tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/chiites-23723/articleschiites – The Conversation2024-02-25T16:26:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2240132024-02-25T16:26:27Z2024-02-25T16:26:27ZL’engagement du Hezbollah auprès du Hamas et ses conséquences pour le Liban<p>Dès le lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre dernier, le Liban a été entraîné dans le conflit sur sa frontière Sud contrôlée par le Hezbollah, qui a <a href="https://www.la-croix.com/Liban-Hezbollah-tire-positions-israeliennes-frontiere-2023-10-08-1301285987">tiré des roquettes sur le territoire de l’État hébreu</a> en solidarité avec le mouvement palestinien. Israël a <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/israel-contre-le-hamas-la-crainte-grandissante-d-une-intervention-du-hezbollah-au-liban-980065.html">répliqué par des bombardements soutenus</a> visant les positions du Hezbollah au Liban. Depuis, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-et-le-hezbollah-sur-le-pied-de-guerre-au-liban-2043581">combats n’ont cessé de s’intensifier</a>, au point qu’une escalade vers une guerre totale qui embraserait l’ensemble de la région apparaît comme un scénario crédible aux yeux de nombreux observateurs et d’une partie significative de la population libanaise.</p>
<p><a href="https://www.lorientlejour.com/article/1368403/discours-de-nasrallah-les-4-points-cles-sur-gaza-et-le-liban-sud.html">Dans un discours diffusé le 16 février</a> le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a défié Israël en annonçant qu’il ne renoncera pas au combat et en martelant :</p>
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<p>« L’ennemi paiera le prix du sang de nos femmes et de nos enfants qui ont été tués dans le Sud. Le prix du sang sera le sang ; pas des avant-postes, des équipements de surveillance ou des véhicules militaires. »</p>
</blockquote>
<p>Cette déclaration implique que la milice chiite ne ciblera plus uniquement des positions militaires, mais également des civils. La veille, une <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20240215-lebanon-family-invited-to-dinner-finds-death-in-israel-strike">frappe de drone</a> contre des responsables du Hezbollah à Nabatiyeh avait fauché une famille au premier étage de l’immeuble visé.</p>
<p>Du côté israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant avait averti le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1357024/un-ministre-israelien-avertit-le-hezbollah-que-beyrouth-pourrait-subir-le-meme-sort-que-gaza.html">11 novembre</a> : « Le Hezbollah entraîne le Liban dans une guerre qui pourrait avoir lieu. […] Ce que nous pouvons faire à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth ». L’armée israélienne a déployé des troupes supplémentaires sur sa frontière Nord, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1353198/israel-evacue-des-habitants-le-long-de-la-frontiere-avec-le-liban-armee.html">évacuant les civils résidant dans les localités frontalières</a>. S’achemine-t-on inéluctablement vers une nouvelle guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah ?</p>
<h2>État des lieux au Liban depuis octobre 2023</h2>
<p>Depuis le 8 octobre, plus de 90 villages ont été visés par des tirs israéliens, et plus de <a href="https://dtm.iom.int/reports/mobility-snapshot-round-20-18-01-2024?close=true">83 000 habitants du Sud Liban</a> ont quitté leur foyer pour des endroits plus sûrs.</p>
<p><a href="https://www.europe1.fr/international/violences-a-la-frontiere-avec-israel-plus-de-76000-deplaces-au-liban-selon-lonu-4223459">Selon l’Organisation internationale pour les migrations</a>, la majorité des déplacés sont accueillis par des parents tandis que d’autres louent ou sont installés dans des centres et dans des écoles réquisitionnées pour les héberger. L’organisation de l’aide pour les déplacés est ainsi gérée en grande partie par la solidarité familiale et des institutions humanitaires civiles et partisanes ; le rôle du gouvernement libanais reste limité et, souvent, les plans d’urgence sont inadéquats.</p>
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<p>Le bilan humain s’alourdit de jour en jour. Il s’élève actuellement à plus de 200 morts, dont la plupart sont des combattants du Hezbollah. Parmi les victimes civiles, on compte notamment des <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/12/lebanon-deadly-israeli-attack-on-journalists-must-be-investigated-as-a-war-crime/">journalistes délibérément visés par les frappes israéliennes</a>, une stratégie adoptée dans cette guerre par Israël dont les frappes à Gaza <a href="https://rsf.org/fr/gaza-4-mois-de-guerre-le-journalisme-palestinien-d%C3%A9cim%C3%A9-en-toute-impunit%C3%A9">ont tué plus de 84 journalistes</a> depuis le début des hostilités.</p>
<p>On ne saurait trop insister sur le fardeau financier qui pèse sur l’État libanais et, surtout, sur les personnes déplacées, dont une grande partie sont des agriculteurs et des travailleurs journaliers. Ainsi, de nombreux villageois n’ont pu récolter et vendre leurs produits (notamment les olives), et <a href="https://www.hrw.org/news/2023/10/12/israel-white-phosphorus-used-gaza-lebanon">l’utilisation par Israël de bombes au phosphore blanc</a> dans les champs du Sud-Liban a durablement endommagé la terre.</p>
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<p>Outre l’impact économique et environnemental, la plupart des écoles ont dû fermer leurs portes dans la région et plus de 5 000 enfants ont été déscolarisés. Il ne faut pas perdre de vue que le <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/overview">Liban souffre depuis 2020 d’une grave crise économique</a> qui se manifeste par un <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/14/au-liban-un-dollar-vaut-desormais-100-000-livres-un-record-historique">effondrement de sa monnaie</a> et un des ratios dette/PIB les plus élevés au monde (283,2 %). Le déclenchement d’un conflit avec Israël anéantirait pour de bon les espérances des Libanais de sortir de l’impasse et réduirait en cendres le peu d’infrastructures qui restent encore en état de fonctionnement.</p>
<h2>Israël et le Hezbollah, les meilleurs ennemis</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté à de tels scénarios. Depuis la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerrecivilelibanaise">guerre civile (1975-1989)</a>, jusqu’à la période qui a suivi <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/25/l-armee-israelienne-a-acheve-son-evacuation-du-liban-sud_3714606_1819218.html">l’évacuation de l’occupation israélienne du Sud-Liban (2000)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre de juillet 2006</a>, les forces israéliennes ont plusieurs fois attaqué le Liban et conservent une forte présence militaire le long de la frontière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1759231806077894659"}"></div></p>
<p>Israël et le Hezbollah sont les meilleurs ennemis : les attaques israéliennes répétées <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03153621v1/document">consacrent le rôle du Hezbollah</a> comme gardien de la résistance, adversaire résolu d’Israël et défenseur de la souveraineté libanaise et de la libération de la Palestine, alors qu’une paix avec Israël contraindrait le mouvement à se désarmer et, in fine, à disparaître. Pour l’État israélien, l’existence de la milice et le danger qu’elle représente justifient sa politique de sécurité et de guerre continue.</p>
<p>Il reste que si le conflit actuel <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/18/gaza-hospital-al-ahli-al-arabi-blast-explosion-protests-demonstrations-middle-east">a redoré le blason du Hezbollah auprès de la majorité des Arabes</a> qui applaudissent son effort de guerre auprès du Hamas contre Israël, au Liban le soutien reste mitigé. Pour beaucoup, les affrontements en cours représentent une menace sérieuse pour l’avenir du pays.</p>
<h2>Divisions politiques</h2>
<p>L’opinion publique et la classe politique libanaises sont divisées entre, d’une part, ceux qui adhèrent au projet politique du Hezbollah et de ses alliés de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366597/hamas-hezbollah-houthis-que-veut-laxe-de-la-resistance-.html">« l’axe de la résistance »</a> soutenus par l’Iran – qui comprend le Hamas, les <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-vers-un-conflit-a-grande-echelle-avec-les-houthis-du-yemen-et-les-organisations-politico-militaires-irakiennes-221671">milices chiites en Irak et les Houthis yéménites</a> – et, d’autre part, ceux qui le rejettent et réclament son désarmement, l’accusant d’être un contre-pouvoir bloquant la vie politique et la reprise économique.</p>
<p>Dans les premiers jours du conflit, l’engagement du Hezbollah sur le front Sud a réussi à transcender, un temps, les clivages sectaires, notamment entre sunnites, druzes et chiites par solidarité avec Gaza ; mais avec l’enlisement et l’installation de la guerre dans la durée, les alliances se fissurent.</p>
<p>Pour la communauté chrétienne, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366146/apres-gemayel-rai-les-pro-hezbollah-sur-la-defensive-face-a-leurs-detracteurs-chretiens.html">hostile à cette guerre</a>, le Hezbollah prend une fois de plus les Libanais en otage et met en danger la souveraineté du pays. Par ailleurs, la promesse faite par le secrétaire général Hassan Nasrallah d’engager de manière limitée son organisation dans la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/11/03/nasrallah-hezbollah-lebanon-israel-speech/">création « d’un front de soutien et de solidarité »</a> au début du conflit, ne tient plus. Le bilan élevé des combattants morts lors des opérations et les cadres (Hamas et Hezbollah) assassinés par drone, le déplacement des populations du Sud fuyant les combats et l’installation dans le conflit rendent le risque d’embrasement plus plausible que jamais. Mais ce danger n’est pas perçu de la même manière par tous au Liban, où plusieurs réalités coexistent.</p>
<h2>Réalités parallèles</h2>
<p>Malgré la crise et la guerre qui menace au Sud, la vie à Beyrouth et dans ses environs est quasi normale. Les restaurants et les bars ne désemplissent pas, les stations de ski sont toujours fréquentées, les centres commerciaux et les cinémas aussi.</p>
<p>Quand on se promène du côté de Gemmayzé, Mar Mikhael, Verdun ou Rabieh, on ressent l’insouciance d’une partie de la population qui vit dans le déni de la guerre et dans une réalité parallèle. Ces Libanais qui ne souhaitent pas quitter leur pays pour des endroits plus sûrs et dont les revenus sont perçus pour une grande partie en devises étrangères ne parlent ni de conflit ni de crise, termes vulgaires et obscènes qui enlaidissent leur projection d’une vie idéale à la libanaise.</p>
<p>Ils vivent dans une bulle qui préserve du présent, est détachée du passé douloureux et ne se projette pas dans un avenir incertain. Une bulle flottant hors temps et hors sol, qui protège de l’autre réalité, plus dure : celle de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1289153/80-de-pauvres-au-liban-comment-cette-donnee-est-elle-calculee-.html">majorité des Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté</a>, qui ne peuvent se chauffer en hiver, se soigner ou payer la scolarité de leurs enfants. Différente aussi de celle des habitants du Sud Liban, obligés de fuir leur foyer. Les réalités libanaises cohabitent mais ne se croisent pas ; elles sont le reflet d’un pays déchiré par des années de guerre, avec une société fragmentée et un État en faillite, incapable d’empêcher que la guerre à Gaza ne s’invite à Beyrouth.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir est chercheur à OMAM et REPI de l'ULB</span></em></p>Il y a déjà eu des centaines de morts, depuis octobre 2023, dans les affrontements opposant Israël au Hezbollah. Le Liban, déjà aux abois, sera-t-il entraîné dans une guerre dévastatrice ?Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216712024-01-29T15:48:28Z2024-01-29T15:48:28ZLes États-Unis vers un conflit à grande échelle avec les Houthis du Yémen et les organisations politico-militaires irakiennes ?<p>Au Proche-Orient, la guerre de Gaza est en train d’acquérir une dynamique propre, ravivant le spectre de nouveaux conflits régionaux. Appuyé par les États-Unis, qui ont <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-etats-unis-livrent-des-munitions-a-israel-et-renforcent-leur-presence-militaire-08-10-2023-2538500_24.php">envoyé leur plus imposant navire de guerre dans la zone</a>, Israël mène, depuis l’assaut meurtier du Hamas le 7 octobre dernier, une guerre à grande échelle qui, <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">aux yeux de nombreux observateurs</a>, ne viserait pas uniquement à éradiquer le groupe islamiste mais également à expulser les Palestiniens de Gaza en prenant pour cible les infrastructures et les populations civiles. La Cour internationale de Justice vient d’ailleurs d’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-south-africa-genocide-hate-speech-97a9e4a84a3a6bebeddfb80f8a030724">accepter d’instruire la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Dans ce contexte, des acteurs non étatiques armés alliés à l’Iran ont lancé, dans une stratégie concertée, des représailles asymétriques contre Israël depuis la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen. Ces acteurs mènent également des opérations offensives contre les forces américaines, perçues comme partie prenante de la guerre israélienne contre Gaza.</p>
<p>Une perception erronée des réalités locales conduit à réduire ces acteurs non étatiques au rôle de « proxies » : on a tendance à ne les voir que comme un réservoir de forces projetables que l’Iran actionne quand il le souhaite pour mener des actions offensives. Or, bien que ces acteurs convergent stratégiquement avec Téhéran sur le plan régional et font partie intégrante d’un axe de la dissuasion active face à Israël, ils disposent également d’une autonomie certaine et agissent conformément à leur propre agenda. Il en va ainsi aussi bien des <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">organisations politico-militaires chiites</a> actives en Irak que des <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-houthis-cette-milice-yemenite-visee-par-les-frappes-americaines-et-britanniques-221149">Houthis au Yémen</a>.</p>
<h2>Escalade avec les organisations politico-militaires chiites en Irak</h2>
<p>En Irak, où les États-Unis conservent une présence de 2 500 soldats – en vertu d’un accord avec le gouvernement de Bagdad, pour conseiller et former les forces de sécurité irakiennes dans le cadre de la lutte anti-Daech –, une <a href="https://english.aawsat.com/arab-world/4786701-syria-extends-humanitarian-aid-delivery-bab-al-hawa-crossing">centaine d’opérations offensives ciblant l’armée américaine ont été dénombrées depuis le 17 octobre</a>.</p>
<p>En réponse, les États-Unis ont mené, le 4 janvier dernier, une attaque de drone qui a tué Mushtaq Jawad Kazim al-Jawari, également connu sous le nom d’Abu Taqwa, le chef du puissant groupe <a href="https://www.counterextremism.com/threat/harakat-hezbollah-al-nujaba-hhn">Harakat al-Nujaba</a>.</p>
<p>Aux côtés de plusieurs autres organisations – notamment la brigade Badr, Asaib Ahl al-Haq et Kataib Hezbollah, ce groupe relève du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/finances-en-irak-une-force-paramilitaire-pro-iran-pese-sur-le-budget-de-l-etat">Hached al-Chaabi</a> – les « Forces de mobilisation populaire » irakiennes, ou FMP – une coalition de forces paramilitaires soutenue par l’Iran, poids lourd structurel en Irak.</p>
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<p>Sur la scène irakienne, les FMP apparaissent aujourd’hui comme un acteur politique puissant dont la légitimité a été renforcée par les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/10/BAKAWAN/66186">succès obtenus sur le terrain face à Daech</a> et qui s’est vu accorder un statut officiel de branche auxiliaire des forces de sécurité irakiennes.</p>
<p>L’assassinat en janvier 2020 de leur chef adjoint <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/01/03/abou-mehdi-al-mouhandis-l-autre-victime-du-raid-contre-soleimani_1771652/">Mahdi el-Mohandes</a>, lors de la frappe américaine qui a tué le haut responsable iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique et architecte du développement du potentiel militaire de l’axe de la dissuasion active mis en place par Téhéran, n’a pas empêché les FMP de continuer de jouer un rôle clé en Irak.</p>
<p>Ni l’affaiblissement de leur leadership, ni les tensions avec leur rival chiite, le leader religieux et nationaliste Moqtada al-Sadr, qui ont dégénéré en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220830-irak-moqtada-al-sadr-hadi-al-ameri-qui-sont-les-principaux-acteurs-de-la-crise-politique">affrontements</a> aux <a href="https://orientxxi.info/magazine/iraq-the-al-sadr-dynasty-is-losing-ground,3979">ressorts multiples et locaux</a> en août 2022, n’ont fragilisé durablement la coalition. Au contraire : la nomination en octobre de la même année au poste de premier ministre de Mohammed Shia al-Soudani (proche de Nouri al-Maliki, premier ministre de 2006 à 2014) a donné aux FMP un nouvel élan. Comme le <a href="https://www.brookings.edu/articles/shiite-rivalries-could-break-iraqs-deceptive-calm-in-2023/">souligne</a> le chercheur de la Brookings Institution Ranj Alaaldin, « l’organisation s’est davantage ancrée dans l’État irakien, élargissant ses capacités économiques, diversifiant ses sources de revenus et étendant son réseau de mécènes ».</p>
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<p>C’est ainsi que la frappe américaine qui a tué le leader de Harakat-al-Nujaba a été <a href="https://www.airandspaceforces.com/us-kills-militia-leader-iraq/">qualifiée</a> d’« agression flagrante » et de « violation de la souveraineté et de la sécurité de l’Irak » par le porte-parole des forces de sécurité irakiennes, le général Yehia Rasool. Le ministère irakien des Affaires étrangères a employé des termes similaires.</p>
<p>La dangereuse escalade en cours (une base américaine en Irak a été <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/21/irak-frappes-contre-une-base-militaire-abritant-des-troupes-americaines">bombardée le 21 janvier</a> par des groupes chiites irakiens) a obligé le gouvernement de Soudani – qui entretient des relations étroites avec l’Iran tout en étant un interlocuteur acceptable pour les États-Unis – <a href="https://www.afrique-asie.fr/le-premier-ministre-irakien-declare-que-bagdad-se-dirige-vers-la-fin-de-la-presence-militaire-americaine-dans-le-pays/">à affirmer sa volonté de mettre fin à la présence américaine en Irak</a>. Désormais, la question du retrait américain <a href="https://www.dhnet.be/dernieres-depeches/2024/01/26/bagdad-et-washington-vont-discuter-de-lavenir-de-la-coalition-antijihadistes-YKURWB46YRFORM2ES5DGP4RB5E/">est en discussion entre les États-Unis et les autorités de Bagdad</a>.</p>
<p>Force est de constater que les dynamiques belligènes initialement liées au contexte de la guerre de Gaza débordent de ce cadre et s’inscrivent désormais dans le cadre d’une confrontation directe entre les Américains et une partie des acteurs locaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1750903489822130179"}"></div></p>
<h2>Washington face à la détermination des Houthis</h2>
<p>Au Yémen également, il devient de plus en plus difficile pour les États-Unis d’éviter un engrenage irréversible après les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-aeriennes-contre-les-houthis-au-yemen-tout-comprendre-a-la-riposte-des-etats-unis-et-du-royaume-uni-20240112">frappes de représailles du 2 janvier qui ont pris pour cible les positions des Houthis</a>.</p>
<p>Ces derniers, qui affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza depuis le début de la guerre, ont <a href="https://www.newarab.com/news/us-uk-air-strikes-hit-yemen-fallout-gaza-war-grows">lancé de nombreuses attaques contre les navires considérés comme liés à Israël en mer Rouge</a>. À la suite des représailles de Washington, les Houthis ont averti que cette « agression américaine » « ne resterait pas sans réponse ».</p>
<p>Bien qu’il bénéficie du soutien opérationnel de l’Iran, le <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">groupe est très enraciné localement</a> et s’est imposé à la faveur de ses succès militaires comme une force politique majeure contrôlant la capitale Sanaa et de larges parties du territoire dans le nord et l’ouest du pays à l’issue de sept ans de conflit avec Riyad.</p>
<p>Si le renversement du gouvernement yéménite en 2014 a constitué un facteur déterminant dans la décision saoudienne de lancer sa campagne aérienne le 26 mars 2015, des années d’enlisement dans la guerre du Yémen ont conduit Riyad à réviser sa position et à négocier avec le groupe. Après plusieurs mois de discussions, les deux acteurs <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/israel-hamas-war-jeopardizes-prospects-for-yemen-peace-e89553b9">ont adopté une feuille de route pour la résolution du conflit</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’escalade entre Israël et les Houthis, l’Arabie saoudite est soucieuse de maintenir la trêve intra-yéménite et une perspective de sortie d’un conflit qu’elle n’a pas gagné. C’est la raison pour laquelle Riyad a <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-Arabie-saoudite-appelle-a-la-retenue-apres-les-frappes-au-Yemen-45727743/">exprimé son inquiétude et appelé à la retenue après les frappes aériennes</a> menées conjointement par les États-Unis et le Royaume-Uni.</p>
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<p>Face à la posture des Houthis, les États-Unis ont, à l’heure actuelle, des <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/u-s-led-coalition-warns-houthis-to-stop-ship-attacks-cfd490df">leviers d’action très limités</a>. Comme l’explique <a href="https://www.rand.org/pubs/commentary/2023/12/a-precarious-moment-for-yemens-truce.html">Alexandra Stark, chercheuse associée à la Rand Corporation</a>, « les dix dernières années de combats ont montré qu’il est peu probable que la coercition ou la force militaire suffisent à dissuader les Houthis. Au contraire, des représailles militaires importantes de la part des États-Unis risqueraient de provoquer une nouvelle escalade et d’ouvrir un nouveau front majeur dans la région, alors que les États-Unis et leurs partenaires régionaux ont, en matière de sécurité, investi beaucoup de temps et de ressources pour se dégager de la guerre au Yémen ».</p>
<p>Ces conclusions sont partagées par <a href="https://tcf.org/content/commentary/blood-in-the-water-how-the-gaza-war-spilled-into-the-red-sea:">Aron Lund</a>, analyste à l’Agence suédoise de recherche pour la défense, qui rappelle que les attaques directes contre des cibles houthies au Yémen risquent d’entraîner les États-Unis dans un conflit qu’ils ne peuvent pas gagner par leur puissance militaire :</p>
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<p>« Alors que des milliers de Palestiniens sont morts et que Gaza est en ruines, souffrant d’une famine généralisée, les revendications des Houthis trouvent un écho puissant non seulement au Yémen, mais aussi dans tout le Moyen-Orient et au-delà. L’administration Biden a provoqué un tollé mondial en soutenant son allié à l’extrême, en défendant les tactiques israéliennes brutales et en expédiant des armes pour aider Israël à poursuivre la guerre […]. Tant que le carnage à Gaza n’aura pas pris fin, toute résolution sérieuse de la crise en mer Rouge semble improbable. »</p>
</blockquote>
<h2>L’Amérique peut-elle s’engager sur tous les fronts ?</h2>
<p>Il est vrai que les interventions militaires de ces dernières années ont démontré l’impuissance des armées occidentales face à des adversaires ayant recours à des techniques de guerre asymétrique. Par ailleurs, l’enlisement dans une nouvelle guerre sans fin aurait un coût élevé pour Washington. Si dès son entrée en fonctions, l’administration Biden a <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-pour-ladministration-biden-au-moyen-orient-150681">donné des garanties à Israël sur la permanence du soutien américain</a>, elle affichait également une volonté d’apaiser les tensions avec l’Iran pour se focaliser sur sa principale priorité stratégique, à savoir la compétition de puissance avec la Chine. Les cartes ont été rebattues avec la guerre en Ukraine. Washington a apporté dans un premier temps un appui financier massif à Kiev avant, dernièrement, de <a href="https://theconversation.com/why-the-us-and-its-partners-cannot-afford-to-go-soft-on-support-for-ukraine-now-217538">remettre cet engagement en cause</a>.</p>
<p>Du fait de leur engagement militaire inconditionnel aux côtés d’Israël, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui confrontés au risque imminent d’une réactivation des conflits directs avec des acteurs locaux en Irak et au Yémen dans un contexte où ils peinent à la fois à se départir du bourbier ukrainien et à contenir les ambitions de puissance de la Chine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces deux groupes liés à l’Iran s’en sont pris à Israël depuis le début des bombardements sur Gaza, suscitant des représailles américaines. Mais ces frappes ne suffiront pas à les faire renoncer.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
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<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x_FEZurMtFM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078562023-07-05T17:31:48Z2023-07-05T17:31:48ZCe que la réconciliation irano-saoudienne change pour le Moyen-Orient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534643/original/file-20230628-21766-54yzr9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C4590%2C3030&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, serre la main de son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian à Téhéran, le 17&nbsp;juin 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Atta Kenare/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 6 juin, Téhéran rouvrait son ambassade à Riyad, concrétisant un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/14078246-reouverture-de-lambassade-iranienne-en-arabie-saoudite.html">accord annoncé le 10 mars dernier sous la houlette de la Chine</a>. </p>
<p>Sous les flashs des photographes réunis à Pékin, Téhéran et Riyad avaient alors signé une promesse d’échange d’ambassadeurs qui devait mettre fin à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">sept ans de rupture diplomatique</a> et à plusieurs décennies de tensions. </p>
<p>S’il est incontestable que ce développement suggère une montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, il annonce aussi – et surtout – la mise en place de nouvelles dynamiques propres à la région.</p>
<h2>Quarante-cinq ans d’une rivalité multidimensionnelle</h2>
<p><a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1979-la-revolution-islamique-iranienne">Avec la révolution iranienne de 1979</a>, l’Iran devenait un rival politique dangereux pour Riyad. Sans être très proches, les deux pays partageaient pourtant jusque-là une relation cordiale, d’autant que tous deux étaient des alliés des États-Unis au Moyen-Orient en pleine guerre froide.</p>
<p>Monarchie ultraconservatrice, structurellement alliée à l’idéologie sunnite <a href="https://www.cairn.info/l-enigme-saoudienne--9782707137432-page-57.htm">wahhabite</a>, répressive de sa <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-3-page-493.htm">minorité chiite</a> (10 % de la population) et étroitement arrimée à Washington, l’Arabie saoudite s’est sentie directement menacée par le nouveau régime de Téhéran, qui promettait d’exporter sa révolution (progressiste dans le paysage régional de l’époque), mobilisant un chiisme radical et considérant les États-Unis comme <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1153316/comment-les-etats-unis-sont-devenus-le-grand-satan-.html">« le grand Satan »</a>.</p>
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<p>Depuis, tant les événements que les choix effectués par les establishments politiques des deux pays les ont amenés à se retrouver <a href="https://iranprimer.usip.org/blog/2016/jan/06/timeline-iran-saudi-relations">dans des camps opposés</a> (et souvent à la tête de ces camps) lors de toutes les crises survenues dans la région. </p>
<p>Cette rivalité s’est radicalisée suite aux « Printemps arabes », Téhéran et Riyad ayant presque systématiquement soutenu, directement et ouvertement, des forces politiques opposées réverbérant leur rivalité dans les différents pays concernés, <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-15.htm">à commencer par la Syrie</a>, où l’Iran s’est fermement rangé derrière Bachar Al-Assad tandis que les Saoudiens ont financé diverses organisations opposées au régime syrien.</p>
<p>Tout s’emballe en janvier 2015 avec l’accession au pouvoir en Arabie saoudite du roi Salmane et la promotion rapide de son fils et successeur désigné Mohammed Ben Salmane (souvent appelé MBS). En mars de cette même année, Riyad intervient au Yémen en soutien au pouvoir en place, accusant l’Iran d’appuyer les rebelles Houthis et ce, malgré <a href="https://www.levif.be/international/liran-soutient-il-vraiment-les-rebelles-houthis-au-yemen/">l’absence de véritables preuves à ce stade du conflit</a>.</p>
<p>En janvier 2016, Riyad exécute Nimr al-Nimr, important cheikh chiite, provoquant la colère de l’Iran et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">pillage de l’ambassade saoudienne à Téhéran et du consulat saoudien à Mashad</a>. En réaction, la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/04/teheran-accuse-riyad-de-vouloir-aggraver-les-tensions-dans-la-region_4841198_3218.html">plupart des pays du Golfe rappellent leurs ambassadeurs</a> de Téhéran.</p>
<p>Depuis, les seules relations qu’ont eues les deux pays ont été leurs affrontements indirects dans les différents pays de la région : militairement en Syrie et au Yémen, politiquement en <a href="https://www.mei.edu/publications/awkward-triangle-iraq-iran-and-saudi-arabia">Irak</a>, au <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2022-3-page-177.htm">Liban</a> et à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-3-page-73.htm">crise du Qatar de 2017</a>.</p>
<p>Même si l’Arabie saoudite n’y est pas partie, la signature en septembre 2020, sous la houlette de Donald Trump, des accords d’Abraham, qui ont permis un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/11606909-signature-a-washington-des-accords-dabraham-entre-israel-bahrein-et-les-emirats-arabes-unis.html">rapprochement entre d’une part, Israël et de l’autre, Bahreïn et les Émirats arabes unis</a>, proches alliés des Saoudiens, ont un peu plus tendu les relations, l’Iran affirmant alors qu’il était le seul pays à vraiment se préoccuper de la cause palestinienne, désormais trahie par les monarchies du Golfe. Il en va de même des rebondissements liés au programme nucléaire iranien, qui a toujours été pour l’Arabie saoudite une grande source d’inquiétude.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-retour-au-deal-nucleaire-iranien-est-il-encore-possible-162272">Un retour au deal nucléaire iranien est-il encore possible ?</a>
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<p>Sur ces différentes scènes, aucune partie n’a complètement perdu ou clairement gagné ; c’est ce qui permet à chacune d’entre elles de s’engager aujourd’hui sans perdre la face dans une dynamique moins confrontationnelle et, sans doute, moins coûteuse politiquement et financièrement.</p>
<h2>Les aiguillons de cette percée inattendue</h2>
<p>On ne saurait trop insister sur la conjonction des intérêts de la Chine, de l’Iran et de l’Arabie saoudite avec ceux d’acteurs secondaires dans la région.</p>
<p>Pékin est désireux de stabiliser cette <a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">région stratégique pour son approvisionnement énergétique</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/relations-diplomatiques-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-la-chine-s-impose-comme-acteur-diplomatique-dans-le-golfe_5682047.html">continuer à s’affirmer dans ce pré carré traditionnel des États-Unis</a>. La Chine était déjà depuis des années un des rares acteurs à réussir l’exercice périlleux de maintenir des relations cordiales à la fois avec l’Iran et l’Arabie saoudite, et c’est bien à elle qu’ils accordent le mérite symbolique d’avoir parrainé leur réconciliation. Le message est limpide : les États-Unis ne sont plus les seuls « brokers » dans la région ni même les seuls pourvoyeurs de sécurité.</p>
<p>L’Iran a longtemps justifié sa rivalité avec Riyad par la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-101.htm">soumission du régime saoudien à Washington</a>. Or, à travers cet accord récent, Téhéran parvient à la fois à réduire l’influence américaine dans la région et à accélérer la <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">distanciation entre Washington et Riyad</a>, respectant dès lors parfaitement le « narratif » national. Le rapprochement sert par ailleurs plusieurs des intérêts de l’Iran. Tout d’abord, il permet d’ouvrir une large brèche dans l’isolement dans lequel le pays est tenu par les États-Unis et, dans une moindre mesure, les Européens. </p>
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<p>En outre, l’augmentation de ses échanges avec la Chine et la promesse d’investissements saoudiens permettraient un rebond dont l’économie nationale a bien besoin. Par ailleurs, l’apaisement des tensions avec l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe et la nouvelle proximité avec la Chine sont autant de pas susceptibles d’améliorer la sécurité d’un Iran qui serait plus difficile à cibler par Israël ou les États-Unis dans le cadre des bras de fer autour du nucléaire ou des dossiers régionaux. </p>
<p>Enfin, l’entente entre les deux puissances régionales comporte aussi la promesse d’une non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures, ce qui, pour Téhéran, signifie la fin du rôle joué par l’Arabie saoudite, via les différents médias qu’elle finance, dans l’incitation médiatique à son encontre.</p>
<p>Pour l’Arabie saoudite, le rapprochement entrepris avec l’Iran porte la promesse d’une sortie plus favorable du bourbier yéménite, <a href="https://www.rtbf.be/article/il-y-a-6-ans-les-saoudiens-lancaient-la-tempete-decisive-au-yemen-un-echec-retentissant-10728932">coûteux à tous points de vue</a>, afin de se recentrer sur les réformes du pays et ses perspectives d’avenir, dont la transition économique au travers notamment de la <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">« Vision 2030 » promue par MBS</a>. </p>
<p>En outre, cette démarche nouvelle permet au royaume, dont les relations avec les États-Unis ont été <a href="https://www.levif.be/international/arabie-saoudite-et-etats-unis-au-bord-de-la-rupture/">assez houleuses sous les deux dernières administrations démocrates</a>, de diversifier ses alliances et les garants de sa sécurité. D’ailleurs, la désescalade avec l’Iran porte en elle la perspective d’une atténuation des risques sécuritaires. Cette tendance est renforcée par l’accession de Riyad à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-arabie-saoudite-devient-un-etat-partenaire-de-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-20230329">l’Organisation de coopération de Shanghai au titre de partenaire de dialogue</a>, alors que l’Iran est déjà engagé dans le <a href="https://www.reuters.com/article/ouzbekistan-ocs-iran-idFRKBN2QG0P8">processus d’accession complète à cet organisme</a>.</p>
