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Expérimentation dans les supermarchés de l’étiquetage nutritionnel : pour quoi faire ?

Lors de l'expérimentation nationale de quatre systèmes d'étiquetage nutritionnel, ici dans un supermarché à Lyon, le 28 octobre 2016. Jeff Pachoud/AFP

Les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par la qualité de leur alimentation et la composition des produits qui leur sont proposés. Sur une initiative gouvernementale, une expérimentation de nouveaux systèmes d’étiquetage nutritionnel a été mise en place dans 60 magasins, sur 1 300 produits, entre septembre et décembre 2016.

Dans un premier article, j’ai analysé les problèmes posés par le manque de transparence de cette expérimentation. Cet article aborde maintenant les buts de l’expérimentation. Car avant de se prononcer sur les effets des signalétiques destinées aux consommateurs, il faut définir précisément l’objectif visé. Ce point est d’importance, s’agissant de travaux qui doivent amener l’État à choisir lequel des quatre systèmes testés sera appliqué par la suite en France.

Des conclusions en apparence définitives de l’Anses

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu le 14 février un avis sur l’étiquetage nutritionnel simplifié qui a suscité assez peu de commentaires, au regard de conclusions en apparence définitives. En l’état actuel des connaissances, estiment les experts de l’Agence, l’impact de sa mise en œuvre sur l’état de santé de la population n’est tout simplement pas démontré.

Cet avis appelle à s’interroger sur les objectifs recherchés par la mise en place d’un tel étiquetage, sur le niveau de preuve nécessaire pour conclure quant aux effets potentiellement bénéfiques d’une telle politique d’information, et sur ce que peut apporter l’expérimentation « en conditions réelles » de quatre systèmes d’information nutritionnelle différents.

Informer le consommateur ou agir sur sa santé ?

La mise en place d’un étiquetage nutritionnel simplifié peut permettre d’atteindre deux objectifs distincts : mieux informer le consommateur, améliorer la santé des populations. À première vue, ces deux objectifs peuvent sembler similaires, mais ce n’est pas le cas.

Faciliter l’accès à l’information et sa compréhension est motivé par le souci d’améliorer la capacité des consommateurs à choisir en toute connaissance de cause – et de conséquence. Libre à eux de préférer en certaines occasions des produits très déséquilibrés mais qu’ils considéreront comme plus savoureux, du moment qu’ils savent que ces aliments sont moins favorables pour leur santé. Le Fond français alimentation santé (FFAS), porteur de l’expérimentation « en conditions réelles » reconnaît d’ailleurs que les consommateurs « souhaitent avoir accès à une information simple pour les guider dans leurs choix alimentaires ».

L’objectif de santé publique est bien plus ambitieux, puisqu’il vise explicitement un changement dans le comportement des consommateurs. Sa réalisation est, par construction, plus incertaine et difficilement démontrable dans son lien de cause à effet. Elle dépend non seulement des comportements des consommateurs, mais aussi de l’évolution de divers facteurs liés à l’offre, comme la reformulation des produits, les assortiments en magasin, les politiques de prix ou la stratégie marketing des fabricants.

Les objectifs affichés de l’expérimentation

Le comité de pilotage de l’expérimentation n’a pas choisi de hiérarchiser un objectif par rapport à l’autre. La lettre de mission de Benoît Vallet et Christian Babusiaux, respectivement directeur général de la santé et président du FFAS, au président du conseil scientifique de l’expérimentation précise que celle-ci a pour but « d’analyser l’impact différentiel de divers dispositifs graphiques d’information nutritionnelle, au sein des magasins, sur les comportements des acheteurs, en population générale et pour les consommateurs défavorisés, y compris les biais de compréhension, et sur la composition nutritionnelle du panier d’achats ».

Analyser les « biais de compréhension », c’est identifier la capacité d’un système d’étiquetage à induire une évaluation correcte de la qualité des produits, et donc à informer le plus efficacement possible le consommateur (le premier objectif). Étudier l’impact sur le panier d’achats doit permettre d’identifier le système d’étiquetage le mieux à même de modifier les comportements et la santé des consommateurs (second objectif).

