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Diplo-focus : politiques étrangères

Face au cas Orban, l’urgence de refaire de la politique en Europe

Viktor Orban au Parlement européen de Strasbourg, le 11 septembre 2018. Frederick Florin/AFP

Le Parlement européen a donc dénoncé, mercredi 12 septembre, les « risques de violation de l’État de droit » en Hongrie, et demandé aux États membres de déclencher l’article 7 de l’Union à l’encontre de Budapest. Cette procédure a déjà été mobilisée contre la Pologne, fin 2017, par la Commission, pour les mêmes raisons de fond : une dérive autoritaire contraire à l’esprit démocratique et libéral de l’Union européenne, qui réduit la liberté d’expression et bafoue la séparation des pouvoirs.

Viktor Orban ajoute aux charges retenues contre lui « corruption et conflits d’intérêts », atteintes au « fonctionnement du système constitutionnel et électoral », menace contre « l’indépendance de la justice », les libertés individuelles et les droits des réfugiés.

Le vote du 12 septembre (448 voix pour, 197 contre, 48 abstentions) montre certes que les démocrates existent encore en Europe. Mais il témoigne surtout des difficultés traversées par l’Union. D’abord parce que face à des dérives encore inimaginables il y a quelques années, le seul recours institutionnel semble résider dans un mécanisme qui ne pourra probablement pas aller à son terme. Ensuite, parce que la dynamique de polarisation (et de division) de l’Europe est déjà fortement enclenchée : Orban, que peu de choses prédisposaient pourtant à cela, est devenu une star, un symbole, et fait des émules. La réponse à ce phénomène doit être d’abord politique, portée avec charisme, et avec des propositions fortes pour des perspectives d’avenir.

Techniques institutionnelles complexes contre populisme triomphant

Dans une période ou le culte de l’homme fort est à la mode (Russie, Turquie…) et encouragé par l’attitude, à Washington, du président du pays le plus puissant du monde, l’arme de l’article 7, peu déchiffrable pour un grand public en mal de clarification, était-elle la bonne ?

Oui, naturellement, dans la mesure où, face aux atteintes à l’État de droit, le droit lui-même, les textes et les institutions doivent parler. Mais on ne peut s’empêcher de craindre l’issue d’un tel affrontement entre les techniques complexes de la raison d’une part, et les simplismes évocateurs et sans vergogne des populismes, d’autre part.

Si le recours à l’article 7 a été « recommandé au Conseil », il faut encore que les États membres se saisissent de la procédure, qu’ils trouvent une majorité des quatre cinquièmes pour la mener à son terme, que des consultations soient entamées avec le gouvernement hongrois, pour qu’enfin, et si l’accusé persiste (ce qu’il fait déjà de bon cœur…), une suspension de son droit de vote au Conseil soit envisagée.

Au regard des dérives observées dans certains pays, c’est long, et c’est peu. Le fait même que l’on puisse parler de l’article 7 à Bruxelles comme d’une « arme nucléaire » institutionnelle en dit long sur la pusillanimité qui s’est emparée de l’Europe.

Il en faudra donc beaucoup pour que la Pologne ou la Hongrie finissent par être effectivement sanctionnées. Et l’affaire paraît compliquée pour une opinion publique européenne qui retiendra d’abord que les mécanismes actuels ne semblent pas en mesure de prévenir les dérives autoritaires sur un continent qui avait promis de défendre les valeurs de la démocratie libérale et de la tolérance.

Dans les années 1990, l’UE a montré qu’elle n’était pas capable de les défendre dans le monde, ni même à ses portes (conflits de l’ex-Yougoslavie), et elle en avait payé le prix sur le plan de sa crédibilité. Si, aujourd’hui, elle démontre qu’elle n’est pas capable non plus de les défendre en son sein, sa légitimité en sera plus profondément affectée encore.

Pourquoi Orban ?

Davantage qu’un pouvoir polonais plus diffus, moins rayonnant hors des frontières du pays (même si Jaroslaw Kaczynski est connu) et plus caricatural dans son conservatisme, le personnage de Viktor Orban est devenu une marque de fabrique à succès.

A partir d’un refus de l’ouverture aux réfugiés, donc d’une rhétorique anti-migratoire, pour aboutir à une pseudo théorisation de la démocratie « illibérale » présentée comme modernisatrice, masquant mal une réalité plus simple – à savoir une dérive autoritariste –, le pouvoir hongrois s’est trouvé un champion improbable.

