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Exclusion du député RN : ce qu’en dit la recherche en économie comportementale sur les sanctions

Panorama de l'hémicyle de l'Assemblée nationale
Le député du Rassemblement national (RN), Grégoire de Fournas, a été exclu 15 jours pour propos racistes le vendredi 4 novembre. Wikimedia commons, CC BY-SA

Dans son spectacle de 2018, Humanity, l’humoriste britannique Ricky Gervais évoque l’indignation que certaines personnes peuvent ressentir lorsqu’elles confondent « la substance de la blague avec la cible réelle ». Ce passage comique semble anticiper une explication des événements qui ont conduit, le 4 novembre, à l’exclusion pour 15 jours du député du Rassemblement national (RN), Grégoire de Fournas, pour propos racistes.

Cette exclusion constitue une sanction dite « altruiste », qui vise à calmer un état émotionnel négatif, d’un « passager clandestin » refusant les règles de respect dans le bien commun démocratique. Or, il est important d’expliquer qu’elle intervient dans un contexte d’ambiguïté qui risque d’avoir un effet contre-productif.


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En effet, trois questions sont en prendre en compte : d’une part, est-il éthique d’exclure un passager clandestin sur la base d’un échange ambigu, puisqu’on ne sait pas exactement si la phrase « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ! » s’adressait au député qui s’exprimait à la tribune ou aux migrants ?

D’autre part, cette exclusion a-t-elle été attribuée au vrai comportement qui devait être sanctionné ? Enfin, cette ambiguïté, si validée comme méthode appropriée d’exclusion, ne pourrait-elle dans le futur être utilisée à exclure non pas des passagers clandestins, mais des contributeurs au bien commun (ce que la recherche désigne comme une « punition anti-sociale », en opposition à la sanction altruiste) ?

De l’adversaire à l’ennemi

L’intervention du député RN fait partie d’une stratégie rodée et connue en politique, appliquée aussi par d’autres hommes politiques, qui consiste en une volonté de transformer un adversaire en ennemi.

Un ennemi n’a pas d’identité précise, s’incarne et se confond dans une catégorie. C’est pourquoi n’importe qui peut devenir un ennemi car il suffit de le déshumaniser pour le combattre, parfois jusqu’au point de l’anéantir. Un adversaire, quant à lui, est quelqu’un de reconnaissable, dont on connaît l’identité et aussi la personnalité. Un adversaire est respectable, le sens de la relation avec l’adversaire n’est pas l’anéantissement, mais simplement l’emporter dans la compétition.

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Si nous découpons la phrase qui est communiquée aux parlementaires présents et, avec eux, à la communauté qui peut assister au débat démocratique en différé, nous constatons que deux possibilités d’interprétation s’offrent simultanément à la personne qui entend les propos : à la fois, que le député de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) qui s’exprime à l’Assemblée nationale retourne en Afrique, puisqu’il est noir, ou que les migrants y retournent.

La phrase est, à l’oral, indiscernable dans son propos, et les deux possibilités peuvent simultanément être saisies par l’auditeur, générant précisément une ambiguïté interprétative à propos de l’identité du sujet auquel se réfère réellement la phrase : parle-t-il de lui ? Ou parle-t-il d’eux ?

On peut se demander si le but était alors de communiquer sa position politique de manière ouverte (sans possibilité de malentendu), ou plutôt de’envoyer un signal de sa position politique, tout en agissant non pas concrètement, c’est-à-dire en ayant à l’esprit une finalité concrète qui aboutit dans le monde réel (le retour en Afrique), mais abstraitement, en créant in fine une communication qui se court-circuite en elle-même.

Comme les Verdurin décrits par Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu, on envoie un signe quand « on n’agit pas, mais on fait signe ». Il ne s’agit pas donc de rentrer dans une relation spontanée et directe qui aboutit dans le monde réel, mais de faire semblant : « Rien de drôle n’est dit chez Mme Verdurin, et Mme Verdurin ne rit pas ; mais Cottard fait signe qu’il dit quelque chose de drôle, Mme Verdurin fait signe qu’elle rit ».

Contrairement aux Verdurin, cependant, qui se contentaient d’affirmer l’exclusivité et la supériorité de leur clan mondain, ce signe envoyé par le député RN initie une construction de connaissance commune de la haine envers un ennemi, en permettant à l’ambiguïté de tenir lieu d’explication claire entre adversaires.

Cette ambiguïté prend corps seulement si elle est notifiée par l’autre personne, qui est piégée en rentrant dans le jeu d’attribution de l’identité (parle-t-elle de lui ? ou parle-t-il d’eux ?) et en continuant l’échange sur la base d’une interprétation ambiguë, exactement comme ont été piégés les députés de la Nupes.

Initier un débat immédiat

Là où devait y avoir débat et dialogue démocratique, et donc explications immédiates, il y a eu un monologue, suivi de silence, dont l’importance était de ne pas éclaircir son propos. Le propos a été ambigu, mais pas le signe. Le signe était clairement un comportement de passager clandestin : face au bien commun qui est celui de la démocratie, le député RN a eu un comportement de passager clandestin qui a nui au bien commun.

Le député RN aurait donc dû être exclu pour rupture de comportement démocratique, basé sur un langage commun, et donc pour un acte de passager clandestin, au-delà du contenu raciste de son message. En l’excluant uniquement pour propos « ambigument » racistes, l’événement pourrait servir de jurisprudence. En effet, si on montre que la plupart des individus prennent des sanctions altruistes, et punissent ceux qui ne contribuent pas assez au bien commun, il existe aussi des situations de punition anti-sociale dans lesquelles les contributeurs sont sanctionnés par des individus qui ne supportent pas de voir les autres faire le bien.

De plus, les individus se cachent derrière les probabilités, comme nous l’avions montré dans un article de recherche. Or, dès que probabilité il y a, ils vont la saisir pour masquer leur comportement non-contributeur. Et donc des individus eux-mêmes passagers clandestins peuvent créer des situations délibérément ambiguës et punir les contributeurs sur le simple précédent de l’ambiguïté, qui peut servir de justification, et détruire à jamais le bien commun.

Les propos du député RN constituent donc un piège et malheureusement les députés de la Nupes sont tombés dedans. Mais comment éviter qu’un tel piège de transformation de l’adversaire en ennemi ne se mette en place ? Comment faire en sorte que le signe ne soit pas notifié ? Il aurait fallu initier un débat immédiat et rendre la balle au député RN pour demander explication et pour le rendre responsable de ses paroles tout de suite (et pas en différé, comme ceci a été fait). En interrompant l’échange, les députés Nupes ont pris responsabilité à la place du député RN qui a créé l’ambiguïté.

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