Les initiateurs de l’expérimentation ambitionnent d’atteindre un niveau de preuve supérieur aux expériences de laboratoire par l’utilisation d’un dispositif d’essai comparatif randomisé sur 60 magasins tirés au sort en France. Quelles connaissances peut apporter cette étude, en dépit des écarts déontologiques et limites méthodologiques qui la caractérisent ?

L’expérimentation ne permettra pas de répondre aux questions posées

Le seul document méthodologique publié sur l’expérimentation précise que le critère de jugement principal est la capacité des quatre systèmes d’étiquetage testés à modifier la qualité nutritionnelle du panier moyen du consommateur, calculée à partir de données enregistrées à la sortie des caisses. À cette fin, des comparaisons sont effectuées entre 20 magasins servant de groupe contrôle (aucun étiquetage nutritionnel sur la face avant des produits, hors les allégations marketing habituelles) et quatre groupes de 10 magasins traités par un des quatre systèmes d’étiquetage. Dans tous les magasins, seules trois catégories de produit sont l’objet de l’expérimentation. Il s’agit des conserves, des produits traiteurs frais, des viennoiseries et des produits de panification emballés.

En haut à gauche : le SENS, proposé par la FCD. En haut à droite, le Nutri-Score initialement proposé par le Ministère de la Santé.

L’expérimentation ne permettra pas d’identifier l’impact de l’étiquetage sur les comportements des acheteurs, car le panier du consommateur est, « en conditions réelles », influencé par des effets de demande et des effets d’offre complexes. Du côté de la demande, les consommateurs peuvent opérer des reports de consommation entre produits étiquetés et non étiquetés à l’intérieur des rayons tests, mais aussi vers des catégories de produits non incluses dans l’expérimentation.

Du côté de l’offre, seuls sont étiquetés lors du test les produits dont les producteurs se sont portés volontaires, dans les catégories tests et dans le contexte de l’expérimentation. Ce choix est guidé par des considérations stratégiques : on peut s’attendre à ce que les produits de moins bonne qualité nutritionnelle soient proportionnellement moins étiquetés. Ceci converge avec les observations réalisées dans les magasins expérimentaux par le magazine de l’association de consommateurs UFC–Que choisir.

Le comité scientifique était conscient de cette confusion des effets, puisque son rapport d’avril 2016 précisait qu’il s’agissait de mesurer « les effets des systèmes d’étiquetage sur la demande (…) mais pas sur l’offre (c’est-à-dire sur la probabilité d’adoption du système d’étiquetage par les fabricants…) ». L’évaluation ne permettra pas de répondre à cet objectif. De fait, le communiqué du FFAS du 4 novembre 2016 reformule l’objectif de l’expérimentation, en ne se focalisant plus que sur l’identification de « celui des quatre logos qui fera le mieux évoluer la qualité nutritionnelle du caddie ou du panier d’achats ».

Courses au supermarché. chat_44/Flickr, CC BY-NC-ND

Par ailleurs, l’expérimentation ne permet pas non plus de conclure quant à l’effet d’une généralisation d’un système d’étiquetage sur la qualité nutritionnelle du caddie, car les effets de demande et d’offre ne seront pas identiques en cas de généralisation. En effet, l’expérimentation ne concerne que trois catégories de produits, avec des reports non contrôlés vers des catégories de produits non testés. De plus, le choix de certains distributeurs et producteurs d’étiqueter ou non leurs produits dans le cadre de l’expérience ne signifie pas qu’ils prendraient les mêmes décisions si les autorités choisissaient tel ou tel type d’étiquetage. Une généralisation d’un étiquetage face avant simplifié et impactant les consommateurs aura logiquement des effets de long terme sur les habitudes et goûts des consommateurs, et sur les stratégies marketing et d’innovation technologique des fabricants.

