gardp.org/">Partenariat mondial de recherche-développement d'antibiotiques</a> ont été créées. Nous constatons des progrès encourageants pour un antibiotique contre la gonorrhée résistante aux médicaments, un <a href="https://www.who.int/news/item/22-06-2023-who-outlines-40-research-priorities-on-antimicrobial-resistance">agent pathogène hautement prioritaire</a>. </p></li>
</ol>
<p>Six sites sud-africains ont participé à l'essai clinique.</p>
<ol>
<li><p>La mesure et le suivi de la résistance aux antimicrobiens et de l'utilisation des antimicrobiens jouent un rôle essentiel. Là aussi, des progrès ont été accomplis. Le consortium <a href="https://africacdc.org/download/mapping-antimicrobial-resistance-and-antimicrobial-use-partnership-maap-country-reports/">Mapping AMR and AMU Partnership</a> a récemment publié 14 nouveaux rapports nationaux sur la situation en Afrique. </p></li>
<li><p>Le <a href="https://www.edctp.org/">Partenariat d'essais cliniques entre l'Europe et les pays en développement</a> finance la recherche clinique d'outils médicaux permettant de détecter, traiter et prévenir les maladies infectieuses liées à la pauvreté en Afrique subsaharienne. Le domaine vital de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK531478/#:%7E:text=Neonatal%20sepsis%20refers%20to%20an,middle%20and%20lower%2Dincome%20countries">septicémie néonatale</a> en fait partie.</p></li>
<li><p>Il est essentiel de modifier les comportements à l'égard des antibiotiques afin qu'ils soient utilisés à bon escient. Des organisations telles que <a href="https://www.reactgroup.org/news-and-views/news-and-opinions/2023-2/react-africa-conference-2023/">ReAct Africa and the South Centre</a> ont bien progressé sur cet aspect. </p></li>
</ol>
<p>Elles plaident pour une utilisation responsable des antibiotiques ainsi que pour des moyens de prévenir et de contrôler les infections bactériennes. </p>
<p>Au Kenya et dans d'autres pays africains, les champions de la résistance aux antimicrobiens sensibilisent les écoles, les universités, les cliniques et les communautés. </p>
<p>6.<a href="https://www.afro.who.int/regional-director/speeches-messages/strategic-imperative-boosting-local-pharmaceutical-production">Une initiative audacieuse</a> des pays africains pour établir et développer la fabrication locale de produits médicaux nécessite une réglementation stricte afin de ne pas alimenter la résistance aux médicaments avec des produits de qualité inférieure ou des contrefaçons. </p>
<h2>Que nous réserve l'avenir ?</h2>
<p>Les défis posés par la résistance aux antimicrobiens dans les pays africains sont énormes. Mais la dynamique de lutte contre ce phénomène est en train de se mettre en place. </p>
<p>Les étapes cruciales sont les suivantes</p>
<ul>
<li><p>un investissement accru</p></li>
<li><p>l'expansion des programmes de prévention et de contrôle des infections, y compris les bonnes pratiques de prescription clinique</p></li>
<li><p>l'amélioration de l'accès aux antibiotiques essentiels et aux outils de diagnostic</p></li>
<li><p>le développement de nouveaux antibiotiques capables de traiter les infections multirésistantes. </p></li>
</ul>
<p><em>Cet article fait partie d'un partenariat médiatique entre The Conversation Africa et la Conférence 2023 sur la santé publique en Afrique. L'auteur remercie Carol Rufell du Partenariat mondial pour la recherche et le développement des antibiotiques en Afrique pour sa précieuse contribution.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tom Nyirenda does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>L'Afrique est plus touchée par la résistance aux antimicrobiens, largement alimentée par la pauvreté, mais des signes encourageants montrent que le continent prend des mesures pour la combattre.Tom Nyirenda, Extraordinary Senior Lecture in the Department of Global Health, Stellenbosch UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2074372023-06-22T18:57:38Z2023-06-22T18:57:38ZAu Bénin, les maladies cardio-vasculaires mettent les familles sous tension<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/533025/original/file-20230620-21-uawc0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C124%2C1772%2C1538&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de famille dans un village proche d’Abomey, 2009. Dans les conditions de vie précaires des villages béninois, la prise en charge des maladies cardio-vasculaires repose largement sur les efforts consentis par l’entourage des malades.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Geoffrey Fritsch</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au Bénin, les <a href="https://www.iccp-portal.org/system/files/plans/BEN_B3_2019_PSILMNT2019-2023_Final.doc_.pdf">maladies cardio-vasculaires</a> sont devenues, au cours des dernières décennies, un problème de santé publique important, tant en milieu urbain qu’en milieu rural.</p>
<p>En milieu rural, l’inégal accès aux soins, la distance sociale avec la médecine dite « moderne », la prévalence de l’automédication et le recours à la médecine dite « traditionnelle » sont au cœur de la vie des malades et de leurs familles.</p>
<p>À Tanvè, petit village du Bénin méridional, une étude épidémiologique de cohorte, la <a href="https://www.unilim.fr/ient/blog/tahes/">Tanve Health Study</a> (TAHES), a documenté entre 2015 et 2021, à travers une série d’enquêtes annuelles, l’état de santé cardio-vasculaire de la population. Parallèlement à cette étude épidémiologique, <a href="https://doi.org/10.1016/j.respe.2018.05.239">pionnière en Afrique</a>, et <a href="https://bmccardiovascdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12872-019-01273-7">riche d’enseignements en matière de santé publique</a>, nous avons mené entre 2019 et 2021 une enquête ethnographique complémentaire.</p>
<p>Au travers d’une série d’études de cas, nous avons pu mettre en évidence la manière dont cohabitent localement différents registres d’interprétation de la maladie et des logiques de soin plurielles. Nous avons aussi montré comment l’absence de politique de protection et d’aide sociale dans ce domaine fait au final reposer le soin quotidien des malades sur les familles, et en particulier sur les femmes.</p>
<h2>Des familles face à la maladie</h2>
<p>En l’absence de soutien étatique, la taille et la disponibilité des familles se révèlent en effet cruciales. Une vaste maisonnée, des enfants restés au village avec des revenus à peu près réguliers, et la présence de filles et de belles-filles en particulier sont ainsi des éléments déterminants dans les trajectoires thérapeutiques de celles et ceux qu’a frappés une « crise », comme on dit localement. Mais toutes les familles ne disposent évidemment pas de telles ressources.</p>
<p>En avril 2018, Honorine – les prénoms ont été modifiés – a trébuché sur le seuil de sa maison. Elle n’a plus jamais marché seule depuis lors. Ce jour-là, son mari a appelé des voisins pour l’aider à transporter sa femme à l’intérieur. Mais elle n’a pas été amenée vers un centre de santé.</p>
<p>L’une de ses jambes a gonflé, et Honorine a été alitée. Son époux a alors été consulter des <a href="https://www.jstor.org/stable/40466131?seq=1">devins</a>. Ceux-ci ont affirmé que la chute et le gonflement avaient été provoqués par des sorciers, prescrit des cérémonies à effectuer pour s’en défendre, et confectionné des talismans protecteurs. Un beau-fils a conseillé une pommade, achetée en pharmacie, et recruté une masseuse dans le village, pour venir masser la jambe de sa belle-mère, jusqu’à ce que le gonflement soit résorbé. Ce n’est qu’une dizaine de mois plus tard, lors de l’enquête annuelle du projet TAHES, que le diagnostic médical d’accident vasculaire cérébral a été posé.</p>
<p>Dans les mois suivants, les deux filles du couple présentes au village se sont relayées auprès de leurs parents, assurant la toilette, l’entretien, les lessives et une partie des repas. Cette situation a progressivement mis leurs propres foyers sous pression. Au printemps 2019, le beau-fils qui avait procuré la pommade et la masseuse à sa belle-mère un an plus tôt suggérait que celle-ci, à moitié aveugle, aurait fait preuve d’imprudence en cherchant malgré tout à se déplacer autour de son domicile, et pourrait avoir une part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé… Il craignait aussi ouvertement qu’une aggravation de l’état de sa belle-mère ne débouche sur une mobilisation encore plus importante de sa femme à ses côtés, privant son propre foyer du travail domestique de celle-ci. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le centre de santé de Tanvè en 2022. Les centres de santé villageois sont des centres de première ligne. Les cas plus graves sont référés à l’hôpital de zone le plus proche, à une dizaine de kilomètres, mais l’anticipation du coût d’un traitement hospitalier décourage bien des ménages.</span>
<span class="attribution"><span class="source"> : Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les significations données à la maladie peuvent ainsi recouper étroitement des lignes de tension plus générales, comme celle qui oppose classiquement dans ces milieux un époux et ses beaux-parents autour des obligations domestiques des femmes. Honorine est finalement décédée en avril 2020.</p>
<h2>Le sens du mal</h2>
<p>Ici comme ailleurs, la question du sens du mal est rarement innocente. La part qu’un diagnostic médical peut y tenir est variable. Elle cohabite ici, voire entre en concurrence, <a href="https://doi.org/10.1016/j.ancard.2021.07.003">avec d’autres manières d’interpréter la maladie</a>.</p>
<p>Il n’est pas rare en effet que l’interprétation à donner à une « crise » soit discutée, sinon disputée. D’une part, les diagnostics en termes médicaux sont bien connus au village comme en ville. D’autre part, toutefois, le caractère soudain d’une crise d’hypertension ou d’un accident cardio-vasculaire et, en l’absence de suivi médical régulier, la quasi-invisibilité du problème sous-jacent en amont, se prêtent volontiers à des soupçons d’agression occulte, ou de transgression par le malade d’un interdit coutumier.</p>
<p>L’invocation de la <a href="https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.10202">sorcellerie</a> n’a ici rien d’incompatible avec la reconnaissance de causes médicales, et s’inscrit dans d’autres représentations du mal, qui distinguent localement entre maladies « simples » et maladies « de l’ombre ». Ainsi, une crise d’hypertension ou un accident vasculaire cérébral peuvent-ils avoir été « provoqués », comme on dit dans le français local, comme toute autre maladie. Le sorcier ou l’envoûteur peuvent parfaitement avoir agi au travers d’une maladie connue du monde médical. Le discours médical n’épuise pas nécessairement la quête du sens du mal.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le devin et guérisseur Yakpechou, de Tanvè, aujourd’hui décédé, ici photographié en 2009 auprès d’une partie de ses divinités vodoun. La réputation de cet homme s’étendait alors bien au-delà de son village, et des gens venaient le voir de loin pour chercher une solution à leurs problèmes et faire sens du mal. Aujourd’hui l’un de ses fils lui a succédé dans son office. Photo : Geoffrey Fritsch.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La « crise » d’une personne occupant une position jalousée, ou impliquée dans un conflit familial ou de voisinage, a ainsi de grandes chances d’être interprétée en termes d’agression occulte. Un diagnostic posé en termes médicaux peut alors être articulé avec une autre couche de significations liant l’événement aux tensions sociales dans lesquelles l’individu était pris.</p>
<h2>Une prise en charge « au plus proche »</h2>
<p>L’anticipation du coût d’une prise en charge médicale pèse par ailleurs souvent d’un certain poids face à la survenue d’une crise : aura-t-on les moyens de faire face aux ordonnances qui seront présentées par le corps médical ? La question trotte dans bien des têtes au moment de faire face à une telle situation.</p>
<p>Le choix de l’automédication, comme dans le cas d’Honorine évoqué plus haut, peut ainsi être partiellement motivé par des raisons économiques. De même que le déplacement d’un malade vers une église évangélique ou prophétique, où l’on priera avec conviction pour sa guérison sans attendre de contrepartie financière immédiate. Face à l’incertitude du sens à donner au mal, mieux vaut mettre toutes les chances de son côté.</p>
<p>Lorsque Mathieu fait un AVC en octobre 2019, ses enfants l’amènent immédiatement au centre de santé du village. Il y reste cinq jours, sans que son état ne s’améliore. L’agent de santé local suggère un transfert, inévitablement coûteux, vers le centre hospitalier départemental. Mais, dans le même temps, des voix s’élèvent dans l’entourage familial, pour suggérer que la maladie a probablement des causes occultes. Mathieu est en effet chef de collectivité lignagère, une position convoitée, et sa maladie aurait été « provoquée » par un cousin jaloux. </p>
<p>Il est alors déplacé vers une église prophétique d’Abomey, la ville voisine, dont le responsable est connu pour les guérisons divines qu’il obtient parfois. Mathieu y est massé avec des décoctions de plantes, qu’on lui donne également à boire, pendant deux semaines. Son état ne s’améliore pas, et ses enfants le ramènent alors chez lui. Dans les mois qui suivent, ils continuent à lui administrer des potions issues de la pharmacopée « traditionnelle » et font venir de temps à autre un masseur à domicile, lorsqu’ils parviennent à payer les séances. C’est son benjamin, encore célibataire, qui assure alors sa toilette et l’aide au quotidien, et sa seule fille résidant au village qui prend en charge ses repas. Mathieu est finalement décédé en juillet 2022.</p>
<p>Dans un monde social fortement marqué par un <a href="https://archives.ceped.org/integral_publication_1988_2002/dossier/pdf/dossiers_cpd_33.pdf">pluralisme thérapeutique</a> et une <a href="http://publication.lecames.org/index.php/hum/article/viewFile/480/332">précarité économique pervasive</a>, les compromis de prise en charge négociés dans les heures, les jours et les semaines qui suivent une « crise » font souvent une place importante à l’<a href="https://f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2003/files/2015/12/ACTES_5_Houngnihin.pdf">automédication</a>, aux conseils pris auprès de membres de l’entourage, et au recours à des soignants socialement (et familialement) proches – les femmes se trouvant alors particulièrement sollicitées. </p>
<p>Dans de telles configurations, le recours aux centres de santé, où l’on appréhende le coût des soins, ne semble pas nécessairement incontournable. Et les formes de traitement combinent régulièrement des médicaments issus des pharmacies comme du marché noir, et des produits de la pharmacopée traditionnelle, typiquement sous la forme de décoctions de plantes, de pommades ou de poudres produites par les devins et guérisseurs des environs.</p>
<h2>Des vies sous tension</h2>
<p>Depuis 2019, et <a href="https://www.who.int/fr/health-topics/universal-health-coverage">conformément aux priorités de l’Agenda de la santé mondiale</a>, le gouvernement béninois a préparé la mise en place d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211108-le-b%C3%A9nin-veut-g%C3%A9n%C3%A9raliser-son-projet-d-assurance-maladie-d-ici-janvier-2022">couverture universelle de santé</a> minimale, qui doit devenir une pièce centrale du programme d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=CO9fo8IKjNU">Assurance pour le Renforcement du Capital Humain</a> (ARCH) lancé par l’actuel gouvernement. Permettant la prise en charge gratuite pour les plus pauvres d’un panier de soins élémentaires, ce développement hautement souhaitable a progressivement été étendu à l’ensemble du territoire national jusqu’à le couvrir entièrement au début de l’année 2023. La santé cardio-vasculaire n’est malheureusement pas concernée à ce stade.</p>
<p>Les effets de ricochet des maladies cardio-vasculaires sont particulièrement importants sur l’entourage des malades. Les proches – et surtout les femmes – sont souvent immobilisés à leurs côtés, ce qui réduit d’autant les revenus et l’autonomie financière de ceux-ci. Ce constat pourrait à l’avenir constituer un argument en faveur de l’élargissement de l’aide médicale à la santé cardio-vasculaire des Béninois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207437/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu un financement du projet TAHES, une étude du LEMACEN et de EpiMaCT avec le soutien du Conseil Régional Nouvelle Aquitaine.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique - FNRS</span></em></p>Les proches, et spécialement les femmes, se retrouvent souvent contraints de demeurer des mois, voire des années durant, auprès de leurs parents alités. Les conséquences sont multiples.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014902023-04-10T19:24:09Z2023-04-10T19:24:09ZAu Bénin, ces enfants qui quittent l’école pour apprendre un métier<p>Au Bénin, les ménages populaires en milieu rural éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs enfants à l’école. Une partie des enfants de ces zones sont amenés à quitter le système scolaire avant la fin de l’école primaire ou dès les premières années du collège, même lorsque leurs résultats scolaires sont bons.</p>
<p>Malgré <a href="https://journals.openedition.org/ree/7368?lang=en">diverses mesures politiques prises depuis les années 1990</a> par les gouvernements successifs pour améliorer la qualité de l’offre scolaire et l’accès universel à l’enseignement de base, le pays a vu la proportion des élèves allant jusqu’au bout de l’école primaire passer de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.MA.ZS?end=2021&locations=BJ&most_recent_year_desc=true&start=1971&view=chart&year=2017">85 % en 2016 à 68 % en 2019, avant de remonter à 77 % en 2021</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-est-forte-de-sa-jeunesse-mais-doit-investir-dans-leducation-79213">L’Afrique est forte de sa jeunesse mais doit investir dans l’éducation</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’obligation scolaire pour tous les enfants entre cinq et onze ans, décrétée en 2006, n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Par ailleurs, en 2015, 35,17 % des élèves ayant achevé le cycle primaire ont <a href="https://knoema.fr/atlas/B%c3%a9nin/topics/%c3%89ducation/%c3%89ducation-secondaire/Taux-dabandon-scolaire-pour-les-enfants-%c3%a0-l%c3%a2ge-dentr%c3%a9e-au-premier-cycle-de-lenseignement-secondaire">abandonné l’école à ce moment-là</a>.</p>
<p>En milieu rural, ce phénomène est encore plus marqué, car pour les ménages pauvres, il est souvent très compliqué de soutenir le coût d’une longue scolarisation, et les enfants apparaissent comme une potentielle force de travail : il peut sembler plus rationnel de leur apprendre au plus vite un métier manuel plutôt que les envoyer poursuivre leur scolarité. Certes, les classes populaires rurales ne sont pas homogènes : certains parents souhaitent voir leurs enfants poursuivre une bonne scolarité jusqu’à l’université et font leur possible pour cela. C’est toutefois au sein des ménages ruraux pauvres que le décrochage scolaire est le plus marqué.</p>
<p>Dans cet article, j’examine les conditions dans lesquelles les enfants quittent l’école avant la fin du cycle primaire ou dès les premières années du collège dans l’arrondissement rural de Tanvè (dans le sud du Bénin) où je mène des enquêtes de terrain depuis maintenant cinq ans. Comment expliquer que des enfants qui ont régulièrement de bonnes notes à l’école arrêtent leur scolarité pour apprendre un métier ? De quels métiers s’agit-il, comment se passe la formation et quelles sont les perspectives des enfants concernés ?</p>
<h2>Maintenir les enfants à l’école est une décision difficile</h2>
<p><a href="https://books.google.be/books?hl=en&lr=&id=YmkmDwAAQBAJ">Indépendamment du fait qu’ils proviennent d’un milieu très pauvre</a>, certains enfants progressent bien durant leur cursus à l’école primaire, occupant régulièrement un bon rang dans le classement scolaire. Néanmoins, il arrive qu’ils échouent à l’examen national du certificat d’études primaires (CEP), passé à la fin du cycle d’études primaires. Aussi banal qu’il puisse paraître, cet échec peut avoir des répercussions majeures sur la suite de la scolarité.</p>
<p>En effet, dans un contexte de précarité économique, où la finalité de la scolarisation n’est pas nécessairement d’accumuler des diplômes alors <a href="https://www.afrobarometer.org/wp-content/uploads/2022/02/ab_r7_policypaperno59_emploi_au_benin.pdf">qu’ils ne garantissent plus l’accès à un travail salarié</a>, le moindre accroc au parcours scolaire devient un argument pour arrêter l’école.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>On l’observe au sein de ménages vivant de travaux agricoles, dont les revenus sont saisonniers, et donc précaires. Ce contexte ajoute une difficulté au maintien des enfants à l’école, surtout lorsque le nombre d’enfants à charge est élevé. C’est le cas de Sylvain, âgé de 19 ans en 2021 au moment de notre rencontre, deuxième enfant d’une fratrie de neuf et ayant vécu avec ses deux parents agriculteurs au cours de sa scolarisation. Son père se souvient avec fierté des excellents résultats scolaires de son fils, qui a même été le meilleur élève de sa classe de CM2 :</p>
<blockquote>
<p>« On était aux champs, et la nouvelle est arrivée. Ses camarades disaient : c’est Sylvain ! C’est Sylvain le premier de la classe ! Nous, nous n’en savions rien à ce moment-là ; s’ils n’étaient pas venus annoncer cela, on n’aurait pas su que les résultats étaient arrivés. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré sa progression tout au long de l’année scolaire, il échoue à l’examen national du CEP. Les redoublements ne sont pas bien accueillis par certains parents, car cela implique un investissement infructueux pour des ménages déjà caractérisés par une certaine précarité. En effet, la mesure de <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20110225-gratuite-ecole-benin">gratuité de l’école primaire mise en place dès 2006</a> n’évite pas aux parents l’ensemble des charges liées à la vie scolaire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-numerique-peut-il-reinventer-leducation-de-base-en-afrique-76871">Le numérique peut-il réinventer l’éducation de base en Afrique ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>C’est ainsi qu’après cette expérience, Sylvain – alors âgé de 13 ans – décide de concert avec son père d’aller en apprentissage de maçonnerie. Cette formation, tout comme de nombreuses autres formations à des métiers manuels, présente l’avantage de permettre aux jeunes de s’émanciper rapidement. En effet, ils reçoivent une rémunération au cours des contrats de construction pour subvenir à leurs besoins quotidiens tandis que, durant les week-ends, ils font des petits boulots de réparation ici et là, grâce aux compétences qu’ils ont acquises, afin de gagner de l’argent pour leur propre compte.</p>
<p>Au moment où je rencontre Sylvain en 2021, il a terminé ses quatre années d’apprentissage et est en attente de son diplôme. La durée relativement courte des formations – entre trois ans et six ans selon le domaine choisi – est l’autre facteur qui motive les décisions liées à l’apprentissage d’un métier manuel. L’investissement est donc moins onéreux et l’entrée sur le marché du travail plus rapide.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="école primaire au Bénin" src="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C1381%2C1035&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">École primaire publique de Dékanmey, située dans l’arrondissement rural de Tanvè au Bénin en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>S’il est difficile pour les ménages où les deux parents sont présents de maintenir leurs enfants à l’école, cela l’est encore davantage pour les ménages dirigés par une femme seule, car des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2004-4-page-41.html">travaux menés sur la pauvreté au Bénin</a> ont montré que le faible niveau d’éducation, le secteur d’activité (informel) et la taille du ménage accroissent le risque de pauvreté des femmes cheffes de ménages en milieu rural.</p>
<p>La mère de Judi se retrouve dans cette situation. C’est une femme d’une quarantaine d’années, qui n’a jamais été scolarisée. Elle est veuve d’un premier mariage. Judi est l’un des enfants de ce premier mariage. Sa mère s’est remariée et a eu trois autres enfants, mais est désormais séparée de son mari. Quatre enfants, dont Judi, vivent avec elle à plein temps, et c’est sur elle que repose leur charge. Elle a une petite activité de fabrication artisanale de fromage de soja, mais peine à joindre les deux bouts.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KWaHVwOBQQE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Malgré ces difficultés familiales, Judi réussit brillamment son CEP à l’âge de 13 ans. Il entame ensuite son année de sixième au collège et obtient à l’issue de cette année une moyenne générale de 14/20. Cependant, il arrête l’école peu après (en 2021) et entame un apprentissage de maçonnerie, comme Sylvain. Pour sa mère, le coût d’une longue scolarisation est insoutenable, d’autant qu’elle n’est pas assurée que son fils trouvera du travail plus tard. La question du financement d’une scolarisation qui se prolonge est un problème crucial pour les femmes cheffes de ménage, dont les ressources ne sont pas conséquentes, et qui ne peuvent pas planifier une telle prise en charge sur une longue durée avec leurs maigres revenus.</p>
<p>L’analyse de ces deux cas montre d’une part que dans ces milieux précarisés, un redoublement peut avoir des conséquences radicales sur la scolarité et, d’autre part, que les longues études sont parfois incompatibles avec les revenus des ménages, alors que la durée relativement courte des apprentissages de métiers manuels les rend plus attractifs. Par ailleurs pour certains jeunes, l’apprentissage est la meilleure option car les connaissances dispensées à l’école sont trop théoriques à leurs yeux.</p>
<h2>À l’école, des connaissances trop théoriques</h2>
<p>L’avantage de l’apprentissage pour les jeunes est qu’il s’agit d’une activité pratique, qui permet de créer et de toucher du doigt ce que l’on fait. Durant l’apprentissage, les jeunes développent une représentation de la réussite sociale qui s’appuie sur une forme de <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/arss_0335-5322_1978_num_24_1_2615.pdf">culture anti-école</a>. Une jeune couturière m’a présenté ainsi les raisons pour lesquelles elle a opté pour l’apprentissage :</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu vas à l’école, tu ne sais pas concrètement ce que tu apprends, ni ce que tu vas en faire. Or, quand tu apprends un métier, tu sais où tu en es, et ce que tu es capable de faire. »</p>
</blockquote>
<p>Ce besoin d’acquérir un savoir pratique afin de pouvoir en faire quelque chose immédiatement est largement partagé par les jeunes de ces milieux. Certains sont rapidement invités à travailler avec des équipes de construction d’infrastructures dans le village. Par exemple, plusieurs jeunes maçons et menuisiers locaux ont participé à la construction récente de la deuxième école publique du village. Voir leurs enfants travailler pour le village est un motif de fierté pour les parents, et la source d’un sentiment de réussite et d’accomplissement pour ces jeunes.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-perspectives-pour-leconomie-africaine-en-2023-198047">Quelles perspectives pour l’économie africaine en 2023 ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En somme, les difficultés liées au financement d’une scolarité qui se prolonge, la difficulté à s’approprier des connaissances trop théoriques à l’école et la crainte de reporter le début de l’autonomie produisent une distance par rapport aux <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-2-page-5.htm">figures classiques de réussite</a>, au profit d’un apprentissage de métier manuel qui garantit une insertion professionnelle rapide et une autonomie personnelle.</p>
<h2>Avoir un capital scolaire pour apprendre un métier</h2>
<p>Avant d’aller en apprentissage de métier manuel, les jeunes évoqués ci-dessus sont passés par l’école. En effet, l’obligation et la gratuité de l’école primaire, même imparfaitement mise en œuvre, ont largement contribué à augmenter le taux de scolarisation, et même à maintenir les enfants à l’école un peu plus longtemps en fonction des moyens du ménage.</p>
<p>En outre, même si de nombreuses carrières scolaires en milieu rural restent relativement courtes, l’acquisition de quelques notions scolaires est malgré tout valorisée, voire indispensable pour faciliter l’assimilation des connaissances en apprentissage. Il est ainsi devenu important pour les populations rurales de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-1999-4-page-153.htm">posséder des rudiments scolaires</a> pour, une fois cet apprentissage terminé, pouvoir intégrer un marché du travail très mouvant et ne pas subir un déclassement social et professionnel dans leurs nouvelles professions, où une connaissance élémenentaire du français et des notions de mathématiques peuvent s’avérer bien utiles. In fine, les gains – même maigres – de l’éducation engendrent, pour ceux qui sont dans des professions indépendantes ou informelles, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014759670800070X">distinction et une plus-value</a> précieuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201490/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu des financements ULB, AUF et ARES </span></em></p>Entre une scolarisation qui se prolonge et l'apprentissage d'un métier, le choix de certains ménages ruraux au Sud du Bénin pour l'avenir de leurs enfants se porte souvent sur la seconde option.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925352022-10-17T15:45:24Z2022-10-17T15:45:24ZAprès le Mali, le Burkina : avis de tempête pour la France au Sahel<p>Après le <a href="https://theconversation.com/au-sahel-la-france-poussee-dehors-176067">Mali</a>, le Burkina Faso est le deuxième coup de semonce pour Paris. Qu’à Ouagadougou un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/live/2022/10/06/burkina-faso-comment-expliquer-le-putsch-dans-le-putsch-posez-vos-questions-a-nos-journalistes_6144661_3212.html">putschiste succède à un autre</a> ne devrait pas être un problème pour les autorités françaises, qui ont toujours su s’accommoder des régimes militaires africains. Sauf que le second putsch s’est accompagné d’un message inquiétant pour Paris.</p>
<p>Dès son premier discours, le nouvel homme fort du pays, le capitaine Ibrahima Traoré, a parlé de <a href="https://burkina24.com/2022/10/01/burkina-le-mpsr-veut-sorienter-vers-dautres-partenaires-capables-de-laider-efficacement-dans-la-lutte-contre-le-terrorisme/">s’orienter vers « d’autres partenaires »</a> capables d’aider efficacement le Burkina dans la lutte contre le terrorisme. Plus tard, il a accusé la France de soutenir et protéger son prédécesseur, le lieutenant-colonel Damiba. La tentative de contre-putsch du lieutenant-colonel Damiba a d’ailleurs été immédiatement attribuée à la France, suscitant une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3niUmBeYCjI">mobilisation violente de jeunes portant des drapeaux russes</a>.</p>
<h2>De défaites en putschs</h2>
<p>Au Burkina Faso, le second putsch est une conséquence de l’inexorable dégradation de la situation sécuritaire. Plus les pays couverts par la <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/operations/operation-barkhane">mission Barkhane</a> sont déstabilisés, plus la présence militaire française y est critiquée et délégitimée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-sahel-la-france-poussee-dehors-176067">Au Sahel, la France poussée dehors</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le Mali, le Burkina Faso et, dans une moindre mesure, le <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/niger-l-armee-doit-se-battre-contre-les-djihadistes-et-la-corruption-387163">Niger</a> s’enfoncent dans une conflictualité de plus en plus confuse où il n’y a pas deux forces en confrontation comme dans une guerre ou une guérilla classiques mais où une multitude d’acteurs s’affrontent (forces de sécurité, milices communautaires, groupes djihadistes, bandes armées, etc.) et où la frontière entre djihadisme, banditisme et luttes intercommunautaires pluriséculaires est particulièrement floue.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Au Sahel, la criminalisation et <a href="https://www.cairn.info/revue-communications-2020-2-page-147.htm">l’ethnicisation du djihadisme</a> sont des dynamiques fortement déstabilisatrices contre lesquelles l’intervention française, même en combinant action militaire et aide au développement, ne peut rien. Tandis que ce conflit multidimensionnel et régional s’exacerbe, les forces de sécurité nationales perdent du terrain et la <a href="https://www.la-croix.com/Au-coeur-Sahel-%C3%89tat-islamique-etend-massacres-succedent-2022-06-17-1301220540">population paie le prix fort</a>. Les forces burkinabés ne contrôlent plus que <a href="https://sahel-intelligence.com/27897-burkina-faso-40-du-territoire-hors-du-controle-de-letat-mediateur.html">60 % du territoire national</a> et les forces maliennes probablement <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/04/1117982">moins de 50 %</a>.</p>
<p>Cet effondrement sécuritaire produit des putschs en cascade au Mali et au Burkina Faso qui n’emportent pas seulement les pouvoirs en place mais remettent aussi en question leur principal partenaire sécuritaire : la France.</p>
