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Et si l’IA rendait la banque plus juste ?

Pour plus d'un Français sur deux, le développement de services de type microcrédit devrait être une priorité des banques. Andrey_Popov / Shutterstock

Dans un monde en rapide évolution technologique et sociale, l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) dans la banque du futur devient incontournable. Outre les enjeux opérationnels et stratégiques, une opportunité en or et à double tranchant se présente : comment l’IA pourrait rendre la banque du futur plus équitable et plus juste pour tous ?

Le développement de l’IA pourrait rapporter jusqu’à 15,7 trillions de dollars à l’économie mondiale d’ici 2030, soit l’équivalent de six fois le PIB actuel de la France. Le secteur bancaire en tirera également les fruits avec un bénéfice d’exploitation supplémentaire estimé à plus de 220 milliards de dollars par an pour les dix premières banques.

Ceci dit, cette opportunité n’est surtout pas strictement restreinte au sens économique du terme. L’évolution en banque équitable et responsable représente en effet une opportunité que les banques doivent absolument saisir.

Crise de confiance

Plus de 10 ans après la crise financière de 2008, seulement 54 % des personnes font confiance aux institutions financières, ce qui en fait l’un des secteurs économiques le moins bien perçus. Sans innovation, agilité (nouveaux entrants de la fintech et les GAFA), un service client équitable et une responsabilité sociétale, le business model de la banque d’aujourd’hui est désormais en risque. Reste à voir comment l’IA pourrait changer la donne pour le mieux (ou pas).

La possibilité d’offrir des conseils sur mesure devient une réalité avec l’IA qui est capable de personnaliser les interactions (au-delà des services chatbots comme chez Orange Bank) pour mieux répondre aux besoins uniques des clients ainsi que de fournir un service simple, efficace, ciblé, et de haute qualité. L’IA peut désormais résoudre le compromis traditionnel entre coût et personnalisation, permettant ainsi aux institutions financières de proposer des produits sur mesure à un coût marginal presque nul.

Orange Bank : Orange mise sur l’intelligence artificielle pour sa nouvelle banque (01netTV, 2017).

La force de l’IA réside dans sa capacité à apprendre et apprendre, grâce à l’apprentissage profond (deep learning) à partir de millions de points de données pour analyser, personnaliser, et prédire l’expérience du client. Dans ce nouveau paradigme, plus la banque est large et obtient d’informations, plus l’IA est performante et peut créer un avantage concurrentiel.

Une prise de décision plus intelligente

Les banques sont de plus en plus attendues en matière d’engagement sociétal et équitable. Selon une enquête récente, 51 % des Français souhaite que les banques développent en priorité des services plus adaptés (par exemple, le microcrédit) pour permettre aux personnes les moins aisés de financer leurs projets tandis que 40 % souhaite que les banques leur offrent plus de choix regardant la destination de leur épargne. Au total, l’amélioration du pouvoir d’achat est l’attente numéro un des Français vis-à-vis des banques avec plus de 57 % d’interrogés. Les banques devraient alors saisir cette opportunité, voire même cette responsabilité, pour former une meilleure image sociale et responsable.

Extrait de l’étude Wavestone par Elabe « Le rôle sociétal de la banque au XXIᵉ siècle » (juin 2019). Wavestone.com

Tandis que le modèle conventionnel privilégie les personnes fortunées qui ont toujours eu accès à des produits et services hautement personnalisés, l’IA permet de proposer une personnalisation similaire à un coût nettement inférieur, ce qui permet aux clients du marché de masse d’accéder à ces produits et conseils. Le conseil d’un banquier humain augmenté assisté par l’IA constituera une compétence essentielle pour fidéliser la clientèle, permettant aux institutions de mettre en place des cycles vertueux de données qui approfondissent les relations avec leurs clients en offrant des conseils en amélioration constante.