<h2>Vers de nouvelles perspectives</h2>
<p>S’il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives et prédire une paix durable entre Riyad et Téhéran, ces différentes annonces viennent briser une logique d’inimitié et de conflictualité qui semblait jusqu’ici dangereusement s’auto-entretenir. Trois tendances intéressantes, et quasiment sans précédent dans l’histoire récente de la région, méritent d’être soulignées. </p>
<p>La première est la volonté de l’Arabie saoudite et de l’Iran de dépasser leur inimitié, souvent représentée comme insurmontable car fondamentalement identitaire, et de coopérer pragmatiquement dans le but de servir leurs intérêts et de réduire les tensions régionales. </p>
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<p>Dérivée de la première, la deuxième tendance correspond à une agentivité plus constructive mais aussi moins dépendante des impulsions extérieures, la Chine ayant été plus un adjuvant que la force motrice du rapprochement. Même si ce sont des diplomates chinois qui ont posé avec leurs homologues iraniens et saoudiens devant les photographes immortalisant l’accord, ce sont bien l’Irak et Oman qui ont <a href="https://www.fmprc.gov.cn/eng/wjdt_665385/2649_665393/202303/t20230311_11039241.html">facilité les négociations entre les deux poids lourds de la région</a>. Ceci ouvre la voie à une gouvernance régionale conduite par les acteurs locaux et allégée du poids des intérêts extérieurs, même si le chemin reste long vu la présence américaine encore massive et l’intérêt chinois grandissant. </p>
<p>Enfin, le contexte même du rapprochement suggère que le temps des absolus pourrait s’étioler : ce développement se fait bien que l’Arabie saoudite soit, aujourd’hui, plus proche d’Israël qu’à aucun autre moment de l’histoire. </p>
<p>Bien évidemment, les passifs restent nombreux, tout comme les crises qui pourraient mettre en péril la tendance amorcée en mars dernier. Les occasions manquées par le passé, comme le <a href="https://www.theguardian.com/world/1999/may/17/iran">rapprochement avorté entre les deux pays à la fin des années 1990</a>, incitent à la prudence. En outre, une telle dynamique d’adversité ne s’effacera pas du jour au lendemain. Mais le rétablissement des relations diplomatiques a au moins le mérite d’offrir une alternative et une porte de sortie vers une logique non plus de surenchère mais bien de concertation dans les affaires de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Dieudonné a reçu des financements de MITACS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elena Aoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, en froid depuis sept ans, annonce la mise en place de nouvelles dynamiques dans la région.Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Elena Aoun, Professeure en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008652023-03-21T00:08:46Z2023-03-21T00:08:46ZVingt ans après l’invasion américaine, l’Irak peut-il enfin connaître une paix durable ?<p><em>Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, démarrait l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Ce ne fut ni la première ni la dernière guerre à ravager cet État né en 1921. Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/lirak-dela-toutes-guerres-2/">« L’Irak par-delà toutes les guerres »</a>, paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, professeure à l’Université internationale Schiller et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), revient à la fois sur les décennies ayant précédé cette invasion et sur les années suivantes, marquées par la guerre civile, l’émergence de l’État islamique et, après la défaite de celui-ci, la difficile recherche d’un système politique susceptible d’empêcher le pays de basculer à nouveau dans un cycle d’extrême violence.</em></p>
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<p>Depuis l’offensive aussi spectaculaire que meurtrière de l’État islamique en 2014, puis la <a href="https://www.reuters.com/article/irak-ei-idFRKBN1E30DA-OFRTP">défaite du groupe jihadiste sous les assauts de la coalition internationale</a> entre 2017 et 2018, l’Irak continue d’occuper les feux d’une actualité aussi instable que cruelle. De fait, le pays meurtri par plusieurs décennies de conflits successifs, de même que par la <a href="https://www.undp.org/iraq/publications/impact-Covid-19-iraqi-economy">crise sanitaire provoquée par le Covid-19</a> sur une période plus récente, reste prisonnier d’une violence incessante et, il faut le reconnaître, difficilement déchiffrable si l’on se place du point de vue de l’observateur profane. Les Irakiens ont rejoint la catégorie de ces peuples broyés par les aléas d’un présent incertain et d’une guerre multiforme dont personne n’entrevoit véritablement la fin, bridant tout effort de prospective sur le long terme et toute explication satisfaisante des ressorts et dynamiques de la violence qui, ci et là, continue d’éclater.</p>
<p>Parallèlement à d’autres configurations sanglantes au Moyen-Orient, l’Irak continue ainsi de jouer sa partition malheureuse sur un échiquier régional et international toujours plus dense, complexe et agité. Or, si la période post-baasiste s’est singularisée par des degrés extrêmes de brutalité, il ne faut pas perdre de vue que l’Irak a connu beaucoup d’autres phases de conflictualité. La notion même de « violence » – comprise comme le résultat de l’éclatement d’un système social donné ou d’une fragilisation des normes de fonctionnement et des valeurs d’un groupe – n’a cessé de marquer toute l’histoire irakienne, Bagdad renvoyant encore de nos jours l’image d’une coercition absolue, quasi banalisée. La crise profonde amorcée au printemps 2003 fait en réalité suite à des décennies de déchirures dont on observe encore les conséquences funestes. Le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980709504.html">régime des sanctions imposé par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990</a> fut, par exemple, l’un des plus sévères jamais infligés à un État dans toute l’histoire moderne, précédé par la guerre du Golfe (1990-1991) et la longue confrontation avec l’Iran (1980-1988).</p>
<p>L’exercice rétrospectif auquel on se laisse prendre n’en présente pas moins certaines limites. De fait, si des points de continuité lient indiscutablement la période d’occupation (2003-2011) et ses lendemains meurtriers (2011-2022) à d’autres épisodes douloureux de la trajectoire irakienne, chacune de ces phases est caractérisée par ses spécificités et logiques propres.</p>
<p>Au-delà de l’image d’Épinal à laquelle l’Irak renvoie souvent, celle d’un pays plongé dans les affres d’une violence omniprésente et continuelle, son histoire ne saurait se résumer à ce seul continuum. Avant de sombrer dans le chaos, l’Irak fut en effet l’épicentre d’une vie intellectuelle et politique vibrante. Durant des décennies, une société civile s’y est développée et celle-ci n’a d’ailleurs jamais disparu ; au contraire, défiant l’adversité, elle tente aujourd’hui de se reconstituer, comme ont pu l’illustrer les <a href="https://www.france24.com/fr/20191101-irak-sistani-mahdi-contestation-populaire-entree-deuxieme-mois">manifestations populaires de 2019</a>.</p>
<p>À partir des années 1920, l’Irak s’est doté des institutions réputées parmi les plus sophistiquées au Moyen-Orient, renfermant d’importants espaces d’expression autonome. Le pays a vu l’éclosion de multiples mouvements sociaux, tantôt tolérés, tantôt réprimés, mais qui dans l’ensemble ont bénéficié d’une réelle indépendance et produit un authentique sens contestataire parmi les civils. L’une des marques de ces mouvements a d’ailleurs toujours été leur sociologie plurielle, regroupant toutes les composantes ethniques et religieuses irakiennes autour d’idéaux et de revendications partagés.</p>
<p>On peut considérer que l’Irak a traversé trois séquences historiques décisives, qui ont profondément façonné son destin et son identité. La première renvoie à la <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/adel-bakawan-cent-ans-lirak-un-etat-nation.">fondation du pays en 1921</a>. À l’époque, l’Irak, dont le nom remonte à l’Antiquité, est un État embryonnaire, faiblement structuré et au corps social fragmenté.</p>
<p>Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont reçu un mandat pour administrer les trois provinces ottomanes de Bagdad, Mossoul et Bassora, qu’ils décident de réunir au sein d’une même entité géographique tout en instaurant une monarchie placée sous la coupe d’un roi étranger. Mais la construction nationale irakienne ne va pas de soi. De fait, le pays est marqué par une importante diversité sociologique. Le poids des particularismes qui l’habitent est d’autant plus fort que la stratégie coloniale privilégie le monarque et Bagdad au détriment des périphéries, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-1-page-17.htm">« marges dissidentes »</a> pour reprendre une expression proposée par l’historien Hamit Bozarslan. Chiites et Kurdes, mais aussi les classes les plus pauvres, s’opposent au pouvoir central. De même, au-delà des allégeances communautaires, une tension oppose les technocrates et la bourgeoisie commerçante et urbaine à un petit peuple des campagnes dépossédé et soustrait à l’autorité étatique.</p>
<p>Or, à mesure que s’accentuent l’exode rural et l’urbanisation, les Irakiens développent de nouveaux liens et un sentiment d’appartenance commune, notamment par l’entremise d’un système éducatif moderne. De manière inattendue, ils se réapproprient cet État national établi par la puissance coloniale. Cette (re)conquête s’opère précisément au nom du nationalisme qui se déploie et s’exprime lors d’importants soulèvements. <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/1454?lang=fr">En 1920 a ainsi lieu la Grande Révolution irakienne</a> qui mobilise toute la population contre la Couronne et porte en germe une nouvelle nation. <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/irak-declaration-1932.htm">En 1932, le pays accède formellement à l’indépendance</a>, certes relative car elle n’efface pas l’ampleur des divisions, y compris parmi des nationalistes écartelés entre une vision panarabe de la lutte et une tendance irakienne qui promeut une nation contenue au sein de ses frontières. La montée des inégalités et la multiplication des troubles conduit <a href="https://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/pages/actualites-des-monarchies-du-monde/moyen-orient/irak/le-14-juillet-1958-le-rideau-s-abaissait-sur-la-monarchie-irakienne.html">au renversement, en juillet 1958, de la monarchie</a> par un groupe d’officiers de l’armée qui proclament la République d’Irak et instaurent un régime militaire. Les réformes sociales alors mises en œuvre se révèlent un échec en aboutissant à une série de putschs. Le parti Baas fomente un coup d’État en 1963 qui culmine avec une première prise de pouvoir, puis un second en 1968 qui place Saddam Hussein au sommet de l’État.</p>
<p>S’ouvre dès lors une deuxième séquence de recomposition de l’Irak à travers l’avènement d’une domination extrême, pour ne pas dire totalitaire. Continuellement amoindrie, la société irakienne tente, par divers moyens – de l’opposition clandestine à la passivité désenchantée –, de survivre face à un État-Léviathan de plus en plus écrasant, qui n’a plus rien de comparable avec celui qui avait été créé par les Britanniques quelques décennies plus tôt.</p>
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<p>À l’encontre des rêves nourris par les premières générations de nationalistes, la recherche d’un consensus identitaire a fini par produire un système tyrannique, et non plus le modèle d’une nation triomphante comme Saddam Hussein aspire à la présenter. Au contraire, le régime lance une répression systématique contre toute forme d’opposition, réelle comme imaginée, y compris dans les rangs du parti, régulièrement purgés. Le discours révolutionnaire officiel sert dans les faits à liquider toute dissidence. Parmi ses adversaires se trouvent le Parti communiste, d’une part, et le mouvement indépendantiste kurde, de l’autre, que les baasistes s’emploient à briser par une violente politique d’arabisation.</p>
<p>La mouvance chiite politisée, active dans le sud et dans les quartiers pauvres des villes, est aussi la cible du Baas qui la perçoit comme affidée à l’Iran et à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/iran-comment-l-ayatollah-khomeini-a-proclame-la-republique-islamique-d-iran-7900096568">République islamique proclamée en 1979</a>. Pour Saddam Hussein, l’Iran cherche à défaire l’unité nationale de l’Irak en encourageant le confessionnalisme parmi les chiites. Or, sous l’unité déclamée par le dirigeant irakien, devenu « maître des mots », s’esquisse une concentration absolue de l’autorité.</p>
<p>Une troisième séquence est enfin celle au cours de laquelle aux rapports entre le régime et la société se substitue une personnalisation de l’État et son effacement derrière la figure du tyran. Saddam Hussein procède en effet à une destruction des institutions, à laquelle s’ajoutent la guerre contre l’Iran, encore peu étudiée et pourtant fondamentale, et l’échec militaire de l’Irak au Koweït qui exacerbe cette même logique. Proclamant sa victoire face à ses ennemis, internes et externes, le régime finit par récuser ses fondements idéologiques passés au profit d’une véritable prédation visant tout un chacun. <a href="http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf">Les années d’embargo qui débutent en 1990</a> et visent à priver le despote irakien de la rente pétrolière et de ses revenus n’affectent pas le régime à proprement dire, mais le figent. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Irak par-delà toutes les guerres »" src="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Irak par-delà toutes les guerres », paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier bleu.</span>
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<p>Les sanctions permettent par ailleurs à Saddam Hussein de se présenter comme le dernier rempart du monde arabo-musulman face à l’impérialisme de l’Occident, et c’est dans le sang que les soulèvements <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/05/14/le-sud-de-l-irak-sous-la-terreur-le-pays-chiite-reste-marque-au-fer-rouge-par-la-feroce-repression-d_205717/">chiite</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mars-1988-halabja-la-mort-chimique-2346044">kurde</a> sont écrasés. Exsangue, délégitimé et isolé, le régime adopte un discours communautaire et se retire de ses fonctions régaliennes. Les privations endurées par la population s’instituent en dictature de la nécessité que Saddam Hussein exploite pour parfaire son monopole de la violence et se maintenir au pouvoir. Mais l’embargo porte son coup de grâce à l’Irak, avant le chaos final engendré consécutivement par <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-1-page-9.htm">l’invasion américaine de 2003</a> puis l’assaut des jihadistes de l’État islamique une décennie plus tard.</p>
<p>L’ensemble de ces développements ont lourdement pesé sur l’Irak et continuent, à l’évidence, d’influer sur son présent. Malgré la reprise en 2017 du fief jihadiste de Mossoul – deuxième ville d’Irak située sur le Tigre et capitale de Ninive – par les forces irakiennes appuyées par la coalition internationale, et au-delà de nouvelles élections, l’Irak demeure dans une situation d’extrême fragilité. Dans un contexte de grande confusion, caractérisée à la fois par une abondance d’informations et une pénurie de sens, l’histoire mérite un détour critique afin de saisir avec nuance et acuité les enjeux auxquels le pays continue de faire face, et plus encore de dépasser les clichés, lieux communs et idées reçues qui restent légion à son sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après l’offensive américaine, l’Irak demeure un État instable traversé par de fortes tensions.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963712022-12-15T18:18:52Z2022-12-15T18:18:52ZLe football iranien, la Coupe du monde et la révolte<p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi pesant que l’Iran cette année.</p>
<p>Le football est très populaire en Iran, où il a supplanté la lutte, qui fut longtemps le sport national. Son organisation est <a href="https://www.academia.edu/20492477/football_en_Iran_un_re_ve_lateur_des_tensions_au_sein_de_la_socie_te_">fortement tributaire de l’idéologie politique dominante</a>. On a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines : la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde organisée au Qatar s’est déroulée dans un contexte marqué par le soulèvement en cours dans le pays, et le comportement des joueurs était scruté par les observateurs du monde entier.</p>
<p>Si certains d’entre eux ont cherché à exprimer leur soutien à leurs compatriotes révoltés contre le régime, ils ont rapidement été contraints de mettre leurs critiques en sourdine. Retour sur la place du football dans la République islamique, et sur les enseignements d’une compétition qui, pour les Iraniens, n’aura pas été comme les autres.</p>
<h2>Une passion nationale surveillée de près par le régime</h2>
<p>Pendant les années qui suivirent la révolution islamique de 1979, ponctuées par la longue guerre contre l’Irak (1980-1988), la crispation et le rejet de l’ordre international dominèrent la scène politique et sportive.</p>
<p>À partir des années 1995, une ouverture se profile. L’équipe nationale d’Iran se qualifie pour la Coupe du monde en 1998 (ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1978), puis pour celles de 2006, 2014, 2018 et 2022. Malgré cette reprise des compétitions internationales, le pouvoir islamique continue d’exercer son influence sur le football : les stades, où se déroulent des compétitions d’hommes, sont <a href="https://www.letemps.ch/sport/iran-femmes-restent-aux-portes-stades">interdits aux femmes</a> (cette interdiction a duré 43 ans et <a href="https://edition.cnn.com/2022/08/26/football/iran-women-domestic-football-attendance-intl-spt/index.html">ce n’est qu’en août 2022 qu’elle a été suspendue</a>) ; la pratique féminine du football fait l’objet de controverses et ce n’est qu’en 2005 qu’est créée une équipe nationale féminine dont les membres ne peuvent cependant <a href="https://www.20minutes.fr/sport/966823-20120705-fifa-autorise-port-voile-feminin-pendant-matchs">jouer qu’entièrement couvertes</a>, y compris dans la chaleur de l’été.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran</a>
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<p>Autres signes de cette inféodation au pouvoir politique : les stades où peuvent s’exprimer des revendications autonomistes (par exemple à Tabriz, dans la province d’Azerbaïdjan) sont étroitement surveillés ; et après la performance décevante de l’équipe nationale de football au Mondial de 2006 en Allemagne, le président de la fédération est démis de ses fonctions par le gouvernement. Cette mesure, symbolisant l’inféodation du sport au pouvoir politique, suscita les protestations de la FIFA qui <a href="https://www.tehrantimes.com/news/132164/FIFA-suspends-Iran-Football-Federation">suspendit temporairement la fédération iranienne de football en novembre 2006</a>, jusqu’à ce qu’une solution conforme aux statuts de la fédération internationale fût trouvée (ce qui <a href="https://www.hindustantimes.com/india/blatter-defends-iran-s-reinstatement-in-football/story-yqGKmGBC4Ls3wdldPaoE7J_amp.html">fut le cas en décembre 2006</a>).</p>
<p>Par ailleurs, des joueurs recrutés par des clubs étrangers et ayant accepté de disputer un match contre une équipe israélienne ont été <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2017/08/10/27001-20170810ARTFIG00159-l-iran-radie-deux-joueurs-qui-ont-joue-contre-des-israeliens.php">sanctionnés par le gouvernement</a> ; d’autres ont été rappelés à l’ordre en raison de leur tenue : vêtements trop près du corps, <a href="https://www.eurosport.fr/football/coupedumonde/2006/karimi-sort-de-l-ombre_sto902981/story.shtml">coiffure en queue de cheval</a>…</p>
<p>Le football est donc un sujet éminemment politique, y compris pour les joueurs, <em>a fortiori</em> s’ils évoluent ou ont évolué à l’étranger et connu un autre régime politique. Ainsi, en juin 2009, pendant le match qualificatif contre la Corée du Sud, plusieurs joueurs, dont Ali Karimi – « le Maradona de l’Asie », qui avait joué au Bayern Munich – <a href="https://www.rtl.be/sport/football/football-etranger/plusieurs-joueurs-portent-un-bracelet-vert-lors-d-un-match-de-l-iran-481550.aspx">portèrent un bracelet vert</a> en signe de protestation contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejâd et de soutien au <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">« mouvement vert »</a> – une grande vague de contestation déclenchée après le scrutin. À leur retour en Iran, ces joueurs furent exclus à vie de leurs clubs par les autorités iraniennes mais réintégrés après une intervention de la FIFA. Ces exclusions-réintégrations <a href="https://www.sofoot.com/quand-l-iran-est-passe-chez-sosha-215025.html">rythment la vie footballistique en Iran</a>, et la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde au Qatar, en pleine révolte contre le régime de Téhéran, a évidemment été un événement particulièrement chargé de sens de ce point de vue.</p>
<h2>L’équipe nationale à la Coupe du Monde : soutien initial à la révolte, puis silence</h2>
<p>La politisation du sport est intensément plus vive et plus visible depuis que l’Iran est en proie aux manifestations déclenchées en réaction au tabassage à mort dans un commissariat de Téhéran, le 16 septembre 2022, de Mâhsâ Amini, qui avait été interpellée par la police des mœurs pour port incorrect du voile.</p>
<p>Le 27 septembre, à l’occasion d’un match amical contre le Sénégal en Autriche, les joueurs de l’équipe iranienne, dissimulant leur maillot sous une parka noire, refusèrent de chanter l’hymne national de la République islamique, <em>Sorud·e melli-ye jomhuri-ye eslâmi-ye Irân</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575006658475921409"}"></div></p>
<p>Sardâr Âzmoun, la vedette qui joue au Bayer Leverkusen, fut probablement le promoteur de cette initiative. Peu avant, il avait écrit sur son compte Instagram :</p>
<blockquote>
<p>« La [punition] ultime est d’être expulsé de l’équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d’une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n’ai pas peur d’être évincé. Honte à vous d’avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d’Iran. Si ces assassins sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de position courageuse n’entraîna pas l’exclusion d’Âzmoun, à la suite des interventions de la FIFA et de <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-les-joueurs-iraniens-ont-le-droit-de-s-exprimer-affirme-queiroz-20221115">Carlos Queiroz</a>, le sélectionneur de l’équipe. Toujours est-il que, contraints ou non, les joueurs <a href="https://fr.irna.ir/news/84943122/Le-pr%C3%A9sident-Ra%C3%AFssi-a-re%C3%A7u-les-membres-de-l-%C3%A9quipe-d-Iran-avant">serrèrent la main</a> du président conservateur, adepte de la répression, Ebrâhim Raïssi, avant leur départ pour le Qatar, tandis que le Guide suprême, Ali Khâmene’i, déclarait que l’équipe « ne devait pas manquer de respect » à l’Iran.</p>
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<p>Le 21 novembre, cependant, alors que la répression ne cessait de croître, l’équipe ne chanta pas l’hymne national avant le match contre l’Angleterre (2-6) et plusieurs joueurs manifestèrent leur solidarité avec les insurgés. La veille, en <a href="https://www.bbc.com/sport/football/63696125">conférence de presse</a>, le défenseur Ehsân Hâjsafi exprima ses condoléances aux familles des personnes tuées et dit espérer « que les conditions changeront selon les attentes des gens ».</p>
<p>L’équipe se fit plus discrète lors des matchs suivants : en ouverture d’Iran-Pays de Galles (2-0), et d’Iran-États-Unis (0-1), elle chanta l’hymne national et les joueurs ne s’exprimèrent plus sur les réseaux sociaux à propos du mouvement de révolte. Craignaient-ils des représailles à leur retour, contre eux et contre leur famille ? Sans doute. <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/11/30/coupe-du-monde-2022-dans-un-climat-suffocant-les-etats-unis-eliminent-l-iran_6152253_3242.html"><em>Le Monde</em> rapporte</a> que le dernier match fut beaucoup plus contrôlé, par des agents iraniens en particulier, que les précédents. Devant le stade, des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/iran-etats-unis-echauffourees-entre-supporters-iraniens-a-l-issue-du-match_AV-202211300046.html">échauffourées</a> éclatèrent entre partisans et opposants au régime. Des opposants furent frappés à la sortie du stade et un journaliste danois a été pris à partie par des supporters pro-régime alors qu’il les filmait attaquant des partisans du mouvement de contestation ; les forces de sécurité qataries <a href="https://www.independent.co.uk/tv/news/world-cup-qatar-police-denmark-iran-b2237116.html">l’ont brièvement arrêté</a> – le Qatar entretient de bonnes relations avec l’Iran – et lui ont demandé d’effacer la séquence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des heurts entre supporters iraniens en marge de la Coupe du monde (France 24, 30 novembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Les défaites de l’Iran suscitèrent des <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221130-manifestations-de-joie-en-iran-apr%C3%A8s-l-%C3%A9limination-de-la-s%C3%A9lection-nationale-du-mondial">manifestations de joie</a> dans plusieurs villes du pays. L’équipe nationale n’était-elle pas le symbole de la République islamique ? Mais il n’est pas sûr que dans un pays aussi patriote que l’Iran la défaite ait engendré une satisfaction unanime.</p>
<h2>Les leçons du Mondial</h2>
<p>L’attitude de l’équipe iranienne et les réactions qu’elle a suscitées illustrent le dilemme auquel est confrontée aujourd’hui la majorité de la population : se taire, exécuter les ordres… ou se rebeller au risque d’être sanctionné, emprisonné, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20221212-r%C3%A9pression-en-iran-deuxi%C3%A8me-ex%C3%A9cution-li%C3%A9e-aux-manifestations">tué</a>. Certains assument, avec un courage exemplaire, leur révolte contre ce régime inique et répressif. Le gouvernement a ainsi c<a href="https://teknomers.com/fr/la-maison-de-lex-star-du-bayern-confisquee/">onfisqué la maison</a> que possédait à Téhéran Ali Karimi, désormais installé à Dubai, et qui soutient, comme par le passé, les manifestations et protestations contre l’État islamique.</p>
<p>Quant à Ali Daei, la grande gloire footballistique nationale, longtemps meilleur buteur, à l’échelle internationale, de l’histoire du football, il a décidé de <a href="https://www.sofoot.com/ali-daei-ne-se-rendra-pas-au-qatar-en-soutien-aux-manifestations-en-iran-521521.html">ne pas se rendre au Qatar</a> pour protester, à Téhéran même, contre la « répression meurtrière » des autorités iraniennes. Menacé à plusieurs reprises, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1320475/mise-sous-scelles-de-la-bijouterie-et-du-restaurant-dun-footballeur-contestataire.html">Daei a vu sa bijouterie et son restaurant placés sous scellés</a>, « à la suite de sa coopération avec des groupes contre-révolutionnaires » selon l’agence officielle Isna. </p>
<p>Et n’oublions pas, tout en risquant d’être incomplet, Voriâ Ghafouri, qui est kurde comme Mâhsâ Amini et est l’ancien capitaine d’Esteghlâl, un des deux clubs phares de Téhéran, qu’il fut contraint de quitter en raison de ses prises de position ; il dut rejoindre Fulâd, un club du Khouzistan, où <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221125-iran-arrestation-du-c%C3%A9l%C3%A8bre-footballeur-voria-ghafouri-critique-du-pouvoir">il a été arrêté</a>, le 24 novembre, « pour s’être livré à de la propagande contre l’État ». Décidément, le pouvoir islamique n’en a pas fini avec la mise au pas de ses footballeurs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi lourd que l’Iran cette année.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950682022-12-02T16:09:17Z2022-12-02T16:09:17ZIran : contesté par la jeunesse, le régime se tourne plus que jamais vers la Chine et la Russie<p>Les observateurs retiennent leur souffle. Le mouvement social qui secoue l’Iran depuis le 16 septembre 2022 est d’une telle ampleur que les spécialistes sont comme pétrifiés. Tout le monde attend. Tout le monde reconnaît que quelque chose d’inédit est en train de se dérouler en Iran, à huis clos, et que le <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/repressions-iran-courage-manifestantes-manifestants">courage dont font preuve les manifestants</a> est sans précédent.</p>
<p>Qui sont ces manifestants, quel est leur rapport à l’État théocratique iranien, et quel impact leur soulèvement peut-il avoir sur la politique étrangère d’un régime aux abois ?</p>
<h2>Une rupture générationnelle</h2>
<p>La génération qui s’insurge, née au tournant de l’an 2000, est assoiffée de liberté. Elle l’est tellement qu’elle semble disposée à assumer les conséquences d’une insurrection contre le régime de Téhéran : une répression violente qui se solde par <a href="https://iranhr.net/en/articles/5608/">448 morts et quelque 15 000 arrestations</a> au moment où ces lignes sont écrites.</p>
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<p>À la différence de ses aînées (plus craintives à l’égard des conséquences d’une insurrection contre le régime, et dont les soulèvements, à l’instar du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">Mouvement vert de 2009</a>, s’inscrivaient encore à l’intérieur du cadre politique de la République islamique), cette jeune génération est prête à payer le prix fort au nom de ses idéaux. L’impact des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion/les-jeunes-iraniens-et-les-reseaux-sociaux-entre-repression-et-enfermement-virtuel">réseaux sociaux</a> sur sa capacité à être connectée avec le monde, et ainsi à percevoir la « déconnexion » de son quotidien, parsemé d’interdits, par rapport aux libertés dont jouissent ses pairs ailleurs sur la planète, est sans doute l’une des principales explications de cette rupture générationnelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Iran : la jeunesse contre les mollahs – 28 Minutes – Arte, 21 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Les répercussions dans la durée du mouvement actuel sont encore difficiles à anticiper. Il est cependant vraisemblable que la situation sociopolitique de l’Iran va évoluer. L’ampleur du soulèvement est telle que, même s’il devait être totalement écrasé dans le sang (au prix de plusieurs milliers de victimes, tel un « Tienanmen iranien »), les modalités de la coexistence entre le régime et la population seront sensiblement impactées. Une tendance semble se dessiner : la multiplication des actes de désobéissance civile.</p>
<p>À la différence des générations précédentes, les jeunes osent demander des comptes à leurs représentants ; et – à l’instar de la stratégie géopolitique adoptée par leur régime à l’échelle régionale – ils agissent de manière asymétrique, en diversifiant leurs modes d’expression et leurs revendications.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>L’héritage idéologique khomeyniste est lointain pour ces jeunes adultes qui font à présent leur entrée dans la vie active, qui n’ont connu ni la guerre contre l’Irak (1980-1988), ni la mobilisation des familles, ni les bombardements des villes, ni la répression féroce qui s’est abattue sur les dissidents politiques à la fin des années 1980, et encore moins la révolution de 1979.</p>
<h2>La désaffection à l’égard de la religion</h2>
<p>Une deuxième tendance vient renforcer cette bascule générationnelle. Comme l’avait anticipé l’islamologue français <a href="https://www.jstor.org/stable/4329317">Olivier Roy</a> dans les années 1990, l’instauration d’un régime théocratique à Téhéran a, paradoxalement, contribué à l’accélération du processus de sécularisation de la société iranienne. En effet, en faisant de la religion le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2015-2-page-110.html">socle du pouvoir politique</a>, le régime idéologique décrété par l’ayatollah Khomeyni a provoqué un phénomène par lequel tout rejet du pouvoir devient, automatiquement, également un rejet de la religion.</p>
<p>Le régime a assis son contrôle sur la société en imposant à sa population une forme de « spiritualité politique » qui n’est pas sans rappeler l’usage que Michel Foucault avait fait de cette même notion, dans ses <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2012-3-page-51.htm">« articles iraniens » de 1978</a>. L’adhésion forcée à ce mode de gouvernance explique, en partie, la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-la-jeunesse-dans-la-rue-le-regime-dans-l-impasse_2181334.html">désaffection croissante des jeunes</a> vis-à-vis de la théocratie khomeyniste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590307847560118274"}"></div></p>
<p>Ces variables (transition générationnelle et sécularisation de la société) apparaissent d’autant plus significatives que les jeunes qui s’insurgent aujourd’hui seront la population active des quatre ou cinq prochaines décennies. À moins que le régime ne parvienne à mettre rapidement en place un système de contrôle et d’oppression sociale à même de réduire à néant le risque de déstabilisation interne, il sera immanquablement amené à évoluer sous le poids des demandes émanant de la société.</p>
<h2>L’« asianisation » de la politique étrangère de l’Iran</h2>
<p>Cette évolution de la relation société-pouvoir en Iran ne peut être pleinement appréhendée dans sa juste mesure sans tenir compte du contexte géopolitique au sein duquel elle se produit. La capacité du mouvement social à se reproduire et à prendre de l’ampleur entre en résonance avec les grandes reconfigurations qui ont lieu aux échelles régionale, continentale et globale et qui, en retour, impactent la politique du régime iranien et conditionnent sa réponse au soulèvement populaire.</p>
<p>Or, en matière de politique étrangère, la tendance de l’Iran est, depuis quelques années, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2022.2029037?scroll=top&needAccess=true">« l’asianisation »</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, la situation géopolitique se fige autour de la constitution de deux pôles opposés : l’un constitué par l’Iran et ses alliés régionaux, principalement chiites, l’autre prenant la forme d’un axe anti-iranien impulsé par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite. Cela étant, au-delà d’établir une présence milicienne en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">Irak</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/25/au-liban-le-hezbollah-maintient-sa-predominance-dans-la-crise_6047269_3210.html">au Liban</a>, et de se garantir une alliance avec le régime de Bachar Al-Assad en <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-alliance-Iran-Syrie.html">Syrie</a> et la rébellion houthie <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/24/yemen-houthi-uae-israel-iran-abraham-accords/">au Yémen</a>, cette stratégie n’a pas permis à la République islamique d’en tirer les gains économiques espérés. Tous ces pays sont faillis ou en ruine, et il est peu probable que cette géopolitique des « blocs » évolue significativement dans le moyen terme.</p>
