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Faute de voix commune, les pays des BRICS risquent une polarisation

Chefs d'état réunis en 2014 pour le sommet des BRICS. Une époque plus sereine? Brisbane, Australie. Roberto Stuckert Filho/Wikimedia, CC BY-SA

Au moment où s'ouvre à Brasilia le onzième sommet des BRICS, nous republions cette analyse de janvier 2019 qui met en évidence les défis auxquels est confronté ce groupe dont le rôle exact fait souvent débat.

Une série d’événements récents a suscité des inquiétudes quant à la vitalité du plus grand groupe de pays émergents, communément appelé BRICS et regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud.

Il s’agit notamment de l’élection récente de Jair Bolsonaro au Brésil, de l’instabilité des marchés financiers internationaux, de l’incertitude préélectorale en Inde, de la fermeture du gouvernement aux États-Unis et, surtout, de la guerre commerciale sino-américaine.

Les pays membres ont un PIB combiné d’environ 15 000 milliards de dollars. Ils représentent 19,3 % du produit mondial brut ; 42,7 % de la population mondiale ; et ont représenté plus de 50 % de la croissance économique mondiale au cours des 10 dernières années.

Malheureusement, ils semblent de plus en plus divisés sur une série de problèmes géopolitiques et géoéconomiques. Leurs propres intérêts nationaux semblent fondamentalement opposés à ceux des autres membres. En conséquence, les BRICS semblent aujourd’hui manquer d’une « voix commune » au nom des pays du Sud, et donc ils ne peuvent pas articuler les intérêts des pays en voie de développement avec autant de persuasion.

Lignes de division sino-russes

Les pays BRICS se livrent ainsi depuis quelques années à des exercices plutôt unilatéraux ou bilatéraux, loin des objectifs affichés de déterminer une politique commune pour les économies dites « émergentes ».

Cela tient à des considérations politiques propres à chaque pays. Par exemple, la Chine et la Russie ont adopté des positions communes au Conseil de sécurité des Nations unies concernant la Syrie et l’Iran. Ils travaillent également ensemble sur une position commune sur l’Afghanistan en attendant le retrait des États-Unis, ce qui va à l’encontre du désir de Washington de promouvoir une présence indienne à Kaboul, afin de mitiger le risque d’instabilité en Afghanistan lors du retrait américain.

La Chine et la Russie élargissent également leurs relations avec le Pakistan, au chagrin de l’Inde.

Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi en réunion avec Vasily Nebenzya, le représentant permanent russe aux Nations unies lors d’une rencontre avec le Conseil de sécurité de l’ONU, Beijing, le 26 novembre 2018. Jason Lee/AFP

En ce qui concerne plus particulièrement les BRICS, la Chine et la Russie n’ont pas soutenu l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies afin de donner un siège au Brésil, à l’Inde ou à l’Afrique du Sud, même si ces pays militent activement en faveur d’une telle position.

La Chine et la Russie développent également des mécanismes d’échange de devises pour faciliter les échanges bilatéraux plutôt qu’un mécanisme inter-BRIC pour un panier de devises.

En outre, lors de l’élargissement des récents droits de vote à la Banque mondiale et au FMI, les gains en pouvoir de vote de la Chine, du Brésil et de l’Inde ont été défavorables aux autres pays en développement, notamment le Nigéria et l’Afrique du Sud. De plus, les BRICS n’ont pas appuyé l’appel lancé par l’Afrique du Sud pour un troisième siège africain au conseil d’administration du FMI. Cela a fait de l’Afrique la région la plus sous-représentée du conseil d’administration.

Davantage de pays africains

Le President du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa se joint à la photo de groupe lors du 10ᵉ sommet des BRICS le 27 juillet à Johannesburg, South Africa. Mike Hutchings/AFP

La Chine et la Russie ont également formé l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), en partenariat avec six républiques d’Asie centrale. Créé en 2001, il traite des questions d’énergie et de sécurité et constitue un contrepoids à l’influence américaine en Asie centrale. De la même manière, l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie préconisent le concept de « BRICS Plus » pour inclure davantage de pays africains dans les BRICS. Cela semble un avantage étant donné l’influence économique et politique de la Chine et la Russie.

