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Faut-il vraiment vous souhaiter une « belle année » 2019 ?

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Après les courriels clos par la formule « belle journée », les vœux ont déferlé en janvier : 2019 s’annonce « belle ». De la mairie du 18ᵉ, à l’EFS de Bretagne de Bezons à Saint-Galmier, au Parlement européen et même au ministère de l’Éducation, la « belle année » prédomine. Fini l’ère du bon, voici l’ère du beau.

Comment lire cette tendance ? Ceux qui adhèrent aux théories linguistiques qui prônent des structures profondes y voient une simple variation de surface qui n’aurait pas de sens propre et serait équivalente à l’ancienne formule. Une sorte d’emballage qui cache le même cadeau que « bonne année ». Pourtant, « belle année » ne dit pas exactement la même chose que « bonne année ».

Des mots siamois

On peut avoir l’impression que la formule est plus fraîche, alors que bonne année serait devenu une expression plate. D’un autre côté, fatigués par le règne de l’apparence et l’apogée de la retouche et du filtre à l’ère d’Instagram, on peut ressentir une certaine gêne : il existe une différence fondamentale entre le bon et le beau. En effet, rien n’empêche que nous mourions une journée d’une luminosité débordante. À choisir, nous préférerions largement vivre une bonne journée bien moche.

De même, « avoir la belle vie », est plutôt synonyme de superficialité, tandis qu’Aristote et ses contemporains nous enjoignaient plutôt à rechercher la vie bonne. Enfin, même à l’époque de #MeToo, dire à une femme qu’elle est belle peut encore passer pour un compliment, mais lui dire qu’elle est bonne, c’est décidément autre chose.

Que dire : bonne ou belle ? Que faire de ces expressions siamoises employées en janvier, mois de Janus, le dieu aux deux visages ? La linguistique peut nous éclairer. L’héritage linguistique guillaumien considère notamment que la surface de la langue, c’est-à-dire les mots, peuvent nous donner des informations sur les processus cognitifs sous-jacents. À partir de là, trois pistes s’offrent à nous.

Remotivation du signe

Première piste, nous pouvons parler de la remotivation du signe : nous nous fatiguons des mots que nous utilisons, nous oublions ce qu’ils signifient, et pour remédier à cette platitude nous remettons du contenu ; parfois, le même. Prenons l’exemple du parcours de la conjonction espagnole donde. Ce mot descend de unde, « d’où » en latin, onde en espagnol ancien. Mais avec le temps, les hispanophones avaient l’impression qu’il fallait ajouter la préposition de, donc ils en sont arrivés à la formule de onde, littéralement « de d’où ». Ce mot devient donde et à cette évolution, encore une fois, les hispanophones ajoutent de pour arriver aujourd’hui à de donde. Par trois fois, on a rajouté le même signifiant pour qu’un mot soit plus parlant.

L’an dernier déjà, le Centre des monuments nationaux vous souhaitait une « belle année 2018 ».

L’orthonymie des mots

Deuxième piste, les mots ont une orthonymie. Bernard Pottier (1987) :

« Pour tous les référents usuels d’une culture, la langue dispose d’une appellation qui vient immédiatement à l’esprit de la communauté. Cette dénomination immédiate sera dite l’orthonyme. La couleur de cette page = blanc. Le fait de mettre des mots les uns à la suite des autres sur un papier = écrire. […] L’orthonyme est donc la lexie (mot ou toute séquence mémorisée) la plus adéquate, sans aucune recherche connotative, pour désigner le référent ».

Lorsqu’on termine un courriel, ou que l’on transmet ses vœux, « bonne » est orthonymique ; « belle » cherche à se démarquer de cette naturalité, de cet usage. En d’autres mots, « belle année » est une expression frappante car elle nous surprend : nous attendions une autre expression plus orthonymique.

Retour aux sources

Troisième piste, même si l’on cherche à faire ce qui est nouveau, on revient aux origines. En faisant cette translation on joint ce qui avait été scindé : beau et bon descendent de bellus et bonus, mais bellus était un diminutif familier de bonus, employé à l’époque classique uniquement pour décrire les femmes et les enfants. En effet, « les langues latines ont isolé bonus, bien et bellus qui étaient étroitement liés en latin et qui sont devenus trois mots distincts : fr. bon, bien, beau » (Ernout et Meillet,1951 : 130-131).Bellus a concurrencé deux autres adjectifs qualifiant de la beauté en latin : pulcher et formosus. Peut-être les langues latines, en particulier le français, ont vu une complémentarité dans cette paire bel/bon : même consonne au début de la syllabe et consonne liquide en fin de syllabe dans les deux cas. Si l’on croit à l’iconicité du signe, la ressemblance entre l’image acoustique ou graphique d’un mot et son sens dans une langue donnée, on peut parler de la nasalité de la voyelle ou de la consonne dans bon/bonne comme une expression sonore fermée de la qualité intérieure par rapport à beau/belle qui expriment l’ouverture et donc l’extérieur…

L’année 2019, sera-t-elle belle ? Ce qui est certain, c’est que les forces de la remotivation et de l’orthonymie dans le langage s’opposent dans une danse qui, dans ce cas, nous ramène – peut-être inconsciemment – au lien que la langue française a choisi de maintenir entre les concepts de bonté et beauté, tout en refusant de les fusionner.

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