<p>À l’échelle régionale, l’asianisation de la politique étrangère de l’Iran apparait donc comme une résultante autant des incohérences d’une stratégie d’influence reposant uniquement sur la mobilisation de groupes armés para-étatiques que de la muraille anti-iranienne érigée par ses adversaires géopolitiques. Dans ce contexte, le régime n’a d’autre choix que de se tourner « vers l’Est » pour relancer son économie et espérer calmer la grogne sociale.</p>
<p>Et cela, d’autant plus que la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">rupture de l’accord sur le nucléaire iranien</a> (<em>Joint Comprehensive Plan of Action</em>, JCPOA) par Donald Trump en mai 2018 a définitivement convaincu le régime que tout effort de normalisation avec l’Occident serait vain. On mesure mal, en Europe, la portée psychologique et symbolique de cet acte, vécu à la fois comme une trahison et une humiliation, qui a fait <a href="https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2021/08/03/le-president-des-illusions-perdues-ID7IASUH5VCJXFIEQAEVJVQZZA/">perdre toute crédibilité au courant réformiste iranien</a> (qui avait porté le projet d’ouverture depuis plus d’une décennie) et a conforté le camp ultra-conservateur, dans son hostilité à l’Occident.</p>
<p>Les positions étant à peu près <a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">figées</a> aux échelles régionale et internationale, le pivot géopolitique iranien se joue désormais à l’échelle continentale. Le régime a répondu à la « trahison » du JCPOA en annonçant en mars 2021 l’établissement d’un <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/27/world/middleeast/china-iran-deal.html">partenariat stratégique global s’étalant sur une durée de 25 ans</a> avec la Chine de Xi Jinping, et en renforçant la relation déjà solide avec la Russie de Vladimir Poutine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-iran-une-convergence-durable-160842">Chine-Iran : une convergence durable ?</a>
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<p>L’utilisation par l’armée russe de <a href="https://newlinesmag.com/argument/what-irans-drones-in-ukraine-mean-for-the-future-of-war/">drones de fabrication iranienne</a> en Ukraine prouve que le niveau de coopération stratégique entre les deux pays est <a href="https://theconversation.com/le-rapprochement-irano-russe-dans-le-contexte-de-la-guerre-dukraine-189646">à un stade avancé</a>, et que les pouvoirs en place à Téhéran et à Moscou avancent dans la même direction face à l’Occident, sous le regard d’une Chine qui se limite pour l’heure à discréditer l’ordre international sans trop le molester.</p>
<p>Ce nouvel élan eurasiatique donne également lieu à une multiplication des initiatives diplomatiques de l’Iran auprès d’autres partenaires importants à l’échelle continentale, tels que la Turquie, l’Inde, le Pakistan ou encore les républiques post-soviétiques d’Asie centrale et du Caucase. L’intégration de l’Iran dans les grands projets infrastructurels chinois (<em>Belt and Road Initiative</em>, <a href="https://www.oboreurope.com/en/iran-china-agreement/">BRI</a>) et russo-indien (<em>International North-South Transport Corridor</em>, <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/india/amid-curbs-india-russia-trade-via-instc-booms/articleshow/93603407.cms">INSTC</a>) manifeste la volonté des dirigeants iraniens d’arrimer le développement du pays aux réseaux de connectivité intercontinentale qui prennent progressivement forme en dehors de tout contrôle occidental.</p>
<p>En cela, ce processus « d’asianisation » trouve son point d’orgue dans <a href="https://fr.irna.ir/news/84954605/L-Assembl%C3%A9e-islamique-a-approuv%C3%A9-l-adh%C3%A9sion-de-l-Iran-%C3%A0-l-Organisation">l’adhésion de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)</a>.</p>
<p>L’acceptation en septembre 2021 (un mois après l’investiture du président conservateur <a href="https://theconversation.com/les-enjeux-politiques-internes-en-iran-apres-lelection-debrahim-ra-ssi-163136">Ebrahim Raïssi</a>) de la candidature de l’Iran (déposée quinze ans plus tôt) prouve qu’un exécutif en phase avec la vision du Guide suprême est un gage de stabilité aux yeux des pays membres de l’OCS, et tout particulièrement de la Chine, qui supervise l’ensemble du processus de constitution de cet ordre international <a href="https://www.wiley.com/en-us/Post+Western+World%3A+How+Emerging+Powers+Are+Remaking+Global+Order-p-9781509504572">« post-occidental »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ebrahim Raïssi et Vladimir Poutine lors du dernier sommet de l’OCS à Samarkand, en Ouzzbékistan, le 15 septembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandr Demyanchuk/AFP</span></span>
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<p>Éprouvé par quatre décennies d’isolement mais toujours en place, le régime de Téhéran, autrefois « paria » pour l’Ouest comme pour l’Est, se révèle, au vu des circonstances géopolitiques actuelles, un partenaire respectable et digne de considération pour une bonne partie du continent eurasiatique.</p>
<h2>Vers un contrôle social à la chinoise ?</h2>
<p>Mais qu’en est-il de l’interaction entre cette réorientation géopolitique et le mouvement de contestation ? Pour l’heure, les deux trajectoires évoluent séparément.</p>
<p>Le soulèvement populaire émerge d’une transition générationnelle et séculière, dans un mouvement s’élançant <a href="https://www.iranintl.com/en/202210091825">du bas vers le haut</a>. À l’inverse, la politique du « regard vers l’Est » n’est une priorité que pour le régime, qui a tout intérêt à renforcer ses liens avec la Chine et la Russie, autant pour des considérations géopolitiques qu’en raison des perspectives qu’est susceptible d’offrir une collaboration renforcée avec ces pays dans le domaine des nouvelles technologies (intelligence artificielle, reconnaissance faciale, algorithmes prédictifs, etc.) face au risque de déstabilisation interne.</p>
<p>Un air de contrôle social « à la chinoise » <a href="https://www.iranintl.com/en/202202123131">plane sur l’Iran</a>. Il n’en demeure pas moins qu’un système de contrôle social, aussi performant soit-il, ne peut être efficace qu’à condition de susciter la crainte de la population. Or, en Iran, le mur de la peur semble s’effriter peu à peu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Nencini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le soulèvement de la jeunesse iranienne incite le pouvoir à s’appuyer sur des puissances non occidentales qui ne lui reprocheront certainement pas de se livrer à une répression féroce.Théo Nencini, Chercheur doctorant, spécialiste de l'Iran travaillant sur la recomposition des équilibres interétatiques au Moyen-Orient et en Asie centrale, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921572022-10-11T19:14:33Z2022-10-11T19:14:33ZLe contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran<p><em>Derrière la militante des droits humains <a href="https://www.liberation.fr/sciences/dans-un-monde-sous-tension-quel-prix-nobel-de-la-paix-en-2023-20231006_MQINAOMGBZBOJIMGEJIZJGLPZ4/">Narges Mohammedi</a>, 51 ans, qui purge actuellement une longue peine de prison, c'est l'ensemble des femmes iraniennes que le comité Nobel de la paix a récompensées ce vendredi. Sous le slogan « Femme, vie, liberté », devenu le cri de ralliement du mouvement de contestation qui secoue le pays depuis le meurtre il y maintenant un peu plus d'un an de Mahsa Alimi, les Iraniennes - rejointes d'ailleurs par de nombreux Iraniens - protestent, malgré une répression féroce, contre un régime dictatorial qui, depuis son instauration en 1979, a fait du contrôle du corps des femmes un aspect central de son idéologie. Nous vous proposons aujourd'hui de relire cette analyse consacrée à la façon dont les Iraniennes subissent ces normes extrêmement strictes… et à leur manière d'y résister.</em></p>
<p>En Iran, la « question des femmes » fait aujourd’hui les gros titres des journaux du monde entier, en raison de la révolte en cours depuis plusieurs semaines, <a href="https://www.nouvelobs.com/tribunes/20221007.OBS64237/iran-des-mouvements-eclates-a-la-revolte-des-femmes.html">violemment réprimée par un régime aux abois</a>. Cette « question » n’est pas nouvelle ; en réalité, elle a régulièrement été un terrain de contestation politique et culturelle depuis des décennies.</p>
<p>L’ancien régime de la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-iran-contemporain--9782707194541-page-39.htm">dynastie Pahlavi (1925-1979)</a> en avait fait son cheval de bataille et le symbole de la modernisation du pays. À rebours, le régime actuel en a fait le <a href="https://www.cairn.info/la-revolution-sous-le-voile--9782865373291-page-23.htm">pilier de son authenticité</a>, de son rejet du système précédent et de sa lutte contre l’impérialisme et l’occidentalisation.</p>
<h2>Avant 1979, ces intellectuels qui dénonçaient les droits des femmes</h2>
<p>Bien avant la révolution de 1979, le sociologue et militant politique <a href="https://www.cairn.info/les-mondes-chiites-et-l-iran--9782845868885-page-325.htm">Ali Shariati</a> (1933-1977), parfois considéré comme l’idéologue de la révolution iranienne, encourageait la participation politique et sociale des femmes en leur suggérant de s’inspirer des combattantes algériennes ou palestiniennes, en première ligne dans les luttes d’indépendance de leurs patries respectives, et non des femmes des classes moyennes qu’il stigmatisait comme <em>hich o poutch</em> (insignifiantes), oisives et obsédées par le sexe.</p>
<p>En outre, il mobilisait des images de femmes connues du chiisme, surtout celle de <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1945_num_2_1_2751">Fatima</a>, fille du prophète et épouse d’Ali (premier imam des chiites) qui, aujourd’hui encore, est promue comme le modèle idéal de la femme, mère et épouse, et célébrée durant la <a href="http://www.taghribnews.com/fr/news/535604/l-iran-c%C3%A9l%C3%A8bre-l-anniversaire-de-la-naissance-hazrat-fatima-et-f%C3%AAte-des-m%C3%A8res">Journée des mères</a> qui a remplacé celle du 8 mars.</p>
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<p>Un autre auteur avait également préparé le terrain. Dans son livre <a href="http://www.brygeog.net/uploads/7/9/8/5/7985035/occidentosis.pdf"><em>Occidentosis</em></a> (<em>Gharbzadegui</em>), publié en 1962, Jalal Al-e-Ahmad (1923-1969) dénonçait la « dégénérescence » de la culture iranienne due à la modernité, interprétée comme un processus essentiellement impérialiste et toxique. Cette <em>occidentosis</em> était selon lui une maladie dont la femme portait le virus et contre laquelle il fallait protéger la population.</p>
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<p>Dès l’instauration de la République islamique, en 1979, le voile (<em>hedjab</em>) assure ce rôle de protection. Selon les nouveaux maîtres du pays, il prémunit aussi bien l’homme que la femme, et immunise toute la population. Ce voile que les <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2018-1-page-101.htm">modernistes</a> considéraient comme un symbole de sous-développement culturel est érigé comme signe d’émancipation vis-à-vis du modèle « occidental » imposé par le régime précédent. Reza Shah Pahlavi (au pouvoir de 1925 à 1941) l’avait interdit mais, sous son fils Mohammad Reza Shah (1941-1979), il était toléré.</p>
<h2>L’évolution du discours de l’ayatollah Khomeiny</h2>
<p>En 1963, Ruhollah Khomeiny, le futur Guide de la révolution islamique, fustige comme « non islamiques » les droits de vote et d’éligibilité accordés cette année-là aux femmes. Mais son positionnement semble évoluer avec les années : à la fin des années 1970, il déclare que les <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8702?lang=fr">femmes seront libres de choisir leur destin</a> (à condition de respecter quelques principes) probablement pour se garantir leur soutien.</p>
<p>Pourtant, après l’euphorie révolutionnaire, les femmes se rendent rapidement compte que la République islamique ne leur accorderait pas la place qu’elles entendaient avoir et qu’elles devraient faire face à la double contrainte de l’autoritarisme et du patriarcat.</p>
<p>Dès <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/iran-en-mars-1979-la-grande-manifestation-des-femmes-contre-le-voile-20221007">son arrivée au pouvoir en février 1979</a>, l’ayatollah Khomeiny renvoie les Iraniennes dans leurs foyers afin qu’elles y reprennent un rôle « conforme aux valeurs de l’islam » et deviennent le symbole de la chasteté de la société… tout en les remerciant pour leur soutien dans le processus révolutionnaire.</p>
<h2>L’institutionnalisation des discriminations</h2>
<p>Le préambule de la nouvelle <a href="https://www.iran-resist.org/article3418">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, adoptée en 1979, entérine la biologisation/naturalisation de la femme dont le rôle n’est plus valorisé qu’au travers et en référence à la famille.</p>
<p>Le propre de la République islamique est l’utilisation simultanée de l’appareil d’un État moderne et de l’idéologie religieuse pour asseoir son autorité, combattre les dissensions et contrôler les femmes.</p>
<p>La révolution, qui entraîne la réislamisation de la société, commence par la soumission du statut des femmes à la charia, qui consolide la suprématie de l’homme tant dans la sphère privée que dans la sphère publique ; dès 1979, les intimidations et les mesures coercitives se multiplient et une campagne massive de purification (<em>paksâzi</em>) dans tous les secteurs est lancée.</p>
<p>Dès lors, les <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2006-4-page-163.htm">mesures discriminatoires</a> se succèdent : abolition de la Loi de la protection de la famille, interdiction de devenir juge, ségrégation des sexes dans les activités sportives et sur les plages et obligation du port du voile (<em>hedjab</em>) qui, ironiquement, <a href="https://www.jstor.org/stable/41393782">ne suscite pas de réaction des libéraux et de la gauche iranienne</a>, qui avaient soutenu Khomeiny dans sa prise de pouvoir.</p>
<p>En 1983, le Parlement <a href="https://theconversation.com/hijab-law-in-iran-over-the-decades-the-continuing-battle-for-reform-192037">entérine une loi qui punit les femmes ne portant pas le voile de 74 coups de fouet</a> puis, en 1995, son « port non conforme » <a href="https://www.justice.gov/eoir/page/file/1258241/download">devient passible de 10 à 60 jours d’emprisonnement</a>. Le code civil de l’actuel régime est assez proche du précédent ; néanmoins, en 1979, une modification introduit le droit unilatéral à la polygamie et au divorce pour l’homme, son autorité parentale et son rôle de chef de famille. Pourtant, le droit à la participation à la vie politique n’est pas révoqué, le droit de vote n’est pas restreint et l’article 115 de la Constitution reste flou sur la possibilité pour une femme d’accéder à la présidence.</p>
<p><a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/en-iran-les-mariees-ont-moins-de-neuf-ans_72026.html">L’âge légal du mariage des filles</a> est abaissé à 9 ans (plus tard, il sera lié à la puberté). Pour le code pénal, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/556135/%253C%253C_Prix_du_sang_%253E%253E_en_Iran_%253A_37_600_dollars_pour_les_hommes%252C_la_moitie_pour_les_femmes.html">prix du sang</a></p>
<p>des femmes devient la moitié de celui des hommes et le témoignage d’une femme dans une affaire pénale n’est accepté que s’il est corroboré par celui d’un homme. Ces dispositions se veulent une mise en œuvre de la tradition islamique.</p>
<p>Dans ce cadre, la virginité est centrale. Les femmes adultères et les prostituées sont <a href="https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2008-1/lapidations-iran">fouettées, exécutées ou lapidées</a>.</p>
<h2>Le voile au cœur du dispositif politico-religieux de la République islamique</h2>
<p>L’invisibilité du corps des femmes, la ségrégation des sexes et l’inégalité institutionnalisée, en effaçant l’égalité des sexes, deviennent partie intégrante de l’identité islamique promue par l’État et de son discours anti-impérialiste et anti-occidental. Dans le même temps, le contrôle du corps des femmes sert les intérêts du patriarcat. Le voile surveille la sexualité féminine. Il affirme le comportement vertueux et modeste qui doit symboliser toute femme musulmane.</p>
<p>Dès lors, dans la mesure où la position subalterne des femmes et le port du voile sont présentés comme des éléments fondateurs de la République islamique, toute modification mettrait en péril l’édifice. En effet, la question des femmes en Iran, tout en étant partiellement religieuse, est surtout éminemment politique et liée à l’identité du régime. Les femmes sont l’emblème public de l’honneur de la nation, tandis que le féminisme, associé à l’Occident, symbolise la décadence, tout comme les lois concernant les femmes, édictées sous Mohammad Reza Shah, ont été présentées comme un danger pour la sécurité nationale.</p>
<p>Les femmes sont perçues comme garantes de la cohésion familiale et sociale. Même si elles ne sont pas totalement écartées du travail, de l’enseignement, de l’organisation sociale, politique et économique du pays, elles sont incitées à rester dans leur foyer et à s’orienter vers des études ou des emplois considérés comme féminins et, aujourd’hui, à soutenir la <a href="https://www.genethique.org/iran-face-a-la-politique-nataliste-le-planning-familial-a-larret/">campagne nataliste</a> du Guide suprême Ali Khamenei.</p>
<h2>La purge des influences occidentales</h2>
<p>À la mort de Khomeiny en 1989, des tentatives timides de changement ont lieu, notamment sous la présidence de <a href="https://iranwire.com/en/features/64584/">Mohammad Khatami (1997-2005)</a>. Néanmoins, après l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, les autorités intensifient les mesures de réislamisation, dispositions répressives à l’appui – entre autres, en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/iran/iran-c-est-quoi-cette-police-des-moeurs-qui-tyrannise-les-femmes-3a93da76-3bf7-11ed-96be-e8064f8bb07a">renforçant la police des mœurs</a>. En particulier, la réislamisation passe par la purge des influences occidentales dans les programmes universitaires, ainsi que par des mesures ayant pour objectif la <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2019/09/22/obstacles-rencontres-par-les-etudiantes-dans-les-ecoles-et-les-universites/">diminution du nombre d’étudiantes</a>. De même, les cours portant sur les questions de genre sont remaniés afin d’exclure les références possibles aux droits des femmes reconnus par le droit international, ce dans le souci de mettre l’accent sur les valeurs islamiques.</p>
<p>En faisant du corps des femmes et de leur position un enjeu fondamental de l’authenticité et de l’islamité, la République islamique les a finalement aussi transformés en mesure de la liberté de tous et en un champ de bataille pour la conquête de l’avenir tout autant qu’en force motrice potentielle de démocratisation.</p>
<p>Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’aujourd’hui la vague de contestation qui secoue l’Iran passe par les jeunes filles qui remettent en cause le port obligatoire du voile, les discriminations dont elles font l’objet et le régime en tant que tel. Jamais la détermination des femmes – et, surtout, des plus jeunes d’entre elles – n’avait atteint cette ampleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192157/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le propre de la République islamique depuis son instauration en 1979 est l’utilisation à la fois de l’appareil d’un État moderne et de l’idéologie religieuse pour contrôler les femmes.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914652022-09-28T15:07:04Z2022-09-28T15:07:04ZLe régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487102/original/file-20220928-22-ombepu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C42%2C4031%2C2969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise clandestinement, on peut voir des femmes fuyant la police anti-émeute lors d'une manifestation dans le centre de Téhéran, en Iran. Ces manifestations sont réprimées brutalement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-mahsa-amini-death-widespread-protests-intl-hnk/index.html">Les troubles se poursuivent en Iran</a> après la mort en détention d’une jeune femme kurde de 22 ans, après avoir été arrêtée et apparemment battue par la <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">police des mœurs iranienne</a>.</p>
<p>Les forces iraniennes ont placé Mahsa Zhina Amini en détention le 16 septembre 2022, parce qu’elle ne portait pas son hijab selon les règles.</p>
<p>En date du 10 octobre, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/iran-protests-victims-b2198882.html?amp">au moins 185 personnes ont été confirmées</a> tuées et des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/09/iran-deadly-crackdown-on-protests-against-mahsa-aminis-death-in-custody-needs-urgent-global-action/">centaines ont été arrêtées et blessées</a> lors des manifestations qui ont éclaté après la mort d’Amini.</p>
<p>En tant qu’universitaire d’origine kurde et <a href="https://cah.ucf.edu/languages/faculty-staff/profile/414">professeur d’études moyen-orientales à l’Université de Floride centrale</a>, j’ai déjà écrit sur le <a href="https://theconversation.com/kurds-targeted-in-turkish-attack-include-thousands-of-female-fighters-who-battled-islamic-state-125100">genre dans les cultures moyen-orientales</a> et les <a href="https://theconversation.com/unrest-in-iran-will-continue-until-religious-rule-ends-90352">manifestations iraniennes</a>.</p>
<p>À l’exception de condamnations sans nuances, la discrimination à l’égard des femmes en Iran est souvent passée sous silence alors que le monde n’en a que pour la <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/578024/EXPO_IDA(2017)578024_FR.pdf">limitation des capacités nucléaires du pays</a>.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">Certains universitaires et militants</a> ont critiqué le droit international pour son manque d’initiative et d’action publique pour reconnaître la discrimination systématique des femmes en Iran comme un apartheid de genre et agir pour l’empêcher.</p>
<p>De nombreuses lois discriminatoires, y compris celles qui obligent les femmes à se couvrir la tête et le visage d’un hijab, <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/there-are-two-types-of-hijabs-the-difference-is-huge/2019/04/07/50a44574-57f0-11e9-814f-e2f46684196e_story.html">ne respectent ni la tradition ni la religion</a> et sont appliquées aux femmes de toutes les ethnies et de toutes les confessions.</p>
<p>Après tout, Amini n’était pas chiite, ni par son ethnie ni par sa religion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise dans la clandestinité, le 21 septembre 2022 dans le centre de Téhéran, des manifestants scandent des slogans afin de dénoncer la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<h2>L’apartheid des genres en Iran</h2>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">Révolution islamique de 1979</a> a instauré une république qui met en œuvre des politiques et des pratiques inhumaines de ségrégation et de discrimination raciales similaires à celles pratiquées en <a href="https://kinginstitute.stanford.edu/encyclopedia/apartheid">Afrique du Sud sous l’ancien régime brutal d’apartheid du gouvernement</a>.</p>
<p>Les lois et les politiques en Iran établissent et maintiennent la domination des hommes et de l’État sur les femmes et leur droit de choisir leurs propres vêtements ou d’obtenir un divorce. Les inégalités systématiques entre les sexes sont prescrites légalement et appliquées par le régime afin de priver les femmes du <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droit à la vie et à la liberté »</a> et des <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droits de la personne et libertés fondamentales »</a>, ce qui, selon <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">l’article II de la Convention des Nations unies sur l’apartheid de 1973</a>, est considéré comme « le crime d’apartheid ».</p>
<p>Par exemple, selon <a href="https://iranhumanrights.org/2017/07/married-women-in-iran-still-need-permission-to-travel-abroad-under-amendment-to-passport-law/">l’article 18 de la loi iranienne sur les passeports</a>, une femme mariée a toujours besoin de l’autorisation écrite de son tuteur masculin pour voyager à l’étranger.</p>
<p>En Iran, les femmes ne peuvent occuper aucun poste au sein des systèmes judiciaire, religieux et militaire, ni être membres de l’<a href="https://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/02/09/everything-you-need-to-know-about-irans-assembly-of-experts-election/">Assemblée des experts</a>, du <a href="https://irandataportal.syr.edu/political-institutions/the-expediency-council">Conseil de « de l’opportunité »</a> ou du <a href="https://www.britannica.com/topic/Council-of-Guardians">Conseil des gardiens</a>, les trois conseils les plus élevés de la République islamique.</p>
<p>Selon la loi, les femmes ne peuvent être ni présidentes ni chefs suprêmes de l’Iran. <a href="https://www.servat.unibe.ch/icl/ir00000_.html">Selon l’article 115</a>, le président de la République islamique doit être élu parmi les « hommes religieux et politiques ».</p>
<p>En outre, l’État iranien <a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">a ajouté des éléments discriminatoires au Code pénal</a> — l’un de ces éléments est le principe selon lequel la valeur d’une femme est égale à la moitié de celle d’un homme.</p>
<p>Ce principe s’applique aux questions de compensation pour un meurtre ou lors de la séparation d’un héritage familial. Il s’applique également au poids accordé aux témoignages dans un cadre judiciaire ou à l’obtention d’un divorce.</p>
<p>Ces lois, politiques et pratiques, continuent de faire des femmes des citoyennes inférieures, inégales sur le plan juridique et social.</p>
<h2>La ségrégation dans la vie quotidienne</h2>
<p>L’État a également imposé une <a href="https://www.iranintl.com/en/202209012125">ségrégation systématique</a> dans les écoles, les hôpitaux, les universités, les transports, les sports et d’autres domaines importants de la vie quotidienne.</p>
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<img alt="Un feu brûle dans la rue, entouré de manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise de manière clandestine, le 21 septembre 2022, des manifestants ont mis le feu et bloqué une rue afin de protester contre la mort en détention de Mahsa Amini. L’accès aux réseaux sociaux est devenu difficile en Iran.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<p>Pendant plusieurs décennies, l’apartheid entre les sexes en Iran a relégué les femmes à l’arrière des bus avec une <a href="https://wcfia.harvard.edu/publications/women-place-politics-gender-segregation-iran">barre métallique les séparant</a> des hommes.</p>
<p>Sous la direction du gouvernement, les universités <a href="https://www.nytimes.com/2012/08/20/world/middleeast/20iht-educbriefs20.html">ont limité les options offertes aux femmes</a> et leur ont interdites l’accès à de nombreux domaines d’études.</p>
<p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran <a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/31/iran-women-blocked-entering-stadium#:%7E:text=Over%20the%20past%2040%20years,detention%2C%20and%20abuses%20against%20women">interdit généralement aux femmes</a> d’assister à des matchs de football et d’autres sports dans les stades. En août, <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1908148/soccer-femmes-iran-stade-historique">pour la première fois en plus de 40 ans</a>, le régime iranien a autorisé des femmes à assister, dans le stade de la capitale, Téhéran, à un match opposant deux clubs masculins.</p>
<p>Les religieux jouent un rôle majeur dans la prise de décision. Ils <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220330-iran-again-bans-women-from-football-stadium">ont affirmé que les femmes devaient être protégées</a> de l’atmosphère masculine et de la vue d’hommes à moitié vêtus lors d’événements sportifs.</p>
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<img alt="Des gens manifestent" src="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des membres de la communauté iranienne et leurs partisans manifestent à Ottawa, le 25 septembre, afin de dénoncer le régime iranien, après la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
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</figure>
<p>Dans le cadre de ces politiques discriminatoires, des termes persans tels que za’ifeh, qui signifie faible et incapable, ont trouvé leur place dans les <a href="https://vajehyab.com/dehkhoda/%D8%B6%D8%B9%DB%8C%D9%81%D8%A9">dictionnaires</a> comme synonymes de « femme » et « épouse ».</p>
<h2>« Femmes, vie, liberté »</h2>
<p>La tristement célèbre police des mœurs extrajudiciaire de l’Iran <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">terrorise les femmes depuis des décennies</a>.</p>
<p>À l’instar des articles de la <a href="https://www.constituteproject.org/constitution/Iran_1989.pdf">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, les principes de la police des mœurs sont fondés sur une interprétation des <a href="https://www.bl.uk/collection-items/hadith-collection">textes chiites canoniques</a> et sont mis en œuvre au moyen d’outils modernes de contrôle et de coercition.</p>
<p>En droit pénal international, les actes illicites commis dans le cadre d’un système d’oppression et de domination sont considérés comme des crimes contre l’humanité.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International %20Convention %20on %20the %20Suppression %20and %20Punishment %20of %20the %20Crime %20of %20Apartheid.pdf">Convention sur l’apartheid des Nations unies</a>, ces crimes comprennent le déni des droits fondamentaux qui empêche un ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays.</p>
<p>Connu surtout pour le régime brutal de l’Afrique du Sud, l’apartheid vient du mot afrikaans qui signifie « séparation ». C’est <a href="https://www.sahistory.org.za/article/history-apartheid-south-africa">l’idéologie</a> qui a été introduite en Afrique du Sud en 1948 et soutenue par le gouvernement du Parti national.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx ?src=IND&mtdsg_no=IV-7&chapter=4&clang=_fr">Convention contre l’apartheid des Nations unies</a>, l’obligation de porter le hijab est au cœur de ce que j’appelle l’apartheid extrême entre les sexes en Iran, où un foulard mal placé peut entraîner jusqu’à <a href="https://en.radiofarda.com/a/anti-hijab-activist-in-iran-sentenced-to-15-years-in-prison/30133081.html">15 ans de prison</a>, des <a href="http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/09/04/iran.stoning/index.html">coups de fouet</a>, des <a href="https://www.middleeasteye.net/news/iranian-women-fined-260-bad-hijabs">amendes</a>, des arrestations inhumaines et illégales, voire la mort.</p>
<p>Des <a href="https://www.cnn.com/2018/02/05/middleeast/iran-hijab-law-report-intl/index.html">mouvements contre le hijab obligatoire</a> apparaissent chaque année en Iran, comme cette fois, à la suite du décès de Mahsa Zhina Amini.</p>
<p>En langue kurde, son nom vient de « jin », le mot pour femme, et partage une racine avec le mot pour vie, « jiyan ».</p>
<p>Ces mots kurdes sont au cœur du slogan qui a été le plus utilisé par les <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/how-a-small-but-powerful-band-of-women-led-the-fight-against-isis">combattantes kurdes dans leur lutte contre l’État islamique</a> en Irak et en Syrie, et aujourd’hui, par les femmes de tout l’Iran contre la République islamique.</p>
<p>Ajoutez « azadi » — le mot kurde qui signifie liberté — et vous avez le slogan « Jin, Jiyan, Azadi », qui signifie « Femmes, vie, liberté ». Il résonne parmi les manifestants dans les rues d’Iran et du monde entier pour démanteler l’apartheid des genres de l’État iranien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haidar Khezri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le régime iranien met en œuvre des politiques et des pratiques de ségrégation et de discrimination similaires à celles pratiquées en Afrique du Sud sous l’apartheid.Haidar Khezri, Assistant Professor, University of Central FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1835602022-05-29T15:32:24Z2022-05-29T15:32:24ZLes principaux enseignements des élections législatives libanaises<p>Le dimanche 15 mai 2022 se sont tenues les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/17/au-liban-percee-significative-de-l-opposition-aux-elections-legislatives_6126477_3210.html">élections législatives au Liban</a>, premier scrutin électoral depuis le début des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-liban-le-mouvement-du-17-octobre-fait-le-bilan-1256751">contestations populaires</a>, le 17 octobre 2019.</p>
<p>Quels sont les principaux enseignements des résultats de ces élections ? Annoncent-elles un changement important dans le pays ? Avant de tenter de répondre à ces interrogations, il est nécessaire de revenir sur quelques caractéristiques pour mieux comprendre les spécificités politiques du Liban.</p>
<h2>Le poids du confessionnalisme et du clanisme</h2>
<p>D’une superficie de 10 452 km<sup>2</sup>, inférieure à celle de la région Île-de-France, le Liban est une république indépendante depuis 1943. Encadré par 376 km de frontières terrestres avec la Syrie sur ses façades nord et est, ainsi que 79 km avec Israël au sud, le territoire libanais a continuellement vu son destin dépendre de ses deux voisins, et d’autres puissances étrangères.</p>
<p>Le système politique du Liban, où coexistent dix-sept communautés religieuses, est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm">basé sur le confessionnalisme</a>, conformément aux préceptes du Pacte national. Cet <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-National-libanais.html">accord non écrit</a> datant de 1943 indique que le président de la République doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le chef du Parlement un musulman chiite.</p>
<p>Ce pacte est élargi en 1989 avec l’<a href="https://libnanews.com/liban-accords-de-taef-constitution/">accord de Taëf</a>. Marquant la fin de la guerre civile, celui-ci oblige le Parlement à être composé pour moitié de députés chrétiens, et pour l’autre moitié de députés musulmans. Les élections législatives se déroulent alors tous les quatre ans sous forme de quotas alloués proportionnellement à chacune des communautés des deux confessions, selon une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-2-page-151.htm">loi électorale précise</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Liban : l’espoir d’un renouveau ? – Le Dessous des cartes (Arte, 18 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>Trente ans après la fin de la <a href="https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2576344-guerre-du-liban-resume-de-la-guerre-civile-de-1975-a-1990/">guerre civile</a>, les partis politiques traditionnels sont toujours dirigés par des personnes ayant participé à ce conflit, ou faisant partie de leurs familles. Ce partage clanique du pouvoir rend difficile tout changement politique important et accroît considérablement <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/corruption-au-liban-je-n-imaginais-pas-l-ampleur-de-ce-fleau-explique-la">toute sorte de corruption dans le pays</a>. Ainsi, les dernières élections législatives avant celles qui viennent d’avoir lieu ont été organisées en 2018 ; elles auraient dû se tenir en 2013 mais avaient été reportées durant cinq années de suite.</p>
<h2>Les enjeux des élections législatives du 15 mai 2022</h2>
