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Et si on transformait Notre-Dame en entrepôt géant ?

Notre-Dame est morte, vive « Notre-Damazon » ! Gilmanshin / Shutterstock

Suite à l’incendie de Notre-Dame, un débat s’est ouvert sur ce qu’il convient désormais de faire de la cathédrale en ruine, dont les travaux de sécurisation du site ont repris ce lundi. C’est peu dire que les propositions ne manquent pas. Le débat fait ainsi rage entre les classiques, qui se sont dès à présent mis à stocker du bois pour reconstruire à l’identique la toiture, et les modernes, qui se revendiquant de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, proposent de repenser celle-ci, par exemple avec un toit et une flèche en verre. Malgré l’intérêt de ces suggestions, celles-ci s’appuient sur un présupposé qui n’est jamais questionné : celui que la future Notre-Dame doit rester une cathédrale.

Un autre usage est possible

Certes, quelques-uns s’interrogent pour savoir s’il ne faudrait pas laisser la cathédrale en l’état, et consacrer le milliard d’euros proposé à d’autres causes. Mais personne n’est allé jusqu’à suggérer un autre usage du bâtiment. C’est ce que nous souhaiterions faire ici.

Évidemment, pour être accepté, ce futur usage doit respecter certaines conditions. Tout n’est pas possible en ce lieu et avec ces murs ! Par exemple, pour des raisons évidentes, il serait inconcevable de transformer Notre-Dame en boîte de nuit, d’en faire une sculpture de Jeff Koons, etc.

Pour être plus précis, un nouvel usage n’a de chance d’être accepté qu’à la condition qu’il satisfasse aux trois critères suivants et :

  • s’inscrive dans la tradition religieuse qui est celle de Notre-Dame ;

  • soit adapté à la situation centrale de l’ancienne cathédrale ;

  • promeuve, à l’heure où la planète brûle, un développement plus durable.

« Notre-Damazon », un entrepôt pour livrer Paris

Si d’autres usages sont possibles, une solution satisfaisante au regard de ces critères est de transformer la cathédrale en un gigantesque entrepôt servant à livrer Paris. Cet entrepôt pourrait être nommé « Notre-Damazon », en hommage à la firme de Jeff Bezos, première capitalisation au monde et qui possède des entrepôts les plus grands et en pointe.

J’entends déjà les cris d’orfraies des chrétiens qui dénonceront un sacrilège ! Quoi, transformer un lieu de culte en un vulgaire stock et le renommer d’une marque américaine ! À ceux-là, je leur rappellerai que l’Histoire est avec moi, et qu’après la Révolution française, des églises furent transformées en entrepôt. Ce fut ainsi le cas de Sainte-Élisabeth-de-Hongrie dans le 3e arrondissement, qui servit au XIXe siècle de lieu de stockage pour la farine, afin d’éviter une pénurie de pain à Paris. À ceux-là, je leur dirai surtout de ne pas s’arrêter à une réaction épidermique, et de regarder « objectivement » si cet usage satisfait aux trois critères énoncés plus haut, qui ne semblent pouvoir être discutés.

L’entrepôt, lieu du culte de la consommation

La religiosité d’abord. À l’heure où la majorité des Français est athée ou non croyante, où la pratique religieuse est en berne, la religiosité est moins à trouver dans les croyances comme le catholicisme que dans le consumérisme. Ce qui nous relie aujourd’hui, ce qui fait société, c’est comme l’ont écrit de nombreux sociologues et marketers depuis Baudrillard la consommation : les produits que nous achetons, les marques que nous aimons, les tribus de consommateurs auxquelles nous appartenons. Or, quel est aujourd’hui le lieu du culte de la consommation ? Ce n’est plus le marché, ni le grand magasin, ni le centre commercial, qui ont fait leur temps, mais l’entrepôt.

Ikea peut être considéré comme un entrepôt plus qu’un magasin ! Tooykrub/Shutterstock

C’est en effet depuis ce lieu qu’arrivent les innombrables produits que nous commandons en un clic sur Internet et qui se déversent à un rythme toujours plus soutenu vers nos domiciles. C’est d’ailleurs lui qui fait l’objet comme les cathédrales en leur temps d’une course au gigantisme, les firmes cherchant à avoir des entrepôts toujours plus grands, plus hauts, plus automatisés ! L’un des temples de la consommation moderne, les magasins Ikea, ne sont d’ailleurs rien d’autre que des entrepôts dans lesquels les clients retirent les produits !

