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Étude de cas : la reconnaissance faciale intégrée à la publicité digitale

Analyse des visages en video. Quividi

Qualifier l’audience ou l’attention portée aux messages, quantifier l’audience, ou encore mesurer, analyser et prendre en compte les réactions. Voici l’objectif de la reconnaissance faciale dans le domaine de l’affichage publicitaire. Très répandu en Australie, aux États-Unis ou encore en Belgique, cet outil marketing pointe le bout de son nez en France, malgré les résistances.

Les précurseurs dans le domaine

Au-delà des frontières de l’Hexagone, le cautionnement de l’utilisation de la reconnaissance faciale est bien plus effectif. L’un des précurseurs en la matière est l’Angleterre, qui, dès 2014 a vu s’installer dans la ville de Londres des poubelles particulières.

En effet, celles-ci, parées de panneaux publicitaires avaient la faculté de compter le flux de piétons afin d’envoyer des publicités ciblées.

D’autres exemples similaires sont connus, que ce soit à New York grâce à des capteurs invisibles, ou encore à Montréal avec des « abribus » pouvant diffuser des vidéos sonorisées à l’approche d’une personne.

Les acteurs du marché

La reconnaissance faciale modifie fondamentalement la gestion marketing. Face à la demande, de nouveaux acteurs ont émergé. Parmi eux, Amscreen qui a créé l’outil OptimEyes, qui permet l’analyse d’individu face aux panneaux publicitaires. Ainsi, grâce à une caméra, l’outil peut reconnaître le sexe, ou encore l’âge approximatif, mais aussi les réactions. Les entreprises peuvent alors étudier les comportements, et adapter le contenu des publicités. On ne dénombre pas moins de 6 000 de ces panneaux en Grande-Bretagne.

OptimEyes en action : la caméra dans l’écran décrypte un profil de consommateur. Amscreen

Dans de semblables caractéristiques, Jacare Technologies a développé un outil permettant des analyses complètes. Ainsi, l’entreprise peut savoir si le panneau est regardé par un passant, le temps de visionnage et, ainsi, adapter les pubs au genre de la personne (sexe, âge…). Dans ce même objectif, Crown Heights, a lancé sa solution « Seeme » qui analyse les émotions des passants pour des publicités personnalisées.

Quividi est une start-up française (réalisant environ 95 % de son chiffre d’affaires hors de nos frontières) qui a créé un procédé permettant de connaître l’attention portée sur une publicité. Ainsi, il est possible de connaître les types de réactions, mais surtout le taux d’attention portée sur une publicité. Pas loin de 700 millions de visages ont pu être analysés par la start-up. Si les entreprises peuvent avoir accès à ce type de données, le ciblage sera bien plus précis mais qu’en est-il pour les consommateurs ?

C’est une question qui fait débat, que ce soit pour une question de vie privée ou en termes de collecte de données. Autant de questions qui restent sans réponse. Les acteurs du marché déclarent ne collecter aucune donnée et qu’il s’agit d’analyse en temps réel. Il pourrait s’agir d’un Eldorado pour les entreprises quant à la collecte d’informations et leurs analyses. Imaginons la possibilité pour ces sociétés de pouvoir, en temps réel, analyser la réaction d’un passant concernant une publicité et dans le même temps lui envoyer une alerte sur son smartphone. Il s’agirait d’un changement conséquent dans l’approche du client mais aussi dans l’intrusion dans la vie des consommateurs.

En sommes-nous conscients ?

Fin 2016, une députée belge fût surprise lorsqu’elle s’est rendue compte qu’un panneau publicitaire contenait une webcam sans que cela soit spécifié. Elle met en doute et conteste l’utilisation des données de ce type et le contrôle de ceux-ci.

Il s’agit d’un sentiment général de l’opinion puisqu’il existe d’ores et déjà des solutions afin de résister contre la reconnaissance faciale et passer outre ces mesures-là.