<p>Puisqu’elles sont les premières depuis le début du mouvement contestataire en octobre 2019, ces élections étaient très attendues dans le pays. Face aux attentes suscitées ce mouvement, les principaux enjeux du scrutin se résumaient aux <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1290268/les-cinq-grands-enjeux-des-legislatives-libanaises.html">cinq principales interrogations suivantes</a> :</p>
<ul>
<li><p>Est-ce que le taux de participation sera-t-il plus important que lors des élections législatives précédentes ?</p></li>
<li><p>Quel sera le poids des forces issues du mouvement contestataire initié en octobre 2019 dans le nouveau Parlement ?</p></li>
<li><p>Une alliance politique obtiendra-t-elle la majorité absolue ?</p></li>
<li><p>L’équilibre des forces va-t-il être bouleversé à l’intérieur du camp chrétien ?</p></li>
<li><p>Comment va se structurer le camp sunnite après l’appel au boycott lancé par son principal parti, le Courant du Futur ?</p></li>
<li><p>L’ensemble des députés chiites seront-ils issus du Hezbollah et de ses alliés ?</p></li>
</ul>
<p>À travers la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/07/au-liban-debut-de-campagne-electorale-en-vue-des-legislatives_6121007_3210.html">campagne électorale</a> débutée début avril, les partis traditionnels, qui constituent jusqu’alors l’écrasante majorité des députés, toutes confessions confondues, ont voulu conforter leur légitimité. Face à ces partis traditionnels, les candidats issus de la contestation n’ont pas réussi à avancer unis, multipliant le nombre de listes concurrentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525828323401682949"}"></div></p>
<h2>Aucune grande alliance n’a obtenu la majorité absolue</h2>
<p>La simple tenue de ces élections peut être vue en soi comme une réussite, tant leur report était envisagé. Pour autant, même si le déroulement du vote a été globalement salué par les observateurs, les élections ont été entachées de tensions, de fraudes ou encore d’irrégularités comme l’expliquent le <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/17/l-union-europeenne-tres-severe-sur-le-deroulement-des-elections-au-liban">rapport préliminaire de la mission de l’UE</a> et la <a href="https://www.francophonie.org/declaration-preliminaire-de-la-mission-electorale-de-la-francophonie-loccasion-des-legislatives-au">déclaration de la mission électorale de la Francophonie</a>.</p>
<p>Au regard des résultats officiels, plusieurs constats importants peuvent être faits. En premier lieu, avec un taux de 49 %, la participation est égale à celle des dernières élections de 2018. Cela constitue un taux à la fois satisfaisant en considération de l’appel au boycott du Courant du Futur, et décevant compte tenu de l’importance de ces élections.</p>
<p>Autre chiffre très attendu, le <a href="https://www.rfi.fr/en/international/20220517-elections-in-lebanon-independents-win-at-least-13-seats-results">nombre de députés issus de la contestation s’élève à 13</a> sur 128 députés au total, un résultat honorable au vu des divisions internes au mouvement. Ce groupe de députés, faisant parti du <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220517-l%C3%A9gislatives-au-liban-le-d%C3%A9gagisme-a-jou%C3%A9-en-partie-mais-pas-assez-pour-bouleverser-le-syst%C3%A8me">mouvement du 17 octobre</a>, aura incontestablement à exercer un rôle de premier ordre dans cette nouvelle législature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1526490270929502208"}"></div></p>
<p>En effet, <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/au-liban-les-elections-legislatives-redistribuent-les-cartes-82462.php">aucune alliance politique n’a pu obtenir une majorité absolue</a>. Alors que la coalition dirigée par le parti chiite Hezbollah et le Courant Patriotique Libre (CPL) chrétien avait jusqu’alors la majorité avec 71 sièges, elle n’en récolte plus que 58 – quand 65 sont requis pour obtenir la majorité. Il ne fait donc pas de doute que cette alliance constitue le grand perdant de ces élections.</p>
<p>Pour autant, l’autre grande alliance, dirigée par le parti chrétien des Forces libanaises et le parti progressiste socialiste druze, n’a pas non plus réussi à obtenir la majorité, obtenant seulement 41 sièges.</p>
<p>Les 29 sièges restants se partagent donc entre les députés indépendants, qui sont au nombre de 16, et les 13 députés issus de la contestation. Ce seront donc ces députés qui pourront faire basculer la majorité en faveur d’une alliance ou d’une autre.</p>
<p>La régression de l’alliance qui était au pouvoir s’explique notamment par l’échec du Courant Patriotique Libre (CPL), dont le nombre d’élus passe de 24 à 17. Il a été devancé, auprès de l’électorat chrétien, par le parti des Forces libanaises, dont le nombre de sièges est passé de 15 à 19. Ce dernier ressort comme le <a href="https://libnanews.com/nous-sommes-le-plus-grand-bloc-du-parlement-et-nous-assumerons-notre-responsabilite-en-consequence-estime-samir-geagea-qui-annonce-la-candidature-de-hasbani-comme-vice-president-du-parlement/">grand gagnant de ces élections</a>, devenant le parti chrétien disposant du plus grand nombre de sièges au Parlement.</p>
<p>Concernant la confession musulmane, les forces sunnites se retrouvent plus que jamais divisées, sans leadership. Le boycott décidé par le Courant du Futur et de son chef Saad Hariri n’a finalement pas permis de faire émerger un nouveau dirigeant politique qui aurait comblé ce vide. Cela a pour principale conséquence de marginaliser davantage la représentation sunnite dans les prises de décision. Enfin, même si la quasi-totalité des sièges alloués aux chiites a été remportée par le Hezbollah et le parti Amal, autre parti chiite allié, il est à noter que deux candidats chiites indépendants ont réussi à se faire élire. Même si il s’agit d’une première depuis trente ans, ces deux partis vont pour autant continuer à représenter cette communauté confessionnelle d’une manière incontestable.</p>
<h2>Les perspectives d’avenir pour le Liban</h2>
<p>Pour le Liban, le <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220518-tense-times-ahead-for-lebanon-after-elections">plus difficile reste à venir</a>. La situation actuelle du pays nécessite la mise en œuvre urgente de réformes en vue de débloquer une importante <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-fmi-fait-miroiter-un-plan-daide-de-3-milliards-de-dollars-au-liban-1399347#:%7E:text=Enjeux%20Internationaux-,Le%20FMI%20fait%20miroiter%20un%20plan%20d%E2%80%99aide%20de%203,pour%20le%20pays%20en%20crise.">aide financière de la part du FMI</a> et de la communauté internationale. Il s’agit avant tout de faire sortir progressivement le Liban de ses multiples crises actuelles, d’ordres économique, social et politique, et de lui éviter une aggravation de celles-ci.</p>
<p>Un nouveau gouvernement représentatif des résultats électoraux doit être rapidement constitué. Le maintien de l’actuel premier ministre <a href="https://www.cnews.fr/monde/2021-07-26/qui-est-najib-mikati-le-nouveau-premier-ministre-libanais-1109793">Najib Mikati</a> est l’option la plus privilégiée sachant que la désignation d’un nouveau premier ministre et la constitution d’un gouvernement pourraient prendre plusieurs mois, comme cela a été le <a href="https://information.tv5monde.com/info/liban-le-premier-ministre-najib-mikati-annonce-la-composition-du-nouveau-gouvernement-423875">cas ces dernières années</a>.</p>
<p>Quant à la présidence de la république, le mandat de <a href="https://www.lejdd.fr/International/legislatives-au-liban-michel-aoun-symbole-dune-classe-politique-immuable-4111387">Michel Aoun</a> prenant fin en octobre, il est nécessaire que les députés élisent un nouveau président au plus tard en septembre. Au-delà de cette date, le Liban connaîtra un vide présidentiel.</p>
<p>Il est à noter que le pays a connu deux périodes de vide présidentiel ces dernières années : le premier d’une durée de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/liban-probablement-pas-de-president-avant-2008_468596.html">six mois entre 2007 et 2008</a>, et le second de <a href="https://araprism.org/2016/04/13/de-quoi-le-vide-presidentiel-libanais-est-il-le-nom/">29 mois entre 2014 et 2016</a>. La probabilité d’une nouvelle période de vide présidentiel est malheureusement actuellement élevée.</p>
<p>Même si les élections législatives du 15 mai ont été porteuses d’un espoir inattendu, le sort du Liban est toujours essentiellement aux mains des partis traditionnels et des grandes puissances régionales et internationales. En effet, l’alliance dirigée par le Hezbollah est actuellement sous une forte influence de l’Iran, de la Syrie et de la Russie, alors que l’alliance dirigée par les Forces libanaises est principalement sous l’influence des puissances occidentales et de l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, les résultats des <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2022-05-13/reprise-des-negociations-sur-le-nucleaire-iranien.php">pourparlers entre la communauté internationale et Téhéran sur le nucléaire iranien</a> d’un côté, ainsi que ceux du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-entente-est-proche-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-selon-l-irak-20220430">dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a> de l’autre auront indéniablement des retombées, positives ou négatives, sur l’évolution de la scène politique libanaise. Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir du Liban.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucune grande alliance n’a remporté la majorité absolue, laissant la place aux députés indépendants et au parti chrétien des Forces libanaises.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830632022-05-26T19:00:05Z2022-05-26T19:00:05ZTrêve au Yémen : l’espoir est-il permis ?<p>Ces dernières années, le conflit au sein de la république du Yémen fait périodiquement la une des actualités internationales. Avec une superficie de 527 970 km<sup>2</sup>, légèrement inférieure à celle de la France, le Yémen continue d’<a href="https://www.unidivers.fr/yemen-guerre-arabie-saoudite-geopolitique/">attirer les convoitises</a> par sa position hautement stratégique. Situé au sud de la péninsule arabique, ce pays partage à son nord près de 1 500 km de frontières terrestres avec l’Arabie saoudite et à l’ouest 290 km avec le sultanat d’Oman.</p>
<p>Ses 1 100 km de côtes entre le golfe d’Aden et la mer Rouge font de sa pointe sud, à travers le détroit de Bab-el-Mandeb, un point de passage majeur du commerce international. En effet, cette zone maritime qui sépare la Corne de l’Afrique de la péninsule arabique, constitue l’une des plus importantes routes maritimes mondiales, traversée par pas moins de <a href="https://www.ocean-flots.org/10-faits-sur-le-golfe-daden-que-vous-devez-connaitre/">21 000 navires</a> chaque année. Environ 11 % du pétrole mondial transporté par voie maritime transite par cette route, ce qui fait du détroit de Bad-el-Mandeb le <a href="https://www.iris-france.org/57023-crise-au-yemen-les-enjeux-du-detroit-de-bab-el-mandeb/">quatrième passage maritime mondial</a> concernant l’approvisionnement énergétique.</p>
<h2>Bref retour historique</h2>
<p>Avec 30 millions d’habitants, le Yémen est le second État le plus peuplé de la péninsule arabique après l’Arabie saoudite. Constitué à 60 % de sunnites, essentiellement présents dans le sud, le pays comporte une forte minorité chiite, d’environ 40 % de la population, se trouvant pour la plupart dans le nord. Il est à noter que le Yémen repose, en partie, sur une <a href="https://books.openedition.org/demopolis/243?lang=fr">structure de tribus</a>, caractéristique souvent surexploitée à des fins politiques.</p>
<p>Cette situation particulière est l’une des explications au fait que ces soixante dernières années, le territoire yéménite a quasiment été de <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-159.htm">manière continue en conflit</a>, soit à travers des guerres civiles, soit par des interventions étrangères, notamment de l’Arabie saoudite.</p>
<p>La république du Yémen actuelle provient de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1990_num_36_1_2960">unification</a>, en 1990, de deux États : la République arabe du Yémen (Yémen du Nord), pro-occidentale, proclamée en 1962, et la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud), régime marxiste indépendant né en 1967. La ville de Sanaa a été choisie pour être la capitale de ce nouvel État unifié.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comprendre la guerre au Yémen – Le monde en cartes, 18 octobre 2017.</span></figcaption>
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<p>Malgré cette unification, une partie de la minorité chiite du pays a continué par la suite à se sentir exclue du processus décisionnel du pouvoir. C’est ainsi qu’apparaît dans les années 1990, dans le Nord-Ouest du pays, le mouvement <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/01/20/01003-20150120ARTFIG00515-qui-sont-les-houthistes-nouveaux-maitres-du-yemen.php">houthiste</a>, groupe issu du <a href="https://www.persee.fr/doc/bcai_0259-7373_1988_num_5_1_900_t1_0128_0000_4">zaydisme</a>, une branche du chiisme.</p>
<p>Ce sentiment de marginalisation va aboutir à une <a href="https://www.cairn.info/yemen-le-tournant-revolutionnaire--9782811106935-page-71.htm">insurrection des houthistes en 2004 dans la province du Saada</a> (Nord-Ouest du pays), suite à l’arrestation et à l’assassinat d’un nombre important de leurs chefs. Ce conflit, connu sous la dénomination de « Guerre de Saada », va durer jusqu’à 2010. Le début des printemps arabes l’année suivante va également atteindre le Yémen, forçant le président Ali Abdallah Saleh, en poste depuis 1990, à démissionner en février 2012.</p>
<h2>Un conflit militaire dévastateur</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-1-page-85.htm">date du commencement du conflit</a> actuel au Yémen diffère selon les belligérants. Pour les partisans du pouvoir, c’est la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/25/au-yemen-l-arret-des-combats-n-annonce-pas-la-fin-de-la-crise-politique_4494576_3218.html">prise de contrôle d’une importante partie du nord du pays et surtout de Sanaa</a> par les rebelles houthistes en septembre 2014 qui a constitué une déclaration de guerre et a suscité, en réaction, la constitution en mars 2015 d’une <a href="https://www.quidjustitiae.ca/blogue/Yemen.CPI">coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite</a>. Pour les houthistes, c’est l’ingérence étrangère, essentiellement des pays du Golfe, afin d’asseoir la domination des sunnites au Yémen, qui constitue le point de départ de ce conflit.</p>
<p>Les premiers bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite – qui comprend principalement les autres pays du Golfe, l’Égypte, la Turquie, la Jordanie et le Maroc – sont effectués en mars 2015 dans le cadre de l’<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01205218/">opération « Tempête décisive »</a>. Celle-ci, qui avait pour objectif principal de renverser l’insurrection des houthistes, va se terminer en avril de la même année avec le <a href="https://www.saudiembassy.net/press-release/operation-decisive-storm-ends-operation-renewal-hope-begins-military-objectives">commencement de l’opération « Restaurer l’espoir »</a>.</p>
<p>Face aux actions de cette alliance, les houthistes peuvent compter sur le <a href="https://lerubicon.org/publication/comment-liran-a-integre-les-houthistes-dans-ses-chaines-mondiales-de-proliferation/">soutien logistique et financier de l’Iran</a>, assistance qui n’a fait que s’accroître avec le temps. Le Yémen est ainsi devenu un territoire d’affrontement de la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2015-3-page-329.htm">rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a> en vue d’accroître leurs influences respectives au Moyen-Orient.</p>
<p>Après sept années de conflit, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/en-sept-ans-la-guerre-du-yemen-aura-cause-la-mort-de-377-000-personnes-d-ici-la-fin-de-l-annee-2021_6103373_3210.html">bilan actuel</a> est estimé à près de 380 000 morts, dont la majorité due à des conséquences indirectes du conflit, telles que la malnutrition et les maladies. Il faut ajouter à cela des millions de déplacés à l’intérieur du pays. Pour les ONG locales et internationales, il s’agit tout simplement d’une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Yemen-sept-ans-dune-guerre-ignoree-2022-03-26-1201207060">« guerre ignorée »</a>.</p>
<h2>La négociation d’une trêve, une lueur d’espoir ?</h2>
<p>La date du 2 avril 2022 marque une avancée majeure en vue d’une pacification du conflit. Depuis ce jour, en effet, une <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20220401-y%C3%A9men-l-onu-annonce-une-tr%C3%AAve-de-deux-mois-entre-les-bellig%C3%A9rants">trêve est entrée en vigueur</a> dans le pays pour une période de deux mois. Annoncée la veille par l’envoyé de l’ONU au Yémen, Hans Grundberg, cette trêve inclut l’arrêt total des combats, l’ouverture des routes maritimes depuis les ports aux mains des houthistes et des liaisons aériennes depuis Sanaa, ainsi qu’un échange de prisonniers.</p>
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<figcaption><span class="caption">Yémen : une trêve de deux mois débute au premier jour du ramadan • FRANCE 24, 2 avril 2022.</span></figcaption>
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<p>De plus, le président Abdrabbo Mansour Hadi, alors en poste depuis 2012 et en exil en Arabie saoudite depuis 2015, a indiqué le 7 avril, lors d’un discours télévisé, transférer ses pouvoirs à un Conseil de direction présidentiel dirigé par Rachad al-Alimi. Cette instance de transition, qui a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/yemen-le-nouveau-conseil-presidentiel-prend-ses-fonctions-dans-le-pays-en-guerre-20220419">pris ses fonctions le 19 avril</a>, aura pour principale tâche de négocier avec les houthistes une issue pacifique au conflit, tout d’abord à travers une prolongation de la trêve.</p>
<p>La <a href="https://arabnews.fr/node/237401/monde-arabe">libération par la coalition saoudienne de 163 prisonniers houthistes</a> effectuée le 6 mai se trouve également être en accord avec la trêve conclue par les belligérants.</p>
<h2>Une situation humanitaire catastrophique</h2>
<p>Dans ce contexte, le Yémen est considéré comme étant l’un des pays les plus pauvres au monde, le plus pauvre du Moyen-Orient. L’ONU estime que désormais plus de 75 % de la population yéménite nécessite de l’aide pour pouvoir vivre décemment, voire même pour juste survivre. La trêve constitue alors un sérieux marqueur d’espoir pour <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220501-yemen-truce-could-help-reverse-humanitarian-crisis-un">faire décroître la crise humanitaire</a> dans le pays.</p>
<p>Pour autant, même si les diverses dispositions de la trêve ont pour impact direct d’améliorer les conditions de vie et l’acheminement des aides, seule une réelle prolongation durable de ce cessez-le-feu et l’attribution d’un montant important de donations internationales pourront permettre au pays de s’éloigner du gouffre. Ainsi, les Nations unies estiment que <a href="https://reliefweb.int/report/yemen/aid-agencies-need-us43-billion-help-173-million-people-yemen-crisis-deteriorates-enar">4,3 milliards de dollars d’aides sont nécessaires</a> pour la seule année 2022 afin d’aider 17 millions de personnes.</p>
<p>La situation actuelle au Yémen reste extrêmement fragile. Son évolution va en grande partie dépendre de l’issue des négociations conduites actuellement en vue de la fin de la trêve prévue le 2 juin. Quoiqu’il en soit, l’Arabie saoudite souhaiterait progressivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/26/guerre-au-yemen-l-arabie-saoudite-veut-profiter-de-la-treve-en-cours-pour-se-desengager-du-conflit_6123673_3210.html">réduire son implication directe</a> dans ce conflit, celle-ci nuisant sérieusement à son image.</p>
<p>Trois principales perspectives à la situation actuelle sont à envisager. La première constituerait à ce que la trêve soit reconduite pour plusieurs semaines ou mois, afin de préparer de réels pourparlers de paix. Le début de ce processus de fin du conflit dès la fin de la trêve actuelle serait l’objet d’une seconde perspective possible. Enfin, la troisième possibilité serait une reprise totale du conflit et l’aggravation certaine d’une situation humanitaire déjà catastrophique dans le pays. Même si la première de ces perspectives est celle actuellement privilégiée, il demeure qu’un rapide retournement de situation est plus que probable dans cette région du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après de longues années de conflit terriblement sanglant (plus de 380 000 morts), les protagonistes de la guerre au Yémen ont signé une trêve. Prélude à une paix pérenne ou simple pause de la guerre ?Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741092021-12-23T20:08:24Z2021-12-23T20:08:24ZIrak : le début d’une embellie ?<p>De par sa diversité ethnoreligieuse et sa position géostratégique, l’Irak se trouve fréquemment au centre de l’actualité internationale. Bordé par la Syrie et la Jordanie à l’Ouest, la Turquie au Nord, l’Arabie saoudite au Sud, et l’Iran à l’Est, l’Irak se situe en plein cœur du Moyen-Orient. Étendu sur 438 000 km<sup>2</sup>, le pays compte actuellement 40 millions d’habitants, répartis entre des populations majoritairement kurdes au Nord, sunnites au centre et chiites au Sud, ces derniers représentant environ 60 % de la population, contre 20 % pour chacun des deux autres groupes.</p>
<p>Le <a href="https://repozytorium.amu.edu.pl/bitstream/10593/24649/1/8Luizard--ConflictsandReligionsTheCaseofSyriaandIraq.pdf">facteur ethnoreligieux</a>, à l’origine de conflits récurrents, joue un rôle clé dans le système politique. C’est selon ce critère que sont réparties les positions clés de l’État : le président de la République doit être kurde, le premier ministre chiite, et le chef du Parlement, sunnite. Ces dispositions sont en vigueur depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, mais ne figurent pas dans la Constitution irakienne actuelle datant de 2005.</p>
<p>Après de nombreuses années marquées par de lourds conflits et des tragédies sanglantes, le pays peut entrevoir en cette année 2021 les premiers signes encourageants d’une réconciliation interne et d’un accroissement de son poids régional.</p>
<h2>La perspective d’un nouveau rôle de l’Irak au Moyen-Orient</h2>
<p>Lors de sa <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-Francois-Irak-voyage-lhistoire-2021-03-07-1201144344">visite historique</a> en Irak en mars dernier, le pape François a adressé un message de paix au pays et à la région. Face aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/05/les-tribulations-des-chretiens-d-irak_6072083_3210.html">crises et conflits</a> auxquels elle a dû faire face, la communauté chrétienne d’Irak, estimée actuellement à environ 400 000 personnes, a vu sa taille diminuée par trois en l’espace de vingt ans. Ce premier voyage d’un pape en <a href="https://www.la-croix.com/Journal/Ninive-berceau-chretien-Mesopotamie-2018-03-31-1100928162">terres de Mésopotamie</a> démontre ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/08/le-message-d-espoir-du-pape-francois-en-irak_6072337_3232.html">l’espoir</a> de l’atteinte prochaine d’un apaisement et d’un développement durable aux niveaux national et régional.</p>
<p>La tenue à Bagdad le <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-bagdad-un-sommet-pour-lirak-et-la-region">28 août dernier</a> d’une Conférence régionale sur la coopération et le partenariat des pays voisins de l’Irak illustre la volonté de l’État irakien de se placer au centre de ce nouveau processus moyen-oriental.</p>
<p>Organisé en la présence d’Emmanuel Macron, du président égyptien, du roi de Jordanie et des ministres des Affaires étrangères turc, iranien et saoudien, ce <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Irak-defis-dun-sommet-regional-historique-2021-08-11-1201170388">sommet historique</a> permet à l’Irak de mettre en avant son importance diplomatique et son image internationale, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de dialogue régional.</p>
<p>Plusieurs événements avaient déjà confirmé la volonté du pays de se poser en possible médiateur dans la région. En avril dernier, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1259133/des-officiels-saoudiens-et-iraniens-se-sont-rencontres-a-bagdad-confirme-un-responsable-irakien.html">rencontre à Bagdad</a> entre des officiels saoudiens et iraniens a permis la tenue des premières discussions à ce niveau entre les deux puissances régionales depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">rupture</a> de leurs relations diplomatiques en 2016. De même, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1266473/premiere-visite-dun-chef-detat-egyptien-en-irak-depuis-des-decennies.html">visite</a> du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en juin dernier a également constitué un événement exceptionnel : jamais un président égyptien ne s’était rendu en Irak depuis trente années.</p>
<p>En matière de lutte contre le terrorisme, les autorités irakiennes, en concertation avec les États-Unis, ont annoncé le 9 décembre dernier la <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20211209-l-irak-officialise-la-fin-de-la-mission-de-combat-des-%C3%A9tats-unis-sur-son-territoire">fin de la mission de combat</a> des forces de la coalition internationale contre Daech. Les quelque 2 500 soldats américains actuellement présents en Irak vont rester sur place pour former et conseiller les forces armées irakiennes. La fin de cette mission marque indéniablement un tournant majeur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : quelle souveraineté ? (<em>Le Dessous des cartes</em>, Arte, 11 décembre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Une situation sécuritaire toujours fragile</h2>
<p>Malgré la multiplication de ces éléments encourageants pour le futur, l’Irak continue à connaître des soubresauts d’ordre sécuritaire liés à l’ingérence étrangère et à la présence continue de groupes terroristes, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/12/PERPIGNA_IBAN/64139">principalement Daech</a>.</p>
<p>En dépit de la proclamation par les autorités irakiennes de leur <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/la-reprise-de-mossoul-signe-la-fin-du-califat-de-Daech-en-irak-153155">victoire face à l’État islamique</a> en 2017, grâce à la restauration de leur souveraineté sur l’ensemble du territoire, ce dernier y est toujours présent et continue d’y mener des actions terroristes. La mort, fin novembre dernier, de cinq combattants kurdes suite à une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/irak-cinq-combattants-kurdes-tues-dans-une-attaque-imputee-a-Daech-20211128">attaque de Daech</a> au nord de l’Irak en est la dernière illustration.</p>
<p>En complément de celle-ci et d’autres, sporadiques, il est à rappeler que le dernier <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Attentat-meurtrier-Bagdad-lEtat-islamique-avance-pions-Irak-2021-07-20-1201167144">attentat important</a> revendiqué par Daech en Irak, qui a fait une trentaine de victimes dans un marché d’un quartier chiite de Bagdad, ne date que du mois de juillet dernier.</p>
<p>En parallèle à la menace de Daech, la présence de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">milices chiites proches du régime iranien</a> accentue continuellement les possibilités de tensions dans le pays, d’autant plus que ces milices exigent le retrait total des forces américaines d’Irak. Des groupes proches de ces factions sont même allés jusqu’à donner sur les réseaux sociaux un <a href="https://www.memri.org/reports/iranian-backed-militias-iraq-declare-ultimatum-us-forces-must-leave-december-31-2021-or">ultimatum jusqu’au 31 décembre</a> pour leur départ. Le <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-12-18/irak/deux-roquettes-tirees-pres-de-l-ambassade-americaine.php">tir de deux roquettes</a> dans la zone de l’ambassade américaine le 19 décembre s’inscrit dans ce climat. Sans provoquer de dégâts, ce type d’attaques contre les intérêts américains et les autorités irakiennes est chose courante ces derniers mois.</p>
<p>La plus grande preuve de la constance de cette instabilité sécuritaire est la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/07/bagdad-le-premier-ministre-irakien-sort-indemne-d-une-attaque-au-drone-piege_6101237_3210.html">tentative d’assassinat</a> qui a visé le premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 novembre. Sa résidence, située dans la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/iraq/baghdad-green-zone.htm">zone verte</a> ultra-sécurisée de Bagdad, a en effet subi l’attaque de trois drones piégés. Un seul d’entre eux a réussi à exploser, blessant six gardes du corps du premier ministre, qui s’en est lui sorti indemne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : le premier ministre visé par une attaque de drone (TV5 Monde, 7 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Condamnée par la plupart des pays étrangers, dont l’Iran et les États-Unis, cette attaque, non revendiquée, s’est déroulée alors que plusieurs centaines de combattants de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-4-page-29.htm?contenu=article">Mobilisation populaire</a>, groupe paramilitaire chiite proche du régime iranien, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">campent aux portes de la zone verte</a> depuis le 19 octobre dernier.</p>
<p>Ces mouvements s’inscrivent dans le contexte de la contestation des résultats des élections législatives qui se sont déroulées le 10 octobre dernier.</p>
<h2>Des élections parlementaires aux conséquences incertaines</h2>
<p>Les élections parlementaires ont vu la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">franche victoire</a> du parti du leader chiite Moqtada al-Sadr, qui a obtenu 73 sièges sur les 329 que comporte le Parlement, soit une nette hausse par rapport aux 54 obtenus en 2018. Il est à signaler le morcellement important du système politique comme conséquence majeure du scrutin, avec les six premiers partis réunis n’obtenant que 208 sièges, soit seulement 63 % du parlement. Les 121 autres sièges ont alors été partagés entre neuf partis ayant eu chacun de 3 à 14 sièges, ainsi que 60 parlementaires élus comme seuls représentants de leurs partis.</p>
<p>Lors de <a href="https://www.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2018/08/10/irak-apres-recomptage-le-nationaliste-moqtada-al-sadr-remporte-les-legislatives_5340992_1667109.html">l’élection précédente</a>, le parti de Moqtada al-Sadr était devenu la première force politique du pays, avec une faible avance de 6 sièges sur le second parti, l’alliance Fatah, branche politique de la Mobilisation populaire. Les élections d’octobre dernier ont confirmé et renforcé la première position du parti de Sadr. Le parti du progrès, créé par le chef du parlement Mohamed al-Halbousi en 2019 et arrivé second, n’a en effet obtenu que 37 sièges. Quant à l’alliance Fatah, qui regroupe les principales factions chiites pro-régime iranien et soutenue par Téhéran, celle-ci n’est arrivée que cinquième avec 17 sièges, soit une baisse de 65 % depuis 2018. La coalition de l’État de droit, dirigée par l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et proche du régime iranien, est quant à elle arrivée troisième avec 33 sièges, suivi par du parti démocratique du Kurdistan (PDK) avec 31 sièges.</p>
<p>Bien que chiite, Moqtada al-Sadr n’est pas proche du régime au pouvoir en Iran. Le succès de son parti aux élections implique donc qu’une partie non négligeable des chiites d’Irak ne fait pas automatiquement allégeance aux autorités iraniennes. Cette part de la population rejoint alors Sadr dans sa <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2010-3-page-73.htm">volonté</a> de mettre en avant la conservation de l’unité territoriale de l’Irak et l’affermissement d’un nationalisme irakien.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">Les résultats électoraux</a> ont été validés par la commission électorale le 30 novembre 2021. Pour autant, la recherche d’un consensus pour la formation d’un nouveau gouvernement ne sera pas une tâche facile, d’autant plus que Sadr désire que celui-ci soit de « majorité », regroupant les principales forces gagnantes de l’élection, et non d’union nationale comme cela était traditionnellement le cas ces dernières années. Ainsi, pour obtenir au minimum le soutien de 165 parlementaires, Sadr devra à la fois négocier avec les Kurdes, à travers le PDK, les sunnites, avec le parti du progrès, et également de plus petits partis ou des indépendants. Il n’est également pas à exclure qu’un compromis soit trouvé avec des éléments de l’alliance Fatah et de la coalition de l’État de droit.</p>
<p>Ces tractations auront également lieu autour de l’élection d’un nouveau président de la République, qui se doit d’être kurde et d’obtenir au minimum deux tiers des votes des parlementaires, sachant que le mandat du président actuel, Barham Salih, se termine en octobre 2022. Ce sera alors à l’actuel ou à ce nouveau président de charger le candidat ayant reçu l’appui de la plus large coalition du Parlement de former un gouvernement.</p>
<p>Il est loin d’être certain que le parti de Moqtada al-Sadr réussisse à se mettre à la tête d’une coalition gouvernementale qui puisse diminuer la place de la religion et de l’influence des puissances étrangères, l’Iran en tête, dans les décisions des autorités irakiennes. Ceci d’autant plus que le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Pierre-Jean-Luizard-La-crise-du-systeme-politique-irakien.html">système politique</a> actuel en Irak, difficilement réformable, reste incapable de résoudre les crises constantes du fait de son fonctionnement communautaire.</p>
<p>Nul doute que l’avenir politique et sécuritaire de l’Irak sera aussi influencé par des aspects économiques. Portée par <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/09/12/27-milliards-pour-un-si%C3%A8cle-de-total-en-irak/">ses ressources pétrolières</a>, dont les réserves sont actuellement les quatrièmes mondiales selon l’OPEP, l’économie irakienne constituera un facteur d’intérêt croissant pour les investisseurs internationaux.</p>
<p>À la vue de l’ensemble de ces éléments, il est certain que les prochains mois seront d’une grande complexité et d’une importance capitale pour l’avenir de l’Irak, pays qui continuera à faire la Une des médias internationaux les années à venir. Il est à espérer que ces mises en avant seront cette fois dues à une actualité positive.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Irak est en passe de réussir à se positionner comme un acteur régional important et indépendant, le pays doit toujours faire face à de nombreuses sources d’instabilité internes.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1631362021-06-22T19:16:28Z2021-06-22T19:16:28ZLes enjeux politiques internes en Iran après l’élection d’Ebrahim Raïssi<p>L’élection au premier tour d’Ebrahim Raïssi, le 18 juin 2021, avec quelque 62 % des suffrages, est <a href="https://www.letemps.ch/opinions/iran-une-victoire-double-tranchant">à double tranchant pour le régime de la République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>D’une part, la fin de la présidence du « modéré » Hassan Rouhani (élu en 2013 et réélu en 2017) signifie que les ultraconservateurs maîtrisent désormais la totalité des leviers du pouvoir, ce qui réduit, en théorie du moins, les risques de mésentente interne ; mais, d’autre part, la mise à l’écart du camp « modéré » prive ces mêmes ultraconservateurs d’un bouc émissaire commode à qui il était possible d’attribuer la responsabilité de toutes les difficultés du pays.</p>