<h2>La France dans le viseur</h2>
<p>Au Sahel et plus généralement en Afrique francophone, la mission Barkhane est vue par l’opinion publique comme un stratagème de l’État français pour piller cette région du monde.</p>
<p>En Afrique, les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/sahel-la-france-perd-le-combat-sur-les-reseaux-sociaux-395771">réseaux sociaux abondent d’accusations</a> les plus farfelues sur ce que ferait réellement l’armée française au Sahel (exploitation minière, vol de bétail et même soutien aux djihadistes). En France, la majorité de la classe politique n’est pas encore prête à avouer que <a href="https://esprit.presse.fr/article/jean-baptiste-jeangene-vilmer-et-denis-tull-et-thierry-vircoulon/ce-sable-sur-lequel-on-batit-la-politique-francaise-au-sahel-43587">Barkhane est un échec</a> et que la France s’est fourvoyée dans une guerre qu’elle ne peut pas gagner et dont elle ne sait pas comment sortir.</p>
<p>Les autorités françaises pratiquent l’art de l’évitement et attribuent les manifestations de rejet et les décisions des autorités maliennes et burkinabés aux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MkXp1cHjwaE">manipulations de Moscou</a>. Mais si les campagnes russes de désinformation sont <a href="https://www.irsem.fr/media/5-publications/etude-irsem-83-audinet-le-lion-ok.pdf">si efficaces</a>, c’est qu’elles trouvent une caisse de résonance avec le ressentiment profond qu’éprouvent les régimes et populations du Sahel à l’égard de la politique française.</p>
<p>Malheureusement, face à l’exacerbation du conflit, ni Paris ni les pouvoirs africains n’ont l’honnêteté d’assumer leur échec. Les « partenaires » se rejettent donc ouvertement la responsabilité de l’échec – chacun ayant besoin d’un bouc émissaire. Comme la défiance a remplacé la confiance, la condition fondamentale du partenariat sécuritaire n’existe plus.</p>
<h2>La voie étroite</h2>
<p>À supposer qu’elle soit possible, la refondation des relations franco-africaines que le président Macron avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VsSIgXofR-E">annoncée à l’université de Ouagadougou</a> en novembre 2017 ne peut avoir d’effet qu’à long terme. De même, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046243021">nomination d’un ambassadeur pour la diplomatie publique en Afrique</a> et l’intensification de l’activisme numérique de la diplomatie française ne changeront pas grand-chose à l’opinion publique africaine, voire la conforteront dans ses certitudes anti-françaises. Le rétablissement de la confiance sera de toute façon une tâche de longue, voire de très longue haleine.</p>
<p>Si le gouvernement français veut tirer les leçons des erreurs passées et réussir le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/02/le-niger-laboratoire-de-barkhane_6133067_3212.html">repositionnement de Barkhane sur le Niger</a> et la défense des États côtiers, il faut s’interroger sur l’existence ou non des conditions du partenariat de sécurité : avons-nous encore des intérêts convergents ? Y a-t-il encore un minimum de confiance ? Évaluer sérieusement les forces de sécurité partenaires est aussi un impératif : quel est leur agenda ? Sont-elles cohésives ? Quel est leur degré de corruption et de fragmentation ?</p>
<p>Cela éviterait sans doute de miser sur des armées qui sont travaillées par de graves problèmes structurels, sont le reflet d’un nationalisme aux abois et sont de plus en plus tentées par l’aventure putschiste. Enfin, occuper le terrain pour éviter l’arrivée de mercenaires russes ne saurait être l’unique justification de la présence militaire française car cela conduira à un enlisement de plus en plus impopulaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut Français des Relations Internationales et expert de l'Initiative Globale contre le Crime Organisé. </span></em></p>À l’instar du Mali il y a quelques mois, le Burkina Faso, qui vient également de connaître un putsch militaire, semble à son tour déterminé à se détourner de la France.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1920462022-10-11T19:16:32Z2022-10-11T19:16:32ZÉpidémie de Covid-19 en Afrique : quelles spécificités ?<p>Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les nombres de cas et de décès en Afrique se sont avérés très inférieurs <a href="https://theconversation.com/Covid-19-que-sait-on-de-la-propagation-du-sars-cov-2-en-afrique-164908">à ce qui était observé sur les autres continents</a>. Le continent africain a en effet été cinq fois moins touché en moyenne que l’Europe, avec, toutefois, d’importantes variations géographiques. Cette observation inattendue a conduit à se demander s’il y a une <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0010735">spécificité du continent africain face à cette maladie</a>, ou si cette particularité observée ne résulterait pas d’autres facteurs.</p>
<p>Un point important à prendre en compte pour évaluer l’ampleur de l’impact du Covid est la capacité de surveillance épidémiologique des pays, qui dépend directement des systèmes de santé nationaux. Au-delà de toute considération qualitative, cette capacité peut être évaluée en premier lieu en se basant sur le <a href="https://data.worldbank.org/indicator/SH.MED.BEDS.ZS">nombre de lits d’hôpitaux par habitant</a>.</p>
<p>En Afrique, ces capacités sont très variables d’un pays à l’autre mais ne dépassent pas 3,2 ‰ au nord de l’Afrique et 2,7 ‰ au Sud – une densité faible en comparaison de l’Europe, où le nombre de lits d’hôpitaux est en moyenne de 5,5 ‰. Ces capacités sont particulièrement faibles en Afrique de l’Ouest, où il ne dépasse pas 0,4 ‰ (Mauritanie) et peut descendre jusqu’à 0,1 ‰ (Mali).</p>
<p>Cette analyse suggère une forte sous-estimation du nombre des cas et des décès, d’un facteur 8,5 en moyenne par comparaison à l’Europe. Ce biais est particulièrement marqué en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Burkina Faso, Tchad, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Niger, Sénégal, Guinée, Mali) et en Afrique de l’Est (Ouganda, Éthiopie, Madagascar) où la sous-estimation peut atteindre des facteurs 10 à 20, parfois au-delà.</p>
<p>Néanmoins, cela ne suffit pas à expliquer entièrement les différences observées.</p>
<p>Un second facteur, démographique, peut être identifié. Il a pu être évalué en prenant en compte la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus (sur lesquelles le Covid-19 a un impact plus fort). Cette proportion, plus faible en Afrique, permet cette fois d’expliquer une large part des différences observées.</p>
<p>Une fois ces deux facteurs pris en compte, nombre de cas et de décès sont du même ordre de grandeur qu’en Europe : lacunes du système de surveillance et spécificité démographie apparaissent donc comme les facteurs prédominants. À l’échelle du continent, les analyses ne font pas ressortir d’autres facteurs significatifs (épidémiologiques, géographiques ou climatiques) susceptibles de contribuer à cette spécificité africaine.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Quatre cartes permettent de montrer que réseaux de surveillance sanitaire et démographie sont les deux facteurs majeurs pour expliquer la spécificité de l’Afrique" src="https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488552/original/file-20221006-14-y23r1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Distributions statistiques et géographiques des nombres de cas (à gauche) et de décès (à droite). Sans prendre en compte la sous-estimation des réseaux de surveillance et la démographie (en haut), on observe une très forte disparité entre l’Europe et l’Afrique. Les différences sont considérablement réduites en prenant en compte ces effets (en bas).</span>
<span class="attribution"><span class="source">N. Thenon, M. Peyre, M. Huc, A. Touré, F. Roger, S. Mangiarotti</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La théorie du chaos pour analyser une dynamique épidémique</h2>
<p>Pour étudier l’évolution temporelle de l’épidémie sur le continent africain, nous avons réalisé une analyse de sa dynamique pour dix-sept pays en nous appuyant sur la technique de modélisation globale employant la théorie du Chaos (ou théorie des systèmes dynamiques non linéaires). Trouvant sa source dans les travaux d’Henri Poincaré à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, elle est parfaitement adaptée pour travailler sur les comportements déterministes présentant une forte sensibilité aux conditions initiales et donnant lieu à des évolutions imprévisibles à long terme.</p>
<p>Contrairement aux approches mathématiques classiques, la théorie du chaos s’appuie sur l’« espace des phases » (ou des états) : un « espace » qui décrit les états successivement « visités » par le système étudié. Son intérêt vient de ce qu’il peut contenir toutes les solutions du système étudié, et offrir (théoriquement) la représentation complète d’une dynamique indépendamment des conditions initiales.</p>
<p>Cette technique de modélisation est ainsi bien adaptée aux événements peu prévisibles comme les épidémies de maladies transmissibles en général et de maladies émergentes en particulier.</p>
<p>De façon pratique, une <a href="https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/est-il-possible-de-retrouver-les-equations-qui-gouvernent-la-dynamique-dun-systeme">approximation algébrique des équations qui gouvernent l’épidémie a pu être obtenue, indépendamment des conditions initiales et directement à partir des observations</a>.</p>
<p>L’approche a été précédemment <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0960077915002933">testée sur l’épidémie de peste de Bombay (1896-1911)</a> et <a href="https://aip.scitation.org/doi/10.1063/1.4967730">sur celle d’Ebola d’Afrique de l’Ouest (2013-2016)</a>.</p>
<p>Appliquée à la Chine dès les premières semaines de l’épidémie, elle avait permis d’obtenir un <a href="https://labo.obs-mip.fr/multitemp/bulletin-gpom-epidemiologic/">premier modèle chaotique dès le 5 février 2020</a>, mettant en évidence la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/epidemiology-and-infection/article/chaos-theory-applied-to-the-outbreak-of-covid19-an-ancillary-approach-to-decision-making-in-pandemic-context/07A53305F996B2B9498F25606DB83B0B">forte imprévisibilité de l’épidémie ainsi qu’un risque important de redémarrages</a>. La stratégie zéro-Covid a permis de revenir rapidement à un niveau de propagation très bas, mais l’<a href="https://theconversation.com/omicron-les-problemes-que-pose-un-variant-trois-fois-moins-severe-mais-deux-fois-plus-transmissible-174587">arrivée du variant Omicron</a> a conduit à un tel redémarrage début 2022.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Selon les paramètres employés, la modélisation montre la possibilité de redémarrage de l’épidémie (sous forme de pics différents)" src="https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488565/original/file-20221006-18-k605tr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Simulations du nombre de nouveaux cas journaliers de Covid-19, en Chine, sur une période de 80 jours (à compter du 1ᵉʳ janvier 2020). Un des modèles obtenus en mai 2020 pour la dynamique de l’épidémie montrait, par les comportements intermittents obtenus, que des redémarrages étaient possibles en fonction des mesures sanitaires mises en œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S. Mangiarotti, M. Peyre, Y. Zhang, M. Huc, F. Roger et Y. Kerr</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Application au cas de l’Afrique</h2>
<p>Dans l’étude présentée ici, cette approche a été appliquée en <a href="https://coronavirus.jhu.edu/map.html">partant des nombres de nouveaux cas ou de décès dus au Covid-19 en Afrique</a>.</p>
<p>L’analyse a permis de mettre en évidence des dynamiques chaotiques pour de nombreux pays : l’état de départ détermine rigoureusement le comportement à venir mais la moindre différence à ce niveau, de même que les moindres perturbations qui y feront suite, vont modifier entièrement la succession des états, ce qui le rend imprévisible.</p>
<p>Des modèles chaotiques ont pu être obtenus pour la majorité des pays africains étudiés. Ils montrent qu’en première approximation l’évolution de l’épidémie dépend essentiellement de quelques variables principales dont les couplages rendent l’évolution imprévisible à long terme – variables non identifiables ici puisqu’on ne recourt qu’aux observations des nombres de cas et aux décès.</p>
<p>Fait original, ces modèles montrent une certaine diversité dans leurs dynamiques chaotiques. Le plus inattendu est celui du Ghana, qui présente un comportement dit « bistable » : pour des conditions épidémiques, sanitaires et des stratégies d’atténuation identiques, la progression de la maladie peut se développer à des niveaux épidémiques différents, tout en présentant une superposition des distributions du nombre de nouveaux cas journaliers.</p>
<p>Ce résultat est important car il montre l’importance des mesures prises en début d’épidémie mais aussi la possibilité de relâcher en partie la sévérité des contraintes une fois le régime ramené à un bas niveau.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Impact des politiques d’atténuation</h2>
<p>Pour suivre l’impact des politiques d’atténuation, on s’appuie communément sur le « nombre de reproduction » ou R0 (nombre des personnes contaminées, en moyenne, par personne déjà infectée) ; s’il est inférieur à un, l’épidémie va décroître, s’il est supérieur, elle va progresser. Quoique très important, il ne permet pas de distinguer l’effet des mesures prises – pharmaceutiques (vaccination, médication) ou d’atténuation (masques, etc.).</p>
<p>Les mesures d’atténuation visent justement à réduire le transfert du virus en diminuant les contacts journaliers entre individus : être capable d’estimer leur variation peut donc apporter une information directe sur l’efficacité des mesures adoptées. Nous avons développé une méthode pour reconstruire l’évolution du nombre de contacts depuis le début de l’épidémie à partir du nombre de nouveaux cas journaliers, pour la même sélection de dix-sept pays africains.</p>
<p>Le nombre de contacts ainsi reconstruit a ensuite pu être comparé à d’autres indices :</p>
<ul>
<li><p>L’indice de sévérité, développé par l’Université d’Oxford, qui vise à rendre compte du niveau de contrainte des politiques d’atténuation mises en œuvre à l’échelle des pays.</p></li>
<li><p>Les indices de mobilité, mis à disposition par le Google Community Mobility Reports, qui informe sur les variations de niveau de mobilité et de confinement.</p></li>
</ul>
<p>Les résultats montrent une chute abrupte du nombre de contacts en début d’épidémie, souvent directement suivie par une décroissance plus lente. Ce qui peut être attribué à la fois aux efforts d’information sur l’évolution en temps réel de l’épidémie (et recommandations associées) dont l’effet peut être très rapide sur les comportements de la population, et aux contraintes mises en œuvre pour limiter les flux entrants et minimiser les contacts. Certaines de ces contraintes peuvent nécessiter une réorganisation sociale et ainsi être plus lentes à se mettre en place – leur effet est donc progressif et possiblement retardé.</p>
<p>La diminution du nombre de contacts en début de pandémie a généralement été suivie d’oscillations plus ou moins amples, dont la relation avec les mesures d’atténuation n’est pas évidente à comprendre. Divers éléments peuvent permettre d’expliquer les différences observées entre nombre des contacts reconstruits, niveau des contraintes mises en œuvre et niveau de mobilité.</p>
<p>Dans la plupart des cas, les politiques d’atténuation semblent avoir permis de maintenir le nombre de contacts à un niveau suffisamment bas pour éviter des reprises rapides de l’épidémie, et ce malgré la remontée des activités attestée par les indices de mobilité. Un tel comportement apparaît tout à fait cohérent avec le régime bistable obtenu pour le Ghana.</p>
<p>Une augmentation très nette du nombre de contacts est aussi observée dans tous les pays début 2022, ce qui coïncide avec l’<a href="https://theconversation.com/comment-le-variant-omicron-ba-2-a-repousse-les-limites-initiales-du-Covid-19-177292">arrivée du variant Omicron</a>, moins virulent mais plus contagieux. Cette augmentation ne peut donc pas être interprétée comme un effet des politiques de restriction, mais comme une évolution de la dynamique de l’épidémie.</p>
<p>Il serait intéressant d’appliquer cette approche à d’autres contextes, notamment en Asie du Sud-Est où l’efficacité de la stratégie zéro Covid est difficile à évaluer. L’évaluation de cette stratégie demanderait également de considérer les aspects économiques et sociaux.</p>
<h2>Durabilité</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 présente nombre de similitudes avec des pandémies précédentes (difficultés à identifier et comprendre les modes de transmission dominants, controverses sur les traitements, défiance vis-à-vis des vaccins, etc.)… Mais elle présente aussi des spécificités inédites : rapidité de progression mondiale, prédominance apparente dans les pays riches, réactivité aussi bien dans les stratégies d’atténuation (confinements, fermetures des frontières…) que médicales (développement de nouveaux vaccins). Elle se caractérise également par la production d’une masse de données considérable et une circulation fulgurante de l’information quasiment en temps réel.</p>
<p>Cette réactivité nous a toutefois un peu fait oublier qu’une épidémie ne peut pas être réduite à un problème biologique. Le rôle de l’homme et de ses activités en amont (perte de biodiversité, productions agricoles uniformisées et intensives, conditions sanitaires pouvant favoriser la propagation des virus et leur transfert à l’homme, etc.) ne peut être oublié. Cette tendance montre l’importance de considérer la <a href="https://theconversation.com/le-concept-one-health-doit-simposer-pour-permettre-lanticipation-des-pandemies-139549">santé comme un tout intégré – « Une seule santé » (One Health) –</a> et incluant ses différents niveaux (santé humaine, animale, végétale) à l’échelle planétaire. Les épizooties et les épidémies émergentes des dernières décennies (H5N1, Ebola en Afrique de l’Ouest, SARS, MERS, etc. et aujourd’hui le Covid-19) montrent de façon criante que cette problématique n’a rien d’une vue de l’esprit.</p>
<p>Les défis générés sont tout aussi grands que les enjeux qu’ils sous-tendent. D’où la nécessité de disposer de nouvelles approches, capables de mieux appréhender la problématique épidémiologique, dans sa diversité et sa complexité.</p>
<p>Point crucial : les comportements épidémiologiques sont essentiellement dynamiques. Une épidémie n’est pas une succession d’états épidémiques indépendants… Il faut donc comprendre comment ces états successifs sont reliés. Or, ceci est tout particulièrement difficile dans le cas de maladies émergentes, les composantes de cette dynamique (populations humaines, animales ou végétales) comme le rôle des facteurs en jeu (conditions environnementales, climatiques, etc.) n’étant pas toujours bien identifiés – ni même accessibles à l’observation. Et leurs couplages sont souvent mal connus et complexes.</p>
<p>Les outils les plus en vogue actuellement pour traiter les problèmes d’une telle complexité sont basés sur l’intelligence artificielle. Ils ont montré une très grande puissance pour de nombreuses applications mais requièrent généralement d’énormes jeux de données pour disposer d’un appui statistique suffisant. Or, l’émergence de nouveaux virus ne permet pas cela, surtout en début d’épidémie lorsque son développement reste local, mais pas seulement.</p>
<p>En effet, la propagation de l’épidémie contribue à augmenter le nombre de sites où des observations sont menées et donc à disposer de très gros jeux de données quoique de courte durée. Cette augmentation ne permet généralement pas de compenser la courte durée d’observation : il y a une trop grande diversité des contextes géographiques, sociétaux, sanitaires, etc. La variabilité est trop grande.</p>
<p>De plus, en début d’épidémie émergente, on ne dispose pas des tests capables d’identifier de façon fiable la maladie en jeu. De même, le nombre des personnes asymptomatiques est très difficile à évaluer et leur rôle à estimer.</p>
<p>Ces difficultés montrent l’importance des approches capables de s’attaquer à la complexité de la situation et à la frugalité des données… le tout dans des situations où les connaissances sont limitées. C’est dans cette optique que se placent les analyses basées sur la théorie du Chaos, dont nous confirmons ici la pertinence.</p>
<hr>
<p><em>Nathan Thénon, diplômé de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (2021), a également participé à l’élaboration de cet article. En utilisant les outils de modélisation du Chaos développés au Centre d’études spatiales de la biosphère, il a contribué à l’analyse de données de l’épidémie de Covid-19 présentée ici. Mireille Huc est ingénieure CNRS. Elle est responsable de la maintenance du package en langage <a href="https://CRAN.R-project.org/package=GPoM">R Global Polynomial Modelling (GPoM)</a>, la plate-forme numérique dédiée à l’extraction d’équations de la dynamique à partir de séries observationnelles utilisée dans cette analyse.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Covid n’a pas eu en Afrique la même ampleur qu’en Europe notamment. Pourquoi ? Deux facteurs clés ont été identifiés. Et la théorie du Chaos a prouvé son intérêt pour modéliser de telles épidémies.Sylvain Mangiarotti, Researcher at Centre d'Etudes Spatiales de la Biosphère (CESBIO), Institut de recherche pour le développement (IRD)Abdoulaye Touré, Professeur agrégé en santé publique, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC)François Roger, Directeur régional Asie du Sud-Est, vétérinaire et épidémiologiste, CiradMarisa Peyre, Deputy head of ASTRE research unit, epidemiologist, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1906172022-09-22T18:43:08Z2022-09-22T18:43:08ZAu Bénin, construire à tout prix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485563/original/file-20220920-18-em2inb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5455%2C3631&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de Cotonou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/cityscape-sunset-view-cotonou-benin-republic-1719771760">sope Adelaja/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Construire et habiter « chez soi » sont, au Bénin comme dans bien d’autres pays d’Afrique – du <a href="https://journals.openedition.org/com/6443">Togo</a> à la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-modern-african-studies/article/middle-class-construction-domestic-architecture-aesthetics-and-anxieties-in-tanzania/121A60413113E3609D7F6E55D4844722">Tanzanie</a> et du <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2020-1-page-115.htm?contenu=article">Mali</a> au <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/morality-in-the-middle-choosing-cars-or-houses-in-botswana/7314905F3E781CC64B2DAB40DE6A50C5">Botswana</a> –, des ambitions largement partagées par tous ceux qui, des classes populaires aux élites, parviennent à s’assurer des revenus un minimum stables et suffisants pour dégager une certaine épargne.</p>
<p>La construction artisanale est ici la norme, le propriétaire engageant un maçon et son équipe pour édifier la maison. Seule la construction d’un bâtiment à étages demande l’intervention de techniciens en bâtiment qualifiés. De tels projets ne concernent fondamentalement que l’élite et les fractions supérieures des classes moyennes, concentrées dans les grandes agglomérations que sont Cotonou, Porto-Novo ou Parakou, même si leur présence est aussi visible ailleurs, au travers des quelques maisons à étages et petits immeubles des agglomérations plus modestes.</p>
<p>Dans les villes secondaires et les campagnes, et même dans les périphéries des grandes villes, une nette majorité des projets de construction en restent au niveau du rez-de-chaussée, et se négocient entre un propriétaire auto-promoteur et un maçon. La croissance urbaine importante du pays, où les statistiques officielles estiment désormais que la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=BJ">moitié des quelque 12 millions de Béninois vivent en ville</a>, se nourrit largement de cette <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2019-2-page-85.htm?ref=doi&contenu=article">dynamique d’auto-construction</a> dans laquelle chacun s’engage corps et biens. Dépôts de ciment et de matériaux de construction, mais aussi chantiers d’habitations, sont d’ailleurs <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:145150">omniprésents</a> dans un pays littéralement en chantier.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’avancée du front urbain à Togbin, dans la banlieue de Cotonou, où quelques constructions déjà achevées cohabitent avec chantiers d’ampleurs diverses et parcelles de maraîchers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les enjeux de cette croissance urbaine sont <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3352">multiples</a>, et sa planification délicate. Mais pour les gens mobilisés par ces projets, l’investissement dans la construction et l’accès à la propriété sont à la fois une question de conditions d’existence et de possibilités ultérieures d’accumulation, et une question de reconnaissance sociale fondamentale.</p>
<h2>Les voies tortueuses de la construction</h2>
<p>En juillet 2022, dans Abomey, une petite ville de province, je repassai voir Guy (les prénoms ont été modifiés), une vieille connaissance que j’avais fréquentée il y a une douzaine d’années. La quarantaine bien engagée, celui-ci s’était vu allouer il y a une quinzaine d’années un emplacement dans la parcelle de son père, afin d’y construire son propre logement. Plombier de profession, il disposait à l’époque de revenus lui permettant un niveau suffisant d’épargne pour s’engager dans un tel projet, et il se mit donc au travail. Il conçut le plan d’un bâtiment de quatre petites chambres et un salon, et parvint en quelques années à faire élever les murs jusqu’au niveau où viendrait se poser la charpente.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Au début des années 2010, sa mère tombe malade et ses affaires commencent à péricliter, sous l’effet, dit-il, d’une concurrence accrue au sein de la profession de plombier dans la petite ville de province où il réside, Abomey. En 2014, il décide de s’engager dans une formation pour devenir instituteur. Un emploi salarié lui garantirait au moins des revenus réguliers. Toutefois, le niveau de revenus qui est le sien aujourd’hui ne lui permet plus de poursuivre son projet de construction.</p>
<p>Des 60 000 francs CFA par mois qu’il gagne (un peu plus de 90 euros) pendant l’année scolaire, il doit en effet d’abord retirer 10 000 francs pour payer l’essence de ses trajets en moto jusqu’au village où il a été affecté, et le reste est entièrement absorbé par les soins que demande l’état de sa maman – « cela me ruine », glisse-t-il –, la scolarisation de ses deux adolescents dans une école privée, et par les frais du ménage, auxquels sa femme, vendeuse de sucre sur le marché local, contribue de façon marginale. Guy habite toujours aujourd’hui dans un bâtiment construit par son père, qu’il partage avec certains de ses frères. Il y a une dizaine d’années désormais que son projet de maison est à l’arrêt, et se transforme doucement en la ruine inachevée d’un rêve brisé…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Maison inachevée abandonnée" src="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La maison inachevée de Guy à Abomey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est assurément dans les classes populaires, où se côtoient petits indépendants, artisans, paysans et petits employés, que le défi de la construction se pose avec la plus grande acuité.</p>
<p>Chez l’ensemble des propriétaires de milieux modestes que j’interroge depuis plus d’un an lors de mes séjours au Bénin sur les motivations et les contours de leurs projets de construction, j’entends des récits soulignant la persévérance et les privations que requiert l’édification d’une maison, et les stratégies d’épargne parfois radicales qu’ils mettent en place pour y parvenir, consacrant parfois plus de la moitié de leurs revenus à leur projet de construction au moment de la fabrique des parpaings et de l’édification des murs.</p>
<h2>Construction et réalisation de soi</h2>
<p>C’est que les enjeux sont considérables, à la mesure des investissements réalisés et des sacrifices consentis. L’édification d’une maison est un accomplissement majeur et une source fondamentale de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02723638.2017.1286839">reconnaissance sociale</a>. La consécration, aussi, d’une certaine indépendance économique et statutaire. En particulier, dans une société où l’on répète volontiers que « si tu n’as rien, tu n’es rien », construire et habiter son « chez soi » est une manière essentielle de s’affirmer en tant qu’homme.</p>
<p>Les projets de construction, en effet, se conçoivent le plus souvent de manière individuelle dans un pays où les finances restent gérées de manière <a href="https://odagnelie.github.io/docs/lemay_dagnelie_jid.pdf">très largement séparée</a> au sein du couple. Et même si l’on croise parfois un couple ayant mis ses ressources en commun pour construire ensemble, c’est d’abord aux hommes que revient le devoir d’édifier l’habitation familiale. Les femmes peuvent certes, elles aussi, construire leur propre maison. C’est même là un signe de réussite auquel aspirent en particulier les cadres et les grandes commerçantes, mais aussi celles qui s’avèrent capables de dégager une épargne, et que les liens conjugaux rompus ou distendus ont rendues cheffes de ménage. D’une femme qui a construit, on pourra d’ailleurs dire pour souligner son mérite qu’elle « a agi comme un homme »…</p>
<p>L’enjeu toutefois n’est pas de la même nature, et touche moins directement à l’accomplissement d’un idéal féminin. Car pour ce qui est des hommes, « il a construit », « il est chez lui », ou au contraire « il n’a jamais fabriqué une brique dans sa vie », sont autant de manières dont peut être rapportée au quotidien la valeur des individus et jaugée leur réalisation de l’idéal masculin. Et le jugement est d’autant plus sévère sur ceux qui, salariés ou cadres dans la fonction publique ou dans le secteur privé, ont été en position de construire mais n’ont « rien réalisé », et que la doxa populaire accuse alors typiquement d’avoir dilapidé leur argent dans les plaisirs des femmes et de la fête…</p>
<p>C’est ainsi que chacun investit dans une maison qui peut devenir une véritable mise en scène de sa réussite. Dans les couches supérieures de la population, on construit volontiers de grandes maisons à étages, de plus en plus souvent entourées de murs d’enceinte surmontés de barbelés, avant de rivaliser dans la qualité des finitions et des équipements, des jeux de lumières des plafonniers à la qualité du carrelage, au confort du salon et à la taille des écrans plats.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’aménagement progressif du salon dans les classes populaires, où l’on investit souvent les lieux avant la réalisation des finitions. L’embellissement des lieux pourra encore s’étaler sur plusieurs années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les milieux populaires, les préoccupations esthétiques passent au second plan, mais on s’efforce de plafonner puis éventuellement de peindre les murs de parpaings, d’installer un faux plafond qui isolera un peu de la chaleur du toit de tôles, et peut-être plus tard de carreler la pièce de vie. La possession d’un salon meublé et d’une télévision viendront compléter ce que parents, voisins et amis apprécieront à sa juste valeur comme une belle réalisation. Mais les aléas de l’existence et les imprévus des trajectoires les mieux planifiées prélèveront aussi leur tribut sur les projets engagés, et bon nombre de constructions en resteront finalement à un niveau d’aménagement plus sommaire…</p>
<h2>Construction et accumulation</h2>
<p>La maison, toutefois, n’est pas seulement un lieu crucial d’accomplissement social, à travers lequel se donne à voir un jeu subtil de distinction entre classes et fractions de classes. Elle peut aussi devenir, en particulier dans les milieux populaires et les classes moyennes, un site non moins crucial d’accumulation. Un certain nombre de petits propriétaires construisent en effet dans leur parcelle d’autres logements, avec l’intention de les louer et d’en tirer des revenus complémentaires, susceptibles aussi de devenir leur « assurance vieillesse » une fois qu’ils auront cessé de travailler.</p>