Des protocoles d’expérimentation validés existaient pourtant

Concernant l’analyse des « biais de compréhension », c’est-à-dire de la capacité des différentes systèmes d’étiquetage à informer le consommateur, l’expérimentation déploie un dispositif d’observation d’un niveau de preuve nettement moindre qu’une expérience randomisée, à base de questionnaires post-tests ou à la sortie des caisses, et de groupes de parole de consommateurs baptisés « focus group ».

Dans un article récent, Paolo Crosetto, Laurent Muller et Bernard Ruffieux, du laboratoire d’économie appliqué de Grenoble GAEL, proposent un protocole innovant et rigoureux pour mesurer les « biais de compréhension » indépendamment des effets liés aux goûts des consommateurs ou au lieu d’achat des produits. Ils placent des sujets en situation de devoir composer à partir d’une liste de produits le régime alimentaire d’une journée, avec des objectifs de qualité nutritionnelle comme s’ils étaient gestionnaires de cantine. Ils font varier les systèmes d’information nutritionnelle, afin de mesurer l’impact de chacun sur la réalisation des objectifs nutritionnels, et donc de tester la capacité de ces systèmes à rendre l’information accessible et compréhensible.

Les sujets sont rémunérés en fonction de leurs performances dans cette tâche, ce qui assure que leur motivation sera indépendante de leur intérêt intrinsèque pour la nutrition. Les expériences menées en population générale montrent la supériorité d’un système de type Nutri-Couleur sur le système Nutri Repères, dès lors que les sujets sont soumis à une contrainte de temps – c’est-à-dire qu’ils doivent faire vite.

La même équipe a également conçu un magasin purement expérimental, permettant de mesurer la réponse des consommateurs à l’étiquetage nutritionnel comparé à une situation de base sans information, en s’assurant que l’offre alimentaire ne varie pas. Les expériences sont menées avec des incitations financières réelles : à la fin de l’expérience, les sujets doivent acheter pour de vrai une partie des produits qu’ils ont choisis. Les résultats publiés confirment la supériorité du Nutri-Score et du Nutri-Couleur sur le système Nutri-Repère, avec un léger avantage au Nutri-Score.

Du niveau de preuve fourni par l’expérimentation

Ces deux études proposent clairement des protocoles adaptés, qui permettraient d’apporter un niveau de preuve élevé sur l’efficacité informationnelle et comportementale des formats d’étiquetage, notamment pour les populations défavorisées. Elles ne sont pas mentionnées dans l’avis de l’Anses, qui traite à égalité des études de niveaux de preuve très variables puisque certaines examinent les intentions d’achats des consommateurs et non leurs choix sous incitations financières, en laboratoire ou « en conditions réelles ».

Le dispositif déployé lors de l’expérimentation de l’automne dernier ne fournira pas un niveau de preuve supérieur à des protocoles construits pour mesurer de manière extrêmement contrôlée l’impact des formats d’étiquetage sur la compréhension et les achats des consommateurs. Néanmoins, les résultats de l’expérimentation compléteront de manière utile ceux obtenus dans des essais similaires, et qui jusqu’à présent permettent de conclure aux bénéfices sur le comportement des consommateurs d’un étiquetage nutritionnel simplifié et synthétique.

Ceci étant, les effets d’une politique de santé publique ambitieuse ne peuvent jamais être prédits avec certitude, car elle implique, sur un temps long, de multiples outils et de multiples acteurs. De ce fait, le choix d’un format d’étiquetage nutritionnel relève aussi d’un rapport de forces politiques entre l’État, les industriels, les distributeurs, les consommateurs et les promoteurs de la santé publique, qui hiérarchise les objectifs à poursuivre. Si l’objectif est de faciliter l’information des consommateurs en magasin, alors la littérature scientifique (y compris l’avis de l’Anses) conclue aujourd’hui en faveur d’un étiquetage nutritionnel simplifié.


Créé en 2007, Axa Research Fund soutient plus de 500 projets à travers le monde portés par des chercheurs de 51 nationalités. Pour en savoir plus sur travaux de Fabrice Etile sur l’identité et les comportements de santé, rendez-vous sur le site du Axa Research Fund.

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