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Étudiants internationaux : la fin annoncée de l’hégémonie américaine (3)

De plus en plus d'étudiants américains partent vers l'étranger. British Council Russia, CC BY-NC-SA

Les étudiants américains sont rentrés à l’université. Mais pas tous aux États-Unis.

L’idée que l’élève peut aller étudier dans un autre pays n’est pas un concept nouveau. Les médias se font fréquemment le relais du nombre d’étudiants étrangers aux États-Unis. Et c’est bien la première chose à laquelle nous pensons quand on parle d’éducation internationale : aux étudiants qui viennent dans les facs américaines.

Pourtant, un nombre croissant d’étudiants américains regardent désormais vers l’étranger pour obtenir leurs diplômes universitaires. L’Allemagne, par exemple, avec son système d’enseignement supérieur majoritairement gratuit, attire un bon nombre d’étudiants américains. Quelque 4 660 étudiants américains étaient inscrits dans les universités allemandes l’année dernière – un nombre qui a augmenté de 20 % en trois ans.

Même si le nombre d’Américains fréquentant une université en Allemagne reste très faible par rapport aux quelque 21 millions d’étudiants qui poursuivent une éducation postsecondaire dans notre pays, il représente deux changements importants dans le marché international de l’étudiant : un marché mondial en croissance rapide pour les étudiants internationaux et un nombre croissant d’étudiants américains qui cherchent à obtenir des diplômes à l’étranger.

En tant que spécialiste de l’éducation internationale, une préoccupation clé pour moi est de comprendre comment l’économie mondiale en mutation est en train de remodeler le paysage de l’éducation et potentiellement comment la domination américaine sur le marché international de l’éducation est menacée.

Étudiants américains étudiant à l’étranger

Il n’y a pas de source unique qui permette de comptabiliser le nombre total d’étudiants américains inscrits dans des établissements étrangers.

Il n’existe pas non plus de répertoire international quant aux évolutions de la scolarisation sur la planète. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral comptabilise seulement les inscriptions dans les établissements d’enseignement supérieur nationaux.

En outre, le rapport annuel intitulé « Portes Ouvertes » de l’ Institute of International Education (IIE) recueille des données sur les élèves américains envoyés par les universités américaines à l’étranger afin d’obtenir plus de crédits universitaires. Durant l’année 2012, environ 290 000 étudiants avaient ainsi choisi de partir quelques mois à l’étranger dans le cadre de leur cursus, soit plus du double que 15 ans plus tôt. Mais le gouvernement ne répertoire pas ceux qui décident de partir dans un établissement à l’étranger durant la totalité de leurs études, afin dy passer leur diplôme.

Le Royaume-Uni a été la principale destination des étudiants américains. Shane Global, CC BY

Sur la base de l’ensemble des données nationales, le projet Atlas de l’IIE a toutefois pu établir un vaste tableau des étudiants américains qui tentent l’aventure dans un autre pays. Selon ce rapport (les plus récentes données agrégées sur cette question), il y avait plus de 43.000 étudiants américains inscrits dans des programmes pour obtenir un diplôme à l’étranger en 2010. Cependant, il convient de noter que le projet Atlas dispose des données provenant seulement de 13 pays partenaires de l’IIE. Donc, ces données peuvent effectivement sous-estimer le nombre d’étudiants inscrits à l’international.

À partir de ce travail, même incomplet, nous pouvons dire avec confiance que le Royaume-Uni était la première destination des étudiants américains. Et 72 % d’entre eux ont décidé d’émigrer dans des pays anglophones. Les programmes de maîtrise sont l’option la plus populaire, suivis par les programmes de premier cycle et de doctorat.

De récentes études, telles que celle sur l’Allemagne, suggèrent que le nombre d’étudiants poursuivant un diplôme en dehors de leur pays d’origine, y compris les étudiants qui quittent les États-Unis, est en croissance rapide. Mais, afin de recueillir toutes les informations sur les citoyens américains qui poursuivent des diplômes à l’étranger, nous avons besoin de plus de données venant de ces pays.

La concurrence croissante pour les étudiants internationaux

Le fait est qu’aujourd’hui, il existe un vaste marché à l’international pour les étudiants de l’enseignement supérieur.

En 2000, selon le rapport « Regards sur l’éducation » de l’UNESCO, il n’y avait que 2,1 millions d’étudiants en universités à l’étranger inscrits dans des programmes à plus ou moins long terme. Aujourd’hui, il y en a environ 4,5 millions.

Et la compétition pour attirer ces étudiants est devenue plutôt féroce. Aujourd’hui, les pays comme la Chine, la Corée du Sud, le Mexique, la Russie, Taiwan, la Thaïlande, l’Argentine, le Brésil et le Chili, qui ont eu longtemps pour stratégie d’envoyer leurs étudiants à l’étranger, ont adopté de nouvelles politiques pour recruter activement des étudiants internationaux.

En fait, selon nos recherches, Singapour, la Malaisie et les Émirats arabes unis veulent par exemple devenir des satellites régionaux pour l’éducation – et se mettre au service des étudiants des pays voisins.