<p>Christian est un mécanicien approchant désormais la quarantaine et vivant lui aussi à Abomey, que j’ai connu en 2021 par l’intermédiaire d’un ami. En 2019, il a revendu sa modeste maison à un voisin qui voulait agrandir sa propre parcelle, réalisant au passage une petite plus-value qui lui a permis de construire l’habitation où il vit désormais.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-sources-de-financement-pour-les-pme-beninoises-du-secteur-informel-102027">Quelles sources de financement pour les PME béninoises du secteur informel ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Sa nouvelle construction est plus grande que la précédente, et la plus-value lui a aussi permis de construire à côté de sa propre maison une habitation plus petite, formée d’une chambre et d’un salon, qu’il destine à la location. Christian s’auto-contraint à l’épargne pour un peu plus d’un demi-million de francs CFA par an (soit un peu plus de 800 euros), via des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1468-0084.2011.00641.x">systèmes d’épargne rotative</a> connus en Afrique sous le nom de « tontines ». Une telle somme représente sans doute un peu plus du tiers de ses revenus. À son agenda des prochaines années figure en bonne place la réalisation d’autres logements de ce type, avec lesquels il partagera une partie de sa cour, et qui lui fourniront progressivement des revenus complémentaires non négligeables.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La maison de Christian. A gauche, un logement en cours de finition qu’il destine à la mise en location. Au premier plan, le tas de ciment témoigne de la volonté de Christian de ne pas s’arrêter à ce stade de la construction.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les fractions supérieures des classes moyennes et parmi les élites, on investit volontiers dans l’achat de parcelles, à des fins spéculatives – croissance démographique et croissance urbaine font monter rapidement le prix des terrains à bâtir – ou pour y construire des logements destinés à la mise en location. Dans les classes populaires et fractions inférieures des classes moyennes, c’est davantage la parcelle d’habitation elle-même qui accueille ces projets d’accumulation et de diversification de ses sources de revenus.</p>
<p>Au final, dans une société béninoise où la construction se révèle être une passion sociale majeure, l’édification d’une maison constitue un moment clé dans la <a href="https://www.berghahnbooks.com/title/NoretSocial">stabilisation d’une position sociale</a> et la concrétisation d’une forme de réalisation de soi. Entre ceux qui seront parvenus à bâtir leur propre édifice et ceux qui, pour des raisons diverses, y auront échoué, passe une double ligne de partage, qui distingue les uns des autres à la fois dans l’ordre matériel des conditions d’existence et dans l’ordre symbolique de la reconnaissance sociale. Logée au cœur des investissements et des désirs de larges pans de la population, la construction des maisons s’avère ainsi un lieu privilégié d’exploration des rapports sociaux et des aspirations qui font la dynamique d’une société africaine d’aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS, Belgique).</span></em></p>Au Bénin, construire sa propre maison est un accomplissement social majeur, dans lequel ceux qui en ont les moyens s’engagent avec passion, chacun à la mesure de ses possibilités et de ses ambitions.Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842652022-06-07T18:18:01Z2022-06-07T18:18:01ZBonnes feuilles : « Entrer en guerre au Mali »<p><em>Nous publions un extrait du nouvel ouvrage de Johanna Siméant-Germanos, Grégory Daho et Florent Pouponneau, enseignants-chercheurs en science politique, respectivement au département de Sciences sociales de l’ENS, au département de Sciences Politique de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, à Sciences Po Strasbourg <a href="https://presses.ens.psl.eu/598-a-paraitre-entrer-en-guerre-au-mali.html">« Entrer en guerre au Mali »</a>, paru dans la Collection « Sciences sociales » de Rue d’Ulm. Ce passage s’intéresse à l’opération militaire Serval menée par l’armée française au Nord Mali en 2013-2014.</em></p>
<hr>
<h2>La stratégie française en Afrique</h2>
<p>Serval ne serait-il qu’un énième soubresaut de la Françafrique ? En matière d’interventions africaines de la France, une rupture marque le milieu des années 1990. La mise en cause du rôle de la France au Rwanda, la doctrine Balladur conditionnant le soutien à l’alignement sur les critères du Fond monétaire international et de la Banque mondiale, puis la doctrine jospinienne du « ni ingérence ni indifférence », ont contribué à un retour en grâce du discours évoquant la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03459581/">fin de la Françafrique</a>. </p>
<p>Le redéploiement de la stratégie française qui semble s’opérer en Afrique, et avec quelques exceptions unilatérales, <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-1-page-85.htm">notamment en Côte d’Ivoire en 2002</a>, se matérialise à travers la promotion multilatérale de nombreux programmes de coopération visant une régionalisation de la sécurité du continent : Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP), Réformes du Secteur de la Sécurité (RSS), Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR). Si l’appui aux groupements régionaux est le principe autour duquel la France articule aujourd’hui sa diplomatie sécuritaire – à l’image de la mobilisation de la Cédéao en amont de l’opération Serval, le regain d’intérêt américain pour le continent se manifeste par une autre option : le soutien direct à <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-afrique_les_strategies_francaise_et_americaine_niagale_bagayoko_penone-9782747556712-16054.html">certains États-pivots</a> (Afrique du sud, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Sénégal).</p>
<p>Pourtant, c’est bien la France, et non l’Union européenne ou une force onusienne, qui est entrée en guerre au Mali. Serval semble constituer sous cet aspect un « unilatéralisme régionalisé » : si la mise en œuvre unilatérale de l’intervention militaire ne fait aucun doute (malgré, on le verra, la dépendance aux moyens de transport et de surveillance américains et l’appui sur les troupes tchadiennes), sa préparation et sa légitimation empruntent un registre multilatéral. La politique africaine de la France continue donc à se traduire par « une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03459581/">ingérence ointe du Saint-Sacrement multilatéral, onusien, africain ou européen</a> dans lequel elle ne respecte jamais vraiment le jeu multilatéral et africain qu’elle prétend jouer ». </p>
<p>En d’autres termes, la gestion multilatérale des crises africaines n’est pas incompatible avec les logiques unilatérales héritées de l’histoire coloniale. La France a moins abandonné sa tradition néocoloniale qu’elle n’a été poussée à le faire du fait de la <a href="https://www.routledge.com/French-Defence-Policy-Since-the-End-of-the-Cold-War/Pannier-Schmitt/p/book/9781138084629">rétraction de ses moyens et de l’affaiblissement de sa légitimité</a>. Et les interventions de l’UE s’effectuent avec un pays leader qui a toutes les chances d’être un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09639480802201560">ancien pays colonial</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_yBk8ToitEE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Serval, une brigade au combat (Ministère des Armées, 29 avril 2015).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La lutte contre le terrorisme</h2>
<p>Une autre particularité distingue Serval dans l’histoire des interventions françaises en Afrique. On a certes affaire à une opération éclair rendue possible par l’héritage colonial – des accords de défense, des forces prépositionnées, des savoir-faire et des attentes réciproques entre autorités françaises et maliennes. Mais le Mali ne faisait pas partie historiquement du pré carré foccartien, et les affinités entre élites politiques malienne et française n’avaient rien à voir avec celles qui caractérisaient à l’inverse le Congo, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire – voire le Sénégal.</p>
<p>En 1960, le Mali avait annoncé brutalement son indépendance, et opté pour une voie socialiste. Considéré comme un <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315796307-18/french-military-intervention-mali-exactly-fran%C3%A7afrique-definitely-postcolonial-isaline-bergamaschi-mahamadou-diawara">État aux faibles ressources naturelles</a>, le Mali est un « pays pauvre très endetté » (PPTE) dont la France reste le 2<sup>e</sup> bailleur de fonds en matière d’Aide publique au développement (APD). Si intérêt économique à intervenir il y avait, il renvoyait d’abord au Niger voisin, pourvoyeur d’uranium. L’intervention ne relève donc pas simplement du jeu classique des transactions de la Françafrique.</p>
<p>L’intervention au Mali doit donc être replacée dans la séquence qui s’ouvre à partir de 2001 aux États-Unis et une dizaine d’années plus tard en France : la systématisation de la « lutte contre le terrorisme ». On ne peut simplement considérer cette narration comme un habillage rhétorique tant ses effets sont structurants sur la légitimation et l’énonciation des façons de faire la guerre, de la justifier et de la financer. En particulier, l’opération Barkhane, qui suivra Serval, est souvent décrite à la lisière de l’anti-terrorisme et du <em>State building</em>.</p>
<h2>La légitimité de l’opération Serval</h2>
<p>En premier lieu, la légitimité politique de ces interventions provient des mandats internationaux même si, en toute rigueur, la justification multilatérale de l’action française en Côte d’Ivoire en 2002 ou au Mali en 2013 intervient <em>a posteriori</em>. Ensuite, la légitimation d’une intervention passe par l’opportunité : dans le cas malien, en plus de la « colonne » matérialisant la menace, les mauvais calculs des « groupes djihadistes ». En troisième lieu, l’intervention nécessite des ressources financières obérées par le remboursement des déficits publics. Ces ressources conditionnent les effectifs et les moyens utilisés (hommes au sol, soutien aérien, système de surveillance, location d’avions de transport de troupes et de matériel). Enfin, le soutien national constitue le dernier niveau de préparation d’une intervention : au-delà de l’implication des corps intermédiaires et autres relais d’opinion (journalistes, parlementaires, industriels, chercheurs…), la plupart des travaux montrent que ce soutien décline sur la durée.</p>
<p>Autrement dit, l’ancienneté de la présence militaire en Afrique n’est qu’un facteur, majeur certes, parmi d’autres pour expliquer la morphologie d’une opération éclair (en tout cas prévue comme telle à son enclenchement), au même titre que la participation régulière aux interventions multilatérales post-guerre froide, la réactivité de la chaîne décisionnelle ou l’expertise professionnelle reconnue aux officiers par les autorités politiques. C’est par l’articulation de l’ensemble de ces facteurs que les autorités françaises ont pu conforter la légitimité multilatérale de l’intervention tout en conservant une forte autonomie opérationnelle par rapport aux Nations unies.</p>
<p>Le cadrage anti-terroriste de l’intervention au Mali contribue à deux effets non intentionnels : la <a href="https://academic.oup.com/ia/article-abstract/96/4/895/5866425">recherche par les États</a> d’une <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-au-mali--9782707176851-page-76.htm">rente internationale</a> de la [lutte antiterroriste], et, sur le plan analytique, une lecture étroitement sécuritaire dépolitisant les enjeux locaux. Or l’histoire des irrédentismes septentrionaux, touaregs en particulier – et leur articulation croissante aux bouleversements sahéliens, montre que le ralliement aux thématiques dont les organisations « djihadistes » étaient porteuses renvoie aussi à l’histoire longue des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03159007/document">insatisfactions</a>, et de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2019-2-page-453.htm">leur politisation</a>, au Nord du Mali.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Entrer en guerre au Mali, Luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française – Grégory Daho, Florent Pouponneau et Johanna Siméant-Germanos.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ENS PSL</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le <a href="https://www.jstor.org/stable/42003346?seq=1">soulèvement initial</a>, provenant du MNLA, animé par des jeunes <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-1-page-160.htm">Touaregs</a> éduqués, ralliés par des aînés qui revenaient de Libye, a vite été « doublé » par des organisations « djihadistes », parmi lesquels Ansar Dine, dirigée par Iyad al Ghaly, qui profitèrent de la déstabilisation provoquée pour prendre le dessus au Nord. Les logiques du ralliement ont varié selon les lieux de leur ancrage et ce qu’elles proposaient : le Mujao, par exemple, a essentiellement recruté à Gao dans les premiers temps, en s’appuyant notamment sur un conflit foncier ancien entre Peuls et Touaregs, avant d’être rallié par de grands commerçants, trafiquants et notables de la communauté Lemhar. On comprend que le discours répandu chez une partie des officiers de l’armée française d’un MNLA partenaire potentiel, s’il a sa propre rationalité, néglige les logiques particulièrement complexes du ralliement aux soulèvements du nord.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre du colloque « Modernités africaines. Conversations, circulations, décentrements », qui a lieu du 9 au 11 juin 2022 à l’ENS-PSL, sur les campus Jourdan et Ulm. <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/conference-olivier-legrain-sciences-et-societe/2022">Retrouvez ici le programme</a> de ces échanges</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184265/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johanna Siméant-Germanos est membre de la Ligue des Droits de l'Homme. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florent Pouponneau et Grégory Daho ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Entre lutte contre le terrorisme et interrogations sur la pérennité de la Françafrique, quelle légitimité pour l’intervention française au Mali ?Johanna Siméant-Germanos, Professeure de science politique, École normale supérieure (ENS) – PSLFlorent Pouponneau, Maître de conférences en science politique, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgGrégory Daho, Maître de Conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819122022-05-10T21:47:42Z2022-05-10T21:47:42ZLe niébé, une alternative pour la souveraineté alimentaire des pays d’Afrique subsaharienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462214/original/file-20220510-22-a45d3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C3695%2C2428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un producteur dans un champ de niébé au Sénégal.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Appartenant à la famille des Fabaceae, le niébé <em>Vigna unguiculata (L.) Walp</em> est une légumineuse à graines originaire d’Afrique, aujourd’hui cultivée dans presque toutes les <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-018-34555-9">régions tropicales et subtropicales</a>. Le niébé représente la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S037842900300039X?via%3Dihub">plus importante culture</a> de légumineuse à graines d’Afrique subsaharienne, en particulier dans les zones de savane aride à semi-arides. Les principaux pays producteurs sont le Nigéria et le Niger qui représentent à eux deux près de la moitié de la production mondiale.</p>
<p>Cette denrée de base, exploitée et valorisée de manière efficiente, pourrait constituer un véritable rempart contre la malnutrition et la dépendance vis-à-vis de certains produits comme le riz, les protéines animales et le blé, dont on mesure aujourd’hui, à la lumière du conflit Russo-Ukrainien, les vulnérabilités pour les populations subsahariennes. Le niébé offre aussi un large éventail de possibilités gastronomiques, pour la plupart méconnues. Par exemple, plus de 50 plats peuvent être réalisés avec ce dernier, incluant entrées, plats de résistance, desserts, et <a href="https://www.enqueteplus.com/content/diversification-des-fili%C3%A8res-les-merveilles-du-ni%C3%A9b%C3%A9">même le pain</a> !</p>
<h2>Origine et distribution géographique du niébé</h2>
<p>Après la domestication de ses formes sauvages par les premiers cultivateurs d’Afrique, dès le Néolithique, le niébé fut rapidement introduit en Inde. Les dates de l’introduction du niébé en Europe divergent et font toujours l’objet de débats entre scientifiques, mais tout le monde s’accorde sur le fait que le niébé y était déjà consommé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vigna_unguiculata">quelques siècles avant notre ère</a>. Alors appelé dolique à œil noir, habine des Landes ou haricot Mongette de Provence, il était cultivé dans le sud de la France avant son remplacement progressif par le haricot commun (<em>Phaseolus vulgaris</em> L.), plus productif et mieux adapté aux climats tempérés.</p>
<h2>Importance nutritionnelle, patrimoniale et socio-économique du niébé</h2>
<p>Le niébé occupe une bonne place dans les politiques de diversification agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre. À ce titre, les états de la région tentent d’accompagner le regain d’intérêt pour cette plante locale longtemps délaissée malgré ses nombreuses vertus et en particulier ses qualités nutritionnelles. Avec un contenu en protéines supérieur à 20 %, la graine mûre représente une source importante d’acides aminés. Elle contient une grande quantité d’amidon (50 à 67 %) et présente de fortes teneurs en fibres alimentaires et en vitamines de type B (acide pantothénique ou acide folique). La graine est également riche en microéléments essentiels, tels que le fer, le calcium et le zinc et possède une faible de teneur en matière grasse, ce qui en fait une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jsfa.7644">ressource très intéressante</a> d’un point de vue nutritionnel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462262/original/file-20220510-26-y5ht2m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graines de niébé.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Seule la présence de quelques facteurs antinutritionnels, qui peuvent réduire la digestibilité ou bien la biodisponibilité de certains minéraux essentiels (Magnésium, Calcium, Fer, Zinc), <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10904935/">constituent des freins</a> pour l’acceptabilité et la promotion de cette légumineuse à graine. L’utilisation des différentes techniques de préparation et des efforts dans la sélection variétale visant à réduire ces composés antinutritionnels pourraient permettre de limiter les effets indésirables et d’améliorer encore les vertus du niébé.</p>
<p>En Afrique subsaharienne, le niébé est un aliment de base très prisé pour ses feuilles, ses gousses vertes et ses graines sèches pour l’alimentation humaine, ou pour ses fanes riches en protéines, qui constituent un fourrage de qualité pour le bétail. En plus de leur haute teneur en protéines, comparable aux graines mûres, les fanes présentent des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jsfa.7644">taux d’acides aminés essentiels</a> encore plus élevés. Ces dernières sont une ressource très prisée durant la saison sèche car les paysans qui récoltent et stockent le fourrage de niébé pour la vente en pleine saison sèche augmentent leurs revenus de 25 %.</p>
<p>Dans la moitié nord du Sénégal, la récolte des cultures vivrières traditionnelles, comme le mil, le sorgho, l’arachide, et les variétés tardives de niébé sous forme de gousses sèches ont généralement lieu entre octobre et décembre. La possibilité de récolter les variétés de niébé à cycle court, c’est-à-dire à récolte précoce, est très importante car elle procure de la nourriture à un moment de l’année où les greniers sont presque vides (période de soudure).</p>
<p>La vente des gousses est aussi une opportunité pour les producteurs, et notamment les femmes qui sont très souvent impliquées dans la culture, la récolte et la vente de niébé, d’obtenir des revenus à une période critique où les prix des autres denrées sont au plus haut.</p>
<p>Depuis plusieurs années, cette spéculation est passée d’une culture vivrière à une culture de rente, au même titre que l’arachide. Le circuit de transformation du niébé est très prometteur : non seulement le prix est plus rémunérateur, mais il y a aussi beaucoup plus de possibilités de valorisation. Les transformatrices sénégalaises disent que tout ce qui peut être réalisé avec le mil, le maïs et le riz, peut l’être avec le niébé.</p>
<h2>Modes de cultures et services écosystémiques</h2>
<p>En Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal et au Burkina Faso, le niébé joue un rôle majeur dans la rotation ou l’association avec des cultures de céréales (maïs, mil et sorgho), en particulier en zones caractérisées par une faible pluviométrie et des sols peu fertiles. Au Sénégal, le niébé est surtout cultivé dans les régions de Diourbel, Louga et Thiès. Avec à peine 300-500 mm d’eau par an et une pluie erratique qui se répartit sur les trois mois d’hivernage (juillet-septembre), cette zone est sujette aux sécheresses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462263/original/file-20220510-24-dwulh0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Champ de niébé au Sénégal.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’utilisation par les producteurs de plusieurs variétés améliorées par la recherche agricole, qui bouclent leurs cycles en 2 mois, permet de limiter l’impact des sécheresses et d’obtenir des gousses fraîches en pleine période de soudure.</p>
<p>Outre ces variétés à cycle court, d’autres variétés très appréciées des producteurs à port érigé ou rampant sont également disponibles. Grâce à l’utilisation de semences de qualité, les rendements en graines peuvent atteindre 800 kg, voire 1,3 tonne par hectare avec les nouvelles variétés.</p>
<p>En dépit d’une teneur en protéines importante, les besoins en azote minéral pour la culture du niébé sont peu élevés. Ce paradoxe peut s’expliquer par une particularité commune à une grande partie des légumineuses qui sont capables de fixer le diazote atmosphérique présent en abondance dans l’air grâce à une interaction symbiotique avec des bactéries du sol, appelées rhizobiums. Cette symbiose fixatrice d’azote procure aux légumineuses un avantage net dans des sols pauvres et représente un levier d’amélioration de la productivité des cultures associées complémentaires telles que le mil, le sorgho ou le maïs, et participe à la durabilité des agroécosystèmes.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-recherche-participative-au-senegal-une-bonne-recette-pour-booster-lagriculture-124828">La recherche participative au Sénégal, une bonne recette pour booster l’agriculture</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Afin d’améliorer la production tout en respectant l’environnement, divers types de biofertilisants sont utilisables comme les engrais organiques ou le compost (résidus d’origine végétale et/animale décomposés, stabilisés et enrichis) qui sont couramment utilisés mais insuffisants pour couvrir de grandes surfaces de cultures. L’inoculation de microorganismes promoteurs de croissance des plantes, comme les bactéries fixatrices d’azote (rhizobiums) ou les champignons endomycorhiziens, représentent également un levier potentiel d’amélioration de la production du niébé et <em>a minima</em> de stabilisation des rendements en graines. Leur utilisation par inoculation, une technique simple d’apport en masse des microorganismes sélectionnés au moment du semis, est en cours de structuration au Sénégal avec le développement d’unités de production de champignons mycorhiziens en milieu paysan.</p>
<h2>Opportunités, attentes des communautés d’acteurs et mesures d’accompagnement nécessaires</h2>
<p>Pour l’heure, au Sénégal, les principaux freins au développement de cette culture sont l’accès à des semences de qualité, la pauvreté des sols, les ravageurs, les processus de transformation et l’organisation de la filière.</p>
<p>Pour lever ces freins, il est donc nécessaire de soutenir les sélectionneurs qui développent des variétés de niébé plus résistantes à la sécheresse et aux principaux ravageurs de culture. La sélection de variétés résistantes permettant une lutte préventive contre les ravageurs est d’autant plus importante que les traitements curatifs par des produits phytosanitaires qui accroissent les problèmes sanitaires (risques d’intoxication), économiques (coûts de ces produits) et environnementaux (appauvrissement des sols, pollution des nappes). Les pratiques culturales, comme l’association niébé-céréale, peuvent également atténuer l’impact de certaines maladies. Pour renforcer ou diversifier le circuit de transformation, le financement de projets intersectoriels permettant d’intégrer et de valoriser le savoir-faire local est primordial, par exemple le développement de solutions et de sites dédiés à la bonne conservation des grains, la transformation et leur commercialisation. </p>
<p>Si un cadre national interprofessionnel de la filière niébé a récemment été mis en place, cette interprofession doit cependant être renforcée et représentative de tous les acteurs. En parallèle, il est fondamental de structurer la recherche autour de vastes programmes multidisciplinaires et de soutenir le transfert à grande échelle des résultats qui en sont issus. Seule une action en ce sens des décideurs politiques et des bailleurs permettra le développement de cette filière niébé à haut potentiel pour les pays d’Afrique subsaharienne, mais aussi pour les pays du sud de l’Europe qui font face à des sécheresses de plus en plus fréquentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181912/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le niébé est une légumineuse à haute valeur nutritionnelle qui pourrait servir de rempart à la malnutrition.Jean-Christophe Avarre, Chercheur en écologie virale, Institut de recherche pour le développement (IRD)Antoine Le Quéré, Chercheur en écologie microbienne, Institut de recherche pour le développement (IRD)Mouhamadou Moussa Diangar, Selectionneur / Généticien niébé, Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA)Moustapha Guèye, Agronome, Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811932022-04-19T16:39:17Z2022-04-19T16:39:17ZEnvol des prix, insécurité alimentaire… les lourdes conséquences pour l’Afrique de la guerre en Ukraine<p>Dès les premiers jours de l’invasion russe en Ukraine, Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/la-crainte-de-famines-en-raison-du-conflit-en-ukraine-augmente-1393091">tirait la semaine d’alarme</a> : « Bon nombre de pays africains subissent déjà une grande insécurité alimentaire. Le Soudan, l’Éthiopie et toute la région de la Corne de l’Afrique sont en difficulté, ce que la flambée récente des prix des denrées alimentaires va accentuer ». Et Emmanuel Macron d’enchaîner : « l’Union européenne doit redéfinir une stratégie alimentaire à l’égard de l’Afrique sans quoi plusieurs pays seront touchés par des famines dans les douze à dix-huit prochains mois ».</p>
<p>De fait, le conflit semble s’enliser en Ukraine et la situation pourrait devenir <a href="https://ferdi.fr/publications/conflit-russie-ukraine-quelles-consequences-sur-les-economies-africaines">intenable pour les pays d’Afrique</a> : difficulté d’approvisionnement et envol des prix des biens alimentaires et énergétiques préoccupent. Surtout que ces économies ont peu de marge de manœuvre pour aider leur population du fait d’un environnement macroéconomique dégradé.</p>
<p>La dépendance aux exportations ukrainiennes et russes reste un problème de taille qu’il s’agisse des produits agricoles, de l’énergie ou des matériaux nécessaires à la production d’infrastructures sur le continent. Depuis 2016, dans les importations de blé du continent, les productions russes et ukrainiennes pèsent pour environ 45 % du total, 30 % pour l’orge, 20 % pour le maïs. Pour les huiles de tournesol, c’est 45 % des importations totales. Et ces produits représentent 35 % des biens alimentaires importés sur le continent.</p>
<p><iframe id="uwjdo" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uwjdo/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="qhqmC" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/qhqmC/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Hors du secteur alimentaire, une logique similaire concerne le soufre, les combustibles minéraux, les produits chimiques, les engrais essentiels à la production agricole ou encore les matériaux en fer, acier ou cuivre dont le continent a besoin pour ses infrastructures. La dépendance envers la Russie et Ukraine est, ici, certes moins marquée : entre 5 et 20 % des importations de ces produits, qui eux-mêmes représentent 25 % des importations totales du continent. À court terme cependant des tensions seront perceptibles, le temps pour les pays de trouver d’autres fournisseurs, si ceux-ci ne mettent pas en place de <a href="https://www.ifpri.org/blog/bad-worse-how-export-restrictions-exacerbate-global-food-security">restrictions aux exportations</a>.</p>
<h2>38 millions de victimes</h2>
<p>Même si certaines économies peuvent mécaniquement trouver plus facilement que d’autres à s’approvisionner ailleurs, les prix de ces biens vont fortement augmenter et ce phénomène touchera inévitablement tout le continent. C’est d’ailleurs la flambée des prix plutôt qu’une pénurie réelle des produits de première nécessité qui devrait se manifester en premier.</p>
<p>Avant le conflit, les prix mondiaux des denrées alimentaires atteignaient déjà des sommets historiques en 2021. L’inflation sur un an était à deux chiffres pour les huiles (+60 %) et les céréales (+30 %), avec un impact disproportionné sur les pauvres des villes. Les prix alimentaires mondiaux n’avaient <a href="https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/fr/">jamais été aussi hauts</a> d’après l’indice FAO et les prix de blé et du maïs ont augmenté de 20 % et 19 % en mars dernier, en un mois seulement. Les perturbations de l’offre mondiale et la hausse de l’inflation des denrées alimentaires en raison du conflit aggraveront cette insécurité alimentaire déjà présente en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. Selon les estimations récentes du <a href="https://www.ipcinfo.org/ch">cadre harmonisé</a> sur l’insécurité alimentaire dans cette région, <a href="https://www.food-security.net/wp-content/uploads/2022/04/108-FNS-March2022.pdf">38 millions de personnes</a> pourraient être les victimes collatérales en matière alimentaire de la guerre Russie-Ukraine.</p>
<p>Comment comprendre cette situation avant l’invasion ? Début 2022, la situation des stocks mondiaux sur les céréales était satisfaisante d’après la FAO. De plus, les perspectives de récoltes mondiales de céréales en 2022 sont bonnes. Les premières estimations indiquent en effet que la production mondiale de blé devrait connaître une quatrième hausse annuelle consécutive et atteindre 790 millions de tonnes. L’envolée des prix des céréales et des huiles précédant le déclenchement de la guerre semble donc davantage lié à des phénomènes spéculatifs dans un contexte de reprise post-Covid globalement inflationniste qu’à un défaut de stock.</p>
<p><iframe id="ANYAb" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ANYAb/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’alimentation et l’énergie pèsent lourd dans l’indice des prix des consommateurs : <a href="https://twitter.com/GitaGopinath/status/1499884852321075215/photo/1">50 % en Afrique</a> contre 30 % dans le reste du monde. Et les chiffres du FMI attestent d’une augmentation bien plus forte que pour les prix agricoles. En un an, ils ont été multipliés par cinq pour le gaz, par trois pour le charbon et par deux pour le pétrole.</p>
<p>Cette hausse était le fait d’une forte demande en provenance de la Chine et liée à la reprise économique post-Covid. Sur les dix pays les plus vulnérables à la hausse des prix du pétrole, car très dépendant des importations, huit sont considérés comme des <a href="https://fragilestatesindex.org/">États fragiles</a>. On note enfin une hausse des prix d’autres intrants en 2021 : +50 % pour les métaux et +100 % pour les engrais dont le prix a augmenté de 34 % sur le seul mois de mars.</p>
<p><iframe id="uMzA1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uMzA1/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En résumé, les pays les plus directement exposés sont ceux qui dépendent des importations en provenance de Russie et d’Ukraine, pour des produits qu’ils importent en grande quantité et dont les prix vont augmenter. Ces critères mettent en évidence la vulnérabilité de <a href="https://ferdi.fr/publications/conflit-russie-ukraine-quelles-consequences-sur-les-economies-africaines">quatorze économies</a> sur le continent alors que dix-neuf autres présentent un risque élevé. Les onze autres économies présentent un risque plus modéré.</p>
<h2>Un choix cornélien</h2>
<p>Plusieurs pays, notamment ceux d’Afrique du Nord, le Nigeria et l’Afrique du Sud, ont des programmes de <a href="https://www.imf.org/en/Topics/climate-change/energy-subsidies">subvention de produits alimentaires et du carburant</a>. Dans un contexte de fort accroissement de l’endettement public dans la majorité des pays africains, leur poids pourrait cependant rapidement s’avérer insoutenable pour les gouvernements.</p>
<p>Au cours des 18 derniers mois, les gouvernements ont emprunté pour financer à la fois leur riposte face au Covid-19 et des mesures de relance. Le ratio dette publique/PIB de l’ensemble du continent est au plus haut depuis vingt ans, à plus de 65 %, contre 60 % fin 2020. Il dépasse même 100 % en Angola, au Mozambique, au Soudan et au Zimbabwe. Le FMI estime que <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/dsa/dsalist.pdf">22 pays</a> de l’Afrique subsaharienne sont dans une situation délicate en la matière.</p>
<p>Surtout, on remarque la substitution d’emprunts multilatéraux à long terme et à faible coût par des émissions privées à coût plus élevé au cours de la dernière décennie. Les risques sont donc plus importants et cela pourrait déclencher des sorties de capitaux de nombreux marchés émergents et pré-émergents. Or les pays le plus exposés aux risques liés au conflit sont justement ceux ayant une dette déjà très élevée relativement aux autres économies du continent.</p>