L’Afrique du Sud avait lancé le partenariat BRICS Outreach, un canal d’inclusion pour plusieurs pays africains tels que le Sénégal, l’Éthiopie, le Rwanda et l’Angola. L’Afrique du Sud tente donc d’incorporer un plus grand pluralisme au sein des BRICS.

L’Inde semble cependant mal à l’aise avec le concept BRICS Plus, craignant qu’une telle reconfiguration ne soit plus avantageuse pour Beijing que pour eux, au vu de l’influence chinoise en Afrique ?

La route de la soie et la guerre commerciale

Le mégaprojet chinois sur la nouvelle route de la soie (NRS) est peut-être la plus importante force contrariante par rapport aux initiatives conjointes des BRICS. Alors que la Russie appuie ce projet, l’Inde s’y oppose farouchement car le corridor économique sino-pakistanais est un stimulant de 62 milliards de dollars US qui contrecarre le jeu politique indien pour isoler le Pakistan.

La Chine en rouge, les membres de l’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank) en orange, les six corridors proposés en noir et en bleu. 2017. Lommes/Wikimedia, CC BY-NC

Pourtant, la Chine préfère que le NRS fasse progresser ses intérêts géopolitiques et géoéconomiques car il peut jouer un rôle de premier plan et exercer davantage de contrôle sur la route de la soie. Dans le partenariat BRICS, la Chine n’est que l’un des cinq égaux ; sur la route de la soie, elle est clairement leader.

Contrer les États-Unis

En même temps, deux pays BRICS, la Chine et la Russie, jouent un jeu d’acrobatie économique et politique avec les États-Unis.

Or ces derniers se retirent actuellement des accords de gouvernance multilatéraux qu’ils ont créés. Par exemple, ils se sont retirés de la conférence des Nations unies sur les migrations et du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Et Washington paralyse effectivement l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en refusant d’accepter la nomination de nouveaux juges à l’organe d’appel de l’OMC.

Rencontre entre Trump et Poutine au G20, 2017. Kremlin/Service de presse

Les États-Unis sont sur le chemin de la guerre commerciale avec la Chine, ce qui fomente les divisions entre les pays du groupe BRICS, alors que la Russie se tourne vers la Chine, tandis que l’Inde et le Brésil se rapprochent des États-Unis.

En raison de la guerre commerciale, les pays du groupe BRICS sont maintenant davantage contraints de prendre parti, soit pour les États-Unis soit pour la Chine, avec une marge de manœuvre réduite. Selon la Banque mondiale, une modération dans le commerce mondial ralentira le taux de croissance du PIB mondiale, de 4,5 % en 2018, à 4,7 % en 2019 et 2020.

Une voix commune pour les Suds ?

Il existe un présupposé sur la domination de l’Occident (G7) dans la gouvernance économique mondiale qui était valable à la création du groupe BRICS (2002), mais qui ne l’est plus.

Brexit, Trump, le populisme, le ralentissement de l’économie mondiale depuis la crise de 2008, et la montée en puissance de la Ligue en Italie sont autant de phénomènes qui montrent que la domination de l’Occident sur l’économie mondiale s’est estompée. Alors, quelle est la nécessité de présenter une résistance aux puissances dominantes si elles ne le sont plus ?

En parallèle, la moitié de la croissance actuelle du PIB mondial est génerée par les BRICS. Si ces derniers développaient de meilleurs mécanismes de coordination économique, ils seraient ainsi capables de maintenir un rythme de croissance élevé. Le cas échéant, la polarisation actuelle des BRICS risquerait de ralentir considérablement la croissance économique mondiale, avec des répercussions pour les écononomies émergentes hors BRICS, étant donné leur intégration dans l’économie mondiale.

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