Menu Close

Face aux risques : comment choisir entre liberté et sécurité ?

Doit-on renoncer à sa liberté pour plus de sécurité ? Christian Hartmann/AFP

Cet article est publié dans le cadre de la deuxième édition du Festival des idées, qui a pour thème « L’amour du risque ». L’événement, organisé par USPC, se tient du 14 au 18 novembre 2017. The Conversation France est partenaire de la journée du 16 novembre intitulée « La journée du risque » qui se déroule à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).


Benjamin Franklin aurait un jour écrit qu’« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » Cette belle citation constitue certainement un bon encouragement à défendre ses libertés… mais elle est objectivement fausse ! Dans tous les domaines ou presque, liberté et sécurité constituent deux aspirations en tension, et augmenter l’une revient presque toujours à diminuer l’autre.

Filets de sécurité

Par exemple, nous pouvons utiliser les routes en relative sécurité uniquement car nos libertés au volant ont été réduites. De 15 000 morts par an en France au milieu des années 70 nous en déplorons quelque 3 000 en 2012 grâce à un code de la route encadrant de plus en plus le comportement du conducteur et que les libertés de ce dernier sont restreintes. En attachant sa ceinture, en limitant de plus en plus sa vitesse, en s’abstenant de boire avant de prendre le volant, il a sacrifié une bonne part de sa liberté en échange de plus de sécurité.

Il en a été de même pour la mise en place de la protection sociale tout au long du XXᵉ siècle. En France et dans les pays développés, la mise en place de l’État Providence a constitué un formidable progrès, que ce soit pour les personnes âgées, les chômeurs, les malades et toutes les personnes porteuses d’un handicap, physique, psychique ou simplement social.

Mais pour financer les indemnités chômage, les allocations diverses et le système de santé, la Sécurité sociale doit prélever de manière autoritaire des cotisations ; d’ailleurs fort logiquement qualifiées d’« obligatoires ». Les salaires et autres revenus d’activité en sont diminués d’autant, privant leurs bénéficiaires de la liberté d’user de ces sommes à leur guise.

La garantie contre les risques économiques, sociaux et sanitaires mise place par l’État dans ce système assurantiel imposé constitue donc à la fois un filet de sécurité et une contrainte pour tous.

Quelles libertés sommes-nous prêts à sacrifier pour être mieux protégés ?

On pourrait multiplier à l'envie les exemples, sauf peut-être pour la liberté d’opinion et celle des médias, où gains en matière de liberté et de sécurité peuvent être conjoints.

Partout ailleurs, la recherche de plus de sûreté se paie du sacrifice d’une part de liberté, et la volonté de conserver le maximum de libertés amène de son côté à renoncer à certains éléments de sécurité. Tout est alors question d’arbitrage et de choix politique : quelles libertés sommes-nous prêts à sacrifier pour être mieux protégés ? Quels dangers sommes-nous prêts à côtoyer pour garder le maximum de libertés d’action, de parole, etc. ?

Chacun possède ses valeurs propres, sa représentation du monde qui l’amène à choisir un point d’équilibre peu ou prou différent de celui du voisin ; et c’est alors à la représentation nationale qu’il incombe de décider où le situer de manière pratique.

Deux débats récents montrent que cet équilibre n’est pas facile à trouver et que les tenants de chaque camp n’hésitent pas à dénigrer, parfois durement, les arguments de ceux qui appartiennent à l’autre.

État liberticide ou État trop faible ?

Si l’on examine d’abord le débat actuel sur le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », on se rend compte que le texte gouvernemental crée des insatisfactions des deux côtés. Les uns, défenseurs inconditionnels des libertés individuelles- on pense à des organisations telles que le Syndicat de la Magistrature, la Cimade – considèrent comme liberticide le fait de transposer dans la loi ordinaire des dispositifs propres aux situations d’exception ; les autres, qui se disent avant tout soucieux d’assurer une sécurité optimum à leurs concitoyens (La Droite Populaire, le député Eric Ciotti…), trouvent au contraire les mesures bien trop timides. Selon les premiers nous glissons vers un État autoritaire, où les libertés fondamentales sont menacées, selon les seconds le Pouvoir n’a pas pris conscience de la gravité de la situation et donc pas assez durci la loi.