<p>Maintenir les systèmes de subvention en place dans ce contexte de surendettement semble peu soutenable du point de vue de la maitrise des déficits publics. Cependant, y renoncer, c’est courir le risque de déclencher des troubles sociaux. Rappelons que la flambée mondiale des prix des denrées alimentaires en 2007-2008 avait déclenché des <a href="https://www.jeuneafrique.com/19297/economie/dossier-agriculture-cinq-ans-apr-s-les-meutes-de-la-faim-le-doute/">émeutes</a> dans une douzaine de pays africains.</p>
<h2>Des opportunités néanmoins</h2>
<p>Tous ne connaîtront pas les mêmes difficultés. La hausse des prix des produits énergétiques aura des effets <a href="https://ferdi.fr/dl/df-wkHp6z7z3cPjvmmKqnDR2oPr/note-breve-b233-conflit-russie-ukraine-quelles-consequences-sur-les.pdf">hétérogènes en Afrique</a>. Pour les douze exportateurs nets de pétrole de la région, elle sera, comme on pouvait s’y attendre, profitable. Le Nigeria, l’Angola, et le Cameroun dans une moindre mesure, en bénéficieront sur le marché du pétrole mais souffriront de problèmes de capacités de production. Les quelques pays producteurs de gaz (Algérie, Nigeria, et Mozambique) également.</p>
<p>Pour ces pays, une opportunité de croissance se présenterait si l’Europe s’efforce de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. L’Algérie, Nigeria, le Sénégal, le Mozambique et la Tanzanie, qui représentent près de <a href="https://www.jeuneafrique.com/863516/economie/gaz-naturel-lafrique-pourrait-fournir-20-des-besoins-mondiaux-dici-2025/">10 % des réserves prouvées de gaz naturel dans le monde</a>, pourraient aussi bénéficier de la diversification énergétique en Europe. Les 27 ont en effet décidé récemment de classer le gaz comme <a href="https://reporterre.net/La-Commission-europeenne-labelise-comme-durable-le-gaz-et-le-nucleaire">énergie durable</a>.</p>
<p><iframe id="A6fRp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/A6fRp/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Attirer les acheteurs européens nécessiterait toutefois beaucoup de nouveaux investissements. En effet, en l’état actuel, un <em>shift</em> dans l’approvisionnement de gaz vers l’Afrique serait assez compliqué d’un point de vue logistique. Cela vaut notamment pour l’Algérie qui est considérée comme la meilleure alternative. En raison de désaccords diplomatiques, Alger a pris la décision de <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/l-algerie-ferme-le-robinet-du-gaz-vers-le-maroc-01-11-2021-2450121_3826.php">fermer le gazoduc</a> Maghreb-Europe qui approvisionne l’Europe via l’Espagne mais surtout via le Maroc.</p>
<p>Certaines économies du continent pourraient aussi bénéficier d’un effet de demande sur les métaux et les minerais face aux possibles problèmes d’acheminement ou embargo sur ces métaux russes. Il s’agit en particulier de l’Afrique du Sud, du Ghana et de la Tanzanie.</p>
<p>De quoi amener de la nuance au tableau donc, mais pas au point de faire oublier que les effets de la crise sur la plupart des pays d’Afrique pourraient être lourds de conséquences. La crise frappe la région à un moment où les pays disposent d’une marge de manœuvre minimale, voire inexistante après la pandémie Covid-19, pour contrer le choc. Il est donc certain qu’elle intensifiera les pressions économiques et les cicatrices auxquelles des millions de ménages et d’entreprises étaient déjà confrontés à la suite de la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181193/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gourdon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les gouvernements se trouvent aujourd'hui face à un choix délicat : s’endetter à des taux élevés, ou bien risquer manifestations et émeutes.Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797362022-03-24T18:42:01Z2022-03-24T18:42:01ZLa taille des aires protégées, un critère déterminant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454228/original/file-20220324-27-xogs9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un gardien et son troupeau, dans le parc national de Waza, au Cameroun. </span> <span class="attribution"><span class="source">Paul Scholte</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Avec le réchauffement climatique, le recul de la biodiversité représente l’une des plus grandes menaces pour la vie sur Terre… Dans notre série d'été « Protéger la nature, mais comment ? », nous mettons le cap sur les aires protégées, ces zones où l’on tente de préserver les ressources naturelles. Après <a href="https://theconversation.com/protection-de-la-biodiversite-retour-sur-levolution-des-aires-protegees-dans-le-monde-167495">le panorama mondial de ces espaces</a>, on s’intéresse dans ce second épisode à la question centrale de leur taille.</em> </p>
<hr>
<p>Le déploiement d’un réseau d’aires protégées reste aujourd’hui le principal outil à disposition des États pour développer des politiques visant à inverser la courbe du déclin de la biodiversité.</p>
<p>Identifier des territoires ayant de forts enjeux écologiques et leur donner un statut de protection plus ou moins contraignant <a href="https://theconversation.com/protection-de-la-biodiversite-retour-sur-levolution-des-aires-protegees-dans-le-monde-167495">n’est pas nouveau</a>.</p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/profile/Mark-Spalding-3/publication/288178320_Role_and_Trends_of_Protected_Areas_in_Conservation/links/5a38d131458515919e7275f8/Role-and-Trends-of-Protected-Areas-in-Conservation.pdf">En 1960</a>, on comptait environ 10 000 aires protégées qui s’étendaient sur environ 2 000 000 km<sup>2</sup>. En 2010, la base de données sur les aires protégées de l’IUCN (WDPA) recensait <a href="https://www.iucn.org/theme/protected-areas/our-work/world-database-protected-areas">177 547 zones</a> ayant un statut de conservation sur 17 millions de km<sup>2</sup> des terres émergées (12,7 % des continents et îles, hors antarctique) et 6 millions de km<sup>2</sup> dans les océans et côtes (1,6 % de leur surface).</p>
<p>En 2021, 16,6 % des terres et des écosystèmes aquatiques intérieurs bénéficient d’un statut de conservation, contre 7,7 % pour les milieux maritimes et côtiers.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419815/original/file-20210907-14-130igsm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte présentant la répartition des aires protégées au niveau mondial. Actuellement, plus de 22,5 millions de km² sur terre et 28 millions de km² en milieux marins et côtiers sont aujourd’hui protégés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.protectedplanet.net/en">protectedplanet.org</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>À chaque État de construire sa stratégie</h2>
<p>Chaque pays adopte sa propre stratégie nationale pour la délimitation de ses aires protégées. Ce faisant, les dénominations et les niveaux de protection de la biodiversité peuvent fortement fluctuer d’un pays à l’autre.</p>
<p>Afin de pouvoir évaluer l’efficacité des aires protégées sur la conservation de la biodiversité, l’IUCN propose un classement en fonction du niveau de protection qu’elles assurent. Sur les 6 classes proposées, les 3 premières (réserve naturelle intégrale/zone de nature sauvage, parc national et monument naturel) impliquent que la législation nationale doit prévoir une exclusion de toute action humaine en dehors de certaines activités touristiques.</p>
<p>La première classe implique même une limitation très stricte des entrées dans la zone, souvent exclusivement pour des motifs d’études scientifiques. Les trois autres classes (aire de gestion des habitats/espèces, paysage terrestre/marin protégé et zone de gestion de ressources protégées), incluent des espaces où la conservation de la biodiversité est assurée par des pratiques d’utilisation des ressources naturelles réglementée afin d’en assurer la durabilité (agriculture, urbanisme, collectes, chasse).</p>
<p>Ainsi, chaque État peut construire sa propre stratégie en fonction de ses contraintes législatives, sociales, économiques et écologiques, tout en s’assurant qu’il respecte bien les orientations de la Convention sur la bioversité biologique (CDB), ratifiée par 196 pays.</p>
<h2>La question centrale de la taille des aires protégées</h2>
<p>Construire un réseau national d’aires protégées dépend de nombreux facteurs comme la représentativité de la diversité des écosystèmes, l’endémisme et/ou le statut de conservation des espèces, les interactions avec les autres modes d’utilisation des terres, la dimension symbolique et patrimoniale de certains espaces ou, parfois, espèces, les moyens institutionnels et financiers du pays…</p>
<p>Toutefois, un grand nombre d’aires protégées historiques a été délimité en se basant sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2006-5-page-569.htm?contenu=article">paradigmes de l’écologie insulaire</a>, théorisant la taille minimum d’une population et la diversité d’une communauté pour assurer le bon fonctionnement de l’écosystème.</p>
<p>Vu sous cet angle, la géométrie, notamment la taille et la forme des aires protégées ont souvent été des <a href="https://bio.libretexts.org/Bookshelves/Ecology/Conservation_Biology_in_Sub-Saharan_Africa_(Wilson_and_Primack)/13%3A_The_Importance_of_Protected_Areas/13.05%3A_Designing_Protected_Areas">éléments de choix décisifs</a>.</p>
<p>D’autant plus que les objectifs d’Aichi, issue de la Convention sur la diversité biologique, mettent l’accent sur la surface minimum en aires protégées que les pays signataires s’engagent à classer. Fixée à 17 % pour 2020, elle sera revue à 30 % à horizon 2030 lors de prochaines négociations (COP15), régulièrement reportées à cause de la pandémie.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/biodiversite-proteger-30-de-la-planete-quid-des-70-restants-175779">Biodiversité : protéger 30 % de la planète… quid des 70 % restants ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Même si la communauté internationale s’accorde à dire que la surface en aires protégées n’est pas le seul indicateur permettant de s’assurer de l’efficacité des politiques de conservation de la biodiversité, il est massivement utilisé et pilote l’évaluation des pays en matière de volonté à contribuer à la lutte globale contre l’érosion de la biodiversité.</p>
<p>Il paraît ainsi pertinent de se demander si cet indicateur n’a pas eu, dans certains cas, un effet négatif sur la capacité des États à mettre en place une politique cohérente et appropriée de conservation et gestion de leur patrimoine écologique.</p>
<h2>Des initiatives à double tranchant dans les pays pauvres</h2>
<p>Pourquoi cette question, apparemment irrévérencieuse ? Gérer une aire protégée <a href="https://papaco.org/fr/wp-content/uploads/2019/03/etudesAP_configAP_FR.pdf">coûte de plus en plus cher</a>. Mettre en place des activités économiques qui permettraient à ce territoire de jouer son rôle dans l’économie nationale peut devenir un vrai fardeau, voire une tâche insurmontable pour certains pays ayant déjà du mal à organiser l’accès aux services essentiels pour sa population.</p>
<p>Bien que toutes les aires protégées n’impliquent pas une exclusion totale des activités humaines, notamment l’agriculture ou la collecte de ressources naturelles, elles restent un <a href="https://www.iied.org/social-environmental-trade-offs-african-agriculture">frein réel au développement</a> de certaines activités considérées comme les plus destructrices (mine, infrastructures lourdes, villes, agriculture intensive…), mais qui sont aussi celles qui pourraient potentiellement être les plus intéressantes au développement des pays les plus pauvres.</p>
<p>Au-delà donc des coûts de gestion et de valorisation de ces espaces, les conflits d’usages issus d’arbitrages socio-économiques en faveur de la conservation de la biodiversité peuvent venir contredire les impératifs de développement local sur de larges espaces nationaux, voire nier la dimension culturelle et traditionnelle de ces écosystèmes.</p>
<p>Ces ambiguïtés sont particulièrement saillantes dans les <a href="https://pubs.iied.org/14675iied">pays les moins développés de la zone tropicale</a>. La pression internationale pour qu’ils atteignent les objectifs de surface d’aires protégées est maximale, car ils abritent une grande partie des points chauds de biodiversité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454226/original/file-20220324-17-1s58kv9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cobes de Buffon dans le parc national de Waza (Cameroun).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paul Scholte</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>En Afrique, des dizaines de milliers de km² à gérer</h2>
<p>Pour certains pays, gérer efficacement ces espaces, immenses et souvent isolés, se révèle être totalement illusoire tant leurs moyens budgétaires et humains sont structurellement insuffisants.</p>
<p>C’est notamment le cas sur le continent africain. Malgré cette équation complexe, la zone subsaharienne a atteint les objectifs d’Aichi, avec <a href="https://data.worldbank.org/indicator/ER.LND.PTLD.ZS?locations=ZG">16,4 % des territoires classés</a> en aires protégées. Mieux, la moitié de ces pays ont un taux de couverture en aires protégées supérieur au taux global. Sept d’entre eux, dont la République centrafricaine, pays parmi les plus pauvres de la planète, ont <a href="https://www.protectedplanet.net/region/AF">même déjà atteint l’objectif</a> qui sera fixé pour 2030.</p>
<p>Dans le même temps, les indices de développement humain (IDH) du continent figurent parmi les moins élevés. En dehors de trois pays (Afrique du Sud, Botswana et Gabon), tous les états ont un IDH révélant un développement humain moyen à faible. Si certains pays d’Afrique australe et de l’Est ont réussi à valoriser leurs aires protégées, ce n’est pas le cas en Afrique centrale où, en dehors du secteur de la chasse sportive, les opportunités économiques sont quasi inexistantes ou très localisées.</p>
<p>Entre difficulté d’accès, insécurité régionale et manque de capitaux pour investir, le secteur touristique n’a jamais réussi à réellement percer. Fait aggravant, probablement reflet historique dans l’imaginaire collectif des grands espaces sauvages, l’Afrique (et particulièrement l’Afrique centrale) organise son réseau d’aires protégées autour de zones immenses dont la surface donne le vertige.</p>
<p>Plus de <a href="https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/33388/18LPAFR.pdf">20 % des aires protégées</a> de plus de 10 000 km<sup>2</sup> se trouvent en Afrique. Les parcs Manovo-Gounda St Floris et Bamingui Bangoran, formant une partie du complexe d’aires protégées du Nord de la République centrafricaine font, à eux seuls, plus de 28 000 km<sup>2</sup>, soit la taille de la Belgique.</p>
<p>Au total, selon nos calculs, ce sont plus de 42 000 km<sup>2</sup> qui ont un statut de conservation, soit presque la moitié de la superficie des deux préfectures du Nord de la RCA.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I2Q34a0LXfU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En République centrafricaine, le défi des écogardes face à la guerre et au braconnage (France24/Youtube, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La bataille des herbivores</h2>
<p>Dans ce contexte, est-il raisonnable d’imposer un modèle de conservation basé sur une surface minimale à protéger ?</p>
<p>Le projet Afrobiodrivers a permis l’analyse des <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/la-frb-en-action/programmes-et-projets/le-cesab/afrobiodrivers/">données d’inventaires fauniques</a> dans les principales aires protégées de savane d’Afrique centrale montrant que ces vastes territoires se sont progressivement vidés de leurs grands herbivores. En dehors du parc national de Zakouma au Tchad, la biomasse d’herbivores a été <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/la-frb-en-action/programmes-et-projets/le-cesab/afrobiodrivers/">divisée par un facteur 2, 3 voire 4 au cours des 50 dernières années</a>.</p>
<p>Pour <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/la-frb-en-action/programmes-et-projets/le-cesab/afrobiodrivers/">certains parcs nationaux</a>, la faune sauvage se retrouve isolée dans des petites poches de biodiversité, avec quelque centaines ou milliers d’individus comme reliquat de communautés jadis prospères pouvant avoir plusieurs centaines de milliers d’individus il y a 60 ou 70 ans.</p>
<p>Parallèlement, l’activité touristique associée à ces espaces a aussi été <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/la-frb-en-action/programmes-et-projets/le-cesab/afrobiodrivers/">drastiquement réduite</a>, hypothéquant la principale voie de valorisation de la faune sauvage afin que les États puissent financer le développement rural et assumer sa responsabilité dans la gestion de ces zones.</p>
<p>Le constat est donc sans appel : ces espaces jadis considérés comme l’archétype d’une Afrique sauvage, riche en diversité biologique et culturelle, sont maintenant quasi vidés de leurs animaux sauvages emblématiques, laissant place à des groupes armés ou des éleveurs. L’inversion de la biomasse d’herbivores sauvages au profit des herbivores domestiques est devenue la norme dans quasiment toutes les aires protégées des savanes d’Afrique centrale.</p>
<h2>Mettre en place une « retraite stratégique »</h2>
<p><a href="https://conbio.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/cobi.13860">Nous proposons une option de « retraite stratégique »</a> pour concentrer le peu de moyens de ces États sur les poches résiduelles de biodiversité afin de pouvoir les conserver efficacement.</p>
<p>Retraite stratégique n’implique pas de délaisser ou déclasser ces aires protégées mythiques. Les zones vidées de faune sauvage doivent être gérées avec de nouveaux outils de la conservation, notamment les AMCE, afin de définir une zonation d’usage des terres plus en adéquation avec la situation actuelle et les moyens à disposition ; afin d’assurer aussi que ces territoires perdus pourront, à l’avenir, retrouver un potentiel de valorisation issu des noyaux effectivement conservés lors de la retraite stratégique.</p>
<p>Ce modèle de concentration des moyens sur une plus petite zone, mais néanmoins suffisante et surtout, plus réaliste, puis d’expansion de la faune sur un territoire plus vaste semble fonctionner au parc national de Zakouma (Tchad).</p>
<p>Au-delà du dépoussiérage des modèles de conservation de la biodiversité, la communauté internationale, si elle souhaite imposer des objectifs globaux basés sur la surface, doit être consciente de l’effort d’investissement que cela impose aux pays les plus pauvres.</p>
<p>Elle doit notamment prendre à bras le corps la problématique de la sécurité régionale dans les savanes d’Afrique centrale afin que ces États puissent retrouver une situation propice à ces investissements, sans en spolier leur identité et leur souveraineté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Cyril Renaud a reçu des financements de FRB-CESAB (projet Afrobiodrivers).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hervé Fritz a reçu de FRB-CESAB (projet Afrobiodrivers).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Paul Scholte a reçu des financements de FRB-CESAB (projet Afrobiodrivers).</span></em></p>Pour certains pays, notamment en Afrique, gérer ces espaces, immenses et souvent isolés, se révèle être illusoire tant leurs moyens budgétaires et humains sont structurellement insuffisants.Pierre-Cyril Renaud, Maitre de conférences - Gestion des Aires Protégées et des interfaces agriculture/biodiversité, Université d'AngersHervé Fritz, Directeur de recherche CNRS / IRL REHABS, écologie des savanes tropicales, Nelson Mandela UniversityPaul Scholte, Ecologist leading programs and organizations in conservation, The Ohio State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1769092022-03-09T19:13:49Z2022-03-09T19:13:49ZFaire sa jeunesse dans les rues de Ouagadougou<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445646/original/file-20220210-46662-1aly271.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C13%2C1803%2C995&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jeunes garçons dans les rues de Ouagadougou.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Muriel Champy</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les « enfants de la rue » sont à la <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt//DB=2.1/SET=3/TTL=2/SHW?FRST=3">croisée des fantasmes</a> : le cas des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/05/au-pied-de-la-tour-eiffel-des-mineurs-isoles-vivent-dans-le-plus-grand-denuement_6079130_3224.html">« mineurs isolés »</a> errant dans certaines rues de la capitale française le démontre bien. Ils suscitent souvent des impressions confuses, oscillant entre la compassion pour des êtres trop tôt meurtris et la crainte diffuse d’un déferlement de misérables.</p>
<p>Pourtant, rejoindre la rue ne prend pas les mêmes formes à Paris, à Pékin, à Calcutta, à Ouagadougou ou à Kinshasa. Chaque environnement urbain est caractérisé par ses impasses et par ses opportunités spécifiques. <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt//DB=2.1/SET=1/TTL=1/SHW?FRST=2">Mes enquêtes de terrain</a>, menées à leurs côtés à Ouagadougou depuis plus de dix ans, m’ont conduite à envisager les « enfants de la rue » autrement que par l’opposition entre victime et menace.</p>
<h2>Seuls dans la rue ?</h2>
<p>Au Burkina Faso, un <a href="http://www.insd.bf/contenu/enquetes_recensements/EHCVM_2018/EHCVM_2018_Rapport%20general.pdf">habitant sur deux a moins de 16 ans</a>. La sociabilité en milieu urbain se déployant très largement dans l’espace public, les « enfants de la rue » ne se distinguent guère, au quotidien, de la masse des enfants et des jeunes qui parcourent les rues de la ville : petits commerçants ambulants, élèves coraniques mendiants, enfants jouant au football dans les rues de leur quartier ou jeunes assis à l’ombre d’un arbre en train de refaire le monde autour d’un thé.</p>
<p>Ils ne sont pas non plus les seuls enfants à dormir dans la rue. Ces derniers sont sous la responsabilité d’un adulte (un parent, un maître coranique, l’aveugle qu’ils assistent, la commerçante pour laquelle ils travaillent, etc.).</p>
<p>Les « enfants de la rue », quant à eux, y vivent de manière autonome. C’est donc moins le lieu qu’une position relationnelle qui les caractérise.</p>
<p>Ils mangent globalement à leur faim, ce qui n’est pas le cas de tous les Burkinabè. La mendicité, les petits boulots, les vols et les trafics sont des sources de revenus non négligeables. Malgré l’omniprésence de la violence et une carence affective évidente, les loisirs et les amusements composent une part importante de leur quotidien. Ceux qui vivent du vol portent parfois des vêtements « dernier cri », voire envoient occasionnellement de l’argent à leurs parents restés au village. De fait, ils sont rarement orphelins, et ce d’autant moins dans une société où les frères et les sœurs des géniteurs de l’enfant sont considérés par lui comme des pères et des mères.</p>
<p>Nombre de ces « enfants » de la rue y grandissent et ont une vingtaine d’années, voire plus. Les « enfants de la rue » peuvent donc être des « adultes ». Leur présence, qui signale implicitement les limites des projets de réinsertion, est cependant largement occultée. Les associations caritatives ne viennent en aide qu’aux individus mineurs : à l’âge de 18 ans, l’enfant de la rue, victime à aider, devient brutalement un <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2014-4-page-129.htm">délinquant impénitent à enfermer</a>.</p>
<p>Les « enfants de la rue » sont donc très loin d’être les seuls enfants dans la rue et, surtout, ne sont pas tous des enfants. Ils jugent en outre que cette appellation est calomnieuse et stigmatisante : elle sous-entendrait qu’ils sont nés « dans la rue », voire « de la rue » – au sens où ils seraient des « fils de la rue ». À la limite, ils préfèrent l’appellation <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/34737"><em>bakoroman</em></a>, un terme issu du langage nouchi, l’argot urbain de Côte d’Ivoire, qui désigne celui qui vit et dort dans la rue, sans que personne n’y soit responsable de son existence.</p>
<h2>Migrer dans la rue ?</h2>
<p>Si la misère se rencontre à tout âge, il est apparu que seuls des adolescents adoptent ce mode de vie, le plus souvent entre 12 et 17 ans. Les bakoroman les plus âgés sont simplement restés dans la rue. Mais passé 25 ans, ils se font rares. L’observation de leurs trajectoires redessine ainsi les contours de l’adolescence, d’ailleurs confirmés par les <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/les-jeunes-face-a-l-alcool--9782749263700-page-73.htm">travaux récents</a> en neurobiologie, qui ont démontré que le cerveau n’atteint sa pleine maturité qu’autour de l’âge de 25 ans, même si la loi considère désormais qu’on est adulte dès l’âge de 18 ans.</p>
<p>Les bakoroman ont le plus souvent cherché à échapper à des situations familiales difficiles (pauvreté, divorce, abandon, décès, etc.). Ils aiment pourtant se présenter <a href="https://www.academia.edu/12745650/2015_Des_plantations_ivoiriennes_%C3%A0_la_rue_ouagalaise_Transmissions_silencieuses_d_une_tradition_de_mobilit%C3%A9_in_BAUSSANT_M_DOS_SANTOS_I_RIBERT_E_RIVOAL_I_ed_Logiques_m%C3%A9morielles_et_temporalit%C3%A9s_migratoires_Nanterre_Presses_Universitaires_de_Paris_Ouest_p_275_294">comme des migrants, acteurs de leur destin</a>.</p>
<p>Pour les jeunes Burkinabè, la migration est un « départ en aventure » et un moyen reconnu d’accéder à des ressources matérielles, d’élever son statut social et de gagner en expérience en se frottant au vaste monde, avant de s’installer dans sa vie d’adulte. Quitter son foyer peut être porteur d’espoir quand ni la famille ni l’État ne vous proposent un chemin vers la réussite : bon nombre d’enfants travaillent aux champs toute la journée, les classes rassemblent <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/video/2018/02/09/maxime-sou-le-prof-qui-fait-des-miracles-au-burkina-faso_5254562_3212.htm">parfois plus de 100 élèves</a> et les frais de scolarisation empêchent trop souvent de poursuivre l’école au-delà du cycle primaire.</p>
<p>Les bakoroman cherchent ainsi à s’inscrire dans une certaine normalité du <a href="https://www.decitre.fr/livres/migrations-d-aventures-9782735508181.html">départ en aventure</a> des adolescents et des jeunes hommes en Afrique de l’ouest. Et tout comme pour les migrants qui remontent le Sahara ou qui embarquent sur des bateaux de fortune pour traverser la Méditerranée, réduire leur mobilité à un dernier recours face à la misère empêche de comprendre leurs trajectoires.</p>
<p>La position toujours plus précaire des mineurs et des travailleurs non qualifiés sur le <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/9655">marché du travail</a>, l’insécurité grandissante <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/09/dans-l-est-du-burkina-faso-des-villages-pieges-par-les-djihadistes_6087751_3212.html">dans le monde rural</a> et la structuration de réseaux de bakoroman qui prennent en charge l’accueil des nouveaux arrivants contribuent à canaliser certains jeunes aventuriers vers les mirages de la rue. Ils s’agrègent ainsi, toujours plus nombreux, à des réseaux marginaux, marqués par une consommation massive de drogue, une hiérarchie souple, une faible tolérance à la contrainte et l’accès à des gains d’argent relativement importants. Autant de caractéristiques qui compliquent leur réinsertion, d’autant plus que, dans la rue, ils ont raté cette étape essentielle pour la suite qui est celle de la formation, scolaire ou en apprentissage.</p>
<h2>Au bout de la rue ?</h2>
<p>Replacer la rue dans le prisme des migrations juvéniles permet de comprendre le taux d’échec important des projets de réinsertion institutionnels, qui considèrent les bakoroman comme relevant de l’enfance en danger. Ces <a href="https://samu-social-international.com/samusocial-burkina-faso">programmes</a> proposent généralement un retour en famille assorti d’un modeste soutien matériel ou économique, ou un placement en centre d’hébergement, en vue d’une scolarisation ou d’une entrée en apprentissage. Non seulement ces initiatives n’apparaissent pas toujours comme des solutions aux yeux des enfants pris en charge mais de plus, elles nient leur projet d’indépendance économique et leur désir d’affirmation individuelle.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449149/original/file-20220301-19-teun5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Muriel Champy, Faire sa jeunesse dans les rues de Ouagadougou, Nanterre, Société d’ethnologie, 2022, 302 p.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette aide n’en reste pas moins indispensable. Parce que ce mode de vie est conditionné par les opportunités offertes par l’indétermination de leur statut, entre l’enfance et l’âge adulte, les bakoroman savent que la rue prendra fin en grandissant. Tandis que certains s’enlisent, entre toxicomanie, clochardisation et criminalité, d’autres parviennent à tourner définitivement le dos à la rue et à devenir des chefs de famille responsables. Si la rue ne constitue jamais le raccourci vers la réussite que certains espéraient, elle ne représente pas pour autant une <a href="https://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100974200">voie sans retour</a>.</p>
<p>Le mode de vie adopté par la majorité des « enfants de la rue » est conditionné par l’entre-deux, ni enfants – ils sont capables de survivre seuls – ni adultes – ils n’ont pas encore acquis de responsabilités. Ce n’est qu’en leur reconnaissant pleinement leur capacité d’action, mais sans oublier qu’ils n’ont pas encore la maturité et les compétences nécessaires pour se prendre en charge, que nous pourrons les accompagner à sortir des impasses de la rue.</p>
<hr>
<p><em>L’ouvrage de Muriel Champy, <a href="https://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100974200">« Faire sa jeunesse dans les rues de Ouagadougou »</a>, vient de paraitre aux éditions de la <a href="http://www.societe-ethnologie.fr/publications-nouveautes.php">Société d’Ethnologie</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176909/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les « enfants de la rue » font partie de ces figures emblématiques de la misère et de la relégation familiale qui nourrissent les préjugés. Enquête ethnographique au Burkina Faso.Muriel Champy, Maîtresse de conférence en anthropologie, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1760672022-02-01T19:11:10Z2022-02-01T19:11:10ZAu Sahel, la France poussée dehors<p>Après la montée des tensions entre Paris et Bamako en 2021, la rupture est maintenant consommée et <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/17/la-france-acte-son-retrait-militaire-du-mali-sur-fond-de-rupture-avec-la-junte-au-pouvoir-a-bamako_6114042_3212.html">les militaires français vont quitter le Mali</a>. Cette rupture met en lumière les raisons de la remise en cause de Barkhane au Sahel.</p>
<p>Ces derniers mois, au Mali et au Burkina Faso, le pourrissement de la situation sécuritaire a délégitimé les régimes d’Ibrahim Boubacar Keïta (<a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/16/ibrahim-boubacar-keita-ancien-president-du-mali-est-mort_6109710_3212.html">récemment décédé</a>, il avait été <a href="https://theconversation.com/la-chute-ineluctable-du-president-malien-ibrahim-boubacar-keita-144787">renversé</a> en août 2020) et de Roch Marc Christian Kaboré (qui vient d’être <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220124-burkina-faso-mutineries-arrestation-kabore-coup-etat-rumeurs">renversé</a> à son tour).</p>
<p>Incapables de faire face à la poussée des groupes armés et à la multiplication des massacres malgré leurs appuis étrangers, ces régimes sont devenus impopulaires. Leur chute rend la politique française intenable.</p>
<h2>Le temps des colonels</h2>
<p>Le 14 novembre 2021, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/11/19/au-burkina-faso-la-colere-monte-apres-l-attaque-meurtriere-du-poste-d-inata_6102704_3212.html">tuerie d’Inata</a>, dans le nord du Burkina Faso, quand au moins 50 gendarmes privés de ravitaillement ont été assassinés, a été la défaite de trop, celle qui a scellé le divorce entre les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DBv8WUq-in0">militaires et le président</a>. Au Sahel, plus la situation sécuritaire se détériore, plus la tension entre autorités civiles et autorités militaires s’accroît et plus les militaires vont être tentés de prendre le pouvoir avec – et c’est une nouveauté de taille – l’assentiment de la rue.</p>
<p>Il faut, en effet, se rappeler qu’en 2014 c’était la rue qui avait <a href="https://www.jeuneafrique.com/39108/politique/burkina-le-r-cit-de-la-chute-de-compaor-heure-par-heure/">mis fin aux vingt-sept ans de règne de Blaise Compaoré</a> et qu’elle n’a pas bougé pour Roch Marc Christian Kaboré, écarté par un coup d’État pacifique en plein second mandat comme son homologue malien. Ces putschs acceptés, voire célébrés, sont le reflet de la désaffection populaire pour les régimes en place. Les élections n’ayant pas produit de gouvernements capables de résoudre les conflits, les coups d’État sont devenus au Sahel une méthode acceptable d’alternance pour la population – tant qu’ils sont pacifiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0PoyJdTFD60?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Victime de l’effet domino, toute la bande sahélienne, de Khartoum à Conakry, bascule dans le « colonellisme » (tous les putschistes ont le grade de colonel). Si au <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tchad-une-transition-militaire-aux-contours-floues-405736">Tchad</a> l’armée était de facto au pouvoir mais cachée derrière un très mince paravent civilo-démocratique, dans d’autres pays, elle fait son retour à la faveur de crises politiques (<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/guinee-le-putsch-de-la-colere">Guinée</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2021/11/05/coup-d-etat-au-soudan-l-amertume-apres-l-espoir-de-la-revolution_6101002_5463015.html">Soudan</a>) et de la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burkina-faso-l-epicentre-de-la-crise-securitaire-au-sahel-285991">crise sécuritaire</a> régionale qui déstabilise une bonne partie du Sahel.</p>