Le Figaro a relayé les propos de Daniel Bilar, spécialiste en cybersécurité chez Visa, où il expose le fait que « même en évitant la reconnaissance faciale, il va devenir de plus en plus difficile d’échapper ce genre d’identification ». On peut penser qu’une « guerre » va se livrer autour de la reconnaissance faciale et des solutions pour brider ou contrer cette technologie.

Des entreprises françaises performantes

Cependant, de nombreuses sociétés publicitaires tentent de faire accepter les technologies de la reconnaissance digitale. Et à défaut de pouvoir exercer en France, certaines s’exportent en Chine.

Smart Me Up en est un exemple. La jeune start-up grenobloise a équipé des magasins chinois de 25 000 caméras d’analyse des réactions. Le but n’est pas le comptage, mais l’étude des comportements face aux supports publicitaires. Le fondateur de la société Loic Lecerf, se défend et estime « respecter la vie privée » en affirmant que « l’analyse est faite directement, il n’y a pas d’images remontant dans un serveur ». Des business angel comme Xavier Niel ont investi dans l’entreprise, qui est aussi soutenue via un prêt à l’innovation par la BPI.

Démonstration de la technologie « smart me up ».

Un blocage législatif

La France est traditionnellement prudente, voire réticente à toute sorte d’innovation liée à l’intelligence artificielle. Par le biais de la loi Grenelle 2 de juillet 2010, elle s’est dotée d’un outil dissuasif. Les démarches sont longues, et les résultats tendent négativement.

Cependant, le gouvernement Macron semble être conscient de la nécessité de rattraper son retard. Cédric Villani, le député mathématicien de la République en Marche a rendu un rapport au Président sur l’IA et sur sa nécessité, qui pourrait faire bouger les lignes.

Des Français résistants

Les premières tentatives d’introduction de la reconnaissance faciale en France ont connu un échec cuisant. C’est en 2008 que les métros parisiens se revêtent de panneaux publicitaires équipés de caméras destinées à compter les passants, définir leurs morphologies et scruter leurs réactions. Mais le réseau associatif Français anti-publicité réagit vivement, et la RATP fait marche arrière. Depuis, plus rien n’a été installé, malgré des innovations de plus en plus importantes dans le domaine.

Résistance à l’Agression Publicitaire, une association qui milite depuis plus de 25 ans dans ce domaine, est en pointe contre la reconnaissance faciale publicitaire. Très actives, ces associations locales sont à l’origine de la fin des panneaux publicitaires dans les métros parisiens.

Loin d’être satisfaites, et face à la poussée de plus en plus pressante de cette nouvelle technologie, elles ne cessent de mener des actions de détérioration sauvage des panneaux de publicité digitales, estimant que des caméras y sont cachées pour scruter nos vies. Face aux accusations, Stéphane Dottelonde, président de l’union de la publicité extérieure a démenti en affirmant en 2014 que ce n’était qu’un « pur fantasme ».

Un rôle certain à jouer dans le futur

En dépit de toutes les résistances, et face au retard technologique de la France, des voix s’élèvent pour la reconnaissance faciale publicitaire.

« Dans beaucoup de pays du monde, nous déployons des mesures d’audience innovantes : à cet égard, la France ne doit pas prendre de retard » déclare Albert Asséraf, directeur général stratégie chez JCDecaux, acteur majeur de la publicité digitale à l’étranger.

Arnaud Bingono, fondateur de Jacare Technologie estime qu’il y a un « blocage culturel sur la question, mais il va y avoir une espèce d’évangélisation au fur et à mesure ». Il est aussi certain que « dans l’espace public, c’est plus compliqué que dans le retail. Mais les technologies sont là, il y a énormément de choses à faire en France ».

Rattraper le retard face aux grands de ce monde ou continuer à préserver nos balades dominicales incognito… Voici un débat qui ne fait que commencer.


Article co-écrit avec Brandon Goncalves et Paul-Victor Harmand Santoni.

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