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Fact check US : Existe-t-il une « menace antifa » aux États-Unis, comme l’affirme Donald Trump ?

Des militants antifa dans les rues de Salem, Oregon, lors d'un rassemblement de groupes d'extrême droite tels que les Patriot Prayer et les Proud Boys, le 7 septembre. Allison Dinner/AFP

C’est devenu une habitude au cours de l’année passée, plus vive encore après le meurtre de George Floyd par des policiers de Minneapolis et la vague de manifestations antiracistes qui s’en est suivie : Donald Trump désigne les « antifas » (abréviation d’« antifascistes ») comme une organisation terroriste et une menace pour la démocratie américaine. Les « antifas », le président l’a encore récemment déclaré dans sa prose habituelle, constituent « un très mauvais groupe » qui devrait selon lui être qualifié d’« organisation terroriste ».

Le terme anfifa

Examinons ces propos de plus près. Avant toute chose, qu’est-ce que le terme antifa désigne dans le contexte américain ? Si l’on veut aller au bout de la logique du président, est-ce une organisation clairement identifiable, avec une structure qui pourrait être démantelée ?

La réponse est un non catégorique. À bien des égards, l’étiquette « antifa » désigne une idéologie ou, si l’on préfère, une marque plus qu’un groupe politique. Les antifas sont très peu structurés, sans hiérarchie, statut ou organisation précise. Le terme renvoie plus à une nébuleuse qu’à une association : un réseau souple de militants, partageant une philosophie générale, essayant parfois de coordonner leurs activités, mais opérant généralement de manière spontanée, réactive et à un niveau très local.

Les cellules locales sont autonomes, ont tendance à agir de manière secrète et le nombre de leurs membres varie, peuvent s’étendre ou se réduire selon les circonstances. Parfois, les antifas s’associent à d’autres organisations peu structurées, Black Lives Matter vient immédiatement à l’esprit. Dans d’autres cas, elles agissent de manière isolée, même si leurs techniques radicales et parfois violentes sont rejetées par une majorité de ceux qui organisent des manifestations et des protestations sur des sujets chers aux antifas : autoritarisme et antifascisme, racisme, homophobie ou xénophobie.

Pour toutes ces raisons, il est difficile d’identifier une généalogie précise du mouvement antifa ou de fournir une définition sociologique et démographique de ses militants. Nous savons que la plus ancienne cellule antifa encore active, dénommée Rose City Antifa, a été créée à Portland, Oregon, en 2007, dans le but de mettre fin à un festival néo-nazi organisé par des skinheads. Mais le mouvement, et la marque, n’ont vraiment pris leur essor que ces dernières années, en réponse à l’élection de Donald Trump et plus encore lors de manifestations contre le rassemblement des nationalistes et suprémacistes blancs à Charlottesville, en Virginie, en août 2017.

Une menace ?

Faut-il donc considérer qu’ils représentent une menace ? Nous disposons de données prouvant que les militants antifas ont été impliqués dans un nombre relativement faible d’incidents et d’épisodes de violence.

Aux accusations de Donald Trump et de son procureur général William Barr selon lesquelles ils sont les principaux instigateurs de la violence, du pillage et des troubles à l’ordre public, ce qui justifierait qu’ils soient qualifiés d’« organisation terroriste nationale », on ne peut que répondre avec scepticisme et de façon critique, tant pour des raisons juridiques que politiques.

Tout d’abord, il n’existe pas de loi sur le terrorisme intérieur aux États-Unis, des élus venant à la fois de la gauche et de la droite s’y opposent. Afin de placer le mouvement antifa sur la seule liste officielle d’organisations terroristes (la liste Foreign Terrorist Organizations), il faudrait prouver ses liens et ses connexions avec les branches non américaines de l’organisation. Ce qui est difficile, voire impossible, à établir.

L’alternative serait de poursuivre un par un ses milliers de militants (dont beaucoup ne sont peut-être que des militants d’un jour, à l’occasion d’une manifestation), en criminalisant leurs convictions politiques et en violant leurs droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.

Une polarisation de la vie politique

Alors, comment évaluer le danger que ferait peser cet activisme sur la démocratie américaine ? Pour répondre à cette question, il est pertinent d’observer plus largement le conflit partisan et politique qui s’exprime de plus en plus violemment dans le pays. La mouvance antifa participe d’une polarisation de la lutte politique qui érode les fondements mêmes de la République, à savoir la reconnaissance réciproque de la légitimité des deux camps politiques, la droite et la gauche.

Il faut donc l’examiner en parallèle avec d’autres groupes de gauche et de droite qui emmènent la lutte politique dans la rue, qui pensent nécessaire de déployer la violence contre leurs adversaires. Dans le cas des antifas, l’adversaire est le suprémacisme blanc, le néofascisme, le nationalisme de droite mais aussi, parfois, les grandes entreprises qu’ils considèrent plus ou moins explicitement comme « fascistes », comme un danger pour les couches opprimées que compte la société américaine.

Une partie de la mouvance antifa concourt ainsi à une légitimation de la violence. Ce faisant, elle joue un rôle dans l’escalade de la conflictualité qui a marqué ces derniers mois de manifestations.

En outre, elle expose les manifestants pacifiques au danger et à la possibilité d’être injustement qualifiés de violents par l’autre partie. Cette légitimation de la violence – et, souvent, l’engouement pour celle-ci – crée un environnement idéal pour les désordres et les pillages. Cela favorise aussi, comme le montre cet exemple d’un faux compte Twitter étiqueté antifa, l’infiltration des rangs antifas par des extrémistes de droite voulant jouer les agents provocateurs. Au bout du compte, comme l’a admis le FBI lui-même, les antifas planifient rarement – et encore moins maîtrisent – la violence qui éclate parfois au cours des grandes manifestations ; mais ils contribuent à créer un environnement propice à cette violence.

L'une des variables d'une équation complexe

En conclusion, la mouvance antifa constitue bien un danger au sens où elle justifie le recours éventuel à la violence. Cette attitude exacerbe un conflit politique déjà très inflammable, elle empêche parfois les manifestants de préserver le caractère pacifique de leur action et les expose aux infiltrations d’agents provocateurs.

Mais dans cette optique, les antifas ne représentent que l’une des variables d’une équation impliquant de nombreux autres acteurs, dans un contexte propice à de violentes interactions entre différentes factions, notamment dans les espaces urbains.

En revanche, la mouvance antifa ne peut être appréhendée comme un danger au sens d’une organisation terroriste : elle n’a ni structure ni hiérarchie centralisées, elle ne vise pas à subvertir l’ordre démocratique, et elle n’est certainement pas la source première de la violence politique aux États-Unis.


La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.

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