<p>Bien qu’il incarne à sa façon la revanche des cadets et la demande de renouvellement générationnel (en Guinée, au Mali et au Burkina Faso, tous les putschistes ont la quarantaine), le régime des colonels a peu de chance de résoudre la crise sécuritaire en cours, mais il pose un sérieux problème pour l’intervention militaire française au Sahel. L’opération Barkhane n’a déjà plus aucune légitimité populaire comme le montrent le suivi des réseaux sociaux, les manifestations antifrançaises dans les capitales de la région et la saga du convoi militaire français à la fin de l’année passée.</p>
<p>Bloqué par les manifestants au Burkina Faso, ce convoi qui se rendait au Mali a dû rebrousser chemin et une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20211217-le-niger-demande-%C3%A0-la-france-une-enqu%C3%AAte-apr%C3%A8s-les-violences-autour-du-convoi-fran%C3%A7ais-au-sahel">autre confrontation</a> avec la foule au Niger a abouti à trois morts parmi les manifestants. Les manifestations profrançaises qui avaient célébré l’opération Serval en 2013 se sont transformées en manifestations antifrançaises avec Barkhane.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-accords-qui-encadrent-les-interventions-militaires-au-mali-175869">Quels sont les accords qui encadrent les interventions militaires au Mali ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La délégitimation politique de la présence française</h2>
<p>À cette perte de légitimité populaire de Barkhane, les putschs ajoutent la perte de légitimité politique.</p>
<p>D’une part, l’engagement militaire français aux côtés des putschistes à lunettes noires va contredire la défense de la démocratie régulièrement invoquée par Paris et mettre une fois de plus le gouvernement français en porte-à-faux avec ses principes affichés. D’autre part, les putschistes de Ouagadougou risquent d’être tentés de suivre l’exemple de leurs homologues de Bamako qui ont multiplié les obstructions à la mission Barkhane et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/06/au-mali-les-mercenaires-wagner-progressent-au-centre-du-pays_6108476_3210.html">se sont tournés vers Moscou</a>.</p>
<p>En effet, les militaires burkinabé font face aux mêmes défis : une population en demande de sécurité, de très faibles capacités de combat, des divisions internes et une francophobie populaire. Dans ces circonstances, les putschistes burkinabé vont rechercher d’autres partenariats de sécurité (le groupe Wagner est en embuscade) et être tentés d’exploiter le capital politique que représente le rejet de l’intervention militaire française dans l’opinion publique locale. Et ce, d’autant plus que l’horizon est très nuageux.</p>
<h2>Le pire est à venir</h2>
<p>Le Sahel étant entré dans la saison des putschs, un peu de prospective s’impose. À l’instar des pouvoirs civils, les juntes risquent de se révéler incapables d’inverser la dynamique régionale d’insécurité et d’agir sur la cause profonde de cette crise régionale : la mauvaise gouvernance et sa conséquence, le délitement silencieux des États.</p>
<p>Les métastases maliennes ont gagné le nord du Burkina Faso et l’ouest du Niger et risquent de contaminer les pays côtiers (nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo, etc.) qui, inquiets de cette perspective, ont lancé <a href="https://ecfr.eu/special/african-cooperation/accra-initiative/">l’Initiative d’Accra</a>. L’appui de la Russie, et éventuellement d’autres acteurs étrangers, ne suffira pas à résoudre une guerre faite de multiples conflits sur un vaste territoire.</p>
<p>Derrière la lutte pour la création d’un califat par les franchises locales d’Al-Qaïda et de l’État islamique, il y a une guerre civile qui ne dit pas son nom, des règlements de comptes <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/mali/293-enrayer-la-communautarisation-de-la-violence-au-centre-du-mali">intercommunautaires</a>, des luttes de terroirs et même des <a href="https://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2019/11/After_the_storm_GI-TOC.pdf">guerres de trafiquants</a>.</p>
<p>Par ailleurs, si la junte malienne et les mercenaires de Wagner infligeaient une défaite à l’État islamique dans le Grand Sahara ou au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, les djihadistes pourraient sans peine se délocaliser vers un pays plus faible.</p>
<p>La rue étant versatile, si les juntes malienne et burkinabé n’améliorent pas la situation sécuritaire, elles seront rapidement discréditées et, à terme, elles feront le lit de l’islamisme populaire qui gagne déjà du terrain au Mali.</p>
<p>Face aux condamnations diplomatiques, les régimes putschistes vont se solidariser et le front uni de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui a <a href="https://www.ecowas.int/wp-content/uploads/2022/01/Final-Communique-on-Summit-on-Mali-Eng-080122.pdf">imposé des sanctions au Mali</a>, se fissure déjà. Suspendue de la Cédéao, la Guinée du colonel Doumbouya a déjà annoncé qu’elle n’appliquerait pas les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/sanctions-contre-le-mali-la-france-soutient-la-cedeao-la-guinee-solidaire-de-bamako-439910">sanctions de la Cédéao contre le Mali</a> (frontière ouverte, mise en place d’un vol Bamako-Conakry, etc.). Cette organisation régionale va être mise à rude épreuve par la multiplication des putschs.</p>
<p>Enfin l’hostilité à l’intervention militaire française est loin d’être limitée au Mali. Le convoi militaire français a été bloqué par la population au Niger et au Burkina Faso ; les syndicats nigériens <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/niger-quatre-organisations-syndicales-exigent-le-d%C3%A9part-sans-condition-des-forces-%C3%A9trang%C3%A8res/2424890">demandent le départ des militaires français</a> ;; les gouvernements de la région ne se précipitent pas pour accueillir les forces françaises et européennes, qui sont priées de faire profil bas ; des drapeaux français ont été brûlés dans la capitale burkinabé à l’annonce du putsch et, même au Tchad considéré comme le meilleur allié de la France dans la région, l’hostilité populaire est forte. Outre leur ressentiment historique, les opinions publiques sahéliennes voient que, depuis plusieurs années, les « succès tactiques » de Barkhane se traduisent par <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/01/1087462">plus d’insécurité, d’exactions et de déplacés</a>.</p>
<h2>A la recherche d’une porte de sortie</h2>
<p>Pris entre la contagion putschiste, la menace islamiste et l’hostilité à sa diplomatie militaire, le gouvernement français a conçu une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/17/on-a-fait-le-tour-du-cadran-la-france-cherche-une-strategie-de-sortie-pour-la-mission-barkhane-au-sahel_6063673_3210.html">stratégie de sortie</a> qui est aujourd’hui entièrement caduque. Elle reposait sur :</p>
<ul>
<li><p>la ré-opérationalisation de l’armée malienne avec laquelle le divorce est maintenant consommé ;</p></li>
<li><p>une coalition militaire régionale (le <a href="https://www.france24.com/fr/tag/g5-sahel/">G5 Sahel</a>) créée en 2017 dont l’efficacité reste toujours à prouver ;</p></li>
<li><p>l’européanisation de la formation et de l’appui aux armées sahéliennes (la mission EUTM et la task force Takuba) <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/26/mali-la-task-force-takuba-victime-collaterale-de-la-defiance-de-la-junte-envers-la-france_6111057_3212.html">rejetée aujourd'hui par la junte malienne</a> rejetée aujourd’hui par la junte malienne et peut-être demain par d’autres gouvernements sahéliens. </p></li>
</ul>
<p>Actuellement, non seulement le gouvernement français doit évacuer ses troupes du Mali mais, surtout, il n’a plus de stratégie de sortie de ce conflit dans lequel il s’est enferré et qui le rend impopulaire au Sahel.</p>
<p>Alors que le Mali qui est l’épicentre de la crise sécuritaire régionale sonne la fin de l’intervention militaire française, l’urgence n’est plus de reconfigurer Barkhane pour continuer la mission, mais de savoir comment sortir du bourbier sahélien avant d’être tout simplement mis à la porte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176067/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut Français des Relations Internationales et collaborateur du think tank Global Initiative against Transnational Organised Crime.</span></em></p>Dans plusieurs pays du Sahel, la présence française est de plus en plus vertement remise en cause, dans un contexte marqué par la recrudescence des putschs militaires.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740922022-01-20T18:54:31Z2022-01-20T18:54:31ZEn RDC, comment les atteintes à la biodiversité affectent les habitudes alimentaires<p>Les ressources naturelles dans le monde font face à de nombreuses pressions anthropiques, avec comme impact le déclin de la biodiversité et des effets négatifs sur la <a href="https://www.researchgate.net/publication/281184296_Assessing_connectivity_in_fragmented_landscape_from_behavioural_ecology_to_biological_conservation">sécurité alimentaire dans les pays en développement</a>.</p>
<p>La République démocratique du Congo (RDC) est un pays d’Afrique centrale dont la population a été estimée à plus de <a href="https://www.unocha.org/story/ocha-launches-annual-report-2020">100 millions d’habitants en 2020</a>, les trois quarts vivant sous le seuil de pauvreté. À l’instar de la plupart des pays d’Afrique centrale, la population de la RDC est fortement dépendante des ressources forestières pour sa survie, avec pour conséquence la dégradation des sols et de la végétation naturelle, mais aussi la <a href="https://www.researchgate.net/publication/285593726_De_Wasseige_C_Tadoum_M_Eba%E2%80%99a_Atyi_R_DOUMENGE_C_Eds_2015_-_The_forests_of_the_Congo_Basin_Forests_and_climate_change_Weyrich_Belgium_128_p">fragmentation des habitats et la déforestation</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte que nous avons mené, à l’<a href="https://www.eraift-rdc.org/index.php">École régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux</a>, une étude sur les changements dans les habitudes alimentaires dans la région de la réserve de biosphère de Luki (RBL), à l’ouest de la RDC.</p>
<p>Jadis prospère, cette région connaît en effet des difficultés économiques ainsi qu’une dégradation des conditions d’existence de sa population, tout ceci dans un contexte de pression démographique. Parmi les conséquences, l’exploitation excessive des ressources forestières, la perte des habitats naturels et la défaunation, qui ont engendré une transformation dans l’alimentation de la population.</p>
<p>Nos travaux visaient à mettre en évidence cette évolution des comportements, notamment en matière d’aliments à protéines animales au regard du caractère aléatoire de la disponibilité du gibier dont fait état la population et du coût de la vie de plus en plus cher. Mais aussi à mieux comprendre les pratiques anthropiques ayant un impact sur les habitats naturels de la faune.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation de Luki en bordure méridionale du massif forestier du Mayombe (en pointillé).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lubini, 1997</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une enquête menée dans 12 villages</h2>
<p>La population de la région de la RBL a été évaluée en 2020 à 237 000 habitants. Cette région a connu dans le passé une économie florissante liée notamment à l’exploitation forestière industrielle qui offrait de l’emploi aux populations, mais aussi à la culture du café, du cacao, du palmier à huile, de bananes et de l’hévéa.</p>
<p>Aujourd’hui, on y vit essentiellement de l’agriculture vivrière pratiquée par l’abattis brûlis, de la fabrication du charbon de bois, du petit élevage et de la collecte des produits forestiers non ligneux dont certains suscitent depuis peu un intérêt croissant pour la consommation par la population locale.</p>
<p>Nous avons mené notre enquête en janvier 2021 dans 12 villages de la RBL, en organisant 19 groupes de discussion regroupant au total 115 personnes, dont de 45 ans et plus. Nous les avons interrogées sur les nouveaux aliments consommés dans la région et sur les raisons expliquant cette évolution.</p>
<p>En collectant des données secondaires dans la littérature, nous avons identifié les facteurs défavorables aux habitats naturels de la faune dans la zone d’étude et ceux qui encouragent leur pérennité.</p>
<h2>Chenilles, chats, serpents, poulets importés…</h2>
<p>Au total, 21 nouveaux aliments ont été cités. Parmi ceux-ci, 14 proviennent de prélèvements sur le milieu naturel (formations végétales : chenilles, escargot, serpent, grenouilles, champignons lignicoles, <em>Gnetum africanum</em>, fougères et terres agricoles – haricot, niébé, feuilles de niébé, sésame, feuilles de patates douces, alcool à base de canne à sucre, pâte de maïs), 5 de l’importation (poulets importés, croupions de dinde, écailles de poissons séchés, poissons chinchards et cube Maggi) et 2 sont issus des animaux de l’environnement humain (chiens et chats).</p>
<p>Sur les 19 groupes de discussion organisés, les chenilles ont été énumérées 18 fois, les chats et les serpents 14 fois chacun, le poulet importé 10 fois, les escargots 6 fois, les chiens et les poissons chinchards 6 fois aussi. Les chiens et les chats consommés ne sont pas domestiqués mais errants.</p>
<p>D’après les données collectées, la plupart de ces nouveaux aliments fournissent de la protéine animale. Les légumes (feuilles de patate douce, fougère, feuilles de niébé, etc.) n’ont présenté que de faibles occurrences. Ce qui pourrait s’expliquer par l’existence dans la région de plusieurs autres légumes consommés localement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les nouveaux aliments consommés dans la région de la RBL, indiqués par 115 personnes dans 19 groupes de discussion.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les adultes en première ligne</h2>
<p>Pour les personnes ayant répondu à l’enquête, ces aliments n’étaient pas consommés auparavant pour plusieurs raisons : la faune giboyeuse, la présence de nombreux poissons dans les rivières de la zone d’étude, une économie florissante liée à l’existence dans la région, de plusieurs entreprises d’exploitations agricoles.</p>
<p>Tout cela contribuait à la circulation de la monnaie et à un niveau de revenu plus rassurant. Ce qui leur permettait de diversifier leur source de protéines animales (consommation des poissons en provenance du fleuve Congo et du poisson salé vendu par les Portugais issu d’Angola), de réaliser de faibles prélèvements dans le milieu naturel et de se constituer des greniers de grains et de tubercules. Ont aussi été évoquées la prospérité économique de la région dans son ensemble et l’existence des routes praticables favorisant l’écoulement facile des produits agricoles.</p>
<p>D’après les informations recueillies, le changement de comportement alimentaire affecte majoritairement des personnes entre 20 et 50 ans, avec un âge moyen autour de 35 ans. La consommation de ces aliments, et spécialement des chenilles, a également été signalée chez les enfants, quand les personnes âgées sont les moins concernées. La forte implication des jeunes démontre leur aptitude à s’adapter face aux changements socio-environnementaux.</p>
<h2>Des changements depuis les années 1980</h2>
<p>Cette évolution des habitudes alimentaires a été observée entre 1979 et 2006. Accentué à partir de la décennie 1990, le phénomène se serait amplifié en 2006, au regard du nombre de réponses attribuées aux années de cette période par les interviewés.</p>
<p>Pour le comprendre, il faut savoir que la période 1979-1987 s’est caractérisée par des événements climatiques, notamment la sécheresse, avec un impact négatif sur la production agricole. La décennie 1990-2000 a ensuite été marquée par le début d’une crise sociopolitique et économique dans le pays.</p>
<p>L’afflux massif des populations issues d’autres régions et l’accès plus facile aux médias d’information, en opérant un brassage des cultures, ont également joué.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Période de début du changement dans les habitudes alimentaires dans la région de la RBL, indiquées par 115 personnes dans 19 groupes de discussion.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Comprendre l’origine des dégradations</h2>
<p>Plusieurs études menées spécifiquement dans cette région décrivent les <a href="https://www.memoireonline.com/02/13/6897/Aperu-de-la-deforestation-de-la-Reserve-de-biosphere-de-Luki-en-RDC-et-du-projet-de-remediatio.html">facteurs de la perte des ressources naturelles</a> et précisent aussi les <a href="https://www.researchgate.net/publication/331732667_Rate_of_forest_recovery_after_fire_exclusion_on_anthropogenic_savannas_in_the_Democratic_Republic_of_Congo">actions entreprises afin d’y remédier</a>.</p>
<p>Parmi les raisons citées : le déficit de gouvernance mettant en exergue les conflits de compétence entre les gestionnaires de la réserve, la non-implication de la population riveraine dans un processus de gestion participative, les revendications du territoire foncier par la population locale et l’utilisation de la réserve pour des stratégies politiques.</p>
<p>D’autres études évoquent la forte anthropisation, marquée par les changements <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/13/12/6898">d’occupation des sols</a> et la déforestation qui serait sous-tendue <a href="https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/25349/1/30892.pdf">par une gouvernance non aboutie et la pauvreté</a>]. Les modifications du climat local expliquent aussi cette perte de couverture forestière dans un contexte où les paysans ont une capacité limitée à détecter et s’adapter à certains phénomènes climatiques.</p>
<p>Entre 2002 et 2020, les températures à la surface du sol ont augmenté de <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/13/20/11242">4,03 °C, 4,74 °C, 3,3 °C, 1,49 °C</a> à Tsumba Kituti, Kisavu, Kimbuya, Kiobo respectivement, des villages de la réserve.</p>
<p>La dégradation de l’habitat de la faune sauvage est perceptible. Celle de Luki et de ses environs est ainsi dominée par des rongeurs, considérés ici comme étant un bio-indicateur de l’anthropisation du milieu. Cela justifierait la rareté du gibier déclaré dans les groupes de discussion et l’adoption des comportements alimentaires nouveaux face à la recherche de la protéine animale. Les rongeurs font partie des espèces de la faune les plus chassées.</p>
<h2>Des pistes pour restaurer la biodiversité</h2>
<p>Face à la perte de la biodiversité dans la région, de nombreux appuis ont été apportés depuis 2004. Ceux-ci ont permis la mise en place d’activités de restauration et d’alternatives à l’utilisation des ressources forestières. Il s’agit, entre autres, de <a href="https://www.afdb.org/">reboisement et d’agroforesterie</a>, de <a href="https://www.africamuseum.be/">régénération naturelle assistée</a> ou de l’installation des fermes modèles au sein desquelles les pratiques de sédentarisation agricole sont promues. Un accent particulier est mis sur l’apiculture dans les jachères apicoles en <a href="https://www.ulb-cooperation.org/">raison du potentiel mellifère de la région de la RBL</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1141149208340135936"}"></div></p>
<p>Les activités de restauration des aires dégradées de la région de RBL se font par le biais de paiements pour services environnementaux. Ce qui a permis à ce jour d’installer autour de la réserve, une superficie d’environ 8 000 hectares de <a href="https://www.worldwildlife.org/publications/living-planet-report-2020">forêts en régénération naturelle</a>, soit à peu près le tiers de la superficie totale de la réserve, celle-ci étant de 33 811 hectares. La région de la RBL pourrait donc être un modèle à dupliquer à l’échelle du pays, mais aussi à prendre en compte dans un processus de crédit carbone.</p>
<p>Ces initiatives lancées par les ONG avec l’appui financier des bailleurs de fonds sont encourageantes mais insuffisantes. Afin d’atteindre l’objectif de conservation de la RBL, il faudrait également amorcer des mesures qui mettent l’accent sur l’éducation, l’emploi des jeunes, la prise en compte du savoir local par projets, la planification des naissances et la mise en œuvre d’un plan d’aménagement avec des actions en faveur des communautés locales.</p>
<p>Il s’agirait aussi d’intégrer la nourriture issue des prélèvements sur la nature (chenilles, escargots, etc.) dans les mesures de gestion pour la lutte contre l’insécurité alimentaire, mais également de développer la sensibilisation aux risques de maladies zoonotiques.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Depuis 50 ans, le <a href="https://en.unesco.org/mab">Programme pour l’homme et la biosphère</a> (MAB) de l’Unesco s’appuie sur l’alliance entre sciences exactes, sciences naturelles et sciences sociales pour trouver des solutions mises en œuvre au cœur de 714 sites naturels d’exception (dans 129 pays) bénéficiant du statut de réserves de biosphère</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ernestine Lonpi Tipi est membre du Réseau africain pour le développement durable et intégré (RADDI).
Remerciements à l’ERAIFT pour le financement de cette étude dans le cadre du projet « Renforcement de la résilience au changement climatique des communautés locale de Luki et du Maï-Ndombe en RDC », projet financé par l’Union européenne et cogéré par WWF-RDC et l’ERAIFT.</span></em></p>Dans la région de la réserve de biosphère de Luki, les comportements alimentaires se sont profondément transformés depuis la fin des années 1970.Ernestine Lonpi Tipi, PhD candidate, research assistant, ERAIFTLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1739312021-12-29T17:27:07Z2021-12-29T17:27:07ZLes universités, clé du développement des pays du Sud<p>On a longtemps pu douter que les universités appartiennent à un territoire donné et participent à son développement, tant, d’abord préoccupées de la production et de la transmission des savoirs, elles penchaient délibérément du côté de l’universel.</p>
<p>Cela vaut pour les pays développés, les premiers à disposer depuis longtemps d’universités. Mais cela vaut aussi pour les établissements apparus peu à peu dans les pays en voie de développement. Même là où la seule fonction de reproduction des élites dirigeantes est encore fortement marquée parce que le caractère principalement informel de l’économie du pays ne requiert pas encore de forts besoins de formation professionnelle de haut niveau, l’université y découvre peu à peu son territoire.</p>
<h2>Le développement est aussi un développement universitaire</h2>
<p>Plusieurs éléments ont peu à peu bouleversé cette représentation. À commencer par la multiplication du nombre d’établissements, qui ont essaimé peu à peu sur tous les continents, au point que dans certains pays, leur nombre exact n’est jamais vraiment connu (comme en <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2015-3-page-91.htm">RDC</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2020-2-page-365.htm">à Haïti</a> par exemple), notamment du fait de la multiplication des structures privées, parfois microscopiques et de qualité souvent douteuse.</p>
<p>Le fort accroissement général de la population jeune dans les pays du sud, conjugué à la <a href="https://www.inegalites.fr/La-scolarisation-des-enfants-progresse-dans-le-monde">progression du taux de scolarisation</a>, a abouti à une hausse notable du nombre d’étudiants dans ces pays, en accélérant elle-même la multiplication du nombre d’établissements.</p>
<p>Les quelques statistiques dont on dispose sont à cet égard très parlantes. D’après <a href="https://jeunesse.francophonie.org/images/OIF_Rapport_jeunesse_2018_web.pdf">l’enquête</a> de l’Observatoire Démographique et Statistique de l’Espace Francophone (ODSEF) publiée en 2018 par l’OIF, si certains pays de l’Afrique subsaharienne restent encore à la traîne avec un taux de scolarisation dans le supérieur inférieur à 5 % (Tchad, Madagascar), la majorité de tous les autres disposant de statistiques sont au-dessus de 10 % (Bénin, Cameroun, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Sao-Tomé, Sénégal, Togo, Maurice, Seychelles), de manière comparable à la situation de la France il y a moins de deux générations. Par ailleurs, le Burkina, le Burundi, le Mali, le Mozambique, le Rwanda et les Comores s’en rapprochent avec des taux compris entre 5 et 10 %. Quant à l’Afrique du Nord, le taux de scolarisation dans le supérieur s’y situe partout au-dessus de 30 %.</p>
<p>C’est dire que pour une grande partie de l’Afrique, il est faux de considérer que l’enseignement supérieur ne concernerait que l’élite. L’enseignement supérieur y est déjà un enseignement de masse, donnant de fait aux universités un statut d’une autre nature et une responsabilité sociétale nouvelle.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9O9ZsoSzAdU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les réformes de l’enseignement supérieur guinéen. 30 avril 2021.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’université, acteur sociétal dans tous les pays</h2>
<p>Dans tous les pays développés, la mission sociétale des universités, au-delà de la formation et de la reproduction des élites de tous types, s’est à l’évidence étendue en proportion des nouvelles exigences de la croissance économique, de la demande sociale d’études toujours plus forte, et de la prise de conscience généralisée que l’enseignement supérieur et la recherche sont plus que jamais les clés du développement (voir par exemple “Politiques et gestion de l’enseignement supérieur volume 16-3 2004 – OCDE et beaucoup d’autres études notamment à l’AUF, à l’IAU ou l’ACU et plusieurs de ma part)</p>
<p>Désormais évidente pour les universités de tous les pays développés, cette mission sociétale vaut aussi, et de plus en plus, pour tous les autres pays, dont les pays émergents ou en voie de développement.</p>
<p>Les grandes institutions financières internationales ont encore trop souvent <a href="https://www.unicef.org/media/106911/file/Africa%20Education%20Report%20Summary%20FR%20.pdf">tendance à penser que seul l’enseignement de base</a> doit être la priorité de ces derniers pays. Mais elles se trompent pour au moins deux raisons qui devraient au contraire les convaincre qu’il s’agit là d’une priorité du développement contemporain.</p>
<p>La première est le constat, fait plus haut, que la demande sociale d’études supérieures s’étend au fur et à mesure que la scolarisation primaire puis secondaire elle-même s’accroît.</p>
<p>La deuxième raison est que le développement durable d’économies modernes passe aujourd’hui, partout, par la capacité de tous les pays <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2002-2-page-9.htm?contenu=article">à doter leurs populations de qualifications</a> professionnelles de niveau supérieur et de compétences de recherche. Sauf à considérer que de telles compétences doivent rester l’apanage des pays développés, les conséquences en sont considérables en termes de politiques économiques et d’aide internationale.</p>
<p>Ainsi, comme le montre une <a href="https://www.auf.org/nouvelles/actualites/decouvrez-livre-blanc-de-francophonie-scientifique/">enquête de l’AUF</a>, les dirigeants universitaires des pays moins développés <a href="https://en.calameo.com/auf/read/0061183914d084f069e3a?page=41">considèrent</a> comme « une très grande priorité les besoins d’ouverture sur l’environnement de services à la communauté, de responsabilité sociétale et de dialogue interculturel ». L’affirmation de l’importance de cette thématique est nettement marquée en Afrique chez tous les responsables, politiques ou universitaires, alors même que les relations entre les universités, les entreprises et les organisations locales y sont <a href="https://en.calameo.com/auf/read/0061183914d084f069e3a?page=92">encore très limitées</a>.</p>
<p>À l’évidence, cette préoccupation est principalement liée aux questions d’employabilité des étudiants et d’internationalisation.</p>
<h2>À la recherche de l’employabilité étudiante</h2>
<p><a href="https://en.calameo.com/auf/read/0061183914d084f069e3a?page=116">Comme le dit</a> un responsable universitaire sénégalais, « la thématique de l’employabilité est quotidiennement au cœur des activités des universités. Pour nous, l’employabilité, la qualité et le service à la communauté sont des thématiques très intéressantes et très liées ».</p>
<p>À peu de choses près, la plupart des dirigeants africains partagent une telle affirmation. Tous sont en effet convaincu que le développement de leur pays passe désormais par leur capacité à transformer profondément leur système économique pour aller vers des économies modernes, soucieuses comme toutes les autres des objectifs de développement durable affichés par la communauté internationale, et que la tentation pour les pays sous-développés de recourir aux énergies fossiles, dont ils regorgent parfois, pour rattraper leur retard, <a href="https://www.lejournaldudeveloppement.com/les-pays-producteurs-dafrique-nentendent-pas-renoncer-a-lenergie-fossile/">ne pourra être évitée qu’à ce prix</a>.</p>
<p>Le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est donc pas seulement un problème économique ou social. C’est aussi un problème éminemment politique, qui suppose que la répartition, non seulement des revenus, mais plus encore des capacités cognitives et de recherche, ne profite plus seulement aux pays développés. Sauf à vouloir conforter les formes de néocolonialisme associées à l’inégalité des échanges.</p>
<p>D’où la difficulté à comprendre pourquoi ces mêmes dirigeants politiques font <a href="http://www.commodafrica.com/06-02-2020-les-depenses-publiques-par-eleve-en-afrique-sont-les-plus-faibles-du-monde">si peu d’efforts</a> dans leurs politiques publiques en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche ou de la transition numérique, imitant en cela les grandes organisations internationales qui semblent n’avoir toujours pas compris l’importance de l’enjeu.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5wEcL_udvWw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Université de Thiès au Sénégal : parcours d’étudiants, RFI, 17 juin 2019.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’indispensable internationalisation</h2>
<p>Quant à l’internationalisation, elle est vue à la fois comme une <a href="https://www.cairn.info/l-internationalisation-de-l-enseignement-superieur--9782807329034-page-61.htm?contenu=article">solution indispensable aux problèmes de financement</a>, notamment pour une recherche encore quasiment inexistante, mais aussi comme la compréhension des liens indispensables que tout établissement doit avoir non seulement avec ses homologues nationaux, mais plus encore avec ses homologues étrangers, ne serait-ce que pour conforter la qualité des formations délivrées et bénéficier de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2016-3-page-417.htm?contenu=article">dynamique des réseaux scientifiques internationaux</a>.</p>
<p>Le fait que l’enseignement supérieur soit <a href="https://bibliotheque.auf.org/doc_num.php?explnum_id=828">délivré en langue étrangère</a> (français ou anglais, voire espagnol ou portugais selon l’appartenance antérieure à un ancien empire colonial) dans de nombreux pays peut être considéré comme un atout, même si cela soulève, par ailleurs, une question plus lourde, celle de la déconnexion entre langues des élites et langues nationales et donc celle du risque de déconnexion entre les universités et leurs territoires. Question qui pourrait être soulevée, à terme rapide, au fur et à mesure de l’extension du système universitaire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-afrique-quelle-francophonie-au-xxi-siecle-168590">En Afrique, quelle francophonie au XXIᵉ siècle ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>« Décoloniser les esprits », comme dit le philosophe Mudimbe est toujours le plus difficile.</p>
<p>On ne pourra le faire dans les pays en voie de développement que si la mission sociétale des universités y joue pleinement son rôle et que les États concernés comme la solidarité internationale en tirent toutes les leçons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul de Gaudemar est ancien recteur de l'AUF.</span></em></p>Dans les pays développés, le rôle sociétal de l’université est reconnu depuis longtemps. Il doit en être de même dans les pays en voie de développement.Jean-Paul de Gaudemar, Professeur, ancien recteur de l'Agence universitaire pour la Francophonie (2015-2019), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734442021-12-16T20:11:40Z2021-12-16T20:11:40ZLa précarité menstruelle en Afrique subsaharienne : une question taboue<p>Chaque jour, dans le monde, environ <a href="https://www.wateraid.org/ng/media/periods-dont-stop-for-pandemics-wateraid-implores-stakeholders-to-take-urgent-action-on-water">800 millions</a> de femmes et de filles ont leurs règles. Un tiers d’entre elles n’ont pas accès à de l’eau propre, à des toilettes privées, décentes et qui leur sont adaptées, ni à des protections pour vivre cette période avec dignité.</p>