Selon les premiers nous glissons vers un État autoritaire, où les libertés fondamentales sont menacées, selon les seconds le pouvoir n’a pas pris conscience de la gravité de la situation et donc pas assez durci la loi.

Des personnes manifestent Bordeaux, Place de la bourse contre la vaccination obligatoire, le 15 octobre 2017. Georges Gobet/AFP

Être vacciné contre son gré

Le second exemple est celui de la vaccination obligatoire. Là, le gouvernement a tranché nettement en faveur de plus de sécurité sanitaire.

Onze vaccins seront obligatoires pour les enfants qui naîtront à partir du 1ᵉʳ janvier 2018, et les parents qui refuseront cette mesure se verront refuser l’entrée de leur progéniture dans les crèches, les écoles et autres lieux de vie collective.

Ils pourront même être attaqués en justice par leur enfant dans le cas où celui-ci aurait à souffrir d’une maladie et de ses conséquences du fait du refus de ses parents de le faire vacciner. Les parents hostiles à la vaccination protestent contre cette mesure qui leur enlève la liberté de décider eux-mêmes comment prendre soin de leurs enfants. De leur côté, la ministre de la Santé et son administration invoquent la sécurité sanitaire de tous. Le vaccin n’est pas seulement une protection personnelle pour la personne qui le reçoit mais aussi une protection collective, une façon de construire une immunité de groupe : plus le pourcentage de vaccinés est important, moins il est probable pour chacun de rencontrer l’agent pathogène.

Les parents opposés à la vaccination de leurs enfants transforment donc ceux-ci en vecteur de transmission de la maladie et mettent en danger la santé de toutes celles et tous ceux qu’ils fréquenteront. Des autorités publiques cherchant à minimiser les risques sanitaires ne peuvent alors que priver les parents de cette liberté.

L’inévitable choix

Si l’on va maintenant plus loin dans ce débat qui oppose amateurs de sécurité et amoureux de la liberté, on constate que, selon le contexte, les mêmes personnes peuvent se retrouver d’un côté ou de l’autre. Celles et ceux qui ne jurent que par la liberté dans le domaine économique se montrent souvent très attachés à une protection forte dans le domaine civil ; et inversement.

Ainsi, les citoyens, intellectuels et politiques se réclamant de la droite attachent une grande importance à la liberté d’entreprendre, de créer de la valeur, mais demandent au contraire à l’État plus de règles et de contrôles quand il s’agit de sécurité civile. Ils plaident pour plus de forces de police, plus de restrictions aux frontières et une sévérité plus grande des tribunaux. À l’inverse, celles et ceux qui se classent à gauche veulent un État interventionniste en matière économique, afin de mieux garantir les droits des plus faibles, mais tiennent volontiers un discours à connotation libertaire quand il s’agit de sécurité intérieure. On pourrait dire, en allant vite, qu’ils souhaitent qu’il y ait plus d’inspecteurs du travail et moins d’inspecteurs de police.

Ce rapide tour d’horizon des tensions qui existent entre désir de liberté et désir de sécurité montre bien qu’il s’agit de deux aspirations que l’on peut qualifier d’à la fois légitimes et difficilement compatibles. Entre les deux, nous sommes souvent contraints de choisir.

De plus, selon la nature de nos valeurs et notre orientation politique, nous pouvons être amenés à arbitrer en faveur de l’une dans un domaine et de l’autre dans un autre. Le libéral au sens économique du terme peut ne pas l’être au sens que l’on donne à cet adjectif dans le monde anglo-saxon, puisque partisan d’une économie dérégulée, il demande des règles strictes pour bénéficier d’une bonne sécurité civile.

En miroir, on peut dessiner le portait de l’individu adepte d’un État régulateur de l’économie, qui assure par ses lois et interventions un haut niveau sécurité aux salariés, mais qui est prêt à se mobiliser contre toute loi empiétant sur les libertés individuelles pour garantir un haut niveau de sécurité intérieure.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,400 academics and researchers from 4,911 institutions.

Register now