Capture d cran. WEF, IÉSEG

Dans un contexte où l’offre des institutions financières s’est considérablement étoffée et les clients sont de plus en plus connectés et exigeants, une expertise qui va au-delà de ce qu’ils peuvent trouver facilement en ligne devient donc essentielle. Par exemple, l’IA permet d’effectuer des analyses et de prendre des décisions pour une évaluation de prêt pour un crédit de façon instantané, ce qui permet d’offrir du crédit en temps réel. C’est le cas de Upstart, une entreprise américaine partenaire des banques, qui vise à rationaliser l’ensemble du processus allant de l’initiation d’un prêt en automatisant (via le machine learning) les activités jusqu’à la saisie des données et les tâches de vérification.

De plus, L’IA peut être utilisée pour adapter les programmes de fidélité à chaque client en offrant des incitations et des récompenses sur mesure, contribuant à maximiser l’engagement des clients sur le long terme. Les clients bénéficieront de niveaux de service plus rapides et plus élevés, car l’intelligence artificielle augmentera la numérisation des processus, en créant des processus plus intuitifs et en libre-service, ainsi que des interactions humaines qui ne vont (et doivent) pas disparaître.

La prise de décision plus intelligente et précise pourrait bien changer le modèle économique des banques du futur qui sont toujours confrontées à un risque élevé d’erreur humaine dans leurs activités. Par exemple, l’IA et l’automatisation peuvent aider dans la détection de problèmes, le diagnostic, la planification, et l’exécution dans un secteur où les actions de quelques individus peuvent avoir un impact assez conséquent. L’entreprise californienne Zest Finance emploie ainsi l’apprentissage du machine learning afin de créer des modèles de crédit, permettant aux clients de prendre en compte une multitude d’informations et de réduire les biais et les erreurs du système conventionnel.

Moins d’équité, un risque qui existe aussi

La fiabilité de l’IA est largement dépendante de la qualité des données et de l’absence de biais dans leur traitement. Les biais peuvent être renforcés par l’algorithme assez complexe et opaque du deep learning et par conséquent peuvent aboutir à des traitements inéquitables. Une information comme un arrondissement ou un département moins aisé pourrait être désavantageux pour l’obtention d’un prêt, ce qui peut renforcer les inégalités existantes. De même, les modèles basés sur un historique de comportement sont moins performants pour les clients plus jeunes qui ne disposent pas d’un historique robuste, auquel cas il faut trouver des variables alternatives. Certains effets pourraient constituer un enjeu d’inclusion financière considérable.

La qualité des données devient donc un prérequis à l’efficacité de l’IA et de l’apprentissage profond. Il devient primordial d’examiner la source, la pertinence, et la représentativité des données au regard des objectifs recherchés pour éviter toute possibilité d’exclusion sociale.

Dans un autre exemple, Amazon a abandonné en 2018 son projet d’IA de moteur de recrutement qui consistait à analyser les candidatures soumises au cours de la décennie précédente en identifiant les tendances. Les données ont été dominées par les applications d’hommes, et l’IA a appris à préférer les candidats masculins par rapport aux femmes. Comme les êtres humains héritent inévitablement de stéréotypes et préjugés culturels, il est discutable de construire une IA impartiale.

Éventuellement, même si le client va probablement en moyenne tirer les bénéfices d’un service d’une banque plus ciblée, ce ne sera pas nécessairement le cas échéant pour tous les clients et toutes les banques. Les banques qui possèdent de larges données structurées avec une clientèle variée seront probablement les principaux bénéficiaires à adapter les produits à grande échelle. Selon une étude par Mckinsey, il est primordial d’investir aujourd’hui en IA pour en récolter des résultats tangibles et fiables vers la fin de la prochaine décennie. Les entreprises pionnières en IA pourraient augmenter leurs flux de liquidités de 122 % d’ici 2030.

La question se pose ainsi : quel avenir pour le paysage financier et les plus petites structures financières possédant moins de données et par conséquent une IA moins compétitive ? Et dans quelle mesure l’impact sera plus (ou encore moins) équitable pour ces clients ?

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