<p>La question de la précarité menstruelle, c’est-à-dire de la difficulté pour des filles et des femmes à avoir accès à des protections hygiéniques, émerge depuis quelques années, notamment grâce aux médias. En 2019, une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/02/precarite-menstruelle-combien-coutent-ses-regles-dans-la-vie-d-une-femme_5484140_4355770.html">étude du journal <em>Le Monde</em></a> a révélé que, en France, une femme dépense en moyenne 3 800 euros dans sa vie pour son hygiène menstruelle (cette somme inclut les protections hygiéniques et autres frais directement liés aux menstruations, tels que les antidouleurs ou les consultations chez un gynécologue). Ces dépenses pénalisent particulièrement les femmes les plus vulnérables (les femmes pauvres, sans domicile fixe, réfugiées, etc.), creusant un peu plus les inégalités dont elles sont victimes.</p>
<p>En Afrique subsaharienne, près de <a href="https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/34496/211602ovFR.pdf">40 % de la population</a>, dont une majorité de femmes, vit sous le seuil de pauvreté. Cependant, la précarité menstruelle reste taboue, peu prise en compte par les politiques publiques et mal étudiée par les scientifiques. <a href="https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002803">Dans toutes les cultures</a>, les règles ont été ou sont encore stigmatisées et considérées comme quelque chose de « sale » ou d’« impur ». Ainsi, les sujets relatifs aux menstruations doivent être tus et ne sont pas discutés ouvertement. Il a pourtant été démontré que le coût des protections est trop élevé dans cette région du monde et empêche les jeunes filles et les femmes de vivre leurs périodes menstruelles dans la dignité.</p>
<h2>Des protections bien trop chères</h2>
<p>À Kédougou, au Sénégal, plus de la moitié des femmes <a href="https://menstrualhygieneday.org/wp-content/uploads/2016/12/UN-Women-GHM-Comportements-et-Pratiques-K%C3%A9dougou-S%C3%A9n%C3%A9gal.pdf">utiliseraient du tissu comme protection hygiénique durant leurs règles</a>. La majorité d’entre elles précisent qu’elles y ont recours à cause du coût trop élevé des serviettes hygiéniques jetables. Or, ces tissus, s’ils ne sont pas adaptés et lavés correctement, peuvent provoquer des infections. C’est ainsi que près d’un quart des femmes interrogées dans cette région déclarent en avoir déjà eu au cours de leur période menstruelle.</p>
<p>Au <a href="https://www.pseau.org/outils/ouvrages/unicef_l_hygiene_menstruelle_dans_les_ecoles_de_deux_pays_francophones_d_afrique_de_l_ouest_2013.pdf">Niger et au Burkina Faso</a>, faute de production locale, les protections hygiéniques, comme les tampons, doivent être importées à des coûts exorbitants. Elles restent inabordables pour beaucoup de femmes.</p>
<p>Une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0144321">étude au Kenya</a> a même révélé que certaines jeunes filles scolarisées avaient des rapports sexuels tarifés dans le but de payer leurs protections hygiéniques, trop chères pour être prises en charge par leur famille.</p>
<p>Dans son livre <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-stop_la_precarite_menstruelle_le_combat_pour_l_avenir_des_filles_aissatou_ndahte_cisse-9782343232409-70977.html"><em>Stop La précarité menstruelle : Le combat pour l’avenir des filles</em></a> paru en septembre 2021, Aïssatou Ndahté montre les conséquences désastreuses que peut avoir la précarité menstruelle en Afrique de l’Ouest pour l’éducation des filles.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fo2nffpohgU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Togo : des serviettes lavables pour lutter contre la précarité menstruelle (TV5 Monde, 11 avril 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pourtant les pouvoirs publics et les communautés peuvent agir. Le <a href="https://www.unfpa.org/fr/events/journee-mondiale-de-lhygiene-menstruelle-0">Parlement autonome d’Écosse</a> est devenu en février 2020 le premier à voter une loi pour la gratuité des produits d’hygiène menstruelle. Récemment, plusieurs pays ont suivi ce mouvement, dont la Nouvelle-Zélande, la France et la Namibie, qui ont mis en place des réformes visant à rendre gratuites ou à détaxer les protections hygiéniques en vue de lutter contre la précarité menstruelle.</p>
<p>En Afrique de l’Ouest, de nombreuses initiatives émergent mais viennent principalement du milieu associatif. On peut citer par exemple <a href="https://information.tv5monde.com/video/sante-la-precarite-menstruelle-en-afrique">celle de la militante togolaise Hamdiya Katchirika</a>, présidente et fondatrice de l’association Empower Ladies (donner du pouvoir aux femmes), qui vise à sensibiliser les jeunes filles togolaises à l’hygiène menstruelle et leur offre des serviettes réutilisables ou jetables.</p>
<p>Par ailleurs, l’initiative <a href="https://www.wateraid.org/ca/herwash-menstrual-health-and-sexual-and-reproductive-health-and-rights">HerWASH</a> de l’organisation <a href="https://www.wateraid.org/us/">WaterAid</a> a pour objectif d’améliorer l’accès à l’hygiène menstruelle des femmes et des adolescentes au Burkina Faso, au Liberia, en Sierra Leone et au Pakistan, et effectue également des actions de plaidoyer auprès des décideurs politiques.</p>
<h2>Un problème qui persiste durant le post-partum</h2>
<p>Les problématiques liées à l’hygiène menstruelle rejoignent celles des mères après leur accouchement. Les lochies, ou saignements post-partum, peuvent être abondantes et durent, en moyenne, de trois à six semaines. Malgré le nombre important de femmes concernées par ces saignements, peu d’informations sont disponibles sur ce sujet en Afrique subsaharienne et nombre de mères ne savent pas comment se protéger durant cette période. Or une hygiène inadaptée après l’accouchement peut avoir de lourdes conséquences pour la santé des femmes, comme la survenue d’une infection dite puerpérale.</p>
<p>Le projet <a href="http://www.qualidec.com/">Quali-Dec</a> a pour objectif d’améliorer la prise de décision concernant le mode d’accouchement en Argentine, au Burkina Faso, en Thaïlande et au Vietnam. Pour démarrer ce projet au Burkina Faso, près de 700 femmes ont été interrogées sur les conditions de leur accouchement. Une partie du questionnaire s’intéressait aux dépenses effectuées par les femmes ou leur famille au cours de l’accouchement.</p>
<p>Depuis 2016, l’hospitalisation, les traitements, ou encore le transport du domicile jusqu’à l’hôpital sont <a href="https://reliefweb.int/report/burkina-faso/sant-au-burkina-faso-les-mesures-de-gratuit-des-enfants-de-moins-cinq-ans-et-des">théoriquement pris en charge par l’État burkinabé</a>. Lorsqu’il leur a été demandé si elles avaient rencontré des frais supplémentaires qui n’avaient pas été pris en compte, plus d’un quart des femmes interrogées ont fait référence aux protections hygiéniques, pour des dépenses allant de 1 000 francs CFA (1,5 euro) à 20 000 francs CFA (30 euros). Le programme de gratuité de l’accouchement au Burkina Faso n’a pas inclus les protections hygiéniques lors du séjour à l’hôpital.</p>
<p>Cette question des coûts associés à la gestion des lochies n’a jamais été abordée dans la littérature scientifique, et aucune autre politique publique sur les questions du financement de la santé maternelle dans les pays d’Afrique subsaharienne ne prend en compte ces dépenses, pourtant inéluctables.</p>
<p>Alors, combien les femmes dépensent-elles réellement pour ces protections ? Quelles difficultés rencontrent-elles pour assurer une bonne hygiène et un confort après l’accouchement ? Comment prendre en compte ces dépenses dans les politiques publiques et les interventions mises en œuvre ?</p>
<p>Pour améliorer la capacité des femmes et des mères à avoir accès à une hygiène menstruelle décente, que ce soit pendant leurs règles ou durant le post-partum, davantage de recherche est nécessaire. La question de la précarité menstruelle en Afrique subsaharienne, et dans le monde en général, doit être mise en avant pour sensibiliser la société et les pouvoirs publics. L’hygiène menstruelle reste en effet une question taboue et un sujet difficile à aborder, alors même que les inégalités dont sont victimes les femmes sont encore creusées par la précarité menstruelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173444/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Ravit travaille sur le projet Quali-Dec (<a href="https://www.qualidec.com/">https://www.qualidec.com/</a>), financé par le programme Horizon 2020 de la Commission européenne.</span></em></p>La précarité menstruelle est encore un sujet difficile à aborder en France. En Afrique subsaharienne, c’est tout simplement un impensé. Or ce phénomène pose de gros problèmes de santé publique.Marion Ravit, Docteure en Santé Publique, Postdoctoral research fellow, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728302021-12-09T18:17:06Z2021-12-09T18:17:06ZRetour des trésors d’Abomey au Bénin : l’avènement d’une logistique « mémorielle »<p>Le 10 novembre 2021 restera une date parmi les plus marquantes de l’histoire récente du Bénin. Dans un <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/restitution-des-tresors-d-abomey-au-benin-emotion-de-la-population-a-cotonou_4842249.html">cérémonial festif</a> digne de ceux qui accompagnent les plus grands événements politiques, culturels et sportifs, la <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/11/14/les-26-oeuvres-des-tresors-royaux-dabomey-sont-revenues-au-benin">France a restitué</a> à ce pays africain 26 œuvres d’art des <a href="https://information.tv5monde.com/info/quoi-ressemblent-les-26-oeuvres-du-tresor-d-abomey-restituees-au-benin-431666">trésors royaux d’Abomey</a>, pillées au XIX<sup>e</sup> siècle par les troupes coloniales françaises du général Dodds lors de la mise à sac du palais d’Abomey en 1892.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/restitution-des-bronzes-du-benin-par-lallemagne-pourquoi-cest-loin-detre-suffisant-167419">Restitution des « bronzes du Bénin » par l’Allemagne : pourquoi c’est loin d’être suffisant</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Autant dire que l’on touche ici à une « corde sensible » de la fierté nationale, et il n’est pas étonnant que ce retour ait été dans les conversations des Béninois <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/le-musee-parisien-du-quai-branly-restitue-au-benin-26-oeuvres-des-tresors-royaux-d-abomey-c-est-une-grande-fierte_4838709.html">pendant plusieurs semaines</a>.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/restitution-de-26-oeuvres-au-benin-six-choses-a-savoir-sur-la-ceremonie-au-musee-du-quai-branly_4822449.html">Conservés au musée du Quai Branly</a> de Paris depuis 2003, après avoir transité par le <a href="https://www.museedelhomme.fr/fr/musee/musee-dethnographie-musee-lhomme-3717">musée d’Ethnographie du Trocadéro</a> et le musée de l’Homme de la même ville, ces trésors comportent en effet des œuvres culturelles et cultuelles majeures comme les fameuses statues totem de l’ancien royaume d’Abomey (homme-requin, homme-oiseau, homme-lion), ou encore les trônes en bois sculpté des rois Ghézo et Glèlè.</p>
<p>Le royaume d’Abomey était vaste – de l’ouest du Nigeria au Ghana – et très respecté depuis sa fondation au XVII<sup>e</sup> siècle. Il le restera jusqu’en 1890 sous le règne du roi Béhanzin, dernier souverain indépendant qui combattit vaillamment contre les envahisseurs. Le retour au pays des 26 œuvres d’art s’inscrit ainsi dans une histoire autant riche que glorieuse. Au demeurant, il ne s’agit pas d’un cas unique, et d’autres pays africains, <a href="https://theconversation.com/le-retour-des-objets-pilles-pendant-la-periode-coloniale-un-enjeu-de-taille-au-nigeria-107242">comme le Nigéria</a>, sont dans une configuration comparable.</p>
<h2>Trois séquences (plus une) pour un retour réussi</h2>
<p>Première séquence : en 2017, lors de son discours à Ouagadougou, au Burkina Faso, le président français s’engage clairement à faciliter sous cinq ans les diverses restitutions – qu’elles soient temporaires ou définitives – des œuvres culturelles et cultuelles appartenant au patrimoine africain et identifiées dans les collections françaises.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VsSIgXofR-E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou.</span></figcaption>
</figure>
<p>Deuxième séquence : en 2018, dans un rapport pour le ministère de la Culture qui fit sensation intitulé <a href="http://restitutionreport2018.com/sarr_savoy_fr.pdf"><em>Restitution du patrimoine culturel africain : vers une nouvelle éthique relationnelle</em></a>, ses autrices Felwine Sarr et Bénédicte Savoy annoncent qu’« il n’y a plus d’impossible ».</p>
<p>Troisième séquence : en décembre 2020, une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042118115/">loi importante</a> est votée. Elle rend possible la restitution en autorisant explicitement les dérogations au principe d’« inaliénabilité » des œuvres possédées par la France qui étaient issues de pillages et vols caractérisés.</p>
<p>Les trois séquences, à la fois politique, diplomatique, culturelle et juridique, ne commencent donc pas en 2021. Ce « moment historique de fierté nationale » pour les autorités béninoises a débuté en 2016, c’est-à-dire un peu avant le discours dit « de Ouagadougou », sous la présidence de François Hollande.</p>
<p>Une première demande est formulée par le Bénin, mais <a href="http://le-cran.fr/wp-content/uploads/2017/03/Lettre-de-la-France-au-B%C3%A9nin.pdf">refusée</a> par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Jean‑Marc Ayrault, pour des <a href="https://www.humanite.fr/benin-des-biens-culturels-bien-mal-acquis-634211">raisons légales</a> liées, justement, à l’inaliénabilité des biens des collections publiques. C’est donc le président Emmanuel Macron et sa ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui recevront leurs homologues béninois – le président Patrice Talon et le ministre de la Culture Jean‑Michel Abimbola – pour <a href="https://afrique.tv5monde.com/information/restitution-doeuvres-dart-un-moment-historique-selon-le-ministre-beninois-de-la-culture">signer et solenniser à Paris</a> la restitution des 26 œuvres d’art.</p>
<p>Deux binômes symboliques – les chefs d’État et leurs ministres de la Culture – ont signé l’acte de transfert de propriété de la France au Bénin et ont permis aux œuvres de regagner leur pays après près de 130 ans d’exil.</p>
<p>Comme dans tout transfert de titre de propriété, la question de la logistique <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/mcb/007/1989/00000023/00000002/art00004">se pose inéluctablement</a>. De manière surprenante, le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ne parle jamais de la « logistique » associée au retour des œuvres d’art.</p>
<p>Cette dimension est probablement occultée par ignorance ou simplement par « déni de complexité ». Le transport est à peine évoqué en quelques mots, page 69 :</p>
<blockquote>
<p>« Le retour des œuvres nécessite en tout état de cause un budget dédié aux frais de transport et d’assurance, dont on sait qu’ils peuvent être très élevés selon la fragilité de l’œuvre en cause et sa valeur marchande. »</p>
</blockquote>
<p>C’est évidemment un peu bref face aux enjeux en matière d’inventaire, d’identification, d’emballage, de transport et de stockage/déstockage, d’encaissement et de décaissement (au sens strict) ! Tout ceci n’est pas anodin, et c’est d’ailleurs bien la délégation béninoise qui, symboliquement, a ramené par avion les trésors d’Abomey sur le sol africain.</p>
<h2>Des contraintes d’acheminement connues</h2>
<p>Commençons par dresser rapidement le tableau d’une logistique singulière, qui n’a pas grand-chose à voir avec la logistique relative aux biens de grande consommation.</p>
<p>Organiser l’acheminement d’œuvres d’art n’est pas chose aisée, surtout d’un continent à un autre, et la logistique induite soulève de redoutables difficultés auxquelles les 26 œuvres n’ont pas échappé.</p>
<p>On sait, entre autres, que les dommages infligés aux œuvres d’art proviennent d’une manière générale des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02973123/document">conditions d’exécution du transport et de l’entreposage</a>. L’âge d’une œuvre d’art détermine notamment un niveau donné de fragilité, sachant qu’une température et une hygrométrie trop élevées ou trop faibles peuvent générer une dégradation irrémédiable à la suite de réactions chimiques incontrôlables.</p>
<p>La logistique des œuvres d’art exige également une attention toute particulière quant aux opérations de manutention. Pour réduire les risques pris lors des manipulations, manuelles ou mécaniques, chaque œuvre d’art nécessite un conditionnement spécifique selon la nature de l’objet, ainsi que selon le mode (terrestre, maritime ou aérien) et la durée du transport.</p>
<p>La technique dite du <a href="http://www.tmh-transports.com/tamponnage-oeuvre-dart/">tamponnage</a>, le plus souvent utilisée, s’appuie sur <a href="https://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_care_and_handling_of_art_objects_practices_in_the_metropolitan_museum_of_art">trois couches de protection</a> : une enveloppe chimiquement neutre recouvre l’œuvre ; une enveloppe souple réduit les variations hygrométriques et les vibrations ; une enveloppe rigide préserve de tous les chocs.</p>
<h2>D’une logistique opérationnelle…</h2>
<p>Les 26 œuvres d’art des trésors royaux d’Abomey rejoignent le Bénin le 10 novembre 2021 par avion depuis Paris, puis le palais présidentiel béninois par camion spécial.</p>
<p>Le Bénin étant localisé en Afrique subsaharienne, sur la côte Atlantique, les données climatiques n’ont <a href="https://presidence.bj/home/le-benin/geographie/">rien à voir avec celles de Paris</a>. Un délai d’acclimatation de deux mois environ aux conditions de chaleur et d’hygrométrie béninoises s’avère donc indispensable, avant une exposition de trois mois au palais présidentiel. Les conditions d’entreposage sont donc critiques.</p>
<p>Par la suite, il est prévu que les trésors soient ré-encaissés et transportés par route vers l’ancien <a href="https://originalfoundblog.com/2017/03/03/le-fort-portugais-de-ouidah/">fort portugais d’Ouidah</a>, sur la côte Atlantique, à l’ouest de Cotonou, où ils seront exposés dans la maison du gouverneur, c’est-à-dire sur les emplacements historiques et symboliques de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation européenne.</p>
<p>Les 26 œuvres d’art attendront là quelque temps, jusqu’à la construction d’un <a href="https://www.connaissancedesarts.com/musees/musee-quai-branly/un-nouveau-musee-au-benin-accueillera-les-26-objets-restitues-par-la-france-en-2021-11123610/">nouveau musée à Abomey</a> devant les accueillir, les conserver et les protéger. À nouveau, l’entreposage sera au cœur de la réussite (ou de l’échec) du retour, et l’on comprend aisément que d’autres pays africains, tels que le Tchad, se posent d’ores et déjà des <a href="https://www.dw.com/fr/j-7-avant-le-retour-des-oeuvres-dart-au-b%C3%A9nin/a-59692286">questions sur l’organisation</a> de leurs propres restitutions à venir.</p>
<h2>… à une logistique « mémorielle »</h2>
<p>Il serait toutefois maladroit de réduire la logistique du retour des 26 œuvres d’art à des dimensions purement opérationnelles et concentrées dans un temps court.</p>
<p>L’aventure logistique proprement dite commence par leur <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1960_num_47_167_1319">pillage en 1892</a> pour se poursuivre en France, comme signalé, puisqu’elles ont été transportées, stockées et exposées au musée d’Ethnographie du Trocadéro, au musée de l’Homme et, enfin, au musée du Quai Branly.</p>
<p>La dimension logistique reste toutefois très singulière car, d’une part, ces œuvres sont physiquement fragiles (bois, pierre, sculptures, sertissage, etc.) et, d’autre part, elles sont culturellement sensibles car elles représentent symboliquement les esprits des Rois, les esprits des familles et les esprits de pouvoir. À ce titre, elles ne peuvent être ni manipulées ni entreposées sans faire attention au lieu, à la temporalité et à la proximité avec d’autres objets, avec d’autres énergies, entre autres contraintes et spécificités.</p>
<p><a href="https://www.lepoint.fr/afrique/ces-objets-ont-encore-une-valeur-memorielle-et-historique-tres-forte-10-11-2021-2451505_3826.php">L’entretien</a> accordé au <em>Point</em> par Flavien Brice Alihonou, un pratiquant du <a href="https://www.lepoint.fr/culture/benin-vous-avez-dit-vodoun-10-01-2018-2185492_3.php">culte vodoun</a>, le 10 novembre 2021 offre sans doute l’une des meilleures explications de la portée symbolique de la restitution des 26 œuvres d’art :</p>
<blockquote>
<p>« Pour nous, ce ne sont pas de simples objets, ce sont des témoins de la puissance et de la richesse de nos royaumes africains avant la colonisation. La plupart des artistes et artisans avaient pour fonction de magnifier le pouvoir. Les récades sont sacrées, les trônes, la position des cauris dessinent des signes du Fâ, notre système de divination. Ils témoignent de la véracité de la valeur sacrée de ces œuvres. »</p>
</blockquote>
<p>En bref, on ne transporte et ne manipule pas de tels objets sacrés comme s’il s’agissait d’ersatz fabriqués en Chine pour des touristes en goguette.</p>
<p>On peut parler ici, au contraire, d’une véritable logistique « mémorielle » qui ne peut se prévaloir uniquement de critères traditionnels de performance (coût, délai, intégrité).</p>
<p>Nous sommes en présence d’un puissant animisme au sein duquel la logistique doit prendre garde à respecter les esprits mystiques. De ce point de vue, elle dépasse largement la simple logique muséographique de respect de l’intégrité des objets, aujourd’hui bien connue et maîtrisée par de grandes entreprises <a href="https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=248360">spécialisées dans la prestation de services logistiques</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wz8VyD3HZwE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Rencontre avec l’animisme, cette philosophie africaine, TV5 Monde, 9 février 2016.</span></figcaption>
</figure>
<p>Une telle logistique – beaucoup plus sensible – dissimule un marché en devenir qui sera complexe à gérer car l’Europe possède environ 90 % du patrimoine culturel et cultuel de l’Afrique. Par exemple, les collections du musée du Quai Branly renferment quasiment 70 000 œuvres d’art qui viennent d’Afrique subsaharienne, dont la majorité a été exfiltrée durant la période coloniale française. Le British Museum, le Louvre, le Rijksmuseum à Amsterdam, le Weltmuseum à Vienne, et bien d’autres musées sont concernés par ces projets ou, tout du moins, par des demandes du Tchad, de l’Éthiopie, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria et de moult autres nations à la reconquête de leur mémoire, patrimoine et culture.</p>
<h2>Le dilemme de l’universalisme face au culturalisme</h2>
<p>Évidemment, la question centrale liée à la restitution des œuvres d’art aux pays africains n’est pas de nature logistique, mais d’abord de nature juridique et diplomatique, ainsi que nous l’avons souligné précédemment. Elle place au centre des débats la lancinante <a href="https://theconversation.com/restituer-les-biens-culturels-a-lafrique-idee-davenir-ou-depassee-96945">culpabilité de l’Occident</a>, et la manière de réparer des offenses à d’anciennes civilisations.</p>
<p>Imaginer « à l’européenne » que l’organisation du rapatriement de ces œuvres d’art sera une simple question d’intendance conduirait à commettre une grave erreur. Il existe une logistique singulière, de nature « mémorielle », dans le retour des trésors royaux d’Abomey qui indique qu’il devient plus que jamais indispensable de prendre en compte les <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-2-page-151.htm">dimensions culturalistes</a> de la logistique.</p>
<p>Nous proposons ici une première ébauche de définition de la logistique « mémorielle » : celle-ci peut être vue comme une démarche globale de management visant à maîtriser la circulation physique, informationnelle et spirituelle d’œuvres à dimension culturelle et/ou cultuelle transférées via les chaînes logistiques de plusieurs institutions d’un même pays et internationales.</p>
<p>Sans doute faut-il impulser un véritable <em>aggiornamento</em> des modes dominants de pensée en logistique, fondés sur une normativité importante. En effet, l’organisation et le fonctionnement des chaînes logistiques s’appuient depuis des décennies sur une standardisation/normalisation poussée et la recherche d’une interopérabilité maximale, notamment entre les flux matériels et les flux informationnels.</p>
<p>L’un des exemples les plus connus est le système de palettisation, qui définit strictement la taille que doivent avoir les camions, les conteneurs, les entrepôts, les espaces de stockage en magasin, les robots, et au final, les produits eux-mêmes !</p>
<p>La logistique a ainsi sécrété au fil du temps des « normes de circulation » dont l’objectif est de <a href="https://pascal-francis.inist.fr/vibad/index.php?action=getRecordDetail&idt=12452835">fluidifier au maximum</a> les échanges de produits. Le retour au Bénin des trésors d’Abomey n’aurait-il pas ici une vertu inattendue : signaler une autre voie où l’Humain et le Spirituel constituent des éléments essentiels à prendre en compte dans la gestion des chaînes logistiques ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172830/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre du jury d'agrégation du CAMES dans la section sciences de gestion et était présent à Cotonou au Bénin du 4 au 17 novembre 2021 lors du 20eme concours d agrégation SJPEG</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aaron Sottima Tchando, Barnabé Thierry Godonou et Gilles Paché ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le retour des trésors royaux d’Abomey au Bénin pose de nombreuses questions opérationnelles qu’il faut absolument prendre en compte, notamment du fait de leur charge spirituelle.Barnabé Thierry Godonou, Docteur en sciences de gestion, Université Aube NouvelleAaron Sottima Tchando, Docteur en Sciences de gestion, Université Aube Nouvelle de Ouagadougou, Université Aube NouvelleGilles Paché, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Marc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1702262021-10-28T18:58:32Z2021-10-28T18:58:32ZAu Bénin, le développement urbain se nourrit d’expulsions<p>Construite sur une bande de terre de quelques kilomètres de large s’étirant entre la lagune et la mer, Cotonou, capitale économique du Bénin, est depuis longtemps un <a href="https://drive.google.com/file/d/19y4EHAwGnfyCM4oELjOVrRL5LhG8-j18/view">site d’implantation de pêcheurs</a> issus des populations côtières de la région. Aujourd’hui devenues le substrat de certains quartiers de la ville, ces communautés ont vu au cours des dernières décennies leurs lieux de vie progressivement gagnés par l’avancée du front urbain.</p>
<p>Dans les dernières années, les plans de réaménagement du littoral portés par le président Patrice Talon (en poste depuis 2016) ont globalement fait peu de cas des gens de peu ayant construit là leur existence. Arguant d’une nécessaire planification urbaine pour déloger parfois des quartiers entiers, cette politique du mépris menée au nom du développement fragilise en fait des fractions parmi les plus vulnérables de la population urbaine.</p>
<h2>Devenir réfugié dans son propre pays ?</h2>
<p>Peu après la mi-août 2021, assis au comptoir de la cafétéria « Carrefour des jeunes », à quelques mètres de la clôture de l’aéroport, je discutais avec quelques jeunes et moins jeunes hommes assis là d’un <a href="http://www.cadredevie.bj/informations/communiques-avis/item/301-communique-conjoint-mcvdd-mdgl-relatif-a-la-liberation-du-domaine-maritime-de-fiyegnon-1">communiqué ministériel</a> soudainement sorti mi-juillet et donnant un délai d’un peu plus d’un mois et demi aux habitants du quartier, connu comme « Fiyegnon 1 », pour plier bagage.</p>
<p>Entre colère et résignation, le petit groupe s’interrogeait sur la signification de leur citoyenneté face à une telle absence de concertation, tout en rappelant l’ancienneté du quartier : certaines familles étaient établies là depuis un demi-siècle, bien avant la construction des villas qui leur faisaient face désormais, à une époque où il n’y avait aux alentours que cocoteraies et parcelles de maraîchers… Comptant 623 ménages recensés et environ 3 000 habitants, le quartier était en 2021 densément peuplé, construit aussi bien « en dur » qu’en « matériaux précaires », selon la condition économique des ménages.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427218/original/file-20211019-24-617de4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La cafétéria « Carrefour des jeunes » à quelques mètres de la clôture de l’aéroport en août 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Nous ne sommes quand même pas des coqs et des poules », suggérait Marius, étudiant en droit et tenancier de la cafétéria, exprimant le sentiment général des habitants d’être traités comme des animaux dont on pourrait disposer à sa guise…</p>
<p>« Dans mon propre pays, je vais devenir un réfugié ? C’est-à-dire, il n’y a pas la guerre ici, il n’y a pas la famine… mais quand on va déguerpir les gens, ils vont faire quoi ? Mettre les matelas sur la tête et partir et commencer à chercher un peu partout là où dormir ? Là tu deviens un réfugié, dans ton propre pays… », renchérissait un autre… « Quand on pense à ça, ça nous tape sur les nerfs »… Le petit groupe oscillait entre sentiments d’impuissance et de révolte.</p>
<h2>Très brève histoire d’un quartier de Cotonou</h2>
<p>En fait, ce qui était présenté dans le communiqué ministériel comme un quartier « illégal » avait été formé à l’origine par une communauté de pêcheurs. Ceux-ci avaient été installés en ces lieux au tournant de l’indépendance de 1960, après avoir été délogés du site qui devait abriter le palais présidentiel.</p>
<p>Ces pêcheurs (et travailleurs du port, situé non loin) et leurs ménages avaient alors rejoint là, en bout de piste de l’aéroport, et en concertation avec les autorités de l’époque, quelques familles déjà établies sur le site dans les décennies précédentes. L’ancienneté de leur occupation des lieux est notamment attestée par l’installation à cet endroit, en 1958, de divinités protectrices, des <em>vodoun</em> auprès desquels on pouvait venir chercher protection et solution aux problèmes du quotidien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Entourée d’un trait rouge, la zone de Fiyegnon 1, aujourd’hui détruite, soit environ huit hectares.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran Google Maps</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La communauté relogée là s’y était trouvée suffisamment bien pour désigner leur nouveau quartier du nom de « Fiyegnon », c’est-à-dire « Ici est bon ». En 2021, le quartier continuait d’ailleurs d’être habité par de nombreux pêcheurs dépendant étroitement de la proximité avec la mer pour leurs moyens de subsistance, même si on y trouvait également d’autres profils de travailleurs et travailleuses de l’économie dite « informelle ».</p>
<p>Avec l’urbanisation progressive de la zone, le quartier a connu différentes opérations de viabilisation et de recasement depuis le début des années 2000, faisant en fait bel et bien partie à l’époque des plans d’aménagement urbain des autorités nationales et communales : le quartier bénéficie de raccordements à l’électricité et à l’eau, les habitants ont obtenu en 2004 et 2005 des « fiches de recasement » attestant des limites de leurs parcelles respectives, des voies rectilignes ont été tracées il y a une dizaine d’années et les contours des terrains revus en conséquence… Autant d’actes d’aménagement urbain et de reconnaissance étatique de la légitimité de l’occupation du lieu par ses habitants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À l’avant-plan, le quartier de « Fiyegnon 1 », visé par l’opération de déguerpissement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La zone a, il est vrai, été déclarée d’utilité publique en 2006 dans le cadre de la « Route des Pêches », projet d’aménagement au long cours de cette portion du littoral.</p>
<p>Mais les différentes moutures du projet prévoyaient, jusqu’aux rapports d’études d’il y a quelques années, l’intégration du quartier « Fiyegnon 1 » au projet, le tracé de la nouvelle route côtière ayant même été modifié à cette fin. Une expropriation ultérieure restait bien entendu possible, mais elle devrait alors être réalisée « contre juste et préalable indemnisation », selon la formule consacrée dans les textes juridiques béninois. Or, le communiqué ministériel de la mi-juillet évoquait la situation en de tout autres termes : il y était question d’occupation « illégale » des lieux, et de leur « libération » « sans délai »…</p>
<p>Contrairement aux déclarations médiatiques postérieures des autorités, aucun contact préalable n’avait été pris avec le chef du quartier, ni a fortiori avec les habitants. Aucune proposition de relogement ni d’indemnisation n’avait été formulée. Dans les semaines suivantes, les demandes d’entrevues du chef de quartier et de représentants des habitants auprès des autorités politiques et administratives concernées, de la commune de Cotonou à la présidence de la République, rencontrèrent un succès pour le moins mitigé. Aucune réponse ne vint de la présidence, de la mairie, ni des ministères concernés. Les seuls officiels qui acceptèrent de recevoir la délégation n’avaient en fait pas de véritable prise sur le dossier.</p>