<h2>Un régime uni autour d’une ligne dure</h2>
<p>Avec l’arrivée à la présidence d’Ebrahim Raïssi – un proche du guide suprême Ali Khamenei, qui était jusqu’ici responsable du système judiciaire –, le régime apparaît plus cohérent, dans un contexte d’affaiblissement du pays en raison de la <a href="https://themedialine.org/top-stories/irans-economy-is-closer-than-ever-to-collapse-says-expert/">mauvaise gestion de l’économie rentière</a>, mais aussi de la politique de « pression maximale » <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-01-24/four-years-of-crisis-charting-iran-s-economy-under-trump">mise en œuvre pendant quatre ans par l’administration Trump</a>.</p>
<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter que, lors du <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210606-iran-un-premier-d%C3%A9bat-pr%C3%A9sidentiel-marqu%C3%A9-par-des-accusations-sur-l-%C3%A9conomie">premier débat télévisé du 5 juin 2021</a>, les candidats conservateurs (sept candidats étaient en lice, dont cinq conservateurs, Ebrahim Raïssi étant le grand favori) ont sévèrement critiqué le bilan du président sortant Rouhani, mais se sont bien gardés d’évoquer le rôle des sanctions américaines, qui ont pourtant eu un effet notable sur la détérioration économique du pays.</p>
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<p>Face à l’appauvrissement de la population (<a href="https://iranintl.com/en/iran/statistics-suggest-half-iranians-living-poverty">entre 30 et 50 % de la population iranienne vit désormais sous le seuil de pauvreté</a>), il apparaît nécessaire d’unifier le régime autour d’une ligne dure. Ainsi, du point de vue du bureau du Guide suprême, la première étape a été celle de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-des-legislatives-dominees-par-les-conservateurs-22-02-2020-2363987_24.php">prise de contrôle du Parlement</a> en 2020. Il s’est ensuite agi de garantir la victoire de Raïssi au moyen de l’ingénierie électorale, c’est-à-dire à travers une « sélection » des candidats effectuée par le Conseil des Gardiens, élaborée pour garantir la victoire du candidat Raïssi.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397439503137185792"}"></div></p>
<p>Cette ingénierie électorale en sa faveur est plurifactorielle : elle s’explique, d’abord, par la faillite des modérés qui n’ont pas réussi à attirer durablement les entreprises occidentales dans le cadre de la stratégie globale de la République islamique de refus de toute normalisation diplomatique avec Washington. Cet échec est m’une des raisons pour lesquelles il a été décidé de favoriser la victoire d’un ultraconservateur à la présidence : son accession à ce poste vise à établir un nouveau modèle politico-économique qui n’anticipe pas une normalisation économique avec l’Occident s’inscrivant dans la longue durée.</p>
<p>Cette approche explique en partie l’intensification du tournant vers l’Est (Chine et Russie) de la politique étrangère iranienne à la suite du <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">retrait américain</a> de l’Accord sur le nucléaire en mai 2018.</p>
<p>Enfin, l’élection présidentielle du 18 juin 2021 constitue la fin d’un cycle de deux mandats de la faction « modérée » à la tête du gouvernement. Il était donc logique pour le Conseil des Gardiens et le Guide de construire une sélection favorisant une alternance ultraconservatrice pour éviter les dissensions internes et accompagner la <a href="https://www.arabnews.com/node/1880771">montée en puissance de l’appareil de sécurité</a>.</p>
<h2>Le Guide suprême en première ligne</h2>
<p>Ainsi, la République islamique est désormais moins plurielle et la semi-opposition ne pourra plus être le bouc émissaire des faillites du système (<em>nezam</em>) dans sa globalité.</p>
<p>La victoire du responsable du pouvoir judiciaire annonce sans doute, du fait de la proximité Raïssi-Khamenei, une sorte de co-gestion des affaires du pays. Dès lors, la fonction de Guide suprême sera davantage exposée à la critique populaire : à présent qu’un de ses alliés détient la présidence, Khamenei se retrouve en première ligne. Cette purification idéologique du régime comporte le risque de transformer l’électeur iranien mécontent de l’action de l’exécutif en partisan d’un changement de régime.</p>
<p>Le Guide a exclu des débats de la campagne présidentielle les questions de politique étrangère, arguant que l’électorat iranien est plus préoccupé par le chômage des jeunes, qui s’élève à <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/02/iran-inflation-chomage-des-jeunes-dependance-au-petrole-4-graphiques-sur-la-situation_5236840_4355770.html">plus de 25 %</a>, que par les dossiers internationaux. Un argument d’autant plus discutable que l’économie de la République islamique est très dépendante des fluctuations de la politique iranienne de Washington. Ce déni de la réalité de la vie économique par l’autorité suprême renforce l’hypothèse selon laquelle le système est prêt à payer le prix économique de sa singularité idéologique pour les quatre prochaines années. Pour le président élu, il s’agit donc de ne plus lier le sort économique de la population avec la question de <a href="https://www.farsnews.ir/en/news/14000331000696/Presiden-Elec-Rayeesi-Iran-Prse-All-Inclsive-Balanced-Freign-Plicy">l’insertion de l’Iran dans la globalisation économique</a>.</p>
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<p>Cette nouvelle stratégie des ultraconservateurs s’explique aussi par la faillite du modèle économique promu par les « modérés », qui vise précisément à intégrer la République islamique au sein de la globalisation économique à travers le respect des règles financières internationales. Sous Rouhani, le gouvernement n’a pas pu faire adopter des projets de loi visant à permettre au pays de devenir partie à la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-02-21/financement-du-terrorisme-le-gafi-retablit-toutes-les-sanctions-contre-l-iran">Convention de Palerme contre la criminalité transnationale</a> et à la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/iran-le-parlement-adopte-un-projet-de-loi-contre-le-financement-du-terrorisme-1310032">Convention pour la répression du financement du terrorisme</a> pour sortir durablement de la liste noire du <a href="https://iranintl.com/en/world/fatf-blacklist-damages-iran%E2%80%99s-economy-government-spokesman-reiterates">Groupe d’action financière</a>. Un tel projet semble impossible à réaliser dans le cadre d’un régime politique révolutionnaire, qui n’est pas prêt à accepter la <a href="https://www.fatf-gafi.org/publications/high-risk-and-other-monitored-jurisdictions/documents/call-for-action-february-2020.html">refonte politique qui serait indispensable pour cette adhésion aux normes juridiques internationales dans le domaine financier</a>.</p>
<p>C’est donc un échec pour un modèle politique, celui du camp « modéré », qui cherchait à faire cohabiter deux principes qui apparaissent aujourd’hui irréconciliables : premièrement, le maintien d’une relation d’hostilité idéologique avec Washington et, deuxièmement, un plus grand pragmatisme économique à l’intérieur tout en développant tous azimuts le commerce international de la République islamique.</p>
<h2>Une crise économique et politique vouée à se poursuivre</h2>
<p>Face à la politique de redistribution de la rente chère aux ultraconservateurs, fondée sur l’idée de charité à travers la <a href="https://www.jstor.org/stable/40660904">distribution de subventions à la population</a>, le modèle économique des « modérés », alliant libéralisme économique et autoritarisme politique, a donc touché ses limites.</p>
<p>Le plus grand succès de Rouhani est certes d’avoir été capable de négocier un <a href="https://www.armscontrol.org/factsheets/JCPOA-at-a-glance">compromis diplomatique avec Washington</a> dans le cadre des lignes rouges du régime (c’est-à-dire sans normalisation des relations) et d’être ainsi parvenu à éviter une confrontation militaire directe avec les États-Unis et leurs alliés régionaux. Cependant, le principal échec demeure : l’affaiblissement de la classe moyenne et la multiplication des révoltes des classes populaires. On assiste ainsi, de manière concomitante avec les <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/mouvements-contestation-irak-liban-quelles-consequences-geopolitiques-2020">mouvements sociaux libanais et irakien de l’automne 2019</a>, au retour dans l’espace public d’une nouvelle forme de nationalisme : le patriotisme économique par le bas. Il s’agit d’une <a href="https://www.academia.edu/49319929/La_R%C3%A9publique_islamique_d_Iran_Entre_survie_%C3%A9conomique_et_ambitions_nucl%C3%A9aires">demande</a> de prise en compte de la vie quotidienne de la population avec des revendications relatives au pouvoir d’achat, à la lutte contre la corruption et contre le clientélisme et à une réforme du système politico-économique pour le rendre plus transparent.</p>
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<p>La fin de l’alternance modérés-conservateurs s’explique in fine par l’exclusion des candidats crédibles modérés ayant un poids politique significatif par le Conseil des Gardiens, qui s’appuie désormais sur l’avis des services de renseignement pour sélectionner les candidats. Au-delà de cette évolution institutionnelle, le modèle politique des « modérés » n’a pas permis de garantir un réel développement économique du pays dans le respect des lignes rouges de l’État révolutionnaire iranien. La fin de la présence de la semi-opposition « modérée » au gouvernement permet certes au régime de restaurer son autorité à court terme tout en limitant les effets négatifs de l’expression des divisions internes dans l’espace public. Mais cette clarification idéologique risque de renforcer la crise de légitimité du régime – une crise qui est apparue au grand jour dans l’espace public en 2009 avec l’émergence du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">Mouvement Vert</a>.</p>
<p>La réponse sécuritaire risque de ne pas suffire pour éteindre les foyers de mécontentement, et l’exclusion des modérés par la manipulation en amont du processus électoral traduit plus le une crise politique qu’une dynamique favorable à la résolution des problèmes du pays, spécialement dans le domaine économique. L’impasse du tout-sécuritaire ne pourra pas être masquée par la politique du nouveau président, qui se limitera à une redistribution de la rente aux plus défavorisés et à des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1265694/ebrahim-raissi-ultraconservateur-iranien-en-guerre-contre-la-corruption.html">slogans de lutte contre la corruption</a>. En effet, la relance de l’économie rentière ne pourra pas suffire à réduire le chômage des jeunes, à faire baisser le taux d’inflation (plus de 40 %) ou même à vaincre le <a href="https://iranintl.com/en/iran-economy/iran-near-bottom-transparency-international%E2%80%99s-2020-corruption-index">fléau de la corruption</a>. Les slogans sont en fait plus utilisés pour éliminer les adversaires politiques du nouveau président comme, par exemple, le candidat déchu <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1264983/larijani-demande-les-raisons-de-son-invalidation-en-vain.html">Ali Larijani</a>, que pour résoudre ce problème structurel de l’économie iranienne.</p>
<p><em>Last but not least</em>, le clientélisme risque de se renforcer avec l’augmentation des exportations pétrolières et le développement des partenariats avec la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/27/l-accord-iran-chine-une-victoire-symbolique-pour-teheran-mais-pas-un-tournant_6081631_3232.html">Chine</a> et la <a href="https://portail-ie.fr/analysis/2798/liran-pivote-vers-la-russie-en-matiere-deconomie-et-de-securite-informationnelle">Russie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399608318138720257"}"></div></p>
<p>En conséquence, le sentiment d’un accroissement des inégalités socio-économiques pour la majorité de la population risque aussi de s’accentuer. La faillite des « modérés » ne signifie pas pour autant que la politique économique des ultraconservateurs sera à même de résoudre les maux économiques d’un État dont les élites révolutionnaires placent toujours les déshérités au centre de leur discours politique. Plus de quarante-deux ans après la Révolution, l’appauvrissement du pays traduit l’incapacité économique de la Révolution à traduire en actes ses objectifs politiques. La fin du gouvernement « modéré » et l’explication de la crise économique par les manœuvres d’« ennemis » étrangers risquent de ne pas suffire à faire oublier la responsabilité des principaux décisionnaires – à savoir le Guide et son appareil de sécurité.</p>
<p>Cette nouvelle phase de la vie politique iranienne ouverte avec l’« élection » de Raïssi va renforcer le noyau dur du système autour du clergé ultraconservateur et des Gardiens de la Révolution, au prix d’un fossé grandissant entre ceux de l’intérieur du régime (les <em>khodi</em>) et ceux de l’extérieur (les <em>gheyre khodi</em>) – à savoir, désormais, une large majorité de la population du pays. Autrement dit, si la Révolution est sauvée à court terme, la crise de gouvernance de l’État risque de perdurer sous le mandat présidentiel de Raïssi.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163136/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Therme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant huit ans, la présidence en Iran a été détenue par un « modéré », Hassan Rouhani. Les ultraconservateurs viennent de placer l’un des leurs à ce poste très exposé.Clément Therme, Chargé de cours, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1448272020-08-24T19:10:29Z2020-08-24T19:10:29ZLe Hezbollah, défenseur du statu quo au Liban<p>Le 4 août, une nouvelle tragédie a frappé le Liban. Une explosion d’une ampleur sans précédent dans l’histoire du pays, équivalente à un séisme de magnitude 3,3, a fait plus de 170 morts (libanais, syriens et autres nationalités), plus de 6 000 blessés et 300 000 sans-abri. Des dizaines de personnes restent en outre disparues et des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/explosion-a-beyrouth-les-degats-au-liban-bien-plus-importants-quinitialement-estime-1377832">quartiers entiers de Beyrouth sont dévastés</a>.</p>
<p>Ce drame vient s’ajouter à une situation socio-économique déjà catastrophique du fait de l’éruption de la <a href="https://www.france24.com/fr/20191019-liban-crise-economique-manifestations-taxes-corruption-dollar-penurie-chomage-pauvrete">crise économique en octobre 2019</a> et des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-liban-confinement-couvre-feu_fr_5f3c096cc5b60a9ef33f2b14">effets de la pandémie Covid-19</a>. La proportion des Libanais vivant sous le seuil de pauvreté a atteint les 55 %, tandis que le taux de chômage dépasse les 35 %.</p>
<p>Les médias des pays occidentaux se sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/17/au-liban-le-hezbollah-est-sur-la-defensive-depuis-l-explosion_6049100_3210.html">particulièrement intéressés</a> au rôle du Hezbollah sur la scène politique libanaise lors de ces derniers événements, parmi lesquels le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2841891-20200818-affaire-rafic-hariri-membre-presume-hezbollah-reconnu-coupable-trois-autres-acquittes">verdict</a> du Tribunal spécial pour le Liban dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri – un verdict qui a rassuré le parti islamique chiite puisqu’il s’est soldé par trois acquittements, une seule inculpation et l’affirmation qu’aucune preuve ne permettait d’établir un lien direct entre, d’une part, le Hezbollah et le régime syrien et, d’autre part, l’explosion du 14 février 2005.</p>
<p>Le Hezbollah est présenté par ses détracteurs comme une organisation terroriste et par ses partisans comme un acteur clé de la résistance face à Israël et à l’impérialisme occidental et comme un défenseur des opprimés. Ces descriptions, à bien des égards caricaturales, ne permettent pas de saisir le rôle du Hezbollah dans le champ politique libanais, en particulier depuis le déclenchement du soulèvement de protestation populaire en octobre 2019.</p>
<h2>La défiance du Hezbollah face au soulèvement d’octobre 2019</h2>
<p>Le Hezbollah a adopté depuis le début une attitude de défiance envers le soulèvement populaire massif qui a commencé le 17 octobre 2019 et qui, pour la première fois, a massivement touché les régions à majorité chiite, notamment le sud du Liban et la ville de Baalbek dans la Bekaa. Dans ces régions, le tandem composé du Hezbollah et d’Amal (l’autre grand mouvement chiite libanais), accusé d’avoir empêché le développement socio-économique en imposant des politiques clientélistes et autoritaires, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1195418/a-baalbeck-le-trone-du-hezbollah-a-enfin-ete-secoue-.html">n’a pas été épargné par les manifestants</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1191786/nasrallah-nous-ne-sommes-pas-en-faveur-de-la-demission-du-gouvernement.html">premier discours postérieur à ces événements</a>, Hassan Nasrallah a d’abord accusé les protestataires de plonger le pays dans le chaos et d’être les instruments d’un complot étranger. Il a également offert un soutien inconditionnel au président Michel Aoun, même s’il a par la suite un peu modéré son propos.</p>
<p>Le Hezbollah a mobilisé sa base populaire dans les régions à majorité chiite <a href="https://www.carep-paris.org/publications/papiers-de-recherche/le-hezbollah-face-au-mouvement-populaire-libanais-du-confessionnalisme-comme-regime-de-domination/">pour démontrer qu’il conservait le soutien de sa base</a> et, surtout, pour intimider les manifestants dans différentes localités. Ses membres n’ont pas hésité à attaquer à plusieurs reprises les manifestants à Beyrouth et dans d’autres villes du pays et à menacer plusieurs personnalités et activistes de la contestation. Les supporters du Hezbollah, avec ceux d’Amal, ont multiplié provocations et slogans confessionnels, scandant « chiites, chiites » ou « Nous voulons un nouveau 7 mai », en référence à l’invasion militaire de Beyrouth-Ouest par le Hezbollah et ses alliés en <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/05/31/01003-20080531ARTFIG00042-comment-le-hezbollah-impose-sa-loi-au-liban.php">2008</a>, pour diviser le mouvement de protestation.</p>
<p>À travers ces démonstrations de force, l’objectif principal du duo Hezbollah-Amal était d’étouffer les manifestations en réoccupant les lieux publics dans les régions dominées par ces partis. Le Hezbollah a également cherché à maintenir ses alliances politiques avec des mouvements dénoncés par les manifestants pour leur corruption, en particulier Amal et le Courant patriotique libre de Michel Aoun.</p>
<h2>Après l’explosion : maintenir à tout prix le système confessionnel</h2>
<p>À la suite de la tragédie du 4 août, tous les partis politiques dominants ont nié toute connaissance et/ou responsabilité dans la gestion du nitrate d’ammonium stocké dans le hangar du port, y compris le Hezbollah. Le journaliste libanais Riad Kobeissi, qui travaille depuis des années sur la corruption liée aux activités portuaires à Beyrouth, a cependant <a href="https://www.opendemocracy.net/en/north-africa-west-asia/lebanons-deadly-blast-when-corruption-turned-into-carnage/">démontré</a> que toute la structure du port et sa gestion, ainsi que l’inspection des douanes, se trouvent entre les mains de personnalités affiliées aux acteurs dominants du système politique libanais : le Courant patriotique libre, d’Amal, du Hezbollah et du Courant du Futur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1295388679330881536"}"></div></p>
<p>Rappelons que la représentation politique au Liban est organisée aux plus hauts échelons de l’État selon des critères confessionnels. Les postes au sein des institutions publiques, en particulier les plus élevés, sont également distribués en fonction de lignes confessionnelles et partisanes. Le système confessionnel au Liban (comme le confessionnalisme plus généralement) est l’un des principaux instruments utilisés par les partis confessionnels dominants pour renforcer leur contrôle sur les classes populaires, en les maintenant subordonnées à leurs chefs confessionnels.</p>
<p>Le président Michel Aoun et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont <a href="https://www.letemps.ch/monde/president-libanais-rejette-toute-enquete-internationale">refusé toute enquête internationale sur la tragédie du 4 août</a> en invoquant la défense de la souveraineté nationale. Les deux hommes souhaitent que l’enquête soit conduite par l’armée libanaise… laquelle est dominée en grande partie par leurs partis. Derrière ce choix, on devine évidemment la volonté d’empêcher que les vrais responsables, tous issus des partis dominants, soient pointés du doigt, de même que le système politique libanais dans son entier, et en particulier les mécanismes de distribution des postes au sein de l’administration publique qui, on l’a dit, suivent des logiques confessionnelles et partisanes.</p>
<p>En tout cas, les autorités libanaises, qui avaient promis que les premiers résultats de l’enquête seraient dévoilés dans un délai maximal de cinq jours, n’avaient toujours donné aucune indication au public plus de deux semaines après l’explosion.</p>
<h2>Le Hezbollah et les réformes néolibérales</h2>
<p>Un grand nombre de chefs d’État internationaux et régionaux ont officiellement apporté leur soutien à la population libanaise à la suite de la catastrophe du 4 août. Une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/conference-internationale-de-soutien-et-d-appui-a-beyrouth-et-au-peuple">visioconférence sur le Liban</a>, organisée à l’initiative du président français Emmanuel Macron et réunissant les représentants d’une trentaine de pays, occidentaux et arabes, à laquelle ont également pris part des représentants du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de la Banque européenne d’investissement (BIRD), a abouti à un accord sur une assistance d’urgence au Liban à brève échéance, pour un total de 252,7 millions d’euros.</p>
<p>Mais comme dans bien des crises, les États et les institutions monétaires internationales considèrent ces moments comme des occasions de promouvoir et d’approfondir les dynamiques néolibérales, notamment l’extension de l’économie de marché à divers secteurs économiques jusqu’ici dominés par les secteurs étatiques. Ainsi, d’autres types d’aides et versements, de plusieurs milliards de dollars, également prévus par ces groupes d’États et institutions, sont <a href="https://www.france24.com/fr/20191211-paris-conditionne-l-aide-internationale-au-liban-%C3%A0-la-mise-en-place-d-un-gouvernement-r%C3%A9formateur">conditionnés</a> à la mise en œuvre de « réformes institutionnelles ».</p>
<p>Emmanuel Macron et la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, ont par exemple souligné qu’il était « essentiel » de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/le-fmi-appelle-le-liban-a-sortir-de-l-impasse-sur-les-reformes_AD-202008060161.html">« sortir de l’impasse »</a> dans laquelle se sont retrouvées les <a href="http://backend.institutdesfinances.gov.lb/wp-content/uploads/2020/06/Le-point-sur-l%E2%80%99%C3%A9volution-des-discussions-entre-le-Liban-et-le-FMI.pdf">discussions entre le Liban et le FMI</a> entamées à la mi-mai 2020. Pour cela, il convient selon le président français et Mme Georgieva d’appliquer des réformes dont la mise en œuvre a été érigée en condition préalable à tout déblocage d’aides financières aussi bien de la part du FMI – que le Liban a officiellement sollicité à cette fin début mai – que de l’ensemble des soutiens internationaux du pays, notamment des participants à la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018">conférence de Paris d’avril 2018 (programme CEDRE)</a>, qui ont réservé plus de 11 milliards de dollars en prêts et dons pour le Liban. En échange de ces milliards de dollars, le gouvernement libanais doit s’engager à développer les partenariats public-privé, à réduire le niveau de la dette et à imposer des <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/le-liban-en-defaut-de-paiement-confronte-au-defi-des-reformes-6770488">mesures d’austérité</a>.</p>
<p>Tous les partis politiques confessionnels dominants sont d’accord sur ces mesures, y compris le Hezbollah. Le gouvernement d’union nationale libanais composé de tous ces partis, y compris du Hezbollah, et mené par Saad Hariri avant sa démission à la suite du déclenchement du mouvement de protestation populaire en octobre 2019, avait d’ailleurs prévu la fusion ou la suppression de certaines institutions publiques et la <a href="https://theconversation.com/lelectricite-un-enjeu-clef-de-la-crise-libanaise-144217">privatisation du secteur de l’électricité</a>, dans le cadre de son plan budgétaire 2020.</p>
<p>De même, le Hezbollah ne s’est pas opposé à la demande du précédent gouvernement, conduit par le premier ministre Hassan Diab, de faire appel au FMI en mai 2020 pour un plan de « sauvetage » face à la crise économique.</p>
<h2>Le Hezbollah contre tout changement radical</h2>
<p>Quelques jours après l’explosion du 4 août, des manifestations massives ont eu lieu à Beyrouth pour exiger le jugement des responsables de la tragédie, le renversement du gouvernement et la destitution de la Chambre des députés et du président Michel Aoun.</p>
<p>Les forces de l’ordre, et la milice du Parlement, liée au président de la Chambre des députés Nabih Berri, ont <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/08/20/tentative-de-meurtre-la-colere-des-libanais-apres-lexplosion-decuplee-par-la-repression">violemment réprimé les manifestants</a>, y compris en tirant à balles réelles. Il y a eu plusieurs centaines de blessés et des dizaines d’arrestations.</p>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/10/le-premier-ministre-libanais-hassan-diab-annonce-la-demission-de-son-gouvernement_6048624_3210.html">démission du gouvernement d’Hassan Diab le 10 août</a> n’a pas calmé le mouvement de protestation. Nombre de Libanais exigent toujours de voir les responsables du drame du 4 août traduits en justice, réclament des comptes pour la négligence de l’État et demandent un changement radical. Or les partis confessionnels dominants cherchent déjà à contrôler les prochaines étapes.</p>
<p>Quelques heures après la démission d’Hassan Diab, Nabih Berry s’est par exemple entretenu avec le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, ainsi qu’avec Hussein Khalil, le bras droit d’Hassan Nasrallah. Était également présent l’ancien ministre Ali Hassan Khalil, conseiller politique de M. Berry. Les participants se seraient entendus sur le refus d’un gouvernement neutre et sur la mise en place d’un gouvernement d’entente nationale et de la tenue de législatives anticipées. Hassan Nasrallah, dans son <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-nasrallah-pour-un-gouvernement-de-partis-traditionnels-20200814">discours</a> du 14 août, a d’ailleurs réitéré son souhait de voir la formation d’un gouvernement d’union nationale et accusé les manifestants de mener le pays vers la guerre civile en voulant renverser l’État et le président Aoun.</p>
<p>Le jeudi 13 août, les principales forces politiques libanaises au Parlement ont <a href="https://www.laprovence.com/article/france-monde/6076532/liban-le-parlement-doit-enteriner-letat-durgence-a-beyrouth-sinistree.html">entériné l’état d’urgence</a>, qui avait été décrété le 5 août. Cela donne au « pouvoir militaire suprême », pendant cette période – jusqu’au 21 août avec possibilité de prolongation dans le cas présent –, l’autorité sur l’ensemble des forces de sécurité du pays et la responsabilité de maintenir l’ordre. Durant l’état d’urgence, l’armée libanaise peut donc procéder à des arrestations sans avoir recours à la justice, limiter la liberté de la presse et des médias, interdire les rassemblements, etc. Mettre fin aux manifestations populaires est en effet une priorité pour les partis dominants.</p>
<p>Le Hezbollah, comme les autres formations confessionnelles, perçoit le mouvement populaire comme une menace existentielle et s’oppose à ses demandes de changement radical. Le Hezbollah ne propose aucune vision politique contestant le système économique néolibéral ou le système confessionnel. Au contraire, il considère ce système comme un moyen de servir ses propres intérêts.</p>
<p>Aucun changement radical ne pourra avoir lieu sans une rupture avec le système confessionnel néolibéral, ses élites dominantes et ses sponsors étrangers. Le Hezbollah n’est pas une exception et est inclus dans le slogan de l’Intifada libanaise <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/tous-ca-veut-dire-tous">« Tous, ça veut dire tous »</a>, qui remet en cause <em>tous</em> les partis confessionnels dominants, jugés responsables de la misère sociale et économique du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144827/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph Daher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un Liban balayé par une puissante vague de protestation populaire, le Hezbollah cherche à tout prix à maintenir le système existant, fondé sur le confessionnalisme.Joseph Daher, Maitre de conférences, faculté sciences sociales et politiques, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1351102020-03-30T19:03:46Z2020-03-30T19:03:46ZLa République islamique d’Iran face au défi sanitaire<p>Si les autorités de Téhéran ont décidé au début de l’année iranienne 1399 (depuis le 20 mars 2020) d’<a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-iran-des-mesures-difficiles-en-vue-pour-la-population-annonce-rohani-6791070">intensifier leurs efforts</a> pour relever le défi sanitaire auquel le pays est confronté, la République islamique semble avoir été, depuis le début de l’épidémie, dans une stratégie de réaction face aux alertes de la société civile plutôt que d’anticipation des risques. </p>
<p>Selon les chiffres officiels, le 30 mars 2020, le Covid-19 touche désormais <a href="https://www.journaldequebec.com/2020/03/30/pandemie-de-coronavirus-le-bilan-officiel-monte-a-2757-morts-de-la-covid-19-en-iran">plus de 40 000 personnes en Iran</a>, le nombre de décès s’élevant à 2 757. L’annonce de restrictions dans les déplacements et de l’affectation de 20 % du budget de l’État à la lutte contre le virus <a href="https://www.lepoint.fr/monde/en-iran-une-crise-de-confiance-entre-regime-et-population-24-02-2020-2364172_24.php">ne feront pas oublier</a> la lenteur de la réaction initiale pour préserver les manifestations de commémoration de l’anniversaire de la Révolution (11 février 2020) et pour organiser le premier tour des élections législatives (21 février 2020).</p>
<h2>Dissensions internes</h2>
<p>Il faut toutefois souligner que, au cours des premières semaines, un <a href="https://www.challenges.fr/societe/le-nouveau-coronavirus-rouvre-le-debat-entre-science-et-religion-en-iran_701199">débat a eu lieu au sein du clergé chiite iranien</a> sur l’impératif de fonder la politique de santé sur des critères scientifiques, et sur la nécessité de donner la priorité à la politique sanitaire par rapport à l’idéologie politico-religieuse. Là aussi, on a vu que l’État était en retard par rapport à une société civile dont les exigences en termes de politique de santé sont fondées sur des critères scientifiques et non des croyances religieuses.</p>
<p>Se pose par ailleurs le problème de la fiabilité des statistiques, ce qui s’explique par la politisation des questions de santé et par les luttes de pouvoir internes à la République islamique qui grèvent la capacité du système (Nezam) à répondre de manière efficace et cohérente à une crise sanitaire de cette ampleur.</p>
<p>De plus, il existe une dimension de propagande interne et externe à cette crise sanitaire dont les dimensions sont à la fois locales, nationales, régionales et globales. On retrouve sur la question du Covid-19 la guerre des récits qui oppose l’Iran aux États-Unis depuis plus de quarante ans. Il y a donc un double problème de fiabilité s’agissant de la situation en Iran : fiabilité des chiffres, d’abord, des sources médicales en Iran estimant que les [chiffres officiels des décès causés par l’épidémie seraient inférieurs à la réalité][businessinsider.fr/us/iran-coronavirus-covid19-deaths-cases-updates-2020-3] ; fiabilité de la présentation des événements, ensuite, en raison de l’inscription de la politique de santé dans le cadre de la propagande de Téhéran, qui fait sans cesse référence aux martyrs de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et accuse l’Administration Trump d’utiliser l’épidémie pour affaiblir la République islamique.</p>
<p>Ainsi la République islamique présente-t-elle les personnels de santé comme les héritiers des combattants de la guerre Iran-Irak et leur confère le rôle de nouveaux sauveurs de l’Iran. Quant à la théorie du complot promue par le guide Khamenei, qui met en avant la prétendue responsabilité américaine dans la création du virus, on observe ici des similarités avec la version officielle chinoise : le virus serait, selon ces perceptions, un <a href="https://www.lepoint.fr/monde/virus-l-iran-dit-se-mefier-des-intentions-des-charlatans-de-washington-22-03-2020-2368224_24.php">moyen géopolitique pour Washingtonn d’affaiblir ses rivaux</a>…</p>
<h2>L’Iran et l’aide internationale</h2>
<p>Le problème est que ce climat de confrontation médiatique a des effets sur la capacité de l’Iran à bénéficier de la coopération internationale pour combattre la pandémie. En effet, du fait de ces théories complotistes, la République islamique refuse toute aide américaine – en principe du fait de la nature hostile des actions américaines. Téhéran a même créé des complications pour le déploiement d’une équipe de l’ONG Médecins sans frontières en Iran, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/24/coronavirus-le-regime-iranien-rejette-finalement-l-assistance-de-msf_1782906">accusant MSF d’être une « force étrangère »</a>. Il y a donc des contradictions apparentes dans la vision qu’ont les autorités iraniennes de la nécessité ou non de recourir à l’aide internationale.</p>
<p>D’un côté, le gouvernement de Rohani appelle à la coopération pour relever le défi sanitaire : <a href="http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200312-coronavirus-iran-demande-aide-fmi-lev%C3%A9e-sanctions">demande d’un prêt au FMI</a>, demande de l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Union européenne, acceptation de l’aide de MSF, demande d’une levée des sanctions américaines. Ces demandes de Rohani ont peu de chance d’aboutir au niveau du FMI, par contre l’Union européenne soutient l’idée d’une coopération avec l’Iran dans cette crise sanitaire. Mais ces obstacles externes ne sont pas les seuls que doit surmonter le gouvernement Rohani. En effet, le Guide suprême et les Gardiens de la Révolution dénoncent les influences étrangères et le risque d’infiltration si l’Iran s’ouvre à l’aide internationale.</p>
<p>Dans ce contexte délétère, c’est la question de la survie économique du pays qui est posée. Rappelons que l’Iran a connu une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/leconomie-iranienne-subit-une-recession-severe-1160187">récession de près de 10 % en 2019</a>. En conséquence, les hésitations du gouvernement sont d’abord liées à ces préoccupations économiques alors que pour le Guide et les Gardiens de la Révolution les questions identitaires et les principes politico-religieux doivent être déterminants dans la définition des priorités sanitaires du pays.</p>
