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Foodtech : la France s’organise pour combler son retard

L'entreprise Ynsect, situé à Dole dans le Jura, s'est spécialisée dans l'élevage d'insectes destinés à l'alimentation animale et aux engrais organiques. Sébastien Bozon/ AFP

La France, pays de la gastronomie, s’affiche comme aussi une « start-up » nation, mais accuse paradoxalement un retard sur les autres pays en matière de foodtech. Ce terme est apparu au début des années 2010 aux États-Unis, pour se diffuser en France au milieu de la décennie. Il désigne « l’alliance entre les nouvelles technologies d’une part et les secteurs de l’alimentation et de la restauration d’autre part ».

Avec 2,6 % des investissements mondiaux, la France se situe aujourd’hui loin des États-Unis, qui représentaient 80 % des investissements dans la foodtech avant 2016. Elle est encore derrière les leaders européens que sont le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui représentent 63 % des montants investis en Europe.

La foodtech en Europe. Alliancy.fr

Les investissements récents (227 millions d’euros en 2018) sont toutefois un signe que la France est en train de combler ce retard et pourrait même devenir un leader européen à terme. Le pays compte déjà un certain nombre de sociétés innovantes combinant technologie, numérique et alimentation. Parmi elles se trouvent des start-up en plein essor telles qu’Ynsect, ChefClub et Frichti.

Nombreuses opportunités

Ynsect développe depuis 2014 une technologie de pointe dans le domaine de l’élevage d’insectes destinés à l’alimentation animale et aux engrais organiques, en vue de répondre aux enjeux de pénurie des ressources naturelles. Implantée dans le Jura, à Dole elle a pu, suite à des levées de fonds successives (dont la dernière de 110 millions d’euros), construire la plus grande ferme d’insectes du monde avec un nouveau site à Poulainville dans la Somme.

ChefClub, start-up parisienne créée par trois frères en 2016, propose via les réseaux sociaux des vidéos de « recettes extraordinaires avec des ingrédients ordinaires ». Elle affiche aujourd’hui plus de 70 millions d’abonnés dans le monde, une équipe de 32 personnes et déploie une boutique à Paris.

La start-up Frichti, lancée en 2015 à Paris, est un traiteur qui propose des plats cuisinés sur mesure avec des produits frais de qualité et livrés rapidement. Les commandes se font via un site Internet ou une application. L’entreprise s’est développée très rapidement grâce à des levées de fonds (43 millions d’euros depuis sa création) et peut prétendre aujourd’hui concurrencer les leaders internationaux bien connus que sont Deliveroo ou Uber Eats par exemple.

Comme le montrent ces exemples, les opportunités et champs à investir sont nombreux. La foodtech française se divise en effet en différentes sous-catégories qui recouvrent les grands domaines de la production, transformation, distribution et consommation alimentaires : « agtech » (élevage ou culture agricole assistée par les outils numériques), « food science » (transformation alimentaire, création de produits nouveaux), « food service » (restauration et plats préparés), « retail & delivery » (livraison à domicile), « coaching alimentaire » et « media ». Elle englobe donc ce qui part du champ pour arriver dans l’assiette en allant jusqu’à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Des entreprises d’origines diverses

La foodtech est susceptible de se trouver au cœur de la transformation de l’appareil productif français, en intégrant le numérique dans les secteurs traditionnels forts – mais en perte de vitesse – de l’économie française que sont l’agriculture et l’agroalimentaire. Sous certaines conditions, elle peut contribuer à clore 30 ans de déclin industriel par l’investissement, la conception et le développement de technologies et activités créatrices de valeur, d’emplois non-délocalisables et donc génératrices de revenus bénéficiant à la population sur l’ensemble du territoire national. Pour reprendre les termes du président de la République Emmanuel Macron dans son discours du 25 avril 2019, elle est à la jonction d’un « nouveau pacte productif » visant à renforcer la base productive nationale et d’un « nouveau pacte territorial » articulant métropoles, villes moyennes et espaces ruraux.

