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Fact check US : La procédure d’impeachment à l’encontre de Trump peut-elle aboutir ?

Nancy Pelosi signe l'acte d'accusation de Donald Trump.
Le 14 janvier 2021, la Démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants, signe officiellement l'acte d'accusation de Donald Trump. Stefani Reynolds/AFP

Au lendemain de la mise en accusation de Donald Trump pour incitation à l’insurrection par la Chambre des représentants, le Sénat des États-Unis se trouve placé devant plusieurs dilemmes : s’il réussissait à le juger coupable avant la fin de son mandat officiel, le 20 janvier prochain, il le ferait au prix d’un procès ultra-expéditif qui alimenterait la rumeur de l’arbitraire. S’il proclamait la destitution après l’investiture de Joe Biden, ce serait au prix d’un sérieux ralentissement du contrôle des nominations de la nouvelle administration, et au prix, encore plus élevé, d’un temps exceptionnel pour la communication victimaire de Trump.

Dans un cas comme dans l’autre, le Sénat doit présenter pour le verdict final un front uni de deux tiers des cent sénateurs, ce qui signifie qu’au moins 17 Républicains devraient se joindre ouvertement aux Démocrates (il y a aujourd’hui 50 sénateurs démocrates et 50 sénateurs républicains). Ces derniers se sont hâtivement montrés confiants sur le ralliement des Républicains dans le cas de la Chambre, l’élu David Cicilline déclarant notamment qu’il s’attendait à « obtenir (leur) soutien » ; pourtant, le succès du deuxième impeachment au Sénat paraît en réalité assez peu probable.

L’impossibilité d’un procès accéléré

Alors que la Chambre des représentants s’est préparée à une vitesse record à mettre le président sortant en accusation, ce qui a été fait à travers une résolution adoptée par 232 voix contre 197 adoptée le mercredi 13 janvier, beaucoup de commentateurs considèrent qu’il sera impossible de commencer et conclure le procès d’impeachment au Sénat avant la cérémonie d’inauguration, en rappelant que rien n’empêche qu’elle ait lieu après, la certitude du procès étant en soi suffisamment infamante et son objectif final – l’inéligibilité – sauvegardé.

Le Sénat ne reprendra sa session que le 19 janvier, à la veille de l’investiture de Biden, et un procès sénatorial dure habituellement des semaines. Le manque de temps est donc un argument décisif. Or, pour le président Biden et le Sénat lui-même, un procès après le 20 janvier est un embarras. Il faudra, en effet, valider au plus vite la nomination des membres principaux de l’administration. Biden a bien proposé, en marge de sa deuxième vaccination devant les caméras, que le Sénat partage son temps, après le jour de l’investiture, à moitié pour le procès, à moitié pour l’examen des nominations. Mais chaque jour qui passera renforcera Trump dans son statut de héros « anti-système ». Plus le procès s’éternisera, plus ses aficionados et desperados se remobiliseront.

Un procès rapide devant le Sénat serait donc la meilleure solution. La Constitution ne l’interdit pas – pour autant, bien sûr, que la forme du procès soit respectée, et que les témoins et preuves flagrantes de l’incitation à l’insurrection soient présentés. Mais un procès court, même après le 20 janvier, signifierait que les éléments matériels et les auditions, en nombre et en temps limité, ne laissent aucun doute sur l’intentionnalité directe de Donald Trump dans le coup de force.

Hugh Hewitt, du Washington Post, considère qu’une telle rapidité serait hautement préjudiciable et n’exprimerait qu’une rétorsion punitive. Elle provoquerait un ressentiment encore plus grave et peut-être indélébile dans une partie de la population.

L’improbabilité d’un quorum suffisant

Pour le précédent, pour l’histoire, pour l’exemple, Donald Trump doit être jugé coupable d’incitation à l’insurrection par le Sénat, même si visiblement le calendrier s’y prête mal. Le Sénat a été profondément atteint par l’incitation présidentielle à l’insurrection, en tant que deuxième poumon de l’institution du Congrès. Le quatrième président des États-Unis, James Madison, estimait, dans sa description de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs (checks and balances), (essai n° 50 des Federalist Papers), que l’ambition des élus est compensée par l’importance de leur propre pouvoir. Les intérêts des Sénateurs sont liés à ceux de l’institution qu’ils représentent. L’empiètement et le piétinement du Congrès, physiquement et symboliquement, ont été une atteinte suffisamment évidente qu’elle exige sa réactivité.