<p>Le résultat de ces dissensions est la mise en œuvre d’une politique confuse et erratique de gestion du désordre. Dans ces circonstances, il est difficile d’imaginer comment un ordre sanitaire stable et pérenne pourrait être établi.</p>
<p>On retrouve cette même division sur la question de la relation entre science, superstition et religion. Le gouvernement aurait voulu donner la priorité aux questions sanitaires au détriment des principes religieux mais dans un régime théocratique il a fallu attendre de nombreuses semaines pour parvenir à l’annulation des prières du vendredi, à la fermeture des principaux lieux de pèlerinage et, finalement, à la mise en quarantaine des villes du pays. C’est pourquoi un mouvement émerge de la société civile, illustré notamment par <a href="https://twitter.com/VOAIran/status/1241104434312208384">cette vidéo</a> où le père de Pouya Bakhtiari, tué lors des manifestations de novembre 2019, exige que les priorités politiques de l’Iran soient déterminées sur des fondements scientifiques et non sur l’idéologie politico-religieuse.</p>
<h2>La dimension régionale de la crise sanitaire iranienne</h2>
<p>Cette crise de crédibilité interne a aussi une dimension régionale pour l’Iran, qui est perçu par les pays voisins comme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/19/coronavirus-au-moyen-orient-la-crainte-du-foyer-iranien_6033621_3210.html">l’un des principaux foyers de diffusion du virus</a>. On note que l’Arabie saoudite et le Royaume du Bahreïn ont désigné la République islamique comme responsable de la propagation du virus dans leur pays. Manama a même <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/03/bahrain-accuses-iran-biological-aggression-covid-2019-200312165334964.html">accusé Téhéran d’« agression biologique »</a>. À l’inverse, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Sultanat d’Oman privilégient la voie de la coopération avec l’Iran sur cette question. Le risque le plus important est pour les sociétés irakienne et afghane en raison des liens multiples qui unissent leurs populations avec l’Iran et de la faiblesse de leurs systèmes de santé respectifs.</p>
<p>Ce défi sanitaire est donc aussi un rappel : les liens entre les sociétés de la région ne se réduisent pas aux fractures géopolitiques régionales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Therme a reçu des financements de ANR VULPAN. </span></em></p>L’Iran est l’un des pays les plus sévèrement frappés par l’épidémie de Covid-19, en bonne partie à cause des dissensions internes qui opposent le gouvernement aux religieux.Clément Therme, Chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Nuclear Knowledges » du Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1309132020-02-04T19:50:48Z2020-02-04T19:50:48ZAprès la mort de Soleimani, peut-on mettre un terme aux guerres au Moyen-Orient ?<p>Dans les jours qui ont suivi la disparition de Ghassem Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, des <a href="https://www.ft.com/content/4d0e4e78-2df1-11ea-a126-99756bd8f45e">commentateurs</a> ont voulu voir dans cet acte l’annonce d’une <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-dangers-posed-by-the-killing-of-qassem-suleimani">possible guerre au Moyen-Orient</a>. Ce discours, parfois combiné à un éloge de la stabilité que l’action contre le chef de guerre iranien aurait mise en péril, tend quelque peu à faire oublier ce qu’est la région aujourd’hui.</p>
<h2>Une région en état de guerre depuis des années</h2>
<p>Au cours des neuf dernières années, la guerre en Syrie a fait plus de <a href="https://www.nytimes.com/2018/04/13/world/middleeast/syria-death-toll.html">500 000 morts</a> ; celle au Yémen s’est traduite par <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/oct/31/death-toll-in-yemen-war-reaches-100000">plus de 100 000 victimes</a> ; l’Irak est loin d’être pacifié et la Libye encore moins.</p>
<p>Il faut ajouter à ce tableau la poursuite de manifestations d’ampleur en Iran, où la répression, en décembre, a entraîné la <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-protests-specialreport/special-report-irans-leader-ordered-crackdown-on-unrest-do-whatever-it-takes-to-end-it-idUSKBN1YR0QR">mort d’environ 1 500 personnes</a> ; les <a href="https://www.nbcnews.com/news/us-news/hundreds-injured-lebanon-amid-continued-crackdown-beirut-protests-n1118621">mouvements de protestation au Liban</a> continuent ; et les <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fworld%2fmiddle_east%2fegypt-expands-its-crackdown-to-target-foreigners-journalists-and-even-children%2f2019%2f10%2f30%2fd83ef1ae-f1a2-11e9-b2da-606ba1ef30e3_story.html%3f">violations des droits de l’homme en Égypte</a> se sont encore accrues en 2019. En outre, <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20190702-us-experts-Daech-not-defeated-despite-losing-territory-in-iraq-syria/">Daech aussi est loin d’être vaincu</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, les guerres – aux dimensions simultanément civile et extérieure – ne sont pas une réalité future, mais un fait présent. Les premières victimes en sont les civils.</p>
<p>Les « récits » sur la stabilité – qu’on ne confondra pas avec la désescalade – paraissent courts, quand ils ne visent pas à conforter les régimes autoritaires et leurs parrains. Si le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2020/01/qassem-solemani-iran-response-hezbollah-hamas/604849/">fait de tuer Soleimani</a> n’est <a href="https://theconversation.com/elimination-de-ghassem-soleimani-une-dangereuse-escalade-dans-la-politique-americaine-dassassinats-cibles-129308">pas un acte légal</a> et si l’on peut discuter de son opportunité, les <a href="https://www.aljumhuriya.net/en/content/soleimani-syria-legacy-death-and-devastation">massacres que le général a supervisés</a> et les <a href="https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2020/01/qasem-soleimani-brutalised-middle-east-bloodshed-far-over">actions de déstabilisation qu’il a engagées</a> en Irak, en Syrie et au Liban <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/05/soleimani-death-huge-blow-to-iran-plans-for-regional-domination">ne font l’objet d’aucun doute</a>. </p>
<p>Ces faits ont été justement <a href="https://fr.franceintheus.org/spip.php?article9512">rappelés par la France</a>. Certains se sont inquiétés d’une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/araud-que-signifie-l-assassinat-de-soleimani-par-les-americains-06-01-2020-2356261_2.php">guerre plus qu’improbable</a> entre les États-Unis et l’Iran, mais nul ne peut considérer qu’il convient de laisser le Moyen-Orient dans l’état où il se trouve aujourd’hui. Il est trop aisé, aussi, d’estimer que la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/01/12/liran-a-deja-gagne-sa-guerre-dirak-contre-les-etats-unis/">mort de Soleimani entérinerait la victoire de l’Iran</a>.</p>
<p>Les menées déstabilisatrices de l’Iran comme de la Russie exigent une réponse et une stratégie que nul n’a aujourd’hui formulées. La stabilisation, devant des acteurs qui œuvrent dans le sens contraire, n’est pas une politique car elle signifierait l’acceptation du fait accompli et de leur emprise. Une intervention massive n’est pas plus souhaitable. Dès lors, que faire ?</p>
<h2>Peut-on sauver l’Irak ?</h2>
<p>L’Irak est dans un état de quasi-conflit permanent depuis quarante ans : guerre Iran-Irak (1980-1988, plus d’un million de victimes et utilisation d’armes chimiques par Saddam Hussein), première guerre du Golfe (1990-1991), intervention américaine (2003-2011) et guerre civile (2006-2008), seconde guerre civile à partir de 2011 et apparition de l’État islamique (2013), formation de la coalition anti-Daech (2014), nouvelles manifestations durement réprimées en 2019 (<a href="https://news.un.org/en/story/2019/12/1052641">plus de 400 morts</a>), etc.</p>
<p>Au cours des dernières périodes, les milices irakiennes chiites – principalement les forces de mobilisation populaire soutenues par l’Iran sous l’autorité de Soleimani – ont joué un rôle déterminant dans le contrôle du pays, le <a href="https://www.wsj.com/articles/the-sinister-genius-of-qassem-soleimani-11578681560">général de la force Al-Qods ayant d’ailleurs également favorisé certains éléments sunnites</a>. Un temps considéré comme l’incarnation du courant chiite anti-iranien, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1203657/moqtada-sadr-a-lassaut-de-la-revolution.html">Moqtada al-Sadr paraît désormais jouer la carte de Téhéran</a> comme en témoigne la manifestation qu’il a organisée le 24 janvier 2020 contre la présence américaine.</p>
<p>Toutefois, tous les chiites irakiens sont loin de prêter allégeance à Téhéran. <a href="https://time.com/5723831/iraq-protests/">Lors des dernières manifestations</a> en Irak, on a vu, à l’instar du Liban, apparaître une volonté de <a href="https://www.france24.com/en/20200120-iraq-protesters-battle-security-forces-in-bid-to-shut-baghdad-streets">lutter contre le régime dans toutes ses composantes</a> et de bannir la division sectaire chiites/sunnites en <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-middle-easts-great-divide-is-not-sectarianism">large partie imposée de l’extérieur</a> et <a href="https://tcf.org/content/report/waning-relevance-sunni-shia-divide/">qui ne correspond que très imparfaitement aux conflits réels</a>.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/why-the-caliphates-fall-is-a-milestone-but-not-the-end-for-isis">après la chute de Mossoul et de Raqqa</a>, Daech a <a href="https://syriadirect.org/news/with-new-tactics-and-targets-isis-demonstrates-resilience-in-syria-interactive-map/">changé de tactique de combat</a> en <a href="https://www.mei.edu/sites/default/files/2018-11/PP10_Hassan_ISISCT.pdf">se fondant dans la population</a>.</p>
<p>L’Irak n’est jamais sorti de ses divisions. Son président et son premier ministre ne contrôlent pas réellement l’ensemble du territoire, <a href="https://warontherocks.com/2019/11/a-state-with-four-armies-how-to-deal-with-the-case-of-iraq/">ni même l’ensemble des forces armées</a>. La <a href="https://www.transparency.org/country/IRQ">corruption</a> y est l’une des plus élevées du monde, rendant le pays <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lirak-peut-il-devenir-un-lieu-sur-pour-les-investisseurs-internationaux-1029811">impropre à recevoir des investissements</a> étrangers significatifs, et la pauvreté <a href="https://thearabweekly.com/poverty-resentment-corruption-among-engines-continuing-protests-iraq">atteint plus d’un cinquième de ses habitants</a>.</p>
<p>Les États-Unis, depuis la chute de Saddam Hussein, n’ont jamais eu une <a href="https://www.csis.org/analysis/americas-failed-strategy-middle-east-losing-iraq-and-gulf">stratégie cohérente pour le pays</a>. Le premier dilemme est le suivant : d’un côté, au-delà de la lutte contre Daech, un départ complet des forces américaines laisserait le champ libre à l’Iran ; de l’autre, devant le slogan répété « ni Iran, ni États-Unis », l’Amérique doit montrer qu’elle peut être un élément de sécurité et de bonne administration. Est-ce encore possible ? Le passif de Washington est trop lourd et la <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2020/01/12/iran-middle-eastern-problem-soleimani-figured-out-097350">diffusion de l’influence iranienne</a>, fût-elle rejetée par une majorité, semble trop profonde. D’où un second dilemme : au-delà de la tendance au désengagement de Donald Trump, une présence militaire forte de l’Amérique paraît peu acceptable pour la population, mais une assistance à la marge est condamnée à ne produire aucun effet.</p>
<h2>La Syrie au cœur de notre abandon</h2>
<p>En Syrie, l’Iran, mais aussi la Russie, agissent en terrain conquis en raison de leur appui au régime Assad qui, sans eux, se serait effondré en 2015 – d’où le <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-soleimani-insigh/how-iranian-general-plotted-out-syrian-assault-in-moscow-idUSKCN0S02BV20151006">plaidoyer de Soleimani auprès de Poutine</a> pour une intervention. Au-delà de leur <a href="https://www.mei.edu/publications/russia-iran-and-competition-shape-syrias-future">concurrence dans la prédation des richesses du pays</a>, Moscou et Téhéran ont le même intérêt en termes de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_fr_5c931dbee4b0da33837f0675">déstabilisation de la région et de destruction des normes internationales</a>. Les différences sont aussi tangibles : les crimes de guerre commis par Assad et ses alliés sont sans comparaison. La guerre y est ouverte et permanente.</p>
<p>Autant la situation en Irak rendait une nouvelle intervention d’ampleur infaisable politiquement et militairement, autant en Syrie, après les attaques chimiques contre la Ghouta, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">pendant le siège d’Alep</a>, voire aujourd’hui, une action pour éviter les massacres du régime était possible. Nous aurions pu non seulement sauver des centaines de milliers de vies, mais aussi mettre un terme aux opérations de la Russie et de l’Iran. Nous avons abandonné les civils, mais également <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/sommes-nous-trop-laches-pour-mettre-fin-a-la-guerre-dextermination-dassad-et-poutine-en-syrie_fr_5e060cb5e4b0843d36058f98">renoncé à toute politique de dissuasion</a> et refusé de prendre au sérieux les menaces stratégiques posées par ces pays. Nous avons laissé ces influences prospérer au cœur du Moyen-Orient sans en mesurer les conséquences d’ensemble.</p>
<h2>S’engager pour le Liban</h2>
<p>Le Liban est le champ d’affrontements liés à un récit sectaire qui a donné lieu à une guerre civile (1975-1990) dont le bilan oscille entre 130 et 200 000 victimes civiles. Les affrontements comme les attentats n’y ont jamais entièrement cessé. Si le Liban n’est plus le quasi-protectorat syrien qu’il fut jusqu’au milieu des années 2000, les <a href="https://thearabweekly.com/syria-political-influence-beats-odds-again-lebanon">liens avec le régime Assad persistent dans une partie de la classe politique</a>.</p>
<p>Les accords de partage du pouvoir – et des ressources – entre chrétiens et chiites liés au Hezbollah soutenu par l’Iran ont montré leur fragilité et se sont traduits par une impasse politique et économique. Le Liban continue d’être soumis à des influences extérieures et n’est pas parvenu à s’en émanciper. Les protestations actuelles ont traduit, en même temps que l’écœurement devant la corruption, la <a href="https://carnegie-mec.org/2019/11/10/for-emergency-economic-rescue-plan-for-lebanon-pub-80307">crise économique</a> et la faillite du gouvernement, une <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/manifestations-au-liban-les-raisons-de-la-colere">envie d’unité et de fierté nationale retrouvées</a>. Ce sentiment prévaut dans l’ensemble des « communautés », y compris chez les chiites.</p>
<p>Au-delà des rivalités prédatrices des clans au pouvoir, la seule effective « stabilisation » du Liban ne peut provenir que d’un combat contre les ingérences étrangères, en particulier de l’Iran et de la Syrie. Le renforcement définitif du régime de Damas grâce à ses parrains pourrait avoir des conséquences sur l’existence du Liban en tant qu’État indépendant. Les États occidentaux ne semblent pas savoir comment agir devant la crise qui sous-tend le pays, la plupart de leurs contacts anciens paraissant promis à un retrait de la scène politique. Or, s’ils abandonnaient le Liban comme ils ont lâché la Syrie, ils subiraient une défaite stratégique supplémentaire en laissant le contrôle du pays à des régimes hostiles à nos valeurs et menaçants pour notre sécurité.</p>
<h2>La stratégie au Moyen-Orient commence par les récits</h2>
<p>S’il fallait rappeler la situation dans ces trois pays, c’est d’abord pour montrer que l’Iran est, depuis longtemps, le facteur majeur de déstabilisation de la région. Il faut y ajouter le Yémen où les Houthis, pourtant membres à l’origine de la <a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1381963-yemen-la-guerre-actuelle-n-est-pas-un-conflit-chiites-sunnites-c-est-plus-complexe.html">secte zaydite en rupture avec le chiisme iranien</a>, se sont de plus en plus tournés vers Téhéran, le jeu des puissances régionales et l’absence de stratégie de l’Occident ayant <a href="https://theconversation.com/yemen-strategie-de-lurgence-lurgence-dune-strategie-98862">exporté dans ce pays un conflit sectaire qui lui était étranger</a>. Cette déstabilisation définit la <a href="https://www.iiss.org/publications/strategic-dossiers/iran-dossier/iran-19-03-ch-1-tehrans-strategic-intent">stratégie du régime iranien, qui y a consacré des ressources considérables</a>. En Syrie, la Russie y a vu un élément concordant avec la sienne.</p>
<p>Un autre récit, empruntant à un <em>whataboutisme</em> devenu commun, met en avant le danger représenté par l’Arabie saoudite plutôt que sur celui de Téhéran. Or, autant il importe de condamner les <a href="https://www.france24.com/fr/20190903-yemen-crimes-guerre-arabie-saoudite-rapport-experts-onu-condamnation-tribunal">crimes de guerre de Riyad au Yémen</a>, la <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fworld %2f2019 %2f11 %2f26 %2fsaudi-arabias-crackdown-dissent-keeps-going-here-are-latest-arrests %2f %3f">répression sans fin de ses dissidents</a>, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/23/cinq-condamnations-a-mort-prononcees-a-l-encontre-des-meurtriers-de-khashoggi_6023872_3210.html">assassinat barbare de Jamal Khashoggi</a> et le financement par <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/comment-le-salafisme-d-arabie-saoudite-gangrene-l-islam-des-balkans_1911343.html">certains réseaux wahhabites du salafisme en Europe</a>, autant il n’existe pas d’expansionnisme régional et de volonté de déstabilisation du Moyen-Orient de la part du Royaume.</p>
<p>On doit plutôt craindre, <a href="http://www.slate.fr/story/170586/arabie-saoudite-confiance-politique-internationale">comme nous l’avions souligné</a>, une absence de stratégie et de vision globale qui empêche de considérer Riyad comme un allié conséquent, y compris pour contrer Téhéran. Les <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/bashar-al-assad-and-the-greater-arab-world/">déclarations accommodantes du Prince héritier envers Assad</a>, déterminées par sa hantise du Printemps arabe, en sont l’un des signes.</p>
<p>Dès lors, une <em>pax persica</em> ne signifierait en rien une « stabilisation », mais au contraire la poursuite d’un chaos dont profiteraient sur le plan stratégique la Russie, la Chine et Daech. Elle rendrait aussi la Turquie, membre de l’OTAN, encore plus dépendante de la Russie. Elle renforcerait la tendance à l’autoritarisme de tous les régimes de la région, leur action de répression ajoutant à l’instabilité et au développement du terrorisme. Enfin, elle ferait peser une menace sécuritaire directe sur l’Europe et l’Amérique.</p>
<p>Le contrôle par Téhéran ou ses milices des gouvernements en Syrie, en Irak et au Liban ne saurait être considéré comme acceptable pour l’Occident, ni sur le plan des principes, ni en termes stratégiques. Ces trois pays sont les pièces d’une stratégie coordonnée. « Traiter » l’action de l’Iran en Irak sans le faire en Syrie et au Liban, voire au Yémen, n’aurait aucun sens. On ne saurait dissocier dans une nécessaire contre-offensive Téhéran et Moscou. Cela signifie pour l’Europe comme pour les États-Unis une stratégie qui repose sur trois principes clairs.</p>
<p>D’abord, nous devons accroître notre présence et notre action d’assistance envers l’Irak tout en prêtant une attention plus forte à la lutte contre la corruption et aux populations civiles. Ensuite, il nous faut aider le Liban à se débarrasser de l’ancienne division sectaire et être plus clairs sur les réformes que le gouvernement doit mettre en place pour sortir le pays de son impéritie. Enfin, voire surtout, en <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fopinions %2fglobal-opinions %2fsoleimanis-death-offers-a-chance-to-fix-us-policy-on-syria %2f2020 %2f01 %2f09 %2faded2716-330d-11ea-a053-dc6d944ba776_story.html %3f">Syrie</a>, nous ne pouvons considérer comme acceptable que le pays soit aux mains d’un <a href="https://www.internationalaffairs.org.au/australianoutlook/justice-syria-international-criminal-court/">criminel contre l’humanité</a> et ses parrains. Vouloir lutter, comme le fait Israël, contre la menace iranienne dans ce pays en recourant à des frappes ciblées n’a qu’une portée limitée si cela s’accompagne d’une <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/.premium-syria-s-assad-has-become-israel-s-ally-1.6240499">impunité pour le régime Assad et la Russie</a>. Ces actions supposent un réengagement diplomatique avec les pays du Golfe aujourd’hui enclins à accepter le fait accompli dans le contexte du vide laissé par le désengagement américain, commencé sous Obama et amplifié sous Trump, et la pusillanimité de l’Europe devant les menées du Kremlin.</p>
<p>Existe-t-il toutefois une telle volonté des deux côtés de l’Atlantique ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Ghassem Soleimani n’incarnait pas la stabilité, au contraire. Pour autant, son assassinat ne va évidemment pas apaiser un Moyen-Orient en proie aux guerres et à la déstabilisation politique.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1302712020-01-22T19:06:34Z2020-01-22T19:06:34ZIran–États-Unis : une amitié oubliée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/311109/original/file-20200121-117954-1a773xs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C6%2C4268%2C2387&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Montage des drapeaux américain et iranien.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-illustration/flag-usa-iran-painted-on-600w-746371327.jpg">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran n’a cessé d’occuper la scène médiatique. Toutefois, récemment, l’assassinat de <a href="https://www.businessinsider.fr/us/who-was-qassem-soleimani-top-military-commander-killed-by-us-2020-1">Ghassem Soleimani</a> par un drone américain en Irak et la riposte des Iraniens par la destruction des bases américaines <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_plus-d-une-douzaine-de-missiles-tires-par-l-iran-contre-deux-bases-americaines-en-irak?id=10402279">d’Aïn Al-Assad et d’Erbil</a> ont fait craindre le pire : escalade, embrasement de la région et répercussions dans le monde.</p>
<p>Cette crise est l’occasion de revenir sur une période révolue d’entente particulièrement cordiale entre les États-Unis et l’Iran (1830-1953) ; car si depuis 1979, les relations se caractérisent par une animosité sans précédent, cela n’a pas toujours été le cas.</p>
<p>.</p>
<h2>XIXᵉ siècle : les États-Unis, un ami lointain et bienveillant</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, les contacts entre les deux pays commencent sous de bons auspices. En effet, l’Iran – connu jusqu’en 1935 comme <a href="https://www.europe1.fr/emissions/Aujourd-hui-dans-l-Histoire/21-mars-1935-la-perse-devient-liran-3008027">Perse</a> – est pris en étau entre la Grande-Bretagne et la Russie qui, dans le cadre du <a href="http://www.revueconflits.com/le-nouveau-grand-jeu-bonus/">Grand jeu</a>, se disputent le contrôle du pays. Les États-Unis apparaissent dès lors comme une puissance neutre sans visée impérialiste. Dans un premier temps, le chancelier de l’empire de Perse <a href="http://www.iranchamber.com/history/amir_kabir/amir_kabir.php">Amir Kabir</a> (1804/5-1852), grand réformateur, essaye sans succès d’obtenir l’appui des États-Unis pour la constitution d’une flotte iranienne. Toutefois, en 1856, est signé un <a href="https://www.loc.gov/law/help/us-treaties/bevans/b-ir-ust000008-1254.pdf">traité de commerce et d’amitié</a> entre les deux États, suivi de l’ouverture de la première mission diplomatique américaine à Téhéran (1883) et de la mise en place d’une représentation iranienne à Washington (1888).</p>
<p>Mais au XIX<sup>e</sup> siècle, parallèlement aux efforts diplomatiques, c’est surtout la présence des missionnaires américains qu’il faut noter, dans la mesure où ils joueront un grand rôle dans la vision positive des États-Unis que les Iraniens maintiendront longtemps. En 1830, les révérends Harrison Dwight et Eli Smith sont les premiers Américains connus à se rendre en Iran. Ils doivent reconnaître le terrain pour l’arrivée des futurs missionnaires. Dès lors commencent les efforts de conversion des Iraniens chiites – des efforts qui ne seront pas couronnés d’un grand succès. Aujourd’hui, le nombre de <a href="http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2016/01/26/combien-de-chretiens-en-iran-15516.html">chrétiens en Iran</a> s’élèverait à moins de 100 000. Il était de 300 000 en 1979. La majorité est orthodoxe, auxquels il faut ajouter quelques catholiques romains et protestants, notamment évangéliques et anglicans.</p>
<p>En revanche, l’appui des Américains (missionnaires, médecins, instituteurs, historiens…) à l’amélioration des conditions de santé, de l’éducation et du bien-être ou encore de la culture est très apprécié, d’autant plus qu’ils ne s’immiscent pas dans les affaires internes iraniennes comme le font les Britanniques et les Russes. Ainsi, ils se tiennent à l’écart durant la <a href="http://www.teheran.ir/spip.php?article504">révolution constitutionnelle</a> de 1905-1911. Dans ce cadre, Howard Baskerville (1885-1909), est une exception notable. Il arrive en Iran au début du XX<sup>e</sup> siècle comme missionnaire presbytérien et soutient activement les révolutionnaires, jusqu’à y perdre la vie. À ce titre, il est toujours considéré comme un véritable héros, le La Fayette américain. En 1909, des milliers d’Iraniens assistent à son enterrement à Tabriz.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tapisserie représentant Howard Baskerville fabriquée par des tisseurs de Tabriz (avant 1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Howard_Baskerville#/media/File:Carpet_of_Baskerville.jpg">Constitution House of Tabriz</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>.</p>
<h2>Ces Américains qui ont participé à la modernisation de la Perse</h2>
<p>La vision positive que les Iraniens ont des États-Unis les mène à faire appel, en 1911, à l’Américain <a href="http://www.iranreview.org/content/Documents/Morgan-Shuster-in-Iran.htm">Morgan Schuster</a> comme conseiller financier pour la modernisation des finances. Il est nommé trésorier général de Perse de la dynastie Kadjar. Son dévouement au travail et sa loyauté lui valent un grand respect et accentuent l’admiration que la population éprouve pour les Américains. Ces derniers, quant à eux, malgré leur réticence envers la religion chiite, tissent des liens d’amitié avec les Iraniens et les relations sont à cette époque très cordiales. Schuster sera néanmoins obligé de quitter l’Iran sous la pression des Russes et des Britanniques, désireux de sauvegarder leur influence.</p>
<p>D’autres Américains œuvrent également au progrès de la Perse. C’est le cas, entre autres, de <a href="https://ajammc.com/2018/03/09/jordan-american-glamorous-tehran/">Samuel Jordan</a> ou de <a href="http://www.globalprayerdigest.org/issue/day/Biography-Jane-Doolittle/">Jane Doolittle</a> qui contribuent à l’avancée de l’éducation, du docteur <a href="http://www.ams.ac.ir/AIM/0252/0252127.htm">Joseph Cochran</a> (1855-1905) né, mort et enterré en Iran, qui concourt au progrès de la médecine de type moderne, ou encore d’<a href="http://www.iranicaonline.org/articles/pope-arthur-upham">Arthur Upham Pope</a> (1881-1969), enterré en Iran, qui œuvre toute sa vie à la connaissance de la culture, des arts et de l’architecture iraniens.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mausolée d’Arthur Pope et de sa femme Phyllis Ackerman à Ispahan.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Arthur_Upham_Pope#/media/File:Arthur_Pope_mausoleum.jpg">Ipaat/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>XXᵉ siècle : vers la détérioration des relations</h2>
<p>Durant la Première Guerre mondiale, les Iraniens se tournent encore vers les Américains afin qu’ils les soutiennent dans leurs efforts – <a href="https://journals.openedition.org/abstractairanica/18411">pourtant vains</a> – visant à rester neutre. La réponse favorable des États-Unis et la création, en 1916, d’un comité d’assistance et d’aide aux Iraniens les confortent encore dans leur vision positive et dans l’idée que les Américains peuvent être un contrepoids aux visées impérialistes, en particulier britanniques. De leur côté, les Américains tiennent aux bonnes relations avec les Iraniens et les encouragent dans leur volonté de se débarrasser de la mainmise des puissances impérialistes de l’époque.</p>
<p>La découverte du pétrole par les Britanniques, dans le sud de l’Iran, change la donne. Les États-Unis commencent à s’intéresser et s’investir dans la région jusqu’à entrer en rivalité avec les Britanniques. Par ailleurs, Washington ne veut pas de concurrent dans le Golfe persique où il a établi une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-101.htm">alliance avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Iran est encore envahi par les troupes alliées en dépit de sa déclaration de neutralité. Malgré le ressentiment des Iraniens face à cette présence, le rôle joué par le ministre plénipotentiaire américain Louis G. Dreyfus et sa femme dans le soutien aux démunis, leurs actions dans les bidonvilles et leur lutte contre les maladies répandues comme le typhus préservent encore une certaine popularité aux Américains. Néanmoins, celle-ci commence à s’étioler auprès d’une partie de la population. Des articles injurieux contre Reza Shah publiés dans la presse américaine et l’arrestation malencontreuse d’un vice-ministre iranien aux États-Unis empoisonnent les relations.</p>
<p>L’entrée, en 1941, des Américains dans l’arène politique iranienne – toute nouvelle donne dans les relations irano-américaines – et finalement leur participation en 1953, à l’évincement de Mossadegh (<a href="https://foreignpolicy.com/2017/06/20/64-years-later-cia-finally-releases-details-of-iranian-coup-iran-tehran-oil/">opération Ajax</a>), père de la nationalisation du pétrole en Iran, finiront par alimenter les sentiments anti-américains qui enflammeront les discours pré-révolutionnaires et se concrétiseront dans la révolution de 1979 et jusqu’à aujourd’hui dans la lutte contre le « grand Satan ».</p>
<p>Finalement, si l’ingérence dans les affaires internes iraniennes a joué en défaveur de l’image américaine en Iran, le manque de connaissance de la culture iranienne et la croissante arrogance américaine ne seront pas non plus sans conséquence sur le changement d’appréciation d’une partie des Iraniens à propos des Américains…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis et l’Iran ne se sont pas toujours regardés en chiens de faïence, au contraire : jusqu’au milieu du XXᵉ, les deux pays ont entretenu d’excellentes relations.Firouzeh Nahavandi, Professeure ordinaire, Directrice de l’Institut de Sociologie de l'ULB, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1163232019-05-05T19:45:05Z2019-05-05T19:45:05ZAfghanistan : peut-on faire la paix avec les talibans ?<p>Nouveau <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/08/donald-trump-annonce-la-fin-des-negociations-de-paix-engagees-en-afghanistan_5507827_3210.html">coup de théâtre ce week-end</a> de la part du président américain. Contre toute attente, ce dernier a annulé une rencontre secrète avec les talibans, prévue ce dimanche aux États-Unis, à Camp David (Maryland) en présence de représentants politiques afghans. L'objectif était de concrétiser le processus de paix en Afghanistan, engagé dans un conflit depuis dix-huit. </p>
<p>Le tweet de Donald Trump, envoyé samedi soir, dénonce une énième attaque meurtrière à Kaboul à la veille de ces pourparlers, remettant en cause la sincérité des talibans à vouloir aboutir le processus de paix.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1170469618177236992"}"></div></p>
<p>Quiconque a en tête l’image la plus répandue des talibans, bien peu flatteuse, peut être en effet amené à se demander si on peut vraiment faire la paix avec eux, si leur idéologie radicale et fondamentaliste ne les amènera pas à jouer un « double jeu ».</p>
<p>Mais pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir de qui on parle, quand on évoque les talibans aujourd’hui.</p>
<h2>Évolution idéologique des talibans</h2>
<p>Nous savons, aujourd’hui, qu’une partie de nos certitudes à propos des talibans sont en fait erronées ou plus vraiment d’actualité.</p>
<p>Ainsi, quand on pense aux talibans des années 1990, on imagine d’abord des déracinés, issus des écoles religieuses situées à la frontière afghano-pakistanaise, et surtout des camps de réfugiés afghans au Pakistan. Cela n’a pas vraiment de sens, surtout pour leur leadership, et notamment ceux qui ont exercé des responsabilités militaires dès les années 1990 : il s’agit, le plus souvent, d’hommes qui ont déjà combattu les Soviétiques, donc plus âgés que ceux qui sont nés et ont grandi dans ces camps de réfugiés.</p>
<p>En fait, comme le montrent <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/publication/aan-papers/ideology-in-the-afghan-taliban-a-new-aan-report/">Anand Gopal et Alex Strick van Linschoten</a> dans leur analyse fouillée de l’idéologie des talibans, leur leadership, et l’idéologie qu’ils ont promue, sont d’abord issus de l’environnement rural, villageois, pachtoune en territoire afghan. Il ne s’agit donc pas d’une idéologie étrangère à l’Afghanistan, mais bien au contraire d’une pensée ancrée dans une population bien définie.</p>
<p>Et si leur idéologie fut d’abord fondamentaliste dans les années 1990, elle a évolué dans une certaine mesure : les leaders des talibans ont compris que leur politique passée leur avait aliéné jusqu’à la population pachtoune censée les soutenir, expliquant leur incapacité à résister aux Américains. Peu à peu, l’idéologie des talibans, après 2001, a convergé vers une approche islamiste plus traditionnelle, mettant de côté les éléments les plus rédhibitoires de son fondamentalisme passé.</p>
<h2>Le pragmatisme des talibans face à la société afghane : l’exemple de l’éducation</h2>
<p>Ainsi, loin de rejeter la technologie, ils l’utilisent pleinement pour leur propagande. Et plutôt que de s’opposer systématiquement à l’éducation d’État, notamment des filles, ils préfèrent la contrôler. En effet, au lieu d’attaquer les écoles financées par Kaboul, ils les <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/12/the-talibans-fight-for-hearts-and-minds-aghanistan/">cooptent</a>, assurant leur protection, surtout en milieu rural, où les forces de sécurité pro-gouvernementales ne sont pas assez fortes pour s’opposer à eux.</p>
<p>Mieux, ils sont responsables de la sélection des enseignants, et ils s’assurent que ces derniers ne se contentent pas de recevoir leurs salaires sans venir assurer les cours… Le but des talibans est de montrer à la population qu’ils sont plus qu’une rébellion, qu’ils sont prêts à gouverner et à le faire efficacement.</p>
<p>Certes, comme on peut le voir sur la question de l’éducation des filles, on voit bien que la vision du monde des talibans n’a pas totalement changé sur tous les sujets. Ils imposent la séparation des sexes à la puberté, avec bien sûr un besoin d’enseignantes femmes. Or il y a moins d’écoles de garçons que d’écoles pour filles, et seuls 20 % du corps enseignant est composé de femmes : les talibans peuvent donc s’appuyer sur les <a href="https://www.hrw.org/news/2017/10/17/afghanistan-girls-struggle-education">insuffisances</a> du gouvernement afghan et de ses soutiens occidentaux (qui ont abusivement présenté l’éducation des filles comme un succès) pour se dédouaner des limites imposées à l’éducation des filles.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’Afghanistan est un pays où jusqu’à un <a href="https://www.hrw.org/news/2017/04/20/will-afghanistan-follow-through-promise-end-child-marriage">tiers</a> des jeunes filles sont mariées avant 18 ans. Si sur ce sujet, les talibans n’ont que peu évolué, ils sont, hélas, le reflet d’une société… et de l’insuffisance des soutiens de Kaboul qui ont, sur l’éducation des filles comme sur bien d’autres sujets, clamé victoire un peu trop vite.</p>
