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« Everest », le film qui a déplacé les montagnes ?

« Everest », un film du réalisateur Baltasar Kormákur (2015). Universal

Le gouvernement népalais a récemment déclaré qu’il prévoyait de limiter l’accès à l’Everest aux seuls grimpeurs chevronnés. Pour les autres – trop âgés, trop jeunes, trop inexpérimentés ou encore handicapés – il ne sera plus possible de partir à l’assaut du Graal des alpinistes, conquis pour la première fois par Tenzig et Hillary, il y a soixante-trois ans.

Cette annonce est intervenue quelques jours seulement après la sortie mondiale en salle du film catastrophe Everest. S’il s’agit d’une coïncidence, alors celle-ci est plutôt troublante. On saura certainement un jour s’il existe ou non une corrélation directe entre ces deux événements, mais il est intéressant de souligner ici que l’annonce des autorités népalaises porte sur des points qu’on retrouve au cœur du film. Everest fait revivre l’épisode dramatique survenu dans l’Himalaya en 1996, au cours duquel huit alpinistes périrent le même jour.

Un de ces thèmes concerne la « surpopulation » des grimpeurs amateurs, dont le millionnaire texan Beck Weathers, interprété par Joe Brolin dans le film, fait partie. Son histoire est présentée comme illustrant parfaitement les dangers encourus par des alpinistes relativement novices à la recherche de gloire et d’aventure, et prêts à payer très cher des compagnies organisant des excursions pour réaliser leur rêve. Selon Mohan Krishna Sapkota, du ministère népalais du Tourisme : « La gloire attachée à l’ascension de l’Everest est une question d’audace et d’expérience, pas une question d’argent ».

L’aventurier millionnaire Beck Weathers, interprété par Josh Brolin. Universal

L’incontournable industrie touristique

On ne peut manquer de se demander pour quelles raisons de telles mesures n’ont pas été prises immédiatement après la catastrophe de 1996, et alors même que nombre de personnes avaient déjà maintes fois tiré la sonnette d’alarme. On pense ainsi au récit de cet épisode par Jon Krakauer, Tragédie à l’Everest, et dont une adaptation télévisée avait été réalisée une année après la sortie du livre. L’alpiniste allemand Ralf Dujmovits, qui atteignit le sommet de l’Everest en mai 2012, a également pointé du doigt ces colonies de « grimpeurs amateurs », qu’il a immortalisé dans sa photo désormais célèbre montrant un ruban de touristes en pleine ascension. Il y avait alors près de 39 expéditions qui réunissaient plus de 600 personnes lancées simultanément sur les pentes himalayennes.

On n’a pas vu non plus d’initiatives des autorités après l’avalanche d’avril 2014, qui emporta seize guides népalais ; et la saison 2015 était sur sa lancée lorsqu’un terrible tremblement de terre terrassa le Népal au printemps dernier. Comme l’indique un article du National Geographic, la « forte demande » pour gravir l’Everest garantit une saison d’escalade 2016 « aussi forte que d’habitude ».

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de l’annonce du gouvernement népalais, il est utile de jeter un œil sur quelques statistiques compilées dans le rapport annuel de 2014 du World Travel & Tourism Council. L’industrie du tourisme représentait, en 2014, 4,3 % du PIB du Népal et devait augmenter de 5,4 % en 2015, puis de 4,4 % chaque année de 2015 à 2025. Les investissements touristiques dans ce pays devraient avoir augmenté de 12 % en 2015, pour continuer de croître de 5,2 % chaque année au cours de la prochaine décennie.

Dans les rues de Katmandou au Népal, une semaine après le terrible séisme qui a touché le pays au printemps 2015 et fait plus de 8 000 victimes. ROBERTO SCHMIDT / AFP

Le tremblement de terre d’avril 2015 a profondément ébranlé les ambitions népalaises au niveau touristique, et ce à un moment clé de son développement. La publicité négative d’une superproduction hollywoodienne diffusée dans les cinémas du monde entier n’aura certainement rien arrangé.

Les films mènent la danse

Dans quelle mesure certains films peuvent-ils influencer un gouvernement ? Cela reste un débat ouvert, mais une analyse plus poussée suggère que les autorités prennent le cinéma beaucoup plus au sérieux qu’elles ne le disent. Dans un article de janvier 2015, Christopher Neff (Université de Sydney) montrait ainsi les liens évidents entre la législation australienne sur les requins « voyous » et certains films hollywoodiens, à l’image du désormais culte Les Dents de la mer.

On pourra citer d’autres exemples : The Thin Blue Line, un film documentaire sur l’assassinat d’un agent de police qui permit d’innocenter le principal suspect. Et, en 2013, l’équipe du film Happiness Therapy fut invité à la Maison Blanche par le vice-président américain, Joe Biden, qui voulait discuter de la représentation des problèmes de santé mentale à l’écran. Comme l’a expliqué Biden : « Parfois, les films font ce que les gouvernements ne peuvent pas. »

Everest a-t-il contribué à faire bouger les autorités népalaises, les poussant à agir pour trouver des solutions concrètes après de nombreuses disparitions ? Difficile de le dire. La question vaut cependant la peine d’etre posée en ce qu’elle interroge cette croyance en la capacité du cinéma à rendre possible le changement quand l’action politique s’en montre incapable.

This article was originally published in English

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