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Être conçu pendant une période de forte chaleur peut-il influencer le devenir de l’individu ?

Chez les individus conçus à un moment où la température était anormalement élevée, on trouve un meilleur niveau d'éducation à l'âge adulte. MIH83/Pixabay

Cet article a été co-écrit avec Toni Jung, consultante chez AT&T.

Le niveau d’éducation et l’état de santé, qui recouvrent le « capital humain » dans la théorie économique, sont des déterminants essentiels de la productivité et du niveau de revenu des individus. De nombreux travaux ont mis en lumière que les conditions de vie du foetus in utero ont une influence de long terme sur cette forme de capital. Ainsi, des chocs survenus lors du développement fœtal, sous la forme d’une mauvaise nutrition de la mère par exemple, augmentent le risque de problèmes de santé à l’âge adulte, comme l’hypertension, selon l’hypothèse de Barker.

Dans un article récent paru dans la European Economic Review, nous étudions l’effet d’un autre type de choc in utero sur le capital humain à l’âge adulte, à savoir les chocs de température ambiante. Nous prêtons une attention particulière à la température au moment de la conception, neuf mois en moyenne avant la naissance.

Les vagues de chaleurs seraient-elles bonnes pour le capital humain ?

Notre étude est réalisée à partir de données sur l’Afrique subsaharienne qui combinent des informations sur la température, à un niveau géographique assez fin, et des données sur les individus et les ménages. Ces dernières proviennent de recensements effectués dans 6 pays et d’enquêtes réalisées dans 31 pays. Les recensements contiennent la date et le lieu de naissance des individus, et des informations sur le niveau d’éducation et la littératie (l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite) des adultes. Les enquêtes contiennent entre autres la région de résidence des ménages et des informations sur l’activité sexuelle des femmes dans les semaines précédant l’administration du questionnaire.

Du point de vue méthodologique, nous ne nous intéressons pas au niveau de température, mais à l’écart de température par rapport à son niveau habituel, pour chaque mois et chaque région de résidence. A première vue nos résultats ont de quoi surprendre, puisque l’on trouve que les individus conçus pendant des périodes de températures plus fortes que la normale ont un niveau de capital humain plus élevé à l’âge adulte. Plus précisément, ces individus ont un niveau d’éducation ainsi qu’un taux d’alphabétisation supérieurs.

En Côte d’Ivoire, une mère apprend à son fils à jouer de la flute. Vystekimages/Shutterstock

Un effet de sélection des parents ?

Nous nous penchons ensuite sur différents mécanismes qui pourraient expliquer cet effet surprenant. Des processus biologiques, comportementaux, ou un effet de sélection naturelle pourraient être à l’œuvre.

En premier lieu, nous envisageons la possibilité que l’association entre température et capital humain soit due au fait que les parents d’enfants conçus pendant des vagues de chaleur soient en moyenne plus aisés ou plus éduqués. Si cette hypothèse est juste, alors nous devrions observer dans nos données que les vagues de chaleur affectent l’activité sexuelle des couples différemment selon leur statut socioéconomique. Cela implique aussi que lorsque l’on tient compte du statut socioéconomique des ménages, l’association entre température et capital humain devrait disparaître. Notre analyse nous conduit à rejeter cette hypothèse : en effet, l’activité sexuelle diminue pendant les périodes de températures élevées, mais cette baisse est indépendante du statut socioéconomique ; et tenir compte du statut social dans nos analyses n’affecte en rien nos résultats sur le capital humain.

L’importance de la sélection naturelle

Une explication alternative a trait à la sélection naturelle : dans cette perspective, les fœtus les plus faibles décéderaient en cas de température supérieure à la moyenne, tandis que les fœtus les plus forts survivraient, ce qui expliquerait que le niveau d’éducation des individus parvenus à l’âge adulte soit plus élevé. Nos données ne nous permettent pas de tester directement cet effet de sélection naturelle, car la sélection naturelle n’est pas observable.

Nous parvenons cependant à prouver de façon indirecte qu’un processus de sélection naturelle est bien à l’œuvre. En effet, les fœtus mâles sont plus fragiles que les fœtus femelles par nature, et le ratio du nombre de garçons et de filles à la naissance peut être utilisé comme indicateur de sélection naturelle. En suivant cette piste, nous montrons que les chocs de température au moment de la conception augmentent la probabilité qu’un nouveau-né soit une fille, ce qui signifie qu’un processus de sélection naturelle a bien lieu. Du point de vue des politiques publiques, nos résultats soulignent l’importance de l’électrification des habitations et de l’accès au système de climatisation pour limiter le processus de sélection naturelle.

Et le réchauffement climatique dans tout ça ?

Une lecture trop rapide de notre étude pourrait mener à la conclusion que le réchauffement climatique serait bénéfique, étant donné qu’il va de pair avec une augmentation du capital humain. Nous pensons exactement le contraire. En effet, les écarts de température ont un coût humain élevé, puisqu’ils engendrent une intensification de la sélection naturelle. Par ailleurs, notre étude se fonde sur des données couvrant une période relativement courte, et il est tout à fait possible que le réchauffement climatique engendre une adaptation des comportements à long terme, ce qui remettrait en question nos analyses.

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