En quelques années, la foodtech est en conséquence devenue un enjeu de politique publique. En 2013, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique, avait lancé une première vague de labellisation « FrenchTech » pour distinguer les métropoles françaises investissant dans le numérique. Puis, en 2015, Axelle Lemaire, alors secrétaire d’État chargée de la numérique annonce une deuxième vague de labellisation concernant des écosystèmes dynamiques et matures et des réseaux thématiques, tels que medtech en Alsace, culturetech à Avignon, designtech à Saint-Étienne, ou encore IoT-tech (Internet des objets) à Angers.

Les régions se mobilisent elles aussi à leur niveau. En Bourgogne Franche-Comté, une association loi de 1901 « Foodtech Dijon-Bourgogne-Franche-Comté » a été créée pour répondre à une deuxième vague de labellisation thématique, qu’elle obtiendra en juillet 2016. L’ambition de ce réseau est « devenir la référence pour le développement de start-up en Europe, sur une thématique où la France, Dijon et sa grande Région Bourgogne-Franche-Comté, ont une légitimité, un savoir-faire et une attractivité forte ».

Ses membres affichés sont d’origines extrêmement diverses : on y trouve des start-up, essentiellement dans le domaine du « food service », des TPE ou PME souvent liées à la restauration, des PME innovantes, ainsi que des grands groupes agroalimentaires, industriels et de services. Les organismes d’enseignement supérieur et de recherche, ainsi que les collectivités locales, sont eux aussi présents.

Un grand groupe comme Seb ambitionne de ne pas seulement être un leader du petit électroménager, mais aussi de répondre à la question « qu’est-ce que je mange ce soir ? ». Être un acteur fédérateur de cet écosystème est un enjeu vital comme le souligne Xavier Boidevezi, secrétaire national du réseau foodtech et vice-président digital du Groupe Seb :

« C’est bien en fédérant un écosystème d’acteurs qu’on arrivera tous ensemble à répondre à cette question. Seb a du coup l’ambition d’être un acteur de cet écosystème plutôt que de laisser les autres le faire à sa place ».

Pour une start-up, appartenir au réseau permet d’échanger, de s’ouvrir, d’être mis en avant sur des technologies et de faire connaître ses besoins. De son côté, l’entreprise va contribuer à dynamiser l’écosystème. Les collectivités locales attendent quant à elles de ce réseau qu’il développe une « capacité à être le spécialiste de la transversalité numérique appliquée à l’alimentation » et soit un levier d’attractivité et de promotion du territoire rapporte Madame Riamon, chargée de la filière agroalimentaire de Dijon métropole.

Le pari des écosystèmes

L’écosystème de la foodtech française. lafoodtech.fr

Ce réseau est toutefois encore jeune et doit faire face à certaines limites, dont le manque et de moyens propres et une portée internationale encore trop réduite pour permettre aux entreprises de la filière agroalimentaire française d’améliorer significativement leur positionnement concurrentiel face à leurs concurrents internationaux, au premier rang desquels les entreprises américaines et chinoises.

Mais, cette première tentative de structuration illustre bien le fait que l’innovation et la compétitivité ne sont plus de nos jours l’affaire d’entreprises isolées, mais le fruit de la coopération au sein de communautés, ou « écosystèmes », comprenant des grandes entreprises et des start-up, des universités, des capital-risqueurs et les pouvoirs publics. Les entreprises y tissent des relations de coopération-concurrence complexes, favorisant le développement de ressources et compétences communes dans un contexte d’innovation ouverte, sources d’avantages concurrentiels durables.

Si les start-up sont les acteurs les plus visibles de la foodtech, il s’en crée une par jour en Europe, elles doivent compter avec les grands groupes industriels (agroalimentaire, électroménager) ou de services (énergie, télécommunications, distribution, restauration), qui peuvent leur apporter des financements, de l’accompagnement, de la visibilité, voire des marchés. L’innovation naît de ces écosystèmes, qui deviennent indispensables pour rattraper le retard français en matière de foodtech.

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