<h2>Un traitement autoritaire des pauvres</h2>
<p>À Cotonou, l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon en 2016 a correspondu avec un élan nouveau donné au développement urbain. Sa présidence, aujourd’hui largement considérée comme marquée par un <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/205259/1/KOHNERT%26PREUSS2019.Benin%27s%20stealthy%20democracide.WP.10.10.19.pdf">virage autoritaire assumé</a>, a en effet correspondu à la mise en œuvre de <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1062011/economie/benin-cotonou-petite-metropole-deviendra-grande/">chantiers urbains emblématiques</a>, engagés au pas de charge.</p>
<p>L’asphaltage des voies a été accéléré, les projets de redéploiement des quartiers centraux se sont multipliés, et l’aménagement du littoral a été repensé, avec l’idée de faire de Cotonou la « vitrine du Bénin ». Comme dans d’autres capitales ouest-africaines, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/09/14/a-abidjan-des-habitants-deguerpis-par-la-construction-du-metro_6094554_3212.html">Abidjan</a> ou <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/mar/12/class-divide-mass-demolitions-drive-poor-from-valuable-land-in-lagos">Lagos</a> notamment, ces projets ont abouti depuis 2017 à une série de « déguerpissements », visant à la fois des empiètements de constructions privées sur l’espace public, mais aussi des quartiers entiers, parfois parmi les plus vieux de la ville, ou construits dans des <a href="https://www.jeuneafrique.com/890319/societe/benin-au-marche-dantokpa-a-cotonou-tristesse-et-colere-apres-le-deguerpissement/">zones visées par des projets de développement urbain</a>.</p>
<p>Ce n’est que dans certains des projets les plus récents, menés dans les tout derniers mois, que le gouvernement a fini par prévoir des <a href="https://lanouvelletribune.info/2021/09/benin-ce-que-lexecutif-propose-aux-deguerpis-de-xwlacodji-et-de-la-route-des-peches/">dédommagements réels</a>, même si loin d’être alignés sur le prix du foncier à Cotonou.</p>
<p>Dans les dernières années, qu’il s’agisse de casser l’extension d’une boutique mordant sur le trottoir, de détruire un petit commerce occupant sans autorisation ce même trottoir (<a href="https://www.jeuneafrique.com/400856/societe/long-format-benin-a-cotonou-jungle-deguerpis/">tout en payant malgré tout simultanément une redevance à la mairie</a> lors du passage de ses agents collecteurs…), ou de déloger un quartier entier sans que le relogement des habitants ne soit véritablement planifié, ces entreprises ont systématiquement été promues par le gouvernement comme relevant de la « libération des espaces publics »… La formule prêterait à sourire si elle n’était pas en fait le masque d’une violence d’État s’exerçant sur les classes populaires et l’euphémisme vertigineux d’une politique urbaine du mépris.</p>
<p>La croissance urbaine représente bien entendu aujourd’hui pour bon nombre d’États d’Afrique subsaharienne un défi majeur. Il n’est évidemment pas question ici de contester à l’État béninois ses légitimes ambitions de développement urbain. Pour autant, le « développement » ne peut pas non plus devenir l’alibi d’une politique hostile aux citadins les plus pauvres, qui leur dénie leur droit à la ville. Ou, pour le dire avec les mots d’un désormais ex-habitant de Fiyegnon recontacté mi-octobre :</p>
<blockquote>
<p>« Développement, oui, infrastructures, oui, mais pas au prix de la déshumanisation… »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Fiyegnon dans les jours suivant la destruction. Au loin, des habitants fouillent les décombres. (photo prise par un habitant).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le 13 septembre au matin, la zone déclarée « illégale » commença à être détruite, avec l’appui d’un important déploiement policier. Trois personnes décédèrent d’un problème cardiaque pendant la démolition, une situation analogue à celle qui s’était déjà produite <a href="https://www.academia.edu/37197597/GOUVERNEMENT_DES_ESPACES_PUBLICS_EN_BORDURE_D_EAU_AU_BENIN_UNE_ANALYSE_ORIENTEE_DANS_LA_PERSPECTIVE_DE_L_INEGALITE_ENVIRONNEMENTALE_A_COTONOU_pdf?auto=download">lors de la destruction du quartier Enagnon</a>, sur une autre portion du littoral cotonois, en 2017.</p>
<p>Dans les jours suivants, en dépit de fortes pluies, beaucoup d’habitants logeaient encore parmi les décombres, ne sachant où aller. Début octobre, avant l’évacuation complète des gravats, quelques dizaines de personnes étaient encore dans cette situation, revenant pour certaines d’entre elles seulement à la nuit tombée, afin de ne pas être vues. D’autres avaient trouvé à s’abriter temporairement dans les cours d’autres maisons du voisinage, d’autres encore étaient hébergées de façon provisoire par des parents ou des amis. Les mieux lotis avaient réussi à louer dans l’urgence un nouveau logement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le site de la cafétéria « Carrefour des jeunes » aujourd’hui. Le sol est détrempé par la saison des pluies qui commence. (photo prise par un habitant). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Je n’arrive pas à oublier », « j’ai du mal à dormir la nuit », « bien sûr que je suis en colère », « les gens souffrent énormément »… Les habitants avec lesquels je continue à correspondre sont manifestement éprouvés. Les forces de l’ordre surveillent toujours les lieux pour s’assurer qu’aucune construction temporaire ne réémerge, qu’aucune forme de petit commerce ne reprenne. Les habitants n’ont, à ce stade, été informés d’aucune possibilité de dédommagement.</p>
<p>Voulant croire que « le père ne saurait abandonner ses enfants », les représentants du quartier se sont désormais engagés dans une tentative d’interpellation médiatique du président, « Père de la Nation », qu’ils estiment mal informé et induit en erreur. Le cas de « Fiyegnon 1 » est pourtant loin d’être unique depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon, dont les projets de développement urbain semblent avant tout tournés vers le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1061964/politique/benin-jose-tonato-cotonou-doit-etre-une-etape-incontournable-sur-le-corridor-abidjan-lagos/">renforcement de l’attractivité internationale de la ville</a>.</p>
<p>En fait, la politique urbaine engagée depuis 2016 donne à voir une déclinaison africaine éloquente des contours tragiques que peut prendre une politique néolibérale de la ville, <a href="https://libcom.org/files/Lo%C3%AFcWacquant--PunishingthePoor.pdf">au sens que lui donne Loïc Wacquant</a> : complaisante à l’égard des riches, dure avec les pauvres. Au final, il est à craindre que le développement urbain de Cotonou ne converge avec un scénario, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247813513705">déjà bien connu dans les grandes villes africaines</a>, d’approfondissement, au travers des politiques urbaines, des inégalités sociales d’accès à la ville. Les désormais ex-habitants de « Fiyegnon 1 » n’ont pas fini de s’interroger sur le sens et les contours de leur citoyenneté…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS, Belgique).</span></em></p>À Cotonou, la capitale économique du Bénin, un quartier entier vient d’être rasé par les autorités, sans compensation pour les habitants. Illustration d’un phénomène fréquent dans la région.Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694222021-10-14T17:19:57Z2021-10-14T17:19:57ZLes défis de la couverture sanitaire universelle en Afrique : un ouvrage de synthèse en français<p>L’accès aux soins de santé est au cœur de la volonté déclarée des États du monde de se diriger vers la <a href="https://www.uhc2030.org/fr/">couverture sanitaire universelle</a> (CSU) en 2030. Depuis 2015, celle-ci est l’un des objectifs de développement durable (<a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/health/">ODD</a>).</p>
<p>Dans un <a href="https://www.editionscienceetbiencommun.org/?p=1636">ouvrage collectif</a> qui vient de paraître, nous avons souhaité rendre accessibles en français (et gratuitement) les plus récentes connaissances scientifiques sur l’état des lieux en la matière en Afrique pour soutenir les réflexions et les débats sur les différentes options pour y parvenir.</p>
<h2>Où en est-on ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 » vient de sortir aux Éditions Science et bien commun et est gratuitement disponible en téléchargement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Science et bien commun</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La couverture sanitaire est aujourd’hui loin d’être universelle. Elle est très variable d’un pays à l’autre mais aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Par exemple, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes (pour leur accouchement) par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins financée par l’État.</p>
<p>Cette politique s’est révélée non seulement <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/limpact-de-la-reduction-et-de-la-suppression-du-paiement-des-frais-dutilisation-sur-la-prestation-de-services-au-burkina-faso/">efficace</a> mais aussi <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/cout-efficacite-des-politiques-dexemption-du-paiement-des-soins-de-sante-maternelle-au-burkina-faso/">efficiente</a>, et son rapport coût-bénéfice est impressionnant.</p>
<p>Mais malgré les progrès remarquables de certains pays en Afrique, il reste encore de nombreux défis et obstacles pour que soient atteints les deux objectifs principaux de la CSU, à savoir l’amélioration de l’accès aux soins de santé de qualité pour tous et la réduction du fardeau financier pour les familles dans un contexte où l’on demande encore aux patients de payer lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé. Plusieurs chapitres du livre illustrent ces défis dans de nombreux pays de la région ouest-africaine car les obstacles sont encore nombreux.</p>
<h2>Des financements publics insuffisants</h2>
<p>Le premier obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. De même que la France est loin d’atteindre ses engagements internationaux pour l’aide publique au développement, très rares sont les pays en Afrique à approcher de leur <a href="https://au.int/sites/default/files/pages/32894-file-2001-abuja-declaration.pdf">objectif de consacrer 15 % de leur budget au secteur de la santé</a>. Par exemple, le <a href="https://www.unissahel.org/wp-3-senegal">Sénégal</a> accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la sécurité publique.</p>
<p><a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">Selon l’OMS</a>, un seul pays, le Rwanda, a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé. Par exemple, <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">au Rwanda</a>, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale contre 15 % au Burkina Faso ou 27 % en Guinée. Du fait de l’insuffisance des dépenses publiques en matière de santé des États, les citoyens doivent payer des sommes considérables quand ils doivent se soigner.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149003073882337281"}"></div></p>
<p>Ainsi, au Burkina Faso, 40 % des dépenses totales de santé sont supportées par les habitants, qui payent lorsqu’elles se rendent au centre de santé. Or, ce mode de financement est injuste puisque l’on demande aux malades de payer sans tenir compte de leur capacité financière. C’est tout l’intérêt des <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/acces-aux-soins-de-sante-en-afrique-de-louest-l">politiques de suppression</a> de ces paiements au point de service que nous évoquons dans notre ouvrage et qui datent des années 2000.</p>
<p>Mais, évidemment, pour que cela puisse fonctionner, il faut que le retrait de ces paiements par les populations soit compensé par un financement public dont le mode de collecte tient compte des enjeux d’équité, c’est-à-dire que les gens devraient payer en fonction de ses capacités. Rares sont les pays qui se sont déjà engagés dans ce mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale. C’est certainement le principal défi des prochaines décennies pour les pays africains car l’argent, <a href="https://books.openedition.org/pum/3607?lang=fr">contrairement aux idées reçues</a>, ne manque pas toujours. Il suffit de penser à l’évasion fiscale, qui se chiffre en milliards, et aux <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/opinions/secteur-minier-financer-soins-sante-afrique/">industries minières internationales</a> présentes en Afrique.</p>
<h2>Des choix à la fois techniques et idéologiques</h2>
<p>Le corollaire à cette dépendance à l’aide internationale est l’influence que les experts étrangers peuvent exercer sur le choix des instruments de politique de santé. En effet, pour atteindre la CSU, il existe de multiples choix possibles et les débats sont très nombreux et très anciens. Par exemple, faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé ? Faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer ? Faut-il payer une prime de performance au personnel de santé ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NsGD3hn0yp4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Couverture-Santé Universelle (CSU) : Un exemple au Ghana/OMS, 22 mars 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces choix sont techniques mais ils sont aussi souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale qui imposent encore très souvent leurs idées, comme c’est le cas de la <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/la-diffusion-politique-du-financement-base-sur-les-resultats-au-mali/">Banque mondiale et de certains cabinets de consultants</a>. L’ouvrage collectif met en évidence les débats en cours autour de ces différents instruments, mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/"><em>New Public Management</em></a> (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.) comme c’est le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">France pour son système de santé</a>.</p>
<h2>La piste des assurances communautaires professionnelles à grande échelle</h2>
<p>Il existe cependant des initiatives prometteuses dans la région ouest-africaine dont il faut parler et sur lesquelles il convient de continuer de produire des connaissances scientifiques pour en vérifier la pertinence.</p>
<p>Avec plusieurs collègues, nous étudions une innovation relativement récente en Afrique de l’Ouest francophone, celle des assurances communautaires à grande échelle avec un soutien de professionnels pour la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires organisées au niveau des villages et des communes avec une gestion bénévole n’étaient pas une solution, comme nous <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/implications-pour-la-recherche-et-pour-les-politiques-de-sante/">l’évoquons dans l’ouvrage</a>. Elles couvrent trop de peu personnes et leur stabilité financière est très précaire. Ainsi, depuis quelques années, des pays comme le <a href="https://www.ceped.org/fr/publications-ressources/working-papers-du-ceped/article/la-couverture-universelle-en-sante">Mali</a> et le <a href="https://www.itg.be/files/docs/shsop/shsop34.pdf">Sénégal</a> se sont engagés (alors que cela avait été proposé <a href="http://dspace.itg.be/handle/10390/6090">il y a très longtemps</a>) dans le développement de mutuelles de santé, où la cotisation reste volontaire (c’est un autre défi !), à l’échelle d’un département/cercle.</p>
<p>De plus, la gestion de ces mutuelles n’est plus laissée à des bénévoles mais réalisée par des professionnels de l’assurance et de la gestion. Les instances de gouvernance continuent d’impliquer les communautés et leurs représentants. Cela pose évidemment des défis concernant la place des communautés et de la <a href="https://theconversation.com/les-invisibles-du-systeme-de-sante-au-senegal-137456">démocratie sanitaire</a> qu’il faudra étudier. Par exemple, au Sénégal, nous évoquons dans le livre le fait que deux départements disposent aujourd’hui d’une assurance maladie qui couvre plus de la moitié de leur population, ce qui est un record historique à notre connaissance. Ce modèle, qui s’est montré <a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">résilient</a> face à la pandémie de Covid-19, commence à s’étendre dans d’autres départements du Sénégal et il a reçu des délégations du Niger, de la Guinée, de la Mauritanie, montrant son attractivité et son potentiel.</p>
<h2>Rendre accessibles les résultats de la recherche</h2>
<p>Enfin, cet ouvrage collectif aborde aussi l’enjeu central de <a href="https://www.equiperenard.org/">l’accès et de l’utilisation de la science</a>. C’est en effet aussi un enjeu scientifique que de produire des connaissances sur la manière dont il est possible de favoriser l’utilisation des données probantes par les acteurs de terrain et les décisionnaires.</p>
<p>Cet objet de recherche est encore rarement abordé en <a href="https://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/03/18/lutilisation-de-la-recherche-par-les-ong-un-appel-a-actions-et-a-reflexions/">Afrique de l’Ouest</a>. Un chapitre du livre est consacré à ces défis au <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/le-point-de-vue-des-decideurs-du-burkina-faso-sur-lutilisation-de-la-recherche-au-ministere-de-la-sante/">Burkina Faso</a> et montre comme la science éclaire peu les responsables du ministère de la Santé.</p>
<p>L’un des défis de l’utilisation de la recherche est que cette dernière est la plupart du temps, dans le domaine de la santé, publiée en anglais, ce qui n’en facilite pas l’utilisation par les décisionnaires francophones de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que nous avons publié ce livre en français et en accès gratuit. Il n’est pas en vente et quelques copies papier sont actuellement distribuées dans les pays.</p>
<p>De plus, il y a encore beaucoup d’équipes de recherche qui rechignent à s’engager dans un soutien aux politiques publiques et à adapter leurs résultats de recherche pour que ceux-ci puissent nourrir les réflexions des décideurs. Certaines équipes préfèrent attendre que leurs résultats soient publiés dans des revues scientifiques (souvent payantes) en anglais, ce qui peut prendre de nombreux mois et parfois des années, avant de les partager avec les responsables des systèmes de santé concernés. </p>
<p>Il nous reste donc collectivement encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les résultats de nos travaux puissent soutenir le développement et les décisions en faveur de la couverture sanitaire universelle en 2030. Nous espérons que cet ouvrage collectif pourra nourrir les réflexions francophones sur le sujet au-delà des idées reçues et des solutions miracles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valéry Ridde a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, ONG etc.). Il est actuellement affecté à l'ISED/UCAD au Sénégal.</span></em></p>De nombreux travaux sont consacrés aux défis et aux promesses de la mise en place de la couverture sanitaire universelle en Afrique. Un ouvrage qui vient de paraître fait le point sur la situation.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1689632021-10-10T16:43:34Z2021-10-10T16:43:34ZAfrique de l’Ouest : la manne financière des tests Covid-19 imposés aux voyageurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424547/original/file-20211004-23-ov8ljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C8%2C5928%2C2973&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au Sénégal comme dans les autres pays de l’UEMOA, le dépistage de la Covid-19, obligatoire dans les aéroports, constitue un apport non négligeable aux finances de l’État.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/flag-senegal-covid19-testing-text-on-1984640675">Aleksey Novikov/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le paiement du test Covid-19 <a href="http://www.uemoa.int/fr/harmonisation-des-dispositions-sanitaires-relatives-au-depistage-de-la-covid-19-dans-l-espace-uemoa">rendu obligatoire</a> pour chaque voyageur est en passe de devenir un outil de mobilisation de ressources financières pour les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette institution regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.</p>
<p>Sans aborder le débat sur les utiles mesures de protection sanitaire contre la Covid-19, il est néanmoins opportun de prendre conscience de l’émergence de plates-formes de collecte de fonds mises en place par les États ouest-africains après l’ouverture des frontières aériennes le <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/coronavirus-ces-pays-africains-qui-rouvrent-leurs-frontieres-02-08-2020-2386421_3826.php">1ᵉʳ août 2020</a>.</p>
<h2>La chronologie des impacts sur l’économie des mesures anti-Covid</h2>
<p>Au tout début de l’apparition de la pandémie, un certain nombre de <a href="https://www.undp.org/content/dam/rba/docs/Covid-19-CO-Response/Briefing_socioeco_Covid19_BFA_mai_2020.pdf">mesures</a> avaient été prises dans ces pays. Elles ont progressivement évolué : fermeture des marchés, confinement partiel, confinement total, mise en place du travail à distance, etc. Puis, un niveau supérieur de restrictions fut atteint avec la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/coronavirus-le-burkina-ferme-ses-fronti%C3%A8res-et-instaure-un-couvre-feu-/1773855">fermeture des frontières aériennes et terrestres</a>.</p>
<p>Ces mesures avaient peu ou prou <a href="http://www.uemoa.int/sites/default/files/bibliotheque/rapport_final_etude_impact_covid-19_ccr-uemoa.pdf">étouffé les économies</a> de la région si bien que, parfois, les marchés ont été rouverts de façon précoce. Ce fut notamment le cas du <a href="https://information.tv5monde.com/video/covid-19-au-burkina-faso-le-marche-de-ougadougou-rouvre-ses-portes">marché central de Ouagadougou</a>).</p>
<p>La vie active a progressivement repris ses droits dans l’ensemble de ces pays, avec la levée de certaines mesures barrières, jusqu’à l’ouverture des frontières aériennes. Quant aux frontières terrestres, elles restent toujours globalement fermées même si, notons-le, une <a href="http://www.uemoa.int/en/reouverture-des-frontieres-terrestres-de-l-espace-uemoa">réouverture prochaine est envisagée</a>.</p>
<h2>Des tests plus chers pour les passagers prenant l’avion</h2>
<p>Derrière l’ouverture des frontières aériennes se développe un système de collecte de fonds via l’instauration du <a href="https://www.planete-visas.fr/burkina-faso-test-covid-obligatoire-a-larrivee-et-au-depart/">test obligatoire de Covid-19</a> pour chaque voyageur. Ceux ci doivent passer par des plates-formes robustes et – souvent – intuitives, comme c’est le cas au <a href="https://www.burkina24.com/2021/08/31/burkina-faso-possibilite-de-prise-de-rendez-vous-et-de-paiement-en-ligne-des-tests-covid-19/">Burkina Faso</a> ou ailleurs <a href="https://deplacement-aerien.gouv.ci/#/home">dans la sous-région</a>. Les voyageurs qui décident d’utiliser la voie aérienne pour se rendre dans un pays voisin doivent payer chacun <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210327-covid-19-travail-d-harmonisation-sur-les-tests-dans-l-uemoa-pour-faciliter-les-voyages">25 000 francs CFA ; ce coût sera de 5 000 francs CFA</a> pour ceux qui opteront pour la voie terrestre quand ces frontières seront ouvertes de nouveau.</p>
<p>Une question demeure : pourquoi, pour le même test, faudrait-il payer deux montants différents selon que le voyageur opte pour la voie aérienne ou terrestre ? Les laboratoires mobilisent en effet la même énergie et la même technologie pour réaliser les tests sur les voyageurs empruntant la voie aérienne et sur ceux empruntant la voie terrestre. Ces deux tests ne devraient-ils pas être proposés au même prix ?</p>
<p>L’une des explications réside dans le fait que les coûts des tests ont été stratégiquement fixés en fonction des flux créés par ces deux types de voyageurs. De fait, les voyageurs empruntant les voies terrestres <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/13126?lang=en">semblent être plus nombreux</a> que ceux qui prennent l’avion dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. Les tests à 5 000 francs CFA réservés aux voyageurs traversant les frontières terrestres concerneraient donc un grand nombre de personnes, permettant aux États de récolter des montants très élevés malgré le faible prix individuel grâce à l’effet de masse. Ce qui est problématique ici est que, dans certains États, on ne prend pas en compte les résultats des tests réalisés dans les autres pays membres, comme c’est le <a href="https://voyage.gouv.tg">cas au Togo</a>. La règle est que chaque voyageur fasse le test payant, à l’arrivée comme au départ.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LQH9ok5hjU4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Covid-19 : le Sénégal impose un test de dépistage aux voyageurs/Medi1TV Afrique, 26 juillet 2020.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Des laboratoires, des frontières et des flux</h2>
<p>Après s’être dotés de laboratoires de dépistage performants, les pays de l’UEMOA semblent avoir trouvé un vecteur de collecte de fonds auprès des voyageurs. Le flux journalier de voyageurs par voie aérienne dans des pays comme le <a href="https://www.aeroport-ouagadougou.com/fr/aeroport_ouagadougou_passagers.php">Burkina Faso</a>, le <a href="https://www.aeroport-de-lome.com/fr/aeroport_lome_passagers.php">Togo</a>, le <a href="https://www.aeroport-dakar.com/fr/aeroport_dakar_passagers.php">Sénégal</a> ou encore la <a href="https://www.aeroport-abidjan.com/fr/aeroport_abidjan_passagers.php">Côte d’Ivoire</a> montre que ces fonds pourraient être un moyen opportun de combler les déficits budgétaires liés en partie au ralentissement des activités économiques dans le contexte de la Covid-19.</p>
<p>La porosité de fait des frontières terrestres mais aussi l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20210728-afrique-ouest-centre-insecurite-repercussions-enfants-unicef-alerte-marie-pierre-poirier">insécurité</a> croissante pourraient expliquer les réticences à les rouvrir et les atermoiements dont font preuve les gouvernants. Dès lors, face à l’insécurité, les voyageurs appartenant à la classe moyenne optent pour la voie aérienne tandis que les plus pauvres <a href="https://information.tv5monde.com/video/covid-19-au-ghana-la-fin-du-commerce-transfrontalier">traversent discrètement les frontières par voie terrestre</a> sans faire le test Covid-19, sous le regard impuissant des États membres.</p>
<h2>La Covid-19 comme outil de management ?</h2>
<p>La Covid-19, en plus d’offrir des possibilités de collecte de fonds, constitue pour certains États de la zone UEMOA un moyen de convocation de certaines mesures <a href="https://grip.org/covid19-afrique-ouest/">coercitives</a>, notamment à des fins politiques. Nous avons par exemple observé que, pendant des moments de fortes tensions entre les syndicats et certains gouvernements de la région, le durcissement des mesures barrières contre le Covid-19 a permis de maîtriser et/ou de calmer des situations qui auraient pu aboutir à une remise en cause des pouvoirs politiques en place. Ce fut notamment le cas dans la gestion des <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/burkina-faso-les-syndicats-maintiennent-leur-gr%C3%A8ve-16-20-mars/1767931">grèves des syndicats des travailleurs au Burkina Faso</a>. De ce point de vue, la crise sanitaire a été utilisée comme un outil de management. Nous pouvons ici reprendre la notion économique d’« effet d’aubaine » pour souligner à la fois cet effet sur <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/news/covid-19-could-be-springboard-for-african-innovations/">l’innovation en Afrique</a> mais aussi sur la gouvernance des populations africaines.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9aLaYFHY8DY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Covid-19 : Les États de l’UEMOA harmonisent le coût du test PCR/RTI Officiel, 8 mai 2021.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Une mise en perspective avec le financement participatif</h2>
<p>Finalement nous traversons depuis 2020 une situation pleine d’apprentissages à la fois en termes de santé publique, de technologies mobilisées, de gouvernance des flux, de financement et d’activité socio-économique.</p>
<p>Les populations devraient pouvoir en tirer des leçons en appliquant en leur sein les modèles développés par les États de la région depuis l’apparition de la pandémie. Ceux-ci ont montré qu’il est possible de mobiliser des fonds importants à travers des petites contributions financières individuelles via des <a href="https://startups.sekou.org/outils/4-plateformes-de-crowdfunding-dediees-a-lafrique/">plates-formes robustes et fiables</a>. Tout repose sur le nombre élevé des personnes concernées et mobilisées. Les populations de l’UEMOA devraient s’en inspirer pour, par exemple, renforcer le financement participatif en vue de réaliser des <a href="https://theconversation.com/le-financement-participatif-de-proximite-le-cas-de-la-province-du-soum-au-burkina-faso-89662">projets stratégiques de résilience</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168963/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Seydou Ramdé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, les voyageurs doivent obligatoirement effectuer, à leurs frais, de coûteux tests de dépistage de la Covid-19.Seydou Ramdé, Docteur en Sciences de Gestion, Université Aube NouvelleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688602021-10-07T18:14:44Z2021-10-07T18:14:44ZGuinée : l’interminable attente du procès des auteurs du massacre du 28 septembre 2009<p>Le 5 septembre 2021, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211001-guin%C3%A9e-le-lieutenant-colonel-mamady-doumbouya-investi-pr%C3%A9sident">colonel</a> Mamady Doumbouya <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/09/05/guinee-tentative-de-coup-d-etat-les-putschistes-disent-avoir-pris-le-president-et-dissoudre-les-institutions_6093490_3212.html">prenait le pouvoir par les armes</a> en Guinée, renversant en quelques heures le régime du président <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20210905.OBS48268/qui-est-alpha-conde-le-president-guineen-que-des-militaires-putschistes-affirment-avoir-capture.html">Alpha Condé</a>, devenu la cible de virulentes critiques après sa réélection contestée à un troisième mandat.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">Guinée : un coup d’État prévisible</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Depuis lors, un vent nouveau souffle à Conakry. Dans l’objectif de mettre en place une transition inclusive et apaisée, l’officier supérieur à la tête du <a href="https://www.voaafrique.com/a/le-pr%C3%A9sident-alpha-cond%C3%A9-a-%C3%A9t%C3%A9-renvers%C3%A9-par-les-forces-sp%C3%A9ciales-de-guin%C3%A9e/6213035.html">Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD)</a> a engagé une vaste concertation nationale avec les forces vives de la nation. Les principaux leaders politiques, chefs religieux et acteurs de la société civile défilent au Palais du peuple pour lui présenter suggestions et doléances. Un processus dont on ignore encore l’issue.</p>
<p>Beaucoup de ces protagonistes en conviennent – et c’est aussi l’avis d’une bonne partie de la communauté internationale –, la Guinée souffre depuis son indépendance en 1958 d’une maladie chronique : l’impunité des responsables de violations des droits humains. En effet, quel que soit le régime, le pays s’est révélé incapable de faire juger les auteurs des plus graves exactions.</p>
<p>En 2010, l’élection d’Alpha Condé, opposant historique autrefois emprisonné, laissait espérer l’ouverture d’une nouvelle ère. Le temps de l’impunité était révolu, avait-il annoncé. Les crimes de masse allaient désormais être jugés, à commencer par ceux commis le 28 septembre 2009, dont les auteurs étaient parfaitement identifiés.</p>
<h2>Le terrible massacre du 28 septembre 2009</h2>
<p>Rappelons que, le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition avait <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/636125/societe/guinee-le-lundi-noir-du-28-septembre-2009/">tourné au drame</a> dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade de Conakry pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle du capitaine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Moussa_Dadis_Camara">Moussa Dadis Camara</a>, chef de la junte au pouvoir – le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) –, les forces de sécurité avaient réprimé brutalement le rassemblement.</p>
<p>Au cours de ces évènements, connus comme le <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">« massacre du 28 septembre »</a>, au moins 156 personnes ont été tuées, 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles, tandis que des centaines de personnes ont subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pendant plusieurs jours, des arrestations et des détentions arbitraires ainsi que des actes de pillage ont également été pratiqués.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XX_uWlgglzQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Massacre du stade de Conakry : HRW accable Camara et Toumba, France 24, 17 décembre 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>La Commission d’enquête internationale aussitôt créée par le secrétaire général des Nations unies d’alors, Ban Ki-moon, en vue d’établir les faits et les circonstances des évènements en cause, a considéré dans son <a href="https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2009/693">rapport de décembre 2009</a> que le nombre des victimes de ces atrocités, pouvant être qualifiées de crimes contre l’humanité, est très probablement plus élevé que ne l’indique le bilan officiel.</p>