<h2>Les talibans, porte-drapeaux d’un islamo-nationalisme pachtoune</h2>
<p>En revanche, fait particulièrement marquant, la haine des chiites qui tissait, dans les années 1990, un lien fort entre les plus radicaux des fondamentalistes afghans et les djihadistes étrangers, s’estompe : les talibans n’hésitent plus à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/iran-chiites-afghans-talibans_b_7627792.html">coopérer avec les chiites</a>, alors que cette hostilité est toujours d’actualité vis-à-vis de Daech.</p>
<p>En fait, le discours islamiste mis en avant par les talibans s’apparente principalement à un nationalisme utilisant le vocabulaire religieux, l’islam étant fondamentalement associé à l’identité afghane : les questions de l’indépendance nationale et du rejet de la présence étrangère dominent leurs propos aujourd’hui.</p>
<p>Mais ce nationalisme, s’il essaye de parler à tous les Afghans, et s’il réussit à recruter <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/the-non-pashtun-taleban-of-the-north-a-case-study-from-badakhshan/">localement</a> des non-Pachtounes, reste d’abord profondément ethnique, et associé à la défense des <a href="https://nationalinterest.org/feature/taliban-and-changing-nature-pashtun-nationalism-41182">intérêts strictement pachtounes</a>. En cela, il demeure dans la continuité de l’Histoire récente, le phénomène des talibans ayant en partie émergé par réaction à la montée en puissance des Tadjiks après la guerre contre les Soviétiques.</p>
<h2>Une force incontestable, ancrée dans l’Afghanistan rural</h2>
<p>La rébellion, qui discute actuellement avec les Américains, est incontestablement en position de force aujourd’hui : comme souvent dans ce type de guerre, on ne cherche pas la paix parce qu’on « fait confiance » à l’ennemi, mais plutôt parce qu’on a été incapable de l’écraser militairement. En <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-42863116">2017</a>, les talibans étaient déjà présents sur 70 % du territoire afghan. Après 17 ans de combats, le gouvernement légal de Kaboul ne contrôle donc réellement que 30 % du pays. De fait, l’Afghanistan rural a été perdu.</p>
<p>La capacité de recrutement des rebelles est réelle, preuve que leurs idées attirent certains Afghans. Les Américains n’évoquaient qu’un millier de talibans en 2004, l’universitaire Antonio Giustozzi a avancé le chiffre de 17 000 pour 2006, et en 2018 on compte de <a href="https://www.pressreader.com/france/diplomatie/20181101/281582356645352">60 000 à 77 000 combattants</a> dans leurs rangs.</p>
<p>Ce recrutement n’est pas forcément dû à une forme d’adhésion idéologique : il est souvent motivé par une réaction de révolte face à des injustices ou des tensions politiques locales, d’abord associées à la corruption et à la guerre elle-même, avec les violences et les « dommages collatéraux » qu’elle implique.</p>
<p>Or ce type de souffrances touche de façon disproportionnée l’<a href="https://www.trtworld.com/opinion/let-s-face-the-truth-rural-afghanistan-has-been-lost-25853">Afghanistan rural</a>, notamment dans le sud, dominé par l’ethnie pachtoune. Cet Afghanistan rural n’a que très peu bénéficié des avancées sociales et économiques mises en avant par une partie de l’Afghanistan des villes, et est historiquement conservateur et patriote. C’est ce même Afghanistan rural qui s’est opposé aux Anglais au XIX<sup>e</sup> siècle, mais aussi aux réformes inspirées de l’Occident voulues par le roi Amanullah Khan (qui perdra son trône en 1929).</p>
<h2>Une religiosité conservatrice compatible avec le mouvement taliban</h2>
<p>D’un point de vue idéologique, à l’instar de leur vision de l’éducation, les talibans, loin d’être une minorité hors sol, représentent une façon de voir qu’on retrouve largement dans la société afghane. Le caractère très conservateur des prêches dans certaines mosquées sunnites en Afghanistan, même à Kaboul, peut certes prendre par surprise l’analyste habitué à ne voir le pays qu’avec les lunettes des ambassades étrangères et des élites libérales.</p>
<p>Or si l’Afghanistan, en mai 2011, comptait 3 325 mosquées « officielles », il existait pas moins de <a href="https://ctc.usma.edu/radicalization-processes-in-afghanistan/">60 000 lieux de culte</a> non-enregistrés auprès des autorités, avec toutes les dérives que cela implique. Quiconque a passé du temps en Afghanistan ne peut que constater l’importance de ces mosquées de quartier dans la vie quotidienne de la population.</p>
<p>Elles ne prônent pas forcément un islamisme radical, bien entendu. Mais elles sont souvent très conservatrices, au point d’être compatibles avec la logique des talibans. Et cette religiosité conservatrice n’hésite pas à s’immiscer dans le débat public : ainsi <a href="https://gandhara.rferl.org/a/afghanistan-in-push-for-afghan-peace-society-weighs-tradition-and-modernity/29898990.html">récemment</a> à Hérat, quand les autorités religieuses ont réussi à interdire les concerts en plein air et la Saint-Valentin.</p>
<p>Les talibans représentent donc une force politique et militaire locale, enracinée notamment dans un Afghanistan qu’on connaît peu : l’Afghanistan rural, conservateur, principalement en zone pachtoune, et non pas celui des villes et encore moins des élites anglophones.</p>
<h2>Peut-on leur faire confiance ?</h2>
<p>Quand on sait qui ils sont véritablement, la question de savoir si l’on peut faire confiance aux talibans devient à la fois plus simple et plus complexe. Plus simple, car comment faire autrement que d’accepter de parler à une rébellion qui représente une partie non négligeable de l’Afghanistan ? Plus complexe, car du fait de leur force, mais aussi de leurs divisions internes, leur volonté d’ouverture et de dialogue pourrait être limitée dans le temps, du moins si ce dialogue n’entraîne pas des résultats concrets.</p>
<p>En effet, cette force n’est pas aussi unie qu’on pourrait le penser. Son leadership est associé à la « choura » (conseil consultatif) de Quetta, dirigée d’abord par le mollah Omar, et aujourd’hui par le mollah Haibatullah Akhundzada. Mais il existe d’autres chouras, qui n’acceptent <a href="https://www.pressreader.com/france/diplomatie/20181101/281582356645352">pas toujours</a> le leadership actuel. Alors que le mouvement des talibans s’est idéologiquement construit d’abord sur l’obéissance absolue au leader, depuis la confirmation de la mort du mollah Omar (décédé le <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-47519157">23 avril 2013</a> en Afghanistan), il est devenu plus difficile de maintenir l’unité du mouvement.</p>
<p>Par ailleurs, les talibans vont devoir donner des gages assurant que l’Afghanistan ne redeviendra pas un refuge pour djihadistes après le retrait définitif des militaires américains (<a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-47860816">14 000</a> encore présents sur place). Or des commandants rebelles considèrent certains djihadistes étrangers, tels les Ouzbeks de l’Union du djihad islamique (UDI), comme <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2018/04/islamic-jihad-union-conducts-joint-raid-with-the-taliban.php">des compagnons d’armes</a>.</p>
<p><a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2019/03/un-al-qaeda-continues-to-view-afghanistan-as-a-safe-haven.php">Un rapport de l’ONU</a>, datant de janvier 2019, met en avant le danger que représente, notamment pour l’Asie centrale (et le Tadjikistan en particulier), la présence d’environ 500 combattants étrangers, placés sous l’autorité des talibans (et fonctionnant grâce à un financement d’Al Qaïda, semble-t-il) en ce moment, dans le <a href="https://www.google.com/maps/place/Badakhshan,+Afghanistan/@36.94676,70.1947248,7z/data=!3m1!4b1!4m5!3m4!1s0x38c4231357c720dd:0xc17ecd087c7ffe57!8m2!3d36.7347725!4d70.8119953">Badakhshan</a>, dans le nord-est de l’Afghanistan.</p>
<p>L’emploi de ces combattants étrangers est potentiellement dangereux pour l’environnement régional. S’ils veulent voir satisfaite leur principale revendication – le départ des militaires étrangers de leur pays –, les talibans vont donc devoir donner des assurances sur ce sujet.</p>
<h2>L’impact de l’État islamique</h2>
<p>Pourtant, depuis plusieurs années, une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/chine-russie-iran-pakistan-daccord-sur-le-dossier-afghan_a_21629245/">conviction</a> semble dominer dans les pays voisins de l’Afghanistan : le dialogue avec les talibans est d’autant plus envisageable que ces derniers doivent gérer la compétition avec Daech en Afghanistan.</p>
<p>De fait, les talibans <a href="https://taskandpurpose.com/isis-taliban-afghanistan">sont déjà très actifs</a> dans la lutte contre l’État islamique, et passent même parfois pour être la force la <a href="https://www.nytimes.com/2018/08/04/world/asia/islamic-state-prisoners-afghanistan.html">plus efficace</a> pour tenter de liquider ce danger djihadiste.</p>
<p>Toutefois, si le dialogue avec les Américains (puis l’éventuel processus de paix inter-afghan) ne leur semble pas satisfaisant, <a href="https://worldview.stratfor.com/article/afghanistan-divided-taliban-poses-obstacle-peace">certaines forces</a> à l’intérieur de la rébellion afghane pourraient être tentées de s’émanciper. Et les plus radicales, ou les plus ambitieuses, pourraient se laisser séduire par l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2015/may/07/taliban-young-recruits-isis-afghanistan-jihadis-islamic-state">alternative</a> que représente la <a href="https://www.mei.edu/publications/peace-taliban-could-stem-isis-growth-afghanistan"><em>Wilayat Khorasan</em></a> (Daech en Afghanistan).</p>
<h2>La voie de la paix, un pari de plus en plus accepté… pour l’instant</h2>
<p>Une chose est sûre : l’approche militaire n’a pas liquidé la rébellion, et les Américains comme leurs alliés ne peuvent considérer le conflit afghan comme leur unique priorité sécuritaire. Dans une telle situation, le dialogue apparaît comme la seule voie de bon sens.</p>
<p>Point rassurant pour les partisans du dialogue entre Américains et talibans, le discours tenu par les rebelles est désormais constant, dans leurs prises de parole officielles comme dans leur <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-rise-of-taliban-diplomacy/">diplomatie régionale</a> : volonté de paix affirmée avec tous les voisins, assurance donnée par leurs représentants que le territoire ne servira pas de base pour des groupes terroristes souhaitant frapper la région et affirmation très claire que le but de la rébellion n’est pas d’accaparer tout le pouvoir local.</p>
<p>Certains de leurs anciens ennemis jurés, telle la <a href="https://asialyst.com/fr/2018/02/22/afghanistan-pourquoi-russie-joue-taliban-contre-Daech/">Russie</a> ou l’<a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-afghanistan-taliban/iran-in-talks-with-afghan-taliban-iranian-state-media-report-idUSKCN1OP0O6">Iran</a> ainsi que des personnalités politiques afghanes comme l’ancien Président <a href="https://www.rferl.org/a/afghan-taliban-moscow-talks/29751787.html">Hamid Karzai</a>, ont ainsi accepté de dialoguer avec eux.</p>
<p>Du côté des talibans, s’ils sont assez robustes pour résister sur le champ de bataille depuis plusieurs années, ces années de combat leur ont également prouvé qu’ils ne pourraient pas prendre Kaboul par la force, et encore moins se débarrasser de la présence occidentale par la violence. S’ils sont assez forts pour être incontournables, ils demeurent trop faibles pour pouvoir s’imposer.</p>
<p>Le dialogue est donc possible. Du point de vue des talibans, c’est sans doute la meilleure option. Il en va de même pour les Américains et leurs alliés s’ils souhaitent que la guerre en Afghanistan ait bel et bien une fin. Mais s’il traîne en longueur, ce dialogue pourrait vite faire naître des frustrations de part et d’autre, et ne devenir qu’un mirage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116323/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin d’être une force extérieure ou marginale, les talibans sont une force politique et militaire bien enracinée, notamment dans l’Afghanistan rural, conservateur, principalement en zone pachtoune.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1073002018-12-06T23:50:39Z2018-12-06T23:50:39ZL’ambition régionale contrariée de l’Iran<p>Dans le contexte du retrait américain de l’accord sur le nucléaire, parmi les critiques les plus fondamentales émises par l’administration Trump – mais aussi par les États européens- à l’encontre de la République islamique figure la politique régionale expansionniste que Téhéran mènerait essentiellement au Levant et dans la Péninsule arabique. </p>
<p>Quelles sont les origines de cette politique et les moyens mis en œuvre par Téhéran. Quelles en sont aussi les limites ?</p>
<h2>Une série d’occasions offertes à Téhéran</h2>
<p>« La poursuite de la révolution dans le pays et à l’étranger » est clairement annoncée dans le préambule de la Constitution de la République islamique, même si – comme le souligne son article 154 – le régime iranien « tout en s’abstenant absolument de la moindre intervention dans les affaires intérieures des autres nations, soutient la lutte des opprimés pour la conquête de leurs droits contre les oppresseurs dans tous les points du globe ». La révolution islamique se rattache ainsi à la tradition des révolutions à vocation universelle.</p>
<p>Dans ce contexte, il est évident que des considérations idéologiques sous-tendent la politique internationale et surtout régionale du régime iranien. Mais les réalisations de cette politique, vu l’évolution des rapports de force au Moyen-Orient, n’ont pas uniquement été le fruit de la seule volonté de Téhéran. En fait, il a souvent – de manière très pragmatique – profité des occasions qui se sont offertes. Il ne les a pas créées. </p>
<p>Ainsi, les interventions américaines en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003, en éliminant les Taliban et le régime de Saddam Hussein, ennemis jurés de la République islamique, ont non seulement mis un terme aux pressions que ces deux pouvoirs hostiles pouvaient exercer sur elle, mais lui ont aussi ouvert de nouvelles possibilités d’influence dans ces deux pays voisins. </p>
<p>Les divisions au sein du monde arabe et les conséquences des « printemps » arabes qui ont élargi et approfondi, à partir de 2011, les lignes de fractures qui le traversent, ont par ailleurs permis à Téhéran de conforter ses positions à la fois au Levant et dans la Péninsule arabique. </p>
<p>La guerre civile en Syrie, déclenchée en 2011, et la prise de la ville de Mossoul en Irak par l’État islamique en 2014, ont contribué à la consolidation de la présence militaire iranienne dans les deux pays. Les troubles au Bahreïn et surtout <a href="https://theconversation.com/les-guerres-du-yemen-106806">la guerre civile au Yémen</a> lui ont offert l’occasion d’accroître son influence indirecte dans le voisinage saoudien.</p>
<h2>Une clientèle militante très étendue</h2>
<p>Sur le plan des moyens, la République islamique est sans doute l’État du Moyen-Orient qui, à l’extérieur de ses frontières, dispose de la plus importante clientèle militante. Elle l’utilise <a href="https://www.grip.org/fr/node/1956">pour réaliser ses objectifs stratégiques</a>. Parmi cette clientèle, il y a – certes avec d’importantes nuances et des limites substantielles – les populations de confession chiite et les réseaux cléricaux chiites, mais pas uniquement. </p>
<p>Le discours révolutionnaire ainsi que la propagande anti-américaine et anti-israélienne du régime iranien rencontrent aussi un écho favorable dans les populations arabes d’autres confessions. Quelle que soit leur appartenance religieuse, des Arabes – à titre individuel ou au sein de milices pro-iraniennes – peuvent agir en tant que relais ou mandataires locaux de Téhéran et contribuer à consolider son rôle régional, tout en lui assurant un avantage face à ses rivaux. C’est le cas de dizaines de milices chiites en Irak, du Djihad islamique palestinien ou du Hamas.</p>
<p>Enfin, il y a le cas particulier du Liban où la République islamique, plus rapidement que partout ailleurs, a commencé à exercer une influence prépondérante. Cela s’explique par les liens particuliers qui existaient, avant même la révolution, entre les mouvements chiites libanais et le clergé iranien proche de Khomeyni. </p>
<p>Téhéran a vite compris l’intérêt d’une présence au Liban, tout d’abord dans le contexte de la guerre contre l’Irak, et, par la suite, pour toute sa politique régionale. Il l’a construite par l’intermédiaire du Hezbollah, dont il a contribué à la formation en 1982. Cette présence a été facilitée par la faiblesse du Liban qui, contrairement à d’autres pays de la région, n’est jamais parvenu à se doter d’un État fort capable de résister aux pressions extérieures.</p>
<h2>Le frein économique</h2>
<p>La première limite que rencontre la politique régionale de l’Iran est d’ordre économique. Certes, durant les deux années qui ont suivi la conclusion de l’accord sur le nucléaire, en 2015, l’économie iranienne a connu une embellie. Mais dès le début 2018, la situation s’est très rapidement détériorée. Plus globalement, le poids économique de l’Iran n’a cessé de diminuer depuis 30 ans. Ainsi, en 1989, il était équivalent à celui de la Turquie. En 2017, calculé en parité de pouvoir d’achat (PPA), un indicateur qui permet de mieux comparer deux économies, il n’atteignait <a href="https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/fields/208rank.html#SA">que 75 % celui de son voisin turc </a>, qui n’est pourtant pas doté d’hydrocarbures ! </p>
<p>Depuis l’annonce du retrait américain de l’accord en mai 2018, l’économie iranienne traverse <a href="https://theconversation.com/iran-lunion-europeenne-peine-a-trouver-la-parade-pour-contourner-trump-96965">d’importantes turbulences</a>. Il est plus que probable qu’avec les nouvelles sanctions de Washington sur les secteurs pétrolier et financier, qui sont entrées en vigueur en novembre 2018, les capacités économiques du pays vont se restreindre. </p>
<p>Pour conduire sa politique régionale, la République ne dispose donc pas de moyens financiers comparables à ceux de son rival régional, l’Arabie saoudite, ni même de ceux des Émirats arabes unis, pour mener à bien ses interventions et financer les milices qui lui sont inféodées en Irak, en Syrie et au Liban. En fait, l’Iran est contraint de faire d’importants prélèvements sur ses réserves – ce qui a pour conséquence de créer de graves difficultés internes. </p>
<p>Au-delà du Proche et du Moyen-Orient, sur son flanc Est les aides financières généreuses qu’accorde l’Arabie saoudite au Tadjikistan, à l’Afghanistan et au Pakistan ont poussé ces voisins – culturellement et politiquement proches de Téhéran – à prendre leurs distances.</p>
<h2>Des capacités militaires limitées</h2>
<p>La deuxième limite concerne les faiblesses militaires de Téhéran. Certes, en nombre d’hommes, il possède la force militaire la plus importante de la région (523 000 hommes, dont 350 000 dans l’armée et 125 000 Gardiens de la révolution). Mais son budget de la Défense est de l’ordre de 16 milliards de dollars en 2017 contre 76,7 milliards pour l’Arabie saoudite et 18,5 milliards pour Israël (chiffres tirés de IISS, Military Balance 2018, London). </p>
<p>Son matériel est généralement ancien et ses forces aériennes ne disposent que d’une trentaine d’avions en état de marche. Sa capacité offensive est formée uniquement par <a href="https://fas.org/sgp/crs/nuke/IF10938.pdf">son arsenal balistique</a>, avec des missiles de courte (moins de 500 km, une centaine de lanceurs) et de moyenne portées (1800 à 2000 km, moins de 50 lanceurs et un nombre inconnu de missiles associés). Mais cette capacité est toutefois considérée à Téhéran comme un atout pour sa défense et pour sa dissuasion. C’est pourquoi il poursuit ses recherches et ses essais dans ce domaine, <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2018/dec/3/trump-admin-condemns-irans-ballistic-missile-test-/">un choix vivement dénoncé par l’administration Trump</a>. </p>
<p>Au total, cependant, l’Iran ne dispose de rien de comparable aux équipements ultramodernes de ses adversaires régionaux livrés par les États-Unis et les pays occidentaux. Ce déséquilibre conventionnel explique d’ailleurs, en partie, l’intérêt iranien pour le nucléaire. Une option aujourd’hui encore gelée en vertu du Plan d’action global commun (PAGC) signé à Vienne en juillet 2015, mais dont l’administration américaine s’est retirée en mai 2018, jetant une ombre sur son maintien. En dépit des incertitudes, <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/18/11/gov2018-47_fr.pdf">l’AIEA a récemment confirmé que l’Iran respectait ses obligations dans le cadre de cet accord</a>. </p>
<p>Dans cette situation, le choix de Téhéran ne peut se porter que sur une stratégie indirecte, asymétrique, évitant l’opposition frontale avec ses adversaires – ce qui ne l’empêche pas, cependant, de transférer des équipements utiles à ses relais (comme des missiles au Hezbollah, afin d’accroître ses capacités de dissuasion indirecte).</p>
<h2>Un pays sans véritable allié de poids</h2>
<p>La troisième limite est d’ordre géopolitique. Téhéran, contrairement à ses adversaires régionaux, n’a pas de véritables alliés étrangers qui puissent lui offrir aide militaire et assistance politique. </p>
<p>La Chine est un partenaire commercial de premier plan, elle peut certes lui fournir un soutien diplomatique dans les instances internationales et elle lui a vendu certains types d’armements (notamment pour renforcer sa défense côtière). Mais Pékin ne souhaite pas mettre en danger ses relations avec Washington ni avec ses autres partenaires moyen-orientaux. </p>
<p>Il est, par ailleurs, indéniable que la République islamique s’est très fortement <a href="https://theconversation.com/russie-et-iran-une-entente-renforcee-a-lepreuve-de-la-syrie-et-de-trump-75189">rapprochée de la Russie</a>, surtout depuis 2015 en raison de leur implication commune en Syrie. Mais il s’agit d’une alliance de circonstance, fragile surtout du fait que précisément en Syrie et plus généralement au Moyen-Orient, les objectifs des deux pays ne coïncident pas toujours. Les Russes ont leur propre agenda, qui est différent de celui des Iraniens. Plus généralement, il y a une méfiance des Iraniens à l’égard de la Russie qui, durant le XIXe siècle, s’est emparée d’une part importante du territoire de l’Iran. </p>
<p>La seule tentative de Téhéran de créer autour de lui une coalition régionale concerne « l’axe de la résistance » qui réunit théoriquement les chiites d’Irak et du Liban, ainsi que la Syrie et le Hamas qui eux luttent contre Israël. Mais cette coalition informelle lui coûte plus qu’elle ne lui rapporte.</p>
<h2>Une politique impopulaire à l’intérieur du pays</h2>
<p>La quatrième limite de la politique régionale du régime iranien est son impopularité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Son coût économique est une des causes principales de son impopularité grandissante à l’intérieur du pays. </p>
<p>En effet, durant les troubles de l’année 2018, comme d’ailleurs dans les mouvements de contestations populaires précédents qui ont toujours été une occasion d’exprimer ce qu’en temps normal on tait, des slogans comme : « Ni Gaza, ni Liban, je sacrifie ma vie pour l’Iran ! », « Laisse tomber la Syrie, occupe toi de nos problèmes ! » ou « mort au Hezbollah ! » ont été scandés par les protestataires, révélant leur mécontentement quand aux choix régionaux du régime. </p>
<p>L’aide et le soutien à l’Irak font cependant moins l’objet de critiques. Sans doute les Iraniens sont-ils conscients, depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988), que leur sécurité dépend plus directement de la situation dans ce pays qu’ailleurs au Moyen-Orient. En Irak même, au delà des cercles politiques proches de la République islamique, <a href="https://www.washingtonpost.com/world/chanting-iran-out-iraqi-protesters-torch-iranian-consulate-in-basra/2018/09/07/2caa89b8-b2bd-11e8-8b53-50116768e499_story.html?utm_term=.cf57fe233487">comme les troubles anti-iraniens récents à Bassorah l’ont montré</a>, les interventions de Téhéran, même dans les régions chiites, sont peu appréciées par la population. </p>
<p>En ce qui concerne le Hezbollah, l’opinion publique iranienne le considère comme le grand bénéficiaire des largesses du régime. Elle accuse les Gardiens de la révolution de le favoriser dans toutes ses activités sociales au Liban, comme l’aide au logement des victimes des bombardements israéliens ou la construction d’hôpitaux publics souvent mieux dotés que ceux de l’Iran. </p>
<p>Quant à Bachar al Assad, l’allié régional de Téhéran, il ne jouit d’aucune sympathie particulière en Iran. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/15/iran-l-enjeu-majeur-c-est-l-apres-khamenei_5241654_3232.html">Comme le résume Yann Richard</a>, l’opinion iranienne « n’accompagne pas les ambitions propalestiniennes, panislamistes ou panchiites de ses dirigeants ». D’où l’obligation pour le pouvoir de recourir à des combattants étrangers (Libanais, Afghans, Pakistanais, Irakiens) afin de former les milices qu’il soutient. </p>
<p>En même temps, le régime mène une campagne médiatique afin de présenter les Pasdarans comme des combattants héroïques de la cause nationale. Ce nationalisme étatique n’a, jusqu’à présent, rencontré que peu d’écho auprès des Iraniens. De fait, pour eux, la politique régionale interventionniste du régime ne constitue pas une cause nationale pour laquelle la population est prête à se mobiliser, comme cela fût le cas lors de la guerre Iran-Irak.</p>
<h2>La pérennité de l’influence iranienne en question</h2>
<p>Enfin, la question qui se pose, est celle de la pérennité de l’influence iranienne au Proche et Moyen-Orient. Téhéran a-t-il les moyens de poursuivre une politique régionale telle qu’il l’a menée jusqu’a présent ? </p>
<p>L’Iran – en sa qualité de pays important sur les plans démographique, culturel et historique – peut sans doute espérer peser sur son environnement, mais la profonde singularité de son parcours historique ainsi que de son identité culturelle et confessionnelle ne l’aident pas à apprivoiser ses voisins. </p>
<p>Il n’est pas sûr, en outre, que les conditions de politique interne et sa situation économique lui permettent de consolider son influence. Sans compter les réactions négatives des autres puissances régionales et internationales face à ses ambitions. Quant à assurer sa primauté dans la zone du golfe Persique, pour que les choses changent, il faut que Téhéran et Riyad trouvent le moyen de mettre un terme à <a href="https://theconversation.com/arabie-saoudite-iran-de-la-guerre-par-procuration-a-la-guerre-des-mots-52776">la guerre froide qui les oppose</a>, ce qui à ce jour semble difficilement imaginable.</p>
<p>Au final, <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ramses2019_bat_nicoullaud.pdf">comme l’écrivait récemment l’ancien ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud</a>, malgré tous ses efforts, l’Iran paraît « aujourd’hui comme naguère, incapable d’exercer dans sa région une hégémonie à la fois positive et acceptée : deux conditions indispensables pour être pérenne ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La politique interventionniste du régime de Téhéran dans la région, qui ne constitue pas une cause nationale pour la population iranienne, se heurte à plusieurs freins structurels.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Mohammad Reza Djalili, professeur émérite, Institut des hautes études internationales et de développement de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1068062018-11-20T19:36:02Z2018-11-20T19:36:02ZLes guerres du Yémen<p>Porté par la vague révolutionnaire du printemps arabe de 2011, le Yémen se trouve depuis en proie à des bouleversements profonds. Bien que la révolution yéménite soit parvenue à mettre fin au régime autocratique du président Ali Abdallah Saleh, le pays n’a pas réussi sa transition politique. Cet échec s’est traduit par une guerre sanglante qui oppose des acteurs locaux, avec l’interposition d’autres acteurs régionaux et internationaux. La dynamique de ce conflit pluriel a fait émerger un véritable « système de guerres » qui rend extrêmement complexe la scène yéménite.</p>
<h2>Au commencement était le printemps yéménite</h2>
<p>Entamé en janvier 2011, un soulèvement de la jeunesse yéménite aux aspirations progressistes et démocratiques va faire tomber le régime du président Saleh, au pouvoir depuis 33 ans. Malgré une terrible répression en mars 2011, la révolution yéménite gagne en force, attirant dans ses rangs les partis politiques majoritaires et plusieurs groupes sociaux. De plus en plus isolé face aux voix qui réclament son départ, Saleh capitule et accepte un plan élaboré par les États-Unis et le Conseil de la Coopération du Golfe. En novembre 2011, il démissionne et transmet ses pouvoirs à son vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi.</p>
<p>En février 2012, Hadi, qui vient d’être élu président à la faveur d’un scrutin à candidat unique, forme un gouvernement d’unité nationale. Entre 2013 et 2014, une Conférence de dialogue national est organisée et aboutit à la formation d’une Commission constitutionnelle. En charge d’une nouvelle organisation de la vie politique yéménite, la Commission décide d’une réduction des pouvoirs présidentiels et d’un modèle étatique basé sur une structure fédérale composée de six provinces.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246393/original/file-20181120-161644-1qasp8d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte du Yémen.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/26/Yemen_carte.png?uselang=fr">Wikipédia</a></span>
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<p>Mais cette configuration est rejetée par les Ansar Allah (les partisans de Dieu), <a href="https://www.brookings.edu/blog/markaz/2017/12/18/who-are-the-houthis-and-why-are-we-at-war-with-them/">communément appelés « les Houthistes »</a>. Il s’agit d’un mouvement contestataire, qui se revendique du <a href="https://iis.ac.uk/encyclopaedia-articles/zaydiyya">chiisme zaydite</a>, établi à Saada, à l’extrême nord-ouest du pays. La région de Saada a été intégrée à la province d’Azal qui s’étend de Sanaa jusqu’au nord du pays. Or, les Ansar Allah exigent que Saada soit considérée comme une province à part entière au sein de l’État fédéral et réclament, en outre, un accès à la Mer rouge. Ce désaccord marque la fin du processus pacifique de transition post-révolutionnaire et plonge le Yémen dans un conflit long et douloureux.</p>
<h2>Les Houthistes à l’offensive</h2>
<p>Craignant que l’histoire se répète et qu’ils deviennent les perdants de la révolution yéménite, les Ansar Allah font le choix de l’affrontement. Le 21 septembre 2014, ils renversent le gouvernement de Hadi et s’emparent de la capitale yéménite, Sanaa. Après cette victoire, les milices d’Abd al-Malik al-Houthi, son dirigeant actuel et, par ailleurs, frère du fondateur du <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Comment-s-est-construite-la.html">mouvement</a> continuent leur progression vers les autres régions yéménites.</p>
<p>Avant la fin de l’année 2014, les Houthistes se trouvent à la tête d’une vaste étendue de territoires situés dans le nord du pays. Cette extension territoriale leur a donné accès à des lieux stratégiques, tel le port de Hodeïda, sur la côte Est, par lequel transite la majeure partie des importations yéménites (environ 70 %).</p>
<p>Face à l’ampleur que prend la rébellion houthiste, l’ancien envoyé spécial de l’ONU, Jamal Ben Omar, tente de jouer les médiateurs. Hadi et les Houthistes signent un accord appelé <a href="http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/darp/dv/darp20141204_05_/darp20141204_05_en.pdf">« Accord sur la Paix et le Partenariat »</a> garantissant une meilleure représentation des rebelles au sein d’un nouveau gouvernement.</p>
<p>Mais, le 20 janvier 2015, les Houthistes rompent cet accord sous prétexte que certaines de ses clauses n’ont pas été respectées dans le projet constitutionnel qui venait d’être publié par le gouvernement de Hadi. Ils s’emparent du palais présidentiel et poussent Hadi à démissionner. Le 21 février 2015, Hadi, assigné à résidence par les Houthistes, parvient à s’enfuir. Il quitte Sanaa pour la ville portuaire d’Aden, d’où il abroge sa démission et forme une alliance anti-Houthistes. Dès lors, deux gouvernements dirigent le Yémen – l’un établi à Sanaa et l’autre à Aden.</p>
<h2>Une alliance de circonstance avec l’ex-Président Saleh</h2>
<p>À ce stade, les Houthistes, dont le projet politico-territorial est entretenu par des alliances fragiles et incertaines, tentent de resserrer leurs rangs. Dans cette conquête du pouvoir et du territoire, ils jouissent d’un réseau de soutien basé sur les deux pôles du zaydisme au Yémen – religieux et tribal.</p>
<p>Il s’agit de l’ancienne aristocratie religieuse zaydite (descendants du prophète Mohammed appelés Hachémites ou Sayyids) et des tribus des hauts plateaux yéménites. Ces tribus se situent dans les territoires des alliés historiques de l’imamat zaydite au Yémen, les <a href="https://www.worldatlas.com/articles/yemen-s-tribes-and-tribal-confederations.html">Hashid et les Bakil</a>. Cependant, il est largement admis que l’ascension rapide des Houthistes n’aurait pu se faire sans l’alliance fondée avec leur ancien ennemi, le président destitué Saleh, l’instigateur des six guerres brutales (appelées les guerres de Saada) dont ils ont été les victimes entre 2004 et 2010.</p>
<p>Bien que Saleh soit d’origine zaydite, son alliance avec les Houthistes aura été purement stratégique : il s’agit pour lui de revenir sur la scène politique yéménite. De même, les Houthistes ont fait preuve de pragmatisme avec cette alliance qui leur a permis d’accéder à d’importantes ressources militaires. Malgré sa destitution, Saleh a en effet conservé une grande influence sur l’armée nationale, en particulier sur les forces de la garde républicaine et les forces de la sécurité centrale.</p>
<h2>Al-Qaeda, Daech et les sudistes, des obstacles sur la route des Houthistes</h2>
<p>Cependant, la prise de pouvoir des Houthistes n’est pas acceptée par tous au Yémen, loin de là. Des groupes sunnites situés dans la mouvance du salafisme et liés au parti politique Islah (antenne locale des Frères musulmans) forment des poches de résistance dans certains territoires (à Marib, Jawf et Taiz).</p>
<p>Les Houthistes sont également confrontés aux groupes terroristes d’al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) et de l’État islamique au Yémen (Daech). Le premier est né, courant 2009, de la fusion entre al-Qaeda au Yémen et al-Qaeda en Arabie saoudite, tandis que le second a émergé dans le pays en 2015. Ces groupes tirent profit du chaos engendré par la guerre pour étendre leur influence. <a href="http://geopolis.francetvinfo.fr/concurrence-sanglante-entre-Daech-et-al-qaida-dans-le-yemen-en-guerre-88245">Les multiples attentats</a> commis depuis le début du conflit visent à la fois les Houthistes et les partisans de Hadi, et causent de nombreuses victimes parmi les populations, tant chiites que sunnites.</p>