Au Parlement, le 11 septembre 2018. Frederick Florin/AFP

Comme d’autres ailleurs, il surfe sur de réelles demandes populaires en faveur de davantage d’ordre et d’autorité, d’un parler-vrai politique brutal si nécessaire, et sur des craintes identitaires, culturelles, dont on peut penser ce que l’on veut, mais qu’il est impossible de nier, et qu’il est dangereux de balayer d’un revers de main en disqualifiant par avance ceux qui les éprouvent. La montée des extrêmes, l’attrait pour un nouveau discours, de nouvelles têtes, de nouvelles méthodes, et pour des aventures « hors-pistes », sont désormais répandus, et leur force, avérée.

Dans l’UE, Orban a ses défenseurs, principalement à droite, même si le PPE a finalement tranché contre lui. Ce n’est pas simplement un problème de calcul électoral à la veille des prochaines élections européennes de 2019. C’est bien davantage un problème stratégique, dans une Union dont une partie des pouvoirs et des sociétés trouvent désormais Vladimir Poutine plus convaincant que les « technocrates » bruxellois honnis.

En s’enfermant dans des discours techniques, qui ont pu avoir leurs mérites au début de la construction européenne pour éluder les thèmes sensibles et rebâtir l’Europe sur la réconciliation franco-allemande, les démocrates européens ont fini par laisser le monopole des sujets qui fâchent, des dossiers qui mobilisent et du politiquement incorrect, aux populistes. Il est temps de les concurrencer à nouveau sur ces terrains.

Pour le retour de la politique en Europe

Seuls les autoritaristes, ou presque, semblent encore faire de la politique au sens où celle-ci est appréciée par les citoyens, c’est-à-dire au sens de joutes verbales fortes, claires et incarnées par des acteurs connus, sur des sujets mobilisateurs. Ils brandissent des mythes contre lesquels la raison peine à se faire entendre, mais la politique a besoin de mythes. Ils simplifient à l’extrême contre la complexité des arcanes bruxellois, mais la politique a besoin de simplification, certes au sens de pédagogie, non au sens de fake news. Ils font porter leur préférence pour l’ordre et le repli nationaliste par des personnalités au verbe haut, mais la politique a besoin de celles-ci également. L’Europe, progressivement, a donc abandonné à la fois le terrain politique, le volontarisme et le discours haut en couleur, à ces tenants de l’autoritarisme.

A cet égard, Emmanuel Macron n’a pas tort de vouloir croiser le fer frontalement avec Orban et consorts, et in fine d’installer l’idée d’un match de double Macron-Verhofstadt contre une paire Orban-Salvini. Cela ne peut que redonner un peu de chair aux débats européens, et intéresser les peuples.

Encore faudra-t-il trouver des alliés lourds d’une part, et donner de la substance à ce débat d’autre part. Sur le premier point, le tandem franco-belge n’est peut-être pas si isolé qu’il en a l’air sur les principes : en Espagne, au Portugal, en Europe du Nord (par exemple en Finlande), on est prêt à prêter main-forte. Mais les prudences et divisions allemandes, que l’on n’avait pas anticipées avant les élections de 2017 outre-Rhin, enlèvent ou entravent un allié de poids.

Sur le second point, celui de la substance du débat, il conviendra de proposer des horizons, des grands travaux, des raisons humaines de croire en l’Europe. Depuis 2005 au moins, le discours qui se contente de défendre la construction européenne comme seule option possible avec en prime la menace du chaos en cas de choix différent, a donné les résultats que l’on sait.

Aborder les sujets qui fâchent avec des politiques claires est à haut risque. Angela Merkel a voulu le faire sur la crise des réfugiés, elle a dû faire machine arrière et cela a littéralement pétrifié les libéraux et démocrates pour un moment. Pourtant, répondre aux populismes sur ces enjeux est une priorité. Avancer sur l’agenda politique d’autres enjeux constructifs dont ils ne se sont pas emparés, faute de sensibilité ou faute d’être en mesure d’y apporter des réponses cohérentes (environnement, sécurité humaine, égalité homme-femme…), est une autre tâche primordiale. L’Europe doit aujourd’hui reprendre le terrain politique à ses détracteurs, ou disparaître.

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