<h2>L’interminable attente d’un procès</h2>
<p>Qui sont les auteurs de ces violations ? <a href="https://www.jeuneafrique.com/794588/societe/guinee-la-cour-supreme-clot-lenquete-sur-le-massacre-du-28-septembre-2009-une-etape-de-plus-vers-louverture-du-proces/">Une enquête pénale</a> a été ouverte et conduite par des juges d’instruction entre 2012 et 2017. Au total, 13 personnes ont été mises en examen et renvoyées devant la justice pénale guinéenne pour y être jugées.</p>
<p>Parmi les 13 prévenus, dont la plupart ont été identifiés par les victimes comme étant présents au stade le 28 septembre 2009, se trouvent Moussa Dadis Camara, plusieurs de ses ministres, ainsi que des membres de son entourage et de la garde présidentielle.</p>
<p>En revanche, d’autres responsables en poste à l’époque des faits et mentionnés dans le rapport de la Commission d’enquête internationale sont passés à travers les mailles du filet des juges d’instruction, notamment le ministre de la Jeunesse et des sports, le ministre de la Défense, le directeur du stade du 28 Septembre, la directrice de l’hôpital Donka (où de nombreux blessés ont été maltraités), le commandant du camp Alpha Yaya Diallo (où des manifestants ont été détenus et torturés), de même que plusieurs membres des services de sécurité.</p>
<p>Le choix des juges d’instruction consistant à retenir la responsabilité des uns et à écarter celle des autres est demeuré inexpliqué dans l’ordonnance de renvoi rendue le 29 décembre 2017. Au moins y avait-il une base juridique et procédurale solide pour <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/guinee-conakry/guinee-massacre-du-28-septembre-2009-la-fin-de-l-information">juger certains d’entre eux</a>. Un <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">procès historique</a> a donc été annoncé et promis à la procureure de la Cour pénale internationale d’alors, Fatou Bensouda.</p>
<p>Toutefois, Alpha Condé, à l’instar de ses prédécesseurs à la tête de l’État, a été gagné par la fièvre de l’impunité. S’il a entretenu les apparences de préparatifs du procès, c’était pour satisfaire la société civile et la communauté internationale, et surtout pour s’assurer que celui-ci ne se tiendrait jamais.</p>
<p>Pas moins d’une dizaine de réunions d’un <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/37675-guinee-massacre-du-28-septembre-2009-un-comite-de-pilotage-prepare-le-proces.html">comité de pilotage <em>ad hoc</em></a> ont eu lieu entre 2018 et 2021, sans aucun résultat concret.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SLqiHB6uvus?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guinée : massacre du 28 septembre 2009, à quand un procès ? RFI, 29 septembre 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Clairement, Alpha Condé ne voulait pas d’un procès. Il est vrai que, depuis 2010, près de 300 opposants ou manifestants avaient <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2021/03/guinee-des-morts-invisibles-symptomes-d-une-culture-d-impunite/">péri sous les balles de la police ou de l’armée</a>, sans qu’aucune enquête ou condamnation n’ait eu lieu. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/01/08/en-guinee-des-centaines-de-personnes-toujours-emprisonnees-apres-la-reelection-d-alpha-conde_6065615_3212.html">D’autres avaient été emprisonnés</a> sur la base de procédures montées de toutes pièces par une police et une justice aux ordres.</p>
<p>Comment la population pouvait-elle accepter qu’un régime ayant orchestré l’impunité au sein de son appareil répressif puisse organiser le procès de l’équipe de l’un de ses prédécesseurs à la tête du pays ? Pour éviter toutes critiques ou nouvelles contestations, le pouvoir en place estimait préférable de ne rien faire, cela d’autant plus que certaines des personnes mises en cause étaient devenues entre-temps des piliers du régime d’Alpha Condé.</p>
<h2>Le colonel Mamady Doumbouya, un tournant ?</h2>
<p>À la faveur du coup d’État opéré le 5 septembre 2021, est-il permis d’avoir encore de l’espoir ? Installé à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), le colonel Mamady Doumbouya offre-t-il des perspectives de lutte contre l’impunité ? On peut sérieusement en douter, et ce, pour trois raisons principales.</p>
<p>La première raison tient à la faiblesse chronique de la police et de l’appareil judiciaire dans un pays ayant connu une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/chronologie-de-la-guinee-1952-2010_836207.html">succession ininterrompue de régimes autoritaires ou répressifs</a> depuis 1958. Les acteurs de la police et de la justice en Guinée sont dans l’incapacité de réaliser des enquêtes sur des faits de violations massives des droits humains et de les juger.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yh12js-GRGY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guinée : Des femmes témoignent de viols commis par les militaires, France 24, 6 octobre 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>Leurs moyens (humains, techniques, matériels) et leurs capacités (formation, expérience) sont <a href="https://landinfo.no/wp-content/uploads/2018/05/Guin%C3%A9e-La-police-et-le-syst%C3%A8me-judiciaire.pdf">insuffisants</a>. Ils sont, en outre, bien trop sensibles aux influences politiques et à la corruption.</p>
<p>Sans l’intervention de policiers internationaux et celle de magistrats internationaux au sein d’une juridiction pénale internationalisée ou de la Cour pénale internationale, les affaires de ce type ont, dans un tel contexte, des chances minimes d’aboutir à des enquêtes crédibles et des jugements.</p>
<p>La deuxième raison tient au fait que les régimes successifs procèdent non au renouvellement mais à un « recyclage » des élites dirigeantes. Après quelques déclarations d’intention, les nouveaux maîtres du pouvoir <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210906-guin%C3%A9e-le-chef-des-putschistes-mamady-doumbouya-promet-un-nouveau-gouvernement">finissent par replacer les membres des équipes des régimes antérieurs qu’ils ont combattus</a>. Ainsi, non seulement nombre des ministres, militaires, hauts fonctionnaires, policiers, gendarmes et magistrats demeurent les mêmes, mais ceux-ci renouent invariablement avec leurs pratiques précédentes.</p>
<p>Ces pratiques, tenaces, des élites guinéennes forment un mélange de népotisme, de corruption et de répression, qui assure leur domination sur une <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/GN/situation-economique-et-financiere">population pauvre</a> et abandonnée à elle-même, comme le démontre l’état général de délabrement des services publics du pays (éducation, santé, eau et électricité).</p>
<p>Alpha Condé n’avait pas dérogé à la règle et avait repris dans ses équipes certains des auteurs du massacre du 28 septembre 2009 (Claude Pivi, Moussa Tiégboro Camara, Ansoumane Camara dit Baffoé, Ibrahima Baldé).</p>
<p>La troisième raison faisant douter de la fin de l’impunité tient à l’histoire de la Guinée, laquelle enseigne que les militaires qui se sont emparés du pouvoir par la force des armes ne sont pas devenus, sous l’effet de la magie, ceux qui ont instauré les principes fondamentaux d’un État de droit.</p>
<p>Déjà, le 3 avril 1984, à la suite de la mort de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/S%C3%A9kou_Tour%C3%A9/147202">Sékou Touré</a> – père de l’indépendance de la Guinée et féroce dictateur –, l’armée s’était emparée du pouvoir <a href="https://www.universalis.fr/evenement/3-11-avril-1984-prise-du-pouvoir-par-les-militaires/">par un coup d’État</a> dirigé par les colonels Diarra Traoré et Lansana Conté. Porté au pouvoir par la junte militaire dénommée Comité militaire de redressement national (CMRN), Lansana Conté avait <a href="https://www.guineenews.org/wp-content/uploads/2020/07/COUP-DETAT-MANQUE-DU-COLONEL-DIARRA-TRAORE.pdf.pdf.pdf">fait éliminer le colonel Traoré</a>.</p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1263">Élu officiellement président de la République en 1993</a>, il allait être largement reconduit en <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1756">1998</a> puis en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2003/12/26/lansana-conte-reelu-en-guinee_456546/">2003</a>, grâce à une modification constitutionnelle contestée, au terme de scrutins manipulés et au prix de répressions brutales et de l’emprisonnement de ses opposants, dont Alpha Condé. Auteur de multiples violations des droits humains, il allait conserver le pouvoir jusqu’à <a href="https://www.jeuneafrique.com/163006/politique/le-pr-sident-lansana-cont-est-mort/">sa mort en 2008</a>.</p>
<p>C’est d’ailleurs un autre coup d’État survenu au lendemain de sa mort, le 23 décembre 2008, qui porta le capitaine Dadis Camara à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). Moussa Dadis Camara allait, à son tour, suscité une vague d’espérance, alimentée par sa franchise déroutante.</p>
<p>Il promettait de lutter contre la corruption et de mettre fin aux abus. Or, il allait devenir l’un des principaux responsables du massacre du stade du 28 Septembre, massacre qui généra de vives dissensions au sein du CNDD, l’obligeant à quitter le pouvoir après une <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Guinee-Toumba-avoue-sa-tentative-de-meurtre-146292">tentative d’assassinat perpétrée par son adjoint</a>, le lieutenant Toumba.</p>
<p>Pour le colonel Mamady Doumbouya, désigné par la junte miliaire comme le nouveau président de la République le 17 septembre 2021, s’engager à ce que le procès des auteurs du massacre du 28 septembre 2009 ait lieu serait assurément une manière de montrer qu’il entend réellement rompre avec le passé en portant un coup salutaire à la culture de l’impunité en Guinée. Mieux vaut tard que jamais !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’un nouveau cycle politique commence en Guinée, les espoirs de voir les responsables du massacre du 28 septembre 2009 être enfin jugés sont grands mais ils risquent d’être encore déçus.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona de Porto (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678482021-09-21T19:32:47Z2021-09-21T19:32:47ZAfrique : le FMI à la rescousse du tarissement des liquidités du continent<p>Les DTS viennent alimenter les réserves en devises des pays africains, alors que nombre d’entre eux ont été contraints de puiser dans celles-ci afin de combler le manque de financements en 2020. Cette perte de plus de 50 milliards USD à l’échelle du continent a été particulièrement marquée en Afrique du Nord, où elle équivaut à 16 % des réserves de 2019.</p>
<p>Les économies dépendantes du tourisme (-16 % en Égypte, -9 % au Cap-Vert) et certains pays pétroliers (-31 % en Libye, -23 % en Algérie, -17 % en Angola) ont enregistré des baisses significatives, alors même que ces derniers abordaient la crise avec des réserves déjà affectées par le retournement des cours de 2014.</p>
<p>Cette allocation offre ainsi un soutien essentiel aux pays dont les liquidités externes sont les plus fragiles. En Zambie, en situation de défaut de paiement depuis novembre 2020, le montant alloué (1,3 milliard USD) a permis de doubler les réserves.</p>
<p>À l’inverse, de moindres factures d’importations et les financements de la communauté internationale ont renforcé significativement la liquidité externe d’une dizaine de pays (+23 % au Rwanda, +37 % au Maroc, +46 % aux Comores). Mais même pour ces pays, les DTS offrent un élément de confort bienvenu alors que la crise de la Covid-19 se poursuit. Et ce d’autant plus que cette hausse des réserves de change apparaît en trompe-l’œil puisqu’elle est financée par des emprunts et est donc génératrice d’endettement additionnel et/ou associée à une chute temporaire de la demande intérieure.</p>
<p>Cependant, la reconstitution des réserves ne signifie pas pour autant que celles-ci sont suffisantes. L’adéquation du niveau des réserves en devises d’un pays s’apprécie à l’aune de son exposition aux chocs externes et de sa capacité d’absorption.</p>
<h2>L’amortissement de la dette en devises : un enjeu à venir</h2>
<p>La vulnérabilité externe dépend en premier lieu de l’ampleur du besoin de financement externe (BFE), qui résulte majoritairement des déséquilibres dans les échanges dits courants de biens, de services et de capitaux de chaque pays avec le reste du monde.</p>
<p>À court terme, la pandémie n’affecte pas significativement le BFE du continent, qui devrait représenter <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/pays-developpement-financement-afrique">près de 7 % du PIB africain en moyenne par an entre 2020 et 2022</a> (en mettant de côté les flux de remboursement de dettes de court terme).</p>
<p>En 2020, la chute des importations associée au ralentissement de l’activité économique et à la fermeture des frontières a compensé la volatilité des cours des matières premières et l’effondrement des recettes touristiques.</p>
<p>En revanche, les BFE africains devraient augmenter à moyen terme, portés par le remboursement du principal d’une dette externe croissante. L’ampleur du BFE constitue déjà une source de vulnérabilité pour la Tunisie (17 % du PIB en 2021 et projeté à 14 % du PIB en moyenne entre 2022 et 2025), les pays insulaires touristiques – privés de leur entrée de devises la plus importante – et les pays producteurs de matières premières, qui restent vulnérables aux retournements des cours.</p>
<h2>Les réserves en devises mobilisées pour pallier la chute des financements privés</h2>
<p>Plus le BFE est élevé, plus les financements doivent être abondants pour le couvrir, et, de préférence, stables et de long terme. Tout repli de ces derniers expose alors le pays à une contraction de la disponibilité des devises. Or, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) à destination de l’Afrique <a href="https://unctad.org/fr/press-material/onu-les-flux-dinvestissement-vers-lafrique-significativement-affectes-par-la">se sont contractés de 16 % en 2020</a> (-35 % en Égypte et -39 % en Afrique du Sud). La baisse du nombre de nouveaux grands projets d’infrastructures (-74 %) est de mauvais augure pour les flux d’IDE dans les prochaines années.</p>
<p>En parallèle, les émergents africains (Égypte, Nigéria, Angola) n’ont pas été épargnés par la vague des sorties des capitaux les plus volatils. Enfin, les conditions de financement sur les marchés obligataires internationaux sont demeurées prohibitives pendant de longs mois, de sorte que les émissions souveraines de l’Afrique subsaharienne ont chuté de 70 % en 2020.</p>
<p>Si l’assouplissement des conditions financières a permis des retours sur les marchés en 2021, <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/soutenabilite-dettes-afrique">cette option reste coûteuse</a>. Les pays africains ont aussi pu compter sur le soutien des bailleurs multilatéraux ou bilatéraux pour combler une partie du manque (<em>gap</em>) de financement, limitant ainsi la sollicitation de leurs réserves de change.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420824/original/file-20210913-19-3uchky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La crise de la Covid-19 a rendu plus vulnérablel’équilibre externe des pays africains.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le régime de change : un facteur déterminant face aux chocs</h2>
<p>À niveau de réserves identique, la capacité d’absorption du choc est moins forte pour un pays à régime de change fixe par rapport à un pays en régime de change flottant. Ainsi, pour les pays en régime de change flottant, la dépréciation de la monnaie (-33 % pour le kwacha zambien, -27 % pour le kwanza angolais, -16 % pour le birr éthiopien, etc.) a permis de préserver partiellement les réserves de ces pays.</p>
<p>L’adéquation des réserves de change se mesure au regard des importations du pays (le seuil de trois mois de couverture est souvent retenu), de la dette de court terme (couverture totale) et de la masse monétaire (20 %). Selon ces critères, l’allocation des DTS a une incidence limitée.</p>
<p>L’impact le plus significatif concerne la Zambie, à qui elle permet de restaurer la liquidité, et, dans une moindre mesure, la Sierra Leone et le Malawi. Elle soutient également la liquidité des <a href="https://www.bceao.int/fr/content/presentation-de-lumoa">pays de l’UEMOA</a>, mais demeure insuffisante pour restaurer l’adéquation des réserves des <a href="https://www.cemac.int/Accueil">pays de la CEMAC</a>.</p>
<h2>La question de la liquidité en devises restera prégnante</h2>
<p>Les incertitudes planant sur le dynamisme du retour des capitaux en Afrique, couplées à des besoins en hausse – notamment pour honorer le service de la dette externe des pays les plus vulnérables –, font apparaître un <em>gap</em> de financement <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/10/21/pr20319-sub-saharan-africa-a-difficult-road-to-recovery">estimé par le FMI</a> à 345 milliards USD entre 2020 et 2023 pour le continent.</p>
<p>Dans ce contexte, la question de la liquidité en devises restera prégnante dans les années à venir. La <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2021/03/23/world-economic-outlook-april-2021">contraction des réserves devrait se poursuivre</a>, à un rythme moindre, en Afrique du Nord tandis qu’elle tendrait plutôt à stagner en Afrique subsaharienne.</p>
<p>Au regard des enjeux de liquidité de l’Afrique, <a href="https://www.undp.org/press-releases/special-drawing-rights-sdr-allocation-unique-opportunity-secure-global-green">l’insuffisance de cette nouvelle allocation de DTS</a> devrait susciter un élan de solidarité internationale parmi les pays à revenu élevé, qui ont bénéficié de 440 milliards USD d’allocation. Ces pays ont en effet la possibilité de procéder à une réallocation volontaire et ainsi alimenter un « Fonds pour la durabilité et la résilience » dont pourraient bénéficier 38 pays d’Afrique subsaharienne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Meghann Puloch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le FMI a enclenché le plus grand plan de création de monnaie de son histoire. Si l’Afrique n’en a bénéficié que d’une petite partie, elle se révèle cruciale pour les réserves monétaires du continent.Meghann Puloch, Économiste risque pays, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1679372021-09-16T19:39:42Z2021-09-16T19:39:42ZGuinée : un coup d’État prévisible<p>Le 5 septembre 2021, le président guinéen Alpha Condé, en fonction depuis 2010, a été renversé par un coup d’État mené par le Groupement des forces spéciales (GFS) commandé par le colonel <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210906-que-sait-on-du-colonel-mamady-doumbouya-l-auteur-du-coup-de-force-en-guin%C3%A9e">Mamady Doumbouya</a>.</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=ukXByJKDeSY">L’arrestation du président Condé</a> – diffusée instantanément sur les réseaux sociaux – a été accueillie par des scènes de liesse dans plusieurs quartiers de la capitale Conakry. Ce putsch fut unanimement <a href="https://twitter.com/antonioguterres/status/1434549674719993859">condamné par la communauté internationale</a>, comme c’est d’ordinaire le cas en pareille situation.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210908-la-c%C3%A9d%C3%A9ao-suspend-la-guin%C3%A9e-et-acte-l-envoi-d-une-mission">La Cédéao</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210910-l-union-africaine-suspend-%C3%A0-son-tour-la-guin%C3%A9e-apr%C3%A8s-le-coup-d-%C3%A9tat">l’Union africaine</a> se sont quant à elles empressées d’exclure la Guinée de leurs instances.</p>
<p>Mais au-delà de ces condamnations de principe, on peut s’interroger sur les causes profondes de ce coup d’État qui vient allonger la liste des régimes militaires de la sous-région ouest-africaine, et qui apparaissait prévisible pour de nombreux observateurs de la scène politique guinéenne.</p>
<p>Ces causes relèvent en premier lieu de la politique interne guinéenne ; mais elles pourraient aussi avoir été influencées par des dynamiques régionales favorables au coup d’État, notamment au niveau de la Cédéao.</p>
<h2>Le mandat de trop</h2>
<p>Du côté de la politique guinéenne interne, il faut s’intéresser brièvement au parcours d’Alpha Condé, qui a semblé passer de l’image de symbole de la lutte démocratique à celui d’antidémocrate.</p>
<p>Après avoir épuisé la limite des deux mandats présidentiels prévus par la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/gn2010.htm">Constitution de son pays</a>, le président Condé <a href="https://www.dw.com/fr/que-dit-la-nouvelle-constitution-en-guin%C3%A9e/a-53053248">l’avait modifiée</a> pour s’octroyer la possibilité d’effectuer un troisième mandat.</p>
<p><a href="https://www.voaafrique.com/a/contestation-en-guin%C3%A9e-90-morts-selon-l-opposition-le-gouvernement-conteste/5618658.html">Plusieurs manifestations</a> ont été organisées pour s’opposer au projet de révision constitutionnelle. Elles furent durement réprimées, provoquant des morts, des blessés et des emprisonnements. Toutefois, Alpha Condé avait fini par s’imposer en <a href="https://www.jeuneafrique.com/1070550/politique/presidentielle-en-guinee-la-victoire-dalpha-conde-confirmee-par-la-cour-constitutionnelle/">remportant l’élection présidentielle controversée</a> dès le premier tour, le 18 octobre 2020, avec 59,5 % des suffrages recueillis, lui permettant d’entamer un troisième mandat jusqu’ici impossible.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tJJV2PBzAqg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présidentielle en Guinée : le président Alpha Condé investi pour son troisième mandat, France24, 15 décembre 2020.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Aspects ethniques</h2>
<p>Depuis le coup d’État, la situation en Guinée manque de clarté mais quelques enseignements peuvent déjà être tirés.</p>
<p>Le chef de la junte, Mamady Doumbouya, est originaire de la même région (Kankan) et appartient à la même ethnie (Malinké) qu’Alpha Condé. D’ailleurs, face aux soupçons visant Doumbouya, qui lui ont été communiqués par certains proches, <a href="https://www.jeuneafrique.com/1229551/politique/exclusif-guinee-lhistoire-secrete-de-la-chute-dalpha-conde-par-francois-soudan/">Alpha Condé refusait</a> de croire qu’un jeune de sa région et de son ethnie pourrait envisager un coup d’État contre lui.</p>
<p>Rappelons que la Guinée est un pays composé de <a href="https://www.cgra.be/fr/infos-pays/la-situation-ethnique">trois groupes ethniques principaux</a> : Peuls (40 % de la population totale), Malinkés (30 %), et Soussous (20 %), qui vivent en harmonie sur le plan social, mais qui sont très fragmentés sur le plan politique, particulièrement en périodes électorales.</p>
<p>L’arène politique guinéenne est très ethnicisée. La manipulation des ethnies à des fins politiques fut mise en œuvre par les leaders politiques guinéens successifs qui ont ainsi contribué à fragiliser la cohésion sociale. On se souvient ainsi que lors de sa toute première élection en tant que candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), <a href="http://www.slate.fr/story/30295/guinee-la-politique-prise-au-piege-des-tensions-ethniques">Alpha Condé n’hésita pas à jouer la carte ethnique</a> en dénonçant par exemple la « mafia peule ».</p>
<p>Mamady Doumbouya a donc facilement pu obtenir le ralliement de plusieurs casernes du pays peuplés de militaires de la même ethnie que lui. Mais il y a aussi des Malinkés – notamment <a href="https://twitter.com/pour_guinee/status/1435735675651993605">visibles sur les réseaux sociaux</a> – qui le perçoivent comme un traître. Nous ne savons pas si un tel sentiment est partagé par des militaires de cette ethnie : le contexte sociopolitique n’est pas favorable à l’expression publique d’un tel sentiment de la part d’un militaire.</p>
<p>Mamady Doumbouya a entrepris quelques actions allant dans le sens de la réconciliation ethnique, mais qui, à certains égards, ont pu paraître aux yeux de certains des siens comme une trahison. Dès sa prise de pouvoir, il a <a href="https://observers.france24.com/fr/afrique/20210908-guinee-coup-etat-alpha-conde-liberation-opposants-prisonniers-politiques-liesse">libéré 79 opposants politiques de prison</a>, dont la majorité appartient à l’ethnie (peule) du principal opposant de Condé, <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/10/13/cellou-dalein-diallo-lhomme-qui-veut-incarner-lalternance-en-guinee">Cellou Dalein Diallo</a>.</p>
<p>Le président déchu aurait emprisonné durant sa présidence <a href="https://www.dw.com/fr/guinee-ufgd-prisonniers-poliques/a-57357751">400 opposants politiques</a>. Par ailleurs, son challenger et candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, avait <a href="https://afrique24.com/cellou-dalein-diallo-en-residence-surveillee-et-prive-de-visites-images/">déclaré être assigné en résidence surveillée</a> après sa défaite aux dernières élections. Le climat politique était donc très tendu en Guinée.</p>
<p>Son entêtement à demeurer au pouvoir au-delà des deux mandats que prévoyait la Constitution a considérablement terni l’image d’Alpha Condé. En outre, il était devenu connu pour sa propension à ne jamais discuter avec ses adversaires politiques, et était prompt à <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/presidentielle-en-guinee-amnesty-denonce-la-repression-des-manifestations-contre-la-reforme">réprimer toutes les manifestations d’opposition</a>.</p>
<p>Pour ceux qui ont suivi son parcours politique, la transformation entre l’opposant Condé – qui incarnait la lutte en faveur de la démocratie – et le président Condé était radicale.</p>
<p>Nombreux sont les jeunes d’Afrique de l’Ouest (notamment de Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso…) qui ont découvert la lutte démocratique d’Alpha Condé en même temps que la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yJJeFnhaGsU">chanson que lui avait dédiée le chanteur ivoirien de reggae Tiken Jah Fakoly</a>, en 2000, pour son rôle en faveur de la démocratie en Guinée et en Afrique. Son combat avait donc séduit au-delà des frontières guinéennes.</p>
<h2>Contagion malienne</h2>
<p>Hormis les considérations politiques internes, le contexte sous-régional a semblé influencer la situation guinéenne. Si des militaires de ce pays n’ont pas hésité à réaliser un coup d’État, c’est aussi parce que la Cédéao a échoué dans la gestion du cas malien.</p>
<p>Ce dernier pays a connu <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/au-mali-la-semaine-ou-le-colonel-goita-s-est-couronne-president_6082131_3212.html">deux coups d’État en l’espace de neuf mois</a>. Lorsque le premier est intervenu, le 18 août 2020, la Cédéao avait totalement <a href="https://www.france24.com/fr/20200915-mali-la-c%C3%A9d%C3%A9ao-exhorte-la-junte-%C3%A0-mettre-en-place-sans-d%C3%A9lai-un-gouvernement-de-transition">rejeté l’idée d’une transition qui serait dirigée par les putschistes</a>. C’est ainsi qu’un deuxième coup d’État fut perpétré par les mêmes acteurs qui, cette fois-ci, sont parvenus à se hisser au sommet du pouvoir <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/mali-face-aux-militaires-que-peut-faire-la-cedeao-410788">sans que la Cédéao ne puisse les en empêcher</a>. Face à cette attitude, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/apres-le-coup-d-etat-au-mali-macron-reitere-son-souhait-de-retirer-les-soldats-de-barkhane_6082179_3212.html">Emmanuel Macron avait prévenu les dirigeants ouest-africains</a> du « précédent dangereux pour tous ceux qui s’inquiètent de voir les soldats tourner leurs armes en direction des présidences ».</p>
<p>Quelle crainte ou réticence pouvait ressentir la junte guinéenne – vis-à-vis de la Cédéao, et la communauté internationale par extension – quand elle sait que deux coups d’État ont été possibles au Mali ?</p>
<p>On peut donc penser que la situation malienne a fait contagion en Guinée et on peut s’inquiéter de sa reproduction dans d’autres pays de la sous-région.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bdpl-tj2aaY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mali : Le coup d’État recommencé, France24, 25 mai 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais si la Cédéao a échoué à se montrer ferme face à la junte malienne, avec des conséquences indirectes en Guinée, c’est aussi à cause des divergences de points de vue des chefs d’État de l’organisation.</p>
<p>Parmi les plus fermes – qui ont même proposé de réinstaller à son poste le président malien déchu, Ibrahim Boubacar Kéita –, se trouvaient ceux qui ont opéré des révisions constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir au-delà de deux mandats (Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et Alpha Condé lui-même). Mais il y a aussi, au sein de la Cédéao, des chefs d’État qui perçoivent les troisièmes mandats comme des formes de coup d’État, <a href="https://www.jeuneafrique.com/1032344/politique/coup-detat-au-mali-umaro-sissoco-embalo-fait-son-show-a-la-cedeao/">notamment le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló</a>, et son homologue libérien <a href="https://www.financialafrik.com/2021/09/11/cedeao-george-weah-pointe-du-doigt-les-modifications-constitutionnelles/">George Weah</a>.</p>
<h2>L’inefficacité des pressions internationales</h2>
<p>Une délégation de l’organisation ouest-africaine s’est rendue à Conakry le 10 septembre 2021, avant de prendre des sanctions se limitant à l’exclusion de la Guinée.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/M9w9U87rYlQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guinée – délégation de la Cédéao : objectif Alpha Condé, RFI, 10 septembre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’ONU, quant à elle, souhaite que les civils reviennent au pouvoir dans un délai raisonnable, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210914-guin%C3%A9e-l-onu-souhaite-un-retour-des-civils-au-pouvoir-dans-un-d%C3%A9lai-raisonnable">sans toutefois exiger de date précise</a> : « C’est aux Guinéens de décider de cette transition qui sera accompagnée par l’ONU et ses partenaires de l’UA et de la Cédéao ».</p>
<p>Aucune feuille de route n’a pour l’instant été tracée pour la transition. En revanche, une <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58544800">série de consultations</a> en vue d’aboutir à la formation du prochain gouvernement vient de démarrer entre les putschistes du Comité national pour le redressement et le développement (CNRD), et les membres de la société civile, politique et religieuse du pays.</p>
<p>Par ailleurs, le coup d’État en Guinée représente une véritable aubaine pour les putschistes du Mali, et vice versa. Le délai de 18 mois qui avait été convenu pour la durée de la transition au Mali s’achève en février 2022. Mais aucun élément concret ne témoigne de la volonté de la junte malienne à rendre le pouvoir aux civils en organisant des élections à cette date.</p>
<p>Parmi les sanctions les plus redoutées pour le non-respect du calendrier figure la mise en place d’un embargo (fermeture des frontières terrestres et aériennes ; interruption des transactions financières, etc.) qui viendrait isoler le Mali, pays enclavé, des autres pays de la Cédéao.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/25/mali-l-embargo-impose-par-les-etats-voisins-a-pese-sur-l-economie-du-pays_6053661_3212.html">Ce fut le cas durant deux mois</a> après le coup d’État du 18 août 2020. Avec le coup d’État en Guinée, la junte malienne pourrait moins craindre un tel scénario en se tournant vers le port de la Guinée pour assurer ses importations.</p>
<h2>Sortir des dynamiques de force</h2>
<p>Ce qui s’est passé en Guinée démontre encore une fois que certains États africains ne sont toujours pas parvenus à disqualifier la <a href="https://books.openedition.org/pum/6384?lang=fr">force comme seul moyen de règlement des crises sociopolitiques</a>. Une manière d’y parvenir consisterait à respecter strictement les normes constitutionnelles et légales, à privilégier le débat politique constructif et le recours juridique, ce que le président Condé n’a jamais fait.</p>
<p>Alpha Condé – comme d’autres leaders de pays d’Afrique – n’a envisagé aucune possibilité démocratique de sortie du pouvoir. Les conditions favorisant l’irruption des militaires sur la scène politique étaient réunies. L’opposition politique a donc d’emblée vu dans le putsch une opportunité inespérée de redéfinir le jeu démocratique avec une participation plus ouverte.</p>
<p>Le principal opposant à Condé, Cellou Dalein Diallo, a d’abord <a href="https://fr.africanews.com/2021/09/07/guinee-les-putschistes-recoivent-le-soutien-de-cellou-dalein-diallo//">rapidement apporté son soutien</a> aux putschistes, avant de se montrer <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20210907-cellou-dalein-diallo-un-coup-de-force-pertinent-mais-les-militaires-n-ont-pas-d%C3%A9clin%C3%A9-de-calendrier-%C3%A9lectoral">inquiet par rapport au calendrier électoral</a>. L’inquiétude de Diallo paraît bien fondée car, comme le <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-53910717">souligne l’écrivain Florent Couao Zotti</a>, « la plupart des pays où les militaires ont interrompu les processus politiques n’ont jamais été exemplaires […]. Les militaires reprochent aux civils d’avoir “bordélisé” la République mais quand ils arrivent au pouvoir ils font la même chose, ils s’accrochent au pouvoir et c’est l’éternel recommencement ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Boubacar Haidara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Guinée, l’armée vient de renverser le président Alpha Condé. Ce développement, qui rappelle la situation du Mali voisin, n’a pas surpris les observateurs.Boubacar Haidara, Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux., Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.