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Le dépôt du budget, en des temps meilleurs. Le ministre des Finances Éric Girard, est applaudi par les membres de son parti, dont le premier ministre Francois Legault, le 10 mars 2020, à l'Assemblée nationale. La crise de la Covid-19 provoque le dépôt d'une mise à jour économique. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Finances publiques en déroute, plus d’inégalités en vue

La crise de la Covid-19 a eu un effet significatif sur les finances publiques des provinces et d’Ottawa.

Le ralentissement de l’activité économique diminue les revenus fiscaux, alors que les programmes d’aide sont particulièrement coûteux. À Ottawa, on anticipe un déficit d’au moins 260 milliards de dollars cette année, 10 fois plus que prévu en 2019-2020. On en saura plus demain sur la situation budgétaire du Québec, alors que le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, proposera un énoncé budgétaire.

Plusieurs pays risquent de traverser une période de consolidation budgétaire, pendant laquelle les gouvernements augmentent leurs impôts et/ou diminuent leurs dépenses pour résorber les déficits budgétaires encourus à la suite de la crise de la Covid-19. On appelle communément ces périodes de consolidation budgétaire « austérité ».

Elles font l’objet de mes recherches, dans le cadre de mon doctorat en science politique qui j’achève à l’Université McGill sur l’économie politique des finances publiques, et qui ont fait l’objet de publications notamment dans le Journal of European Public Policy et le Journal of European Social Policy.

Des compressions dans des secteurs moins visibles

À Québec, le gouvernement Legault a déjà exclu une hausse d’impôts pour résorber le déficit.

On risque donc d’assister à une diminution du rythme de croissance des dépenses publiques ou même à des compressions budgétaires, à moins que le gouvernement ne reporte de plusieurs années ses objectifs de réduction de la dette publique.

Alors que la crise de la Covid-19 a révélé les faiblesses des services publics au Canada et au Québec, la pression sera forte pour répondre à des besoins criants, notamment dans le réseau de la santé et dans la sécurité du revenu.

Si le gouvernement décide de réduire ses dépenses tout en répondant à ces demandes, des compressions importantes se feront sentir dans plusieurs domaines d’intervention publique, souvent moins visibles, mais tout aussi importants à long terme. En effet, mes recherches démontrent que les périodes de consolidations budgétaires s’accompagnent généralement d’une diminution de l’investissement public en infrastructure particulièrement dans l’entretien et le maintien des actifs publics. On peut d’ailleurs associer la baisse des investissements en infrastructures qui caractérise le Québec depuis plusieurs décennies aux exercices de réduction de déficit budgétaire.

Autres investissements publics peu visibles : la recherche et développement. Bien qu’ils soient à l’origine d’innovations technologiques permettant d’assurer la croissance économique future, ces investissements demeurent une cible facile lors d’exercice de consolidations budgétaires.

Certes, la stratégie de relance économique du gouvernement du Québec comprend des investissements supplémentaires en infrastructures, mais ces efforts seront vains si la relance est suivie d’une période d’austérité.

Les dépenses populaires, visibles et qui proposent des bénéfices à court terme aux citoyens tendent à être préservées lors des exercices de consolidation budgétaires. Par exemple, les dépenses de santé n’ont pas diminué lors de la dernière période d’austérité imposée par le gouvernement Couillard. Leur taux de croissance a certes ralenti, mais leur proportion relative par rapport au reste du budget a augmenté, alors que ce sont les autres dépenses, notamment en éducation ou dans l’administration publique, qui ont subi les plus lourdes compressions.

Bref, lorsqu’un gouvernement est forcé de faire des compressions, il préserve les politiques les plus populaires, en vue de minimiser les conséquences électorales. Ces politiques populaires offrent généralement des bénéfices nets à court terme aux électeurs.

Austérité, croissance et inégalités

Si le gouvernement décide de ne pas augmenter ses revenus, deux options s’offrent à lui : augmenter la dette publique ou diminuer les dépenses publiques. La deuxième option risque de se traduire par une diminution des investissements bénéfiques à long terme, alors que la première option implique que les générations futures doivent financer les décisions prises pour résorber la crise de la Covid-19.

Ainsi, la décision de ne pas augmenter les impôts est lourde de conséquences d’un point de vue d’équité intergénérationnelle. Au moins, les taux d’intérêts sur la dette publique sont particulièrement bas, ce qui limite les effets néfastes de cette option.

Les conséquences de l’austérité budgétaire vont au-delà de l’équité entre les générations. Les économistes se sont longtemps interrogés sur l’effet de l’austérité sur la croissance économique et sur les inégalités. Après la crise de 2008, la thèse de l’austérité expansionniste était en vogue : une diminution des dépenses publiques pourrait avoir un effet positif sur la croissance économique.

Cette thèse a été largement discréditée, alors que les pays européens qui ont suivi cette recette se sont empêtrés dans une récession interminable. Toutefois, il est généralement admis qu’une consolidation budgétaire basée sur une diminution des dépenses publiques a des effets moins nuisibles sur la croissance économique que si le gouvernement décidait d’augmenter les taxes et les impôts pour résorber les déficits publics.

Cela dit, il est démontré qu’une consolidation budgétaire basée sur une diminution des dépenses publiques contribue à augmenter les inégalités, alors qu’une hausse de taxes et d’impôts peut les diminuer.

La raison est simple. Presque partout, les dépenses publiques et les impôts sont progressifs : les riches paient considérablement plus d’impôts que les plus pauvres, alors que ces derniers bénéficient davantage des dépenses publiques. Une hausse d’impôt a donc un effet négatif plus important pour les riches, alors qu’une diminution des dépenses touche davantage les plus pauvres. Du point de vue de la lutte aux inégalités, même une hausse des taxes à la consommation, qui sont payées autant par les riches que par les pauvres, est préférable à une diminution des dépenses publiques.

En refusant d’augmenter les impôts pour résorber les déficits encourus par la crise de la Covid-19, le gouvernement Legault mise sur la croissance économique, au détriment des inégalités entre les individus et entre les générations.

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