L’entrepôt, au barycentre de la consommation

La géographie ensuite. La cathédrale Notre-Dame est située au cœur de Paris. C’est autour d’elle que la ville s’est développée de manière concentrique, cassant au fil des siècles les remparts qui ont délimité Paris de manière provisoire. Une telle situation est idéale pour implanter un entrepôt, car elle se situe au barycentre des lieux à livrer dans (le grand) Paris. Être au barycentre minimise les trajets jusqu’aux points de livraison et permet de baisser les coûts et d’augmenter la vitesse de livraison. Nos ancêtres ne s’y étaient pas trompés, puisque la zone sur laquelle est implantée Notre-Dame est à l’origine un port, qui servait à acheminer dans Paris les marchandises transportées depuis la Seine.

Les ponts et les ports de Paris vers l’an 1000. L’Atlas historique de Paris.

Diminuer l’empreinte carbone des livraisons

Le développement durable enfin. C’est peu de dire que l’empreinte carbone de Notre-Dame est un problème. Je ne parle pas des cierges, qui représentent sur le plan environnemental une goutte d’eau (si j’ose dire), mais de l’impact de la venue des millions de touristes à Paris pour visiter Notre-Dame. Déversés sur Paris par des compagnies aériennes low-cost, ces touristes, par les quantités astronomiques de kérosène requise à leur venue, ne font qu’aggraver le réchauffement climatique.

L’entrepôt, clef pour mutualiser et diminuer les livraisons. Capture d’écran du site Interlog group.

Inversement, la mutation de Notre-Dame en entrepôt aiderait à mutualiser les livraisons. Une telle mutualisation pourrait réduire le nombre de camions dans la capitale de près de 40 % et aurait un impact énorme sur l’empreinte carbone de Paris. Concrètement, ce nouvel entrepôt serait livré par des barges fluviales, mode de transport massif et peu impactant pour l’environnement. Puis, depuis cet entrepôt, les marchandises reçues en masse seraient triées et les commandes clients préparées. Il serait aisé enfin d’aller livrer les commandes aux Parisiens à l’aide de véhicules légers (vélos-cargo, utilitaires électriques).

Disparition des infrastructures logistiques

L’ironie de mon ton n’aura échappé à personne, et pour être honnête, je ne songe nullement à transformer Notre-Dame en entrepôt. Pour autant, loin d’être une boutade, cet article vise à soulever une question sérieuse et stratégique : celle de la place des infrastructures logistiques dans Paris. En effet, le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que plus aucun lieu dans Paris ne permet de massifier l’acheminement des marchandises.

Les quais de seine, qui au XVIIIe siècle étaient des ports recevant en masse des marchandises ? Piétonnisés. Les Halles, ce ventre de Paris ? Déplacées à Rungis, d’où chaque jour partent des milliers de camions pour réapprovisionner Paris. Les gares du centre qui disposaient de zones de fret ? Dédiées au transport de voyageurs. Les entrepôts qui existaient intra-muros ? Transformés en bureau ou zone commerciale, comme à Bercy. Les lieux de production où des flux massifs arrivaient ? Réaménagées en zone de culture, comme les abattoirs de la Villette. etc.

Situation catastrophique

Or, à force d’avoir fait disparaître toutes les infrastructures qui acheminaient en masse les marchandises dans Paris, la situation est catastrophique. Les marchandises sont livrées à Paris par des camions (qui sont à moitié vide !), depuis des entrepôts situés toujours plus loin en périphérie ! Cela entraîne des nuisances insupportables : pollution environnementale, maladies respiratoires, etc. Il convient ainsi qu’en prévision des municipales, une véritable réflexion des candidats ait enfin lieu à ce sujet et qu’on imagine comment, dans le contexte foncier parisien que l’on sait, des zones puissent être dédiées à la logistique.

Les entrepôts neufs en Île-de-France (1980-2009). Extrait de l’article de recherche « Quel rôle pour le fleuve dans le Grand Paris des marchandises ? » d’Antoine Frémont.

Si je revenais sur les solutions possibles dans un prochain article, pour stimuler l’imagination des politiques, ma proposition serait que soit lancé en même temps que le concours de Notre-Dame un concours intitulé « Logistisons Paris ». Demandons aux architectes, aux urbanistes, aux distributeurs, aux prestataires logistiques, aux acteurs de l’immobilier logistique, etc. de plancher, dans une perspective prospective et innovante, aux manières d’inclure la logistique à l’échelle du Grand Paris. Des projets récents ont vu le jour, comme l’Hôtel logistique de la Chapelle. Il faut aller plus loin, et imaginer pour Paris une révolution logistique du même ordre que celle d’Haussmann !

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