Mais il n’y a, à l’heure actuelle, aucune certitude sur le nombre de sénateurs républicains susceptibles de se prononcer pour l’impeachment, lequel nécessite comme on l’a dit un verdict à deux tiers des voix. Au moment de la certification, avant l’assaut sur le Capitole, ils étaient 18 à vouloir poser des objections à la reconnaissance de la victoire de Biden en Arizona et en Pennsylvanie ; leur nombre est tombé à 8 après l’assaut. Mais à la Chambre, ce sont 139 représentants républicains, soit les deux tiers d’entre eux, dont les leaders du groupe Kevin McCarthy (Californie) et Steve Scalise (Louisiane), qui ont finalement objecté. Et le 13 janvier, les Républicains de la Chambre n’ont été qu’une petite dizaine à se joindre à la mise en accusation de Donald Trump, ce qui veut dire que 84 % ont voté contre.

Où trouver, alors, les 17 élus républicains prêts à voter le verdict de culpabilité au Sénat ? Les Républicains, nous l’avons dit, forment aujourd’hui la moitié exacte du Sénat (sur un total de 100 membres), si l’on décompte la voix complémentaire de la vice-présidente qui donne la majorité aux Démocrates. Un seul Républicain a voté en conscience le premier impeachment du président en février dernier : Mitt Romney (Utah), ex-adversaire républicain de Barack Obama à la présidentielle de 2012. Romney a été le premier, cette fois-ci encore, à déclarer Trump responsable du coup de force et à prendre position pour l’impeachment.

D’autres sénateurs républicains se sont manifestés pour demander sa démission immédiate : les sénatrices Lisa Murkowski (Alaska), Susan Collins (Maine), Liz Cheney (Wyoming), les sénateurs Patrick J. Toomey (Pennsylvanie), Ben Sasse (Nebraska) et Roy Blunt (Missouri). Deux solides soutiens de Trump semblent avoir jeté l’éponge après les événements du 6 janvier : Lindsay Graham (Caroline du Sud), le fameux sénateur qui a déclaré « trop c’est trop ! » – mais on l’a vu accompagner le président dans l’Air Force One pour son déplacement au Texas quelques jours plus tard –, et surtout Mitch McConnell (Kentucky), chef du groupe républicain au Sénat, qui avait refusé en décembre d’être dans le camp des objecteurs et a tenu le cap de la certification au 6-7 janvier.

McConnell serait favorable à la procédure, selon les dires de son entourage à la presse. Mais lui-même a habilement noyé le poisson dans sa déclaration publique et n’a pas dit qu’il voterait la culpabilité. Au total, ce sont donc 8 sénateurs potentiels qui pourraient voter cette culpabilité, dont 5 qui pourraient aussi quitter le groupe républicain et devenir indépendants.

C’est autant que les 8 autres qui ont au contraire dédouané Trump, des élus en outre pointés du doigt pour avoir relayé sans relâche le mensonge de la fraude électorale, pensant avoir derrière eux un potentiel de quelque 70 millions d’électeurs : le fort cynique Ted Cruz (Texas), le fort radical Josh Hawley (Missouri), et 6 autres de leur acabit, Rick Scott (Floride), John Neely Kennedy (Louisiane), Tommy Tuberville (Alabama), Cindy Hyde-Smith (Mississippi), Cynthia Lummis (Wyoming) et Roger Marshall (Kansas). Lequel de ces deux groupes incarne le mieux l’intime conviction d’une majorité de sénateurs républicains ? Sans doute le second, surtout si l’on considère qu’une vingtaine de sénateurs républicains doit être renouvelée en 2022.

Dans de telles conditions, les négociations nécessaires pour obtenir des Républicains du Sénat la dizaine de voix manquantes, indispensables au verdict de culpabilité (si l’on estime celles des 8 « opposants » à Trump comme acquises), risquent d’être fastidieuses, voire infructueuses.


La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.

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