Avec cette tendance, le marché des étudiants internationaux est également devenu très volatil dans la dernière décennie. Et ceux qui y ont toujours joué les premiers rôles, comme les États-Unis, perdent aujourd’hui du terrain.

Par exemple, même si le nombre total des étudiants étrangers aux États-Unis continue de croître, la part de marché des États-Unis dans ce marché international a chuté de 23 % en 2000 à 16 % en 2012. Des pays comme l’Allemagne, la France, l’Afrique du Sud et la Belgique ont également perdu environ 5 % de part de marché collectivement, l’Allemagne et la France représentant néanmoins toujours 6 % des échanges.

Dans le même temps, la Chine, le Canada, le Royaume-Uni, la Russie, la Corée et la Nouvelle-Zélande ont chacun progressé dans les échanges internationaux d’étudiants, Londres et Moscou gagnant deux points en pourcentage. En fait, avec 13 % des échanges d’étudiants, un chiffre qui ne cesse de grimper, le Royaume-Uni est en bonne voie pour dépasser les États-Unis comme le premier pays à attirer les étudiants étrangers.

L’ouverture des frontières

Dans un tel contexte, certains pays profitent de leur langue d’enseignement qui peut offrir un avantage concurrentiel, tandis que d’autres parient sur le faible coût – ou même la gratuité- de leur système scolaire.

Ainsi, les pays dont la langue d’enseignement est largement parlée ailleurs, comme l’anglais, le français et l’espagnol, sont parmi ceux qui accueillent le plus grand nombre d’étudiants internationaux.

Certains pays fournissent une éducation presque gratuite pour les étudiants internationaux. Wellington College, CC BY-NC

Certains pays, comme la France, l’Autriche, l’Allemagne et la Norvège, fournissent une éducation de facto gratuite pour tous les élèves, y compris ceux des pays étrangers.

Ce faible coût de l’éducation peut aider à attirer les étudiants qui ont décidé depuis longtemps d’aller étudier à l’étranger ainsi que susciter l’intérêt des étudiants à la recherche d’alternatives aux coûts élevés de l’enseignement supérieur dans leurs propres pays.

Beaucoup de nations déploient de surcroît de nombreux efforts pour recruter les étudiants à l’international – en adoptant des politiques d’immigration moins strictes pour les étudiants, en offrant des incitations financières et même en fixant des objectifs stratégiques nationaux de recrutement.

Le gouvernement allemand, par exemple, s’est donné pour objectif d’attirer 350.000 étudiants internationaux d’ici 2020. Pour ce faire, l’Allemagne est en train de recruter activement les étudiants et d’abaisser les barrières à l’entrée.

Aujourd’hui, un nombre croissant de programmes d’études offerts en Allemagne sont en anglais et consultables sur une base de données nationale. L’Allemagne a même modifié ses lois pour permettre plus facilement aux étudiants étrangers de travailler tout en allant à l’université. Le service d’échange académique allemand, [DAAD], fournit également des bourses afin de compenser le coût des autres charges universitaires et du coût de la vie.

En compétition pour les cerveaux

Attirer des étudiants internationaux, dès lors, n’est pas seulement une histoire de gros sous. Les pays qui offrent un enseignement gratuit ou à coût très faible ont souvent l’intention de rebâtir une force vive de travail au niveau national, alors que leur population vieillit et que les viviers de talent chez les plus jeunes se rétrécissent.

Des pays comme le Canada, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède par exemple sont en train de monter de nouvelles passerelles entre le monde des études et celui du travail et de mettre en place des politiques destinées à encourager les étudiants étrangers à une transition vers l’emploi.

Certains de ces efforts sont payants. Les étudiants ne choisissent pas alors seulement d’étudier à l’étranger ; beaucoup y restent après avoir obtenu leur diplôme.

Par exemple, un sondage auprès de plus de 11.000 étudiants étrangers en Allemagne a constaté que 3 sur 10 d’entre eux avaient l’intention de rester en Allemagne de façon permanente après leurs études et que 4 sur 10 avaient l’intention de rester pendant au moins 10 ans.

Un marché concurrentiel à l’échelle mondiale

Le nombre croissant d’étudiants poursuivant leurs années universitaires dans un pays étranger est symptomatique de deux tendances importantes.

Premièrement, il reflète une économie mondiale en mutation rapide, où les expériences universitaires autant que les expériences professionnelles préparent les étudiants à toutes les opportunités qu’ils rencontreront. En conséquence, de plus en plus d’étudiants, tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, veulent aller au-delà de leurs frontières nationales durant leurs années universitaires.

Deuxièmement, comme les économies sont de plus en plus fondées sur la connaissance, la compétition pour les cerveaux s’accentue.

Les États-Unis ont longtemps dominé ce marché. Mais, alors que plusieurs nations ont décidé d’attirer les étudiants internationaux dans le cadre de leurs intérêts stratégiques, l’Amérique a vu son importance diminuer.

Sans une volonté stratégique nationale, la domination longtemps exercée par les États-Unis sur les échanges d’étudiants internationaux ne va-t-elle pas tout simplement s’effondrer ?

This article was originally published in English

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