<p>La fuite de Hadi à Aden en février 2015 a déplacé le centre de gravité du conflit vers les régions du sud, foyer d’un autre groupe qui s’oppose aux Houthistes. Il s’agit des partisans du <a href="http://journals.openedition.org/echogeo/5603">mouvement séparatiste sudiste appelé al-Harak</a>. Né en 2007, ce mouvement regroupe une large coalition d’acteurs qui proclament, par des manifestations pacifiques, l’indépendance du Yémen du Sud (unifié avec le Nord en 1990). L’avancée des Houthistes vers Aden est très mal perçue par les populations sudistes, largement acquises à la cause séparatiste, et qui considèrent le régime de Sanaa comme un « occupant ». Ce fort sentiment régionaliste est exploité par Hadi et ses alliés pour freiner l’expansion territoriale des Houthistes.</p>
<p>Face à l’avancée de ces derniers vers Aden en février 2015, Hadi demande en urgence l’intervention militaire de l’Arabie saoudite et se réfugie à Riyad, où il forme un gouvernement en exil. Les Houthistes, de leur côté, cherchent du soutien auprès de l’Iran. Dès lors, la guerre au Yémen entre dans une nouvelle phase, encore plus violente. La régionalisation de la guerre modifie en effet considérablement les modalités et l’expression du conflit yéménite.</p>
<h2>L’Iran et l’Arabie saoudite entrent en scène</h2>
<p>Pour écarter d’emblée toute ambiguïté, il faut rappeler que le conflit irano-saoudien qui se joue au Yémen est géostratégique et en aucun cas confessionnel (chiite/sunnite). Il s’agit d’une <a href="https://www.areion24.news/2018/08/31/rivalites-irano-saoudiennes-la-dimension-maritime/">rivalité maritime</a> autour de l’accès aux infrastructures portuaires de la zone qui s’étend du détroit d’Ormuz, dans le Golfe arabo-persique, au détroit de Bab Al-Mandab, dans le Golfe d’Aden.</p>
<p>Avec la progression des Houthistes vers la ville d’Aden, en février 2015, le détroit de Bab Al-Mandab – par lequel transite 4 % de la demande mondiale en pétrole – risque de tomber entre les mains d’un groupe pro-iranien. Le 26 mars 2015, l’Arabie saoudite lance alors l’opération militaire « Tempête décisive », en s’appuyant sur une coalition de neuf <a href="http://www.europe1.fr/international/une-coalition-militaire-en-action-au-yemen-2410093">pays arabes et musulmans</a>. Ses objectifs déclarés sont de mettre fin à l’offensive des Houthistes et de rétablir au Yémen le gouvernement de Hadi, reconnu comme légitime sur le plan international.</p>
<p>Dans le but de constituer un camp anti-Houthistes et de disposer de troupes locales loyales à Hadi, la coalition arabe mise sur les affiliations tribales, religieuses et régionales, qui jouent un rôle crucial dans l’espace politique yéménite.</p>
<p>D’une part, l’Arabie saoudite s’appuie militairement sur certaines tribus yéménites, notamment les Hashids, qui bénéficient de ses subventions depuis de nombreuses années. Après la révolution de 1962, un comité saoudien doté d’un budget de 3,5 milliards de dollars a ainsi été mis en place pour former un réseau de chefs tribaux yéménites fidèles au Royaume.</p>
<p>D’autre part, les Émiratis, très investis dans la coalition arabe, instrumentalisent le sentiment régionaliste dans le sud du pays afin d’alimenter la guerre contre les Houthistes. Ils soutiennent, en mai 2017, la formation du « Conseil de transition du Sud » à Aden, qui proclame la sécession du sud du Yémen.</p>
<p>Du côté de l’État iranien, si le soutien aux Houthistes est avéré, son impact sur le déroulement du conflit au Yémen reste limité. Au cours de la formation de leur mouvement, les Houthistes se sont inspirés des codes et slogans de la Révolution iranienne de 1979. Le mouvement a également connu un processus de renouveau, rapprochant le chiisme zaydite du chiisme duodécimain, doctrine de l’État iranien.</p>
<p>Toutefois, l’influence la plus significative de l’Iran dans le conflit yéménite se manifeste au niveau militaire avec la fourniture aux Houthistes d’une certaine capacité balistique. Depuis 2015, en effet, ces derniers pilonnent les frontières méridionales de l’Arabie saoudite par des tirs de missiles et frappent des navires civils et militaires (saoudiens et émiratis) dans le Golfe au moyen de missiles anti-navires.</p>
<h2>La lutte antiterroriste, l’autre guerre du Yémen</h2>
<p>Mais la complexité du conflit yéménite va au-delà des clivages internes et des rivalités régionales en raison de la guerre antiterroriste qui se joue en arrière-plan. Les questions sécuritaires liées à la présence de groupes terroristes au Yémen ont donné une dimension internationale à cette guerre.</p>
<p>Depuis 2011, les frappes ciblées menées par les drones américains contre les camps d’entraînement des groupes terroristes (Aqpa et Daech) au Yémen se sont intensifiées, notamment dans les régions de Marib, Shabwa, Baydha, Hadramaout et Abyan. Le rôle des Américains dans la guerre contre le terrorisme au Yémen remonte aux années 2000, à l’attaque de l’USS Cole dans le port d’Aden et aux attentats du 11 septembre 2001. Dans le conflit actuel, les États-Unis offrent également un soutien logistique aux forces émiraties, cibles de plusieurs attentats terroristes.</p>
<p>Néanmoins, l’intervention de ces acteurs régionaux et internationaux dans la guerre yéménite n’aura que très peu modifié les lignes sur le champ de bataille. Certes, l’opération « Tempête décisive » a stoppé la progression des Houthistes vers les régions méridionales placées, depuis septembre 2015, sous le contrôle des forces gouvernementales. En revanche, les Houthistes maintiennent toujours leurs positions dans le nord du pays, et cela malgré la rupture de leur alliance avec Saleh, qu’ils ont fait assassiner le 4 novembre 2017.</p>
<h2>Face à l’apocalypse yéménite, des efforts de paix hors de propos</h2>
<p>Aujourd’hui, à l’heure où la guerre fait toujours rage, les appels à la paix se multiplient. Les quatre années du conflit yéménite ont entraîné une crise humanitaire sans précédent. <a href="https://www.lepoint.fr/monde/22-millions-de-yemenites-ont-besoin-d-aide-16-01-2018-2186992_24.php">Les chiffres sont effrayants</a> : environ 10 000 victimes (dont 60 % de civils), 50 000 blessés, 3 millions de déplacés (sur une population estimée à 27 millions), 80 % de la population dépendant de l’aide humanitaire, 7 millions de personnes exposées au risque de famine et plusieurs milliers de morts dus au choléra. À cela s’ajoutent les crimes de guerres perpétrés par tous les acteurs du conflit, dont la destruction des infrastructures et du patrimoine matériel, l’enrôlement d’enfants dans les forces armées, etc.</p>
<p>En outre, la polarisation du conflit yéménite autour des clivages tribaux, régionaux et religieux a accentué les antagonismes dans une société qui est déjà profondément divisée. Ces déchirures compliquent la mise en place du processus de pacification.</p>
<p>Jusqu’à présent, aucune des parties au conflit au Yémen n’a donné la moindre indication quant à la possibilité d’une solution autre que militaire. Ainsi, aucun des pourparlers engagés par l’ONU depuis 2014 (en Suisse et au Koweït) n’ont abouti à un résultat.</p>
<p>Dernièrement, l’<a href="https://theconversation.com/laffaire-khashoggi-nouvel-avatar-de-lopposition-entre-la-turquie-et-larabie-saoudite-106826">affaire Khashoggi</a> a incité les hauts responsables des gouvernements américain, français et britannique à hausser le ton, appelant le Royaume saoudien à mettre un terme à la guerre au Yémen. Depuis, on assiste à certaines avancées dans le dossier yéménite. La coalition arabe vient ainsi d’accepter un cessez-le-feu en stoppant ses offensives sur le port de Hodeïda, assiégé depuis le mois de juin.</p>
<p>Parallèlement, le nouvel envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Martin Griffiths, a relancé le processus de paix en annonçant de nouveaux pourparlers en Suède dans les <a href="https://www.france24.com/fr/20181114-yemen-desescalade-hodeida-emirats-pourparlers-suede-emirats-eau">semaines à venir</a>. Mais cette énième tentative de paix n’aura aucune chance de réussir si l’ONU ne renouvelle pas sa lecture du conflit yéménite.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que la paix au Yémen est étroitement liée aux intérêts des pays régionaux et internationaux. Toutefois, pour l’heure, seuls les acteurs locaux sont invités à participer aux pourparlers de l’ONU. Pire, la représentation dans ces discussions se limite aux Houthistes et au gouvernement de Hadi. Ils sont pourtant loin d’être les seuls acteurs influents au niveau local.</p>
<p>Cette configuration de la paix est très réductrice et ne reflète en rien la réalité que les quatre années de conflit ont engendrée sur la scène yéménite en termes de rapports de force. Il est illusoire d’élaborer un plan de paix sans prendre en considération la pluralité des acteurs du conflit yéménite et des enjeux locaux, régionaux et internationaux qui s’y superposent.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106806/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samah Mohamed ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est illusoire d’élaborer un plan de paix sans prendre en considération la pluralité des acteurs du conflit yéménite et des enjeux locaux, régionaux et internationaux qui s’y superposent.Samah Mohamed, Historienne, chercheur associé à l'IREMAM, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055122018-10-25T22:11:45Z2018-10-25T22:11:45ZL’Iran face au terrorisme : un sursaut nationaliste salutaire… et risqué<p>L’Iran a présenté Daech comme le responsable de l’<a href="https://theconversation.com/liran-face-au-terrorisme-un-sentiment-dencerclement-105511">attaque terroriste ayant frappé Ahvaz le 22 septembre dernier</a>. Mais au-delà du danger spécifique représenté par le groupe djihadiste, ledit attentat rappelle la réalité du problème séparatiste en Iran et le risque d’une manipulation de ces tensions internes par des acteurs extérieurs.</p>
<p>Le nationalisme iranien est souvent présenté dans les médias, notamment occidentaux, comme une force permettant à l’Iran de rester fort dans l’adversité. Mais est-ce une vision juste de ce que ce « nationalisme » signifie ?</p>
<h2>Un nationalisme inclusif et positif pour le régime</h2>
<p>Face à une série de menaces – internes et externes –, on aurait pu s’attendre à une réaction iranienne bien plus agressive à l’international. Or on constate, pour l’instant, que si la rhétorique est virulente, contre les Saoudiens notamment, les actions, elles, restent pour le moins <a href="https://www.middleeasteye.net/columns/why-iran-unlikely-retaliate-against-saudi-arabia-ahvaz-attacks-1980643949">mesurées</a>.</p>
<p>Ce qui a dominé au sein de la République islamique après l’attentat d’Ahvaz, c’est moins le désir de revanche que le ralliement au drapeau. Ce qui est très positif pour le régime. L’Iran a été <a href="https://www.washingtonpost.com/world/middle_east/iran-holds-funerals-for-victims-of-terror-attack-in-ahvaz/2018/09/24/743d20ac-bfc3-11e8-9f4f-a1b7af255aa5_story.html?utm_term=.4a2eebcc6c0d">choquée</a> par le massacre indiscriminé, frappant non seulement des Pasdarans, mais aussi des civils. On pense notamment à la mort d’un enfant de quatre ans, Mohammad Taha, ou encore au cas d’Hosein Monjazi, un vétéran de la guerre Iran-Irak, invalide de guerre (il a perdu un bras et une jambe sur le champ de bataille). L’image de son cadavre à côté de son fauteuil roulant a, on peut le comprendre, profondément choqué l’opinion iranienne.</p>
<p>Par ailleurs, les militaires pris pour cibles lors de cet attentat étaient de jeunes conscrits : toutes les mères iraniennes, en voyant les images de l’attaque, n’ont pu qu’imaginer leur fils parmi les victimes. Face à l’horreur, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/09/22/en-iran-l-attaque-terroriste-a-ahvaz-secoue-et-unit-la-population_5358858_3210.html">union sacrée</a> a prévalu en Iran, des plus réformistes aux plus conservateurs. Et cette union sacrée va renforcer l’adhésion au pouvoir en place.</p>
<p>D’autant que ce dernier n’hésite pas à faire son <a href="https://www.dawn.com/news/1435749">autocritique</a> sur les failles sécuritaires. Le pouvoir politique a bien compris que, pour contrer toute théorie du complot faisant du régime un possible responsable de l’attaque terroriste, il était nécessaire d’être transparent. Et des images de <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-attack-guards-analysis/irans-revolutionary-guards-may-turn-parade-attack-into-political-win-idUSKCN1M62CD">Pasdarans</a> protégeant femmes et enfants ou les aidant à s’échapper ont été très partagées, donnent une image positive de ce pilier du régime.</p>
<h2>Le régime, « bouclier » autoproclamé de la nation</h2>
<p>Plus largement, l’attaque d’Ahvaz, qui a visé le défilé commémorant la guerre Iran-Irak, donne l’opportunité de faire passer un <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/26/did-a-terrorist-attack-just-save-the-iranian-regime/">message fort</a> à la jeune génération. Beaucoup d’Iraniens sont trop jeunes pour avoir connu cette guerre, qui a littéralement façonné la génération précédente. Vue d’Iran, elle avait démontré à la population que les Américains n’acceptaient pas une République islamique indépendante, transformant la guerre Iran-Irak en guerre mondiale : après tout, Saddam Hussein avait reçu le soutien des Occidentaux et des monarchies du Golfe.</p>
<p>Après l’attentat d’Ahvaz, le régime martèle qu’aujourd’hui comme hier, l’Iran est pris pour cible par Washington et ses alliés arabes du fait de sa soif d’indépendance nationale. Et que le régime existe justement pour servir de bouclier à la nation.</p>
<p>Pour nombre d’Iraniens, l’idée selon laquelle l’attaque d’Ahvaz doit être placée dans un contexte plus large de ciblage de l’Iran de concert par Américains, Israéliens et Saoudiens, <a href="https://www.aljazeera.com/news/2018/09/ahvaz-iran-national-security-worries-challenges-180929150734325.html">ne fait aucun doute</a>.</p>
<h2>Priorité à la défense de la « maison commune iranienne »</h2>
<p>Le ralliement des Iraniens autour du drapeau ne signifie pas forcément repli ethnique et chauvin : il existe en Iran un patriotisme qui dépasse largement, au moins en théorie, la définition ethnique. À noter que certains universitaires iraniens <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780230115842">refusent</a> la notion même d’une quelconque « ethnie » persane, mettant plutôt en avant la langue commune, le farsi, comme vecteur de communication de tous les Iraniens (qu’ils appartiennent à une minorité ou non). La notion d’ethnie persane pure et différenciée ne fait pas sens, du fait du large brassage au cours des siècles de ceux qu’on appelle parfois les « Persans ».</p>
<p>On peut, par exemple, retrouver cette approche supra-ethnique du nationalisme iranien dans la minorité azérie, souvent bilingue et pratiquant l’exogamie. Ainsi, comme le rappelle Rasmus Christian Elling dans son ouvrage <a href="http://www.academia.edu/15360827/Review_of_Minorities_in_Iran_Nationalism_and_Ethnicity_after_Khomeini_by_Rasmus_Christian_Elling"><em>Minorities in Iran : Nationalism and Ethnicity after Khomeini</em></a>, des Azéris, ou des Iraniens ayant des racines en parties azéries, se retrouvent dans les plus hautes fonctions politiques ou religieuses. C’est le cas, notamment, du premier personnage de l’État lui-même, Ali Khamenei.</p>
<p>La guerre Iran-Irak a renforcé cette approche du nationalisme : dans la logique patriotique née à cette période, les questions ethniques ont été mises de côté en faveur de la défense de la maison commune face à l’agresseur irakien. Les Arabes du Khuzestan se sont ainsi battus courageusement contre l’Irak entre 1980 et 1988, alors que Saddam Hussein avait cru pouvoir bénéficier du soutien de cette population en jouant la carte du panarabisme. Mais la politique menée par son parti, le très autoritaire Baath, qui maltraitait les Arabes chiites d’Irak, a été rejetée par les habitants du Khuzestan.</p>
<p>En définitive, l’existence de tensions centre-périphérie importantes en Iran ne conduit en rien la population arabe iranienne à s’opposer systématiquement et radicalement à la République islamique. À cet égard, l’attaque d’Ahvaz ne favorise pas forcément le discours des indépendantistes. Au contraire, cette violence indiscriminée pourrait plutôt le délégitimiser aux yeux de la population.</p>
<p>Enfin, le sentiment d’union sacrée, quelles que soient les opinions politiques et les origines ethniques des uns et des autres, sera sans doute renforcé par les <a href="https://www.timesofisrael.com/islamic-state-threatens-iran-with-more-attacks/">déclarations de Daech</a>, qui a promis d’autres attentats en Iran.</p>
<p>Si certains analystes y voient un échec de la politique officielle, qui disait combattre les djihadistes en Syrie et en Irak pour éviter d’avoir à les combattre en Iran, on peut mettre en avant une approche différente : cette attaque et ces menaces confirment bien la réalité du danger que représente le terrorisme djihadiste sunnite. Considéré comme étant soutenu par des forces étrangères, et incarné notamment par Daech, il est de fait perçu comme le principal danger qui menace la sécurité de tous les Iraniens. Ce qui rend légitime de lutter contre lui à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.</p>
<p>D’autant que pour les terroristes, un Arabe ou un Persan au Khuzestan est une cible « légitime », la majorité de la population locale arabe étant chiite au Khuzestan. Et le terrorisme aveugle, comme celui qui a frappé à Ahvaz, le 22 septembre dernier, n’hésite pas à tuer des civils au hasard. Dès lors, l’élan nationaliste suscité par le terrorisme est une bonne chose pour Téhéran, car il pousse à l’unité face à un ennemi commun. Mais ce sentiment nationaliste restera-t-il toujours une force pour l’Iran ?</p>
<h2>Un possible effet boomerang pour le régime</h2>
<p>La forme de nationalisme la plus populaire actuellement en Iran est celle qui glorifie le passé pré-islamique. Or, associé à la guerre froide qui met aux prises le pays avec l’Arabie saoudite, il peut prendre une tonalité « ethnique » clairement <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/26/did-a-terrorist-attack-just-save-the-iranian-regime/">anti-arabe</a>. Comme le rappelle <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01419870.2012.734389?src=recsys">Reza Zia-Ebrahimi</a>, le nationalisme iranien s’est inspiré du nationalisme européen du XIX<sup>e</sup> siècle, aux relents racistes. Ce phénomène explique la persistance d’un racisme anti-arabe chez certains Iraniens.</p>
<p>Le danger pour la cohésion du pays que représente, à terme, ce rejet de la diversité ethnique inhérente à l’Iran, est souligné par certains, y compris par une partie de la <a href="http://www.irdiplomacy.ir/en/news/1964235/cyrus-the-great-and-rise-of-nationalistic-fervor-in-iran-">droite iranienne</a>. Ce risque est d’autant plus réel qu’un nationalisme iranien critique des minorités pourrait se nourrir de l’actualité récente.</p>
<p>Deux exemples, parmi d’autres : après l’attaque d’Ahvaz, de durs combats ont opposé, le 12 octobre, les forces régulières iraniennes à des séparatistes kurdes, dans la province de Kermanshah, frontalière de l’Irak. Quatre jours plus tard, le groupe séparatiste-djihadiste baloutche <em>Jaish al-Adl</em> a kidnappé 14 membres des services de sécurité, à la frontière irano-pakistanaise.</p>
<p>De la dénonciation du séparatisme au soupçon systématique contre les minorités, il n’y a qu’un pas que certains en Iran n’hésiteront pas à franchir. Un problème bien connu par les sociétés multiculturelles et pluriethniques frappées le terrorisme.</p>
<h2>Des séparatistes encouragés par les tensions avec les États-Unis</h2>
<p>Plus largement, l’attaque terroriste d’Ahvaz tend à montrer que les adversaires du régime de Téhéran perçoivent les tensions géopolitiques actuelles, notamment avec les États-Unis, comme une <a href="https://www.nbcnews.com/news/world/iran-terrorist-attack-shows-regime-opponents-see-unique-opportunity-experts-n912481">opportunité</a> pour réaliser leurs propres objectifs.</p>
<p>Ainsi, il est avéré que les Saoudiens ont soutenu, idéologiquement et financièrement, le séparatisme baloutche contre l’Iran. En 2017, le Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) a également décidé de reprendre la lutte armée, et Daech a frappé l’Iran <a href="https://theconversation.com/liran-sur-le-qui-vive-face-a-la-menace-djihadiste-82924">sur son sol</a>.</p>
<p>Dans un tel environnement, la tentation est grande d’étouffer toute expression de mécontentement, émanant notamment des minorités, accusées d’être manipulées de l’extérieur. Cette tentation peut inciter le pouvoir iranien à refuser de prendre en compte les raisons internes du mécontentement au Khuzestan. Avec le risque de nourrir un peu plus le séparatisme violent ou la capacité de recrutement d’autres forces non-étatiques opposées au gouvernement.</p>
<p>Et pourtant, on ne peut nier que les Arabes du Khuzestan font face à d’authentiques difficultés, qui demanderaient une réponse appropriée de la part de l’État.</p>
<h2>Les défaillances de Téhéran</h2>
<p>Aujourd’hui, rien ne laisse à penser qu’une <a href="https://www.rferl.org/a/iran-khuzestan-poverty-separatism-bloody-war-memories/29515269.html">politique de discrimination systématique est orchestrée par Téhéran</a> contre les Arabes iraniens du Khuzestan. Mais au niveau local, une discrimination insidieuse, de tous les jours, est bien réelle, et l’État devrait s’efforcer de lutter contre elle. D’autant que les manifestations de 2011 dans la province, inspirées par les « Printemps arabes » et sévèrement réprimées par la force, ont en partie été motivées par cette discrimination au quotidien. À court terme, l’ordre a été rétabli, mais sans qu’on ne traite le problème à la racine.</p>
<p>Or le Khuzestan connaît le troisième taux de chômage le plus important en Iran. Alors que le pays avait d’ambitieux projets éducatifs pour son voisin, l’Irak (avec la construction envisagée de 3000 écoles), l’<a href="https://english.alarabiya.net/en/features/2017/04/14/ANALYSIS-Ethnic-restructuring-behind-Iranian-oppression-of-Ahwazi-Arabs.html">illettrisme</a> dans cette province iranienne reste très important. Ce territoire a, plus largement, gardé des séquelles profondes de la guerre Iran-Irak, et sa reconstruction n’a pas été une priorité après-guerre.</p>
<p>Pire encore, les Arabes du Khuzestan subissent les conséquences d’une politique bien peu respectueuse de l’écologie. Selon l’<a href="http://www.atlanticcouncil.org/blogs/iransource/the-rise-and-fall-of-iran-s-khuzestan-a-calamity-of-international-significance">Organisation mondiale de la Santé</a>, Ahvaz était la ville la plus polluée au monde en 2013. Les compagnies pétrolières et les usines chimiques n’hésitent pas à y déverser leurs déchets dans la nature. Et cela, alors que les hôpitaux locaux ne disposent pas de fonds suffisants, et n’ont pas de docteurs en nombre suffisant pour faire face aux <a href="https://english.alarabiya.net/en/features/2017/04/14/ANALYSIS-Ethnic-restructuring-behind-Iranian-oppression-of-Ahwazi-Arabs.html">conséquences sanitaires désastreuses</a> d’une telle pollution.</p>
<p>Alors que le Khuzestan manque cruellement d’eau pour sa population et pour l’activité agricole, le pouvoir central n’en a pas moins poursuivi la politique du Shah de drainage vers d’autres régions. Or le sujet de l’eau est assez sensible pour pousser la population locale à critiquer ouvertement les autorités, et à <a href="https://en.radiofarda.com/a/iran-protests-khuzestan-water-scarcity/29333200.html">manifester</a>.</p>
<p>Si le pouvoir iranien a su gérer le choc provoqué par l’attaque d’Ahvaz du 22 septembre, cette action terroriste ne peut être analysée sans prendre en compte les tensions locales, entre le centre iranien et les périphéries souvent associées à des minorités ethniques. Le nationalisme est un outil efficace pour unir face à un ennemi commun. Mais il peut aussi empêcher une remise en question pourtant nécessaire de certaines orientations politiques passées, notamment face à des territoires qui se sentent oubliés par la République islamique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105512/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nationalisme est un outil efficace en Iran pour unir face à un ennemi commun. Mais il peut aussi empêcher une remise en question pourtant nécessaire de certaines orientations politiques récentes.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055112018-10-23T21:59:20Z2018-10-23T21:59:20ZL’Iran face au terrorisme : un sentiment d’encerclement<p>Le 22 septembre 2018, à Ahvaz, capitale régionale de la province du Khuzestan, dans le sud-ouest de l’Iran, des militants ont pris pour cible un défilé militaire du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, mieux connu sous le nom de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2013/06/11/les-pasdarans-une-milice-au-coeur-du-regime_3428153_3210.html">Pasdarans</a>. Bilan : au moins 29 morts, et plus de 60 blessés. Et un dangereux avant-goût de troisième guerre du Golfe, <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/opinion/gwynne-dyer/another-gulf-war-the-first-shots-137218">selon certains</a>.</p>
<h2>Qui est responsable ?</h2>
<p>Face à ce type d’action, la première question que l’on se pose est celle de la responsabilité. Deux hypothèses ont émergé : un acte des séparatistes arabes du Khuzestan (un territoire abritant une minorité arabe, principalement chiite), ou de Daech.</p>
<p>Ces deux coupables présumés ont revendiqué l’attentat, mais seul le second a divulgué une vidéo. On y voit trois des responsables présumés de l’attaque, deux parlant en arabe avec un accent irakien, et le troisième en farsi. Ils s’y présentent comme des représentants de la vraie foi, en djihad contre les « infidèles » – ce qui est, en effet, plus proche du discours djihadiste que de celui de séparatisme.</p>
<p>Pour autant, l’Iran ayant construit une partie de son identité sur l’affiliation au chiisme, la haine contre cette branche de l’islam peut se retrouver chez les indépendantistes, comme on peut le constater, par exemple, au Baloutchistan. Et les séparatistes revendiquant l’attentat ont affirmé que la vidéo leur avait été <a href="http://www.chroniques-persanes.com/2018/09/iran-attaque-terroriste-ahwaz-le-flou.html">« volée »</a> par l’État islamique (EI)… Et ils semblent avoir donné des <a href="http://time.com/5411272/iran-missiles-syria-parade-attack/">informations exactes</a> sur l’un des commanditaires de l’attentat – ce qui donne une certaine crédibilité à leur revendication de l’attaque.</p>
<p>On se heurte ici à la limite de l’analyse sur le dossier des actions terroristes, qui reste fondamentalement dépendante de la parole d’acteurs ayant leurs propres intérêts à défendre. Le journaliste et le chercheur sont aussi, sans doute, prisonniers d’une vision des choses incluant chez les militants de ces groupes non-étatiques une affiliation claire et unique… Ce qui est loin d’être toujours le cas. Ainsi, si les individus dans cette vidéo ont tenu un discours anti-chiite compatible avec la pensée d’Al-Baghdadi, ils ne lui ont pas pour autant prêté allégeance ouvertement.</p>
<h2>Daech, principal suspect</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, il semblerait qu’avec le temps, la responsabilité du groupe djihadiste ait été considérée comme étant la plus crédible. Selon un officier du renseignement irakien cité par <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-attack-guards-analysis/irans-revolutionary-guards-may-turn-parade-attack-into-political-win-idUSKCN1M62CD">Reuters</a>, des membres de Daech auraient fui l’Irak, suite à leurs défaites sur place, avant de traverser la frontière irako-iranienne en direction de l’Afghanistan et du Pakistan. Ils auraient pu aider à former des cellules djihadistes sur place en Iran.</p>
<p>Cette possibilité a été confirmée par des <a href="https://en.radiofarda.com/a/iran-mps-call-ahvaz-terror-attack-intelligence-disaster/29527424.html">parlementaires iraniens</a> qui ont souligné l’existence de positions « poreuses » à la frontière entre Irak et Iran, rendant l’infiltration d’une cellule de Daech en territoire iranien tout à fait possible.</p>
<p>Téhéran, dans un premier temps, semble avoir hésité : après avoir tenu un discours mettant clairement en cause les séparatistes arabes, la position officielle a évolué vers la désignation de l’État islamique comme responsable.</p>
<p>Le 25 septembre dernier, le ministère du Renseignement iranien a ainsi présenté, selon lui, les responsables directs de l’attentat : un commando de cinq hommes, désignés comme des « séparatistes djihadistes ». L’une des photos présentant lesdits individus a été directement tirée de la vidéo présentée par Daech comme preuve de sa revendication. Par la suite, la culpabilité de l’État islamique a été confirmée, en tout cas du point de vue iranien : d’où les tirs de missiles balistiques par l’Iran vers le sud-est de la Syrie, ciblant le dernier territoire dans la zone <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-syria-missile-attack/iran-fires-missiles-at-militants-in-syria-over-parade-attack-idUSKCN1MB1ET">encore tenue par les djihadistes</a>.</p>
<p>Enfin, le 16 octobre, les Pasdarans ont annoncé avoir tué le « cerveau » de l’attentat, <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-security-iraq/iran-says-it-has-killed-mastermind-of-deadly-attack-on-parade-idUSKCN1MQ2KP">Abu Zaha</a>, membre de Daech, dans la province de Dilaya, en Irak.</p>
<p>Ainsi, si on s’en tient aux informations mises en avant par Téhéran, la responsabilité de Daech est maintenant relativement claire, même si le doute reste permis face à une position officielle. Quoi qu’il en soit, se concentrer sur la question de la responsabilité, difficilement vérifiable, peut amener à manquer l’essentiel dans cette affaire : le danger posé par un séparatisme actif dans le Khuzestan, et surtout sa récupération par des forces étrangères hostiles à l’Iran.</p>
<h2>Le Khuzestan, un territoire clé pour la République islamique</h2>
<p>Le fait que les « séparatistes djihadistes » aient décidé de frapper au Khuzestan est particulièrement important. Il s’agit d’un territoire clé pour la République islamique : à la frontière avec l’Irak, il représente entre 80 % et 90 % des réserves pétrolières prouvées, ainsi que 60 % des réserves en gaz naturel. La population arabe iranienne locale a des liens tribaux et linguistiques avec son voisinage irakien.</p>
<p>Comme évoqué plus haut, l’attentat d’Ahvaz a prouvé que l’infiltration de forces non-étatiques en Iran venant d’Irak était possible. Le danger sécuritaire est d’autant plus réel que, comme d’autres périphéries iraniennes peuplées de minorités, ce territoire a été secoué par des actions anti-gouvernementales par le passé.</p>
<p>En 1922, déjà, le nationaliste arabe Khazal Shah a essayé de séparer le Khuzestan du reste de l’Iran, profitant de faiblesse de la dynastie Qajar finissante. Puis en 1958, un FLA, « Front de Libération de l’Arabistan » (nom donné par les séparatistes au Khuzestan), a vu le jour : preuve que le problème ici n’est pas le régime iranien, mais une difficile relation entre le centre et la périphérie, mais aussi entre les Persans et les minorités ethniques. Le FLA a été décapité dès 1963, mais les tensions entre Téhéran et la minorité arabe du Khuzestan ne se sont pas apaisés pour autant.</p>
<p>En 2005, des manifestations y ont eu lieu en réaction à ce qui semble avoir été une « fake news » : une <a href="https://www.hrw.org/news/2015/04/29/iran-sweeping-arrests-ahwazi-arab-activists">lettre</a> attribuée au vice-président de l’époque, Mohamad Ali Abtahi, mettant en avant une stratégie politique visant à réduire la population arabe du Khuzestan. La police a tiré sur les manifestants pour tenter de les disperser, entraînant un cercle vicieux violences-répressions. Des attentats à la bombe ont par la suite été commis – en juin, octobre 2005 et janvier 2006 – attribués aux séparatistes.</p>
<h2>Concordance de vues entre séparatistes et djihadistes</h2>
<p>Ces violences n’ont pas cessé depuis : en avril 2015, les séparatistes affiliés au Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz (mieux connu sous son sigle anglophone ASMLA, <em>Arab Struggle Movement for the Liberation of Ahwaz</em>) ont annoncé une escalade sans précédent dans leur lutte armée, vite confirmée <a href="https://jamestown.org/program/nuclear-agreement-overshadows-arab-unrest-in-iranian-khuzestan/">dans les faits</a>. Ce groupe s’est, par la suite, illustré dans l’<a href="https://www.rferl.org/a/iran-arab-separatists-pipeline-bombings-khuzestan/28213298.html">attaque de pipelines</a> à l’intérieur du pays.</p>
<p>ASMLA ne cache pas son désir de coopérer avec les autres séparatistes s’opposant à la République islamique, par exemple en territoire kurde ou au Sistan-Baloutchistan. C’est un point commun avec les djihadistes anti-Iran, <a href="http://www.rudaw.net/english/analysis/23112015">notamment Daech</a>.</p>
<p>Le groupe séparatiste s’est également ouvertement aligné sur l’Arabie saoudite, en soutenant sa guerre au Yémen, au nom de l’opposition à l’influence iranienne. Ici aussi, on ne peut que constater la concordance de vues de fait entre séparatistes et <a href="https://www.aljazeera.com/news/2018/08/report-saudi-uae-coalition-cut-deals-al-qaeda-yemen-180806074659521.html">djihadistes</a>, qui pensent dans les deux cas la guerre au Yémen comme une lutte entre chiites/forces pro-iraniennes et sunnites, à leur avantage.</p>
<p><a href="https://www.rferl.org/a/iran-khuzestan-poverty-separatism-bloody-war-memories/29515269.html">Certes, le séparatisme ne séduit pas les masses</a> au Khuzestan, même quand ces dernières sont en colère contre le pouvoir en place. Mais il s’agit d’une force déterminée, bien organisée, et qui partage les mêmes objectifs anti-iraniens que les djihadistes transnationaux. Ce qui rend l’idée d’une coopération entre militants séparatistes et de Daech, comme cela a pu être évoqué pour cette dernière attaque à Ahvaz, au moins probable. Et ce qui permet de mieux comprendre le danger que peut représenter le séparatisme violent pour le pouvoir iranien.</p>
<h2>« Cinq petits Iran qu’un grand Iran »</h2>
<p>Riyad et ses alliés émiratis se sont donc naturellement appropriés cette lutte séparatiste. En mai 2017, le prince héritier Mohammed Ben Salman a été <a href="https://www.middleeasteye.net/news/irans-opposition-and-foreign-links-whats-reality-110298576">très clair</a> : il ne compte pas attendre que la bataille entre son pays et l’Iran atteigne le territoire saoudien. Il compte plutôt mener ce combat en Iran même.</p>
<p>On reste ici dans une stratégie classique des pays moyen-orientaux s’opposant à l’influence iranienne, y compris pendant la Guerre froide. Comme le disait Tarek Aziz, l’ancien bras droit de Saddam Hussein :</p>
<blockquote>
<p>« Il vaut mieux cinq petits Iran qu’un grand Iran. »</p>
</blockquote>
<p>Ce soutien se retrouve aussi dans les rangs de la rébellion syrienne : un bataillon de l’Armée syrienne libre s’appelait « Brigade Ahvaz », et les séparatistes d’ASMLA ont même fait le voyage en Syrie, en 2012. Le soutien mutuel est fondé sur l’idéologie, mais aussi sur des questions pratiques : la rébellion veut avoir accès à de l’information en territoire iranien, et les séparatistes ont besoin de l’<a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-arabs-insight/insight-irans-arab-minority-drawn-into-middle-east-unrest-idUSBRE97E0O620130815">expertise des combattants syriens</a>.</p>
<p>Ces dernières années, on constate que les Saoudiens et leurs alliés mettent en avant la cause indépendantiste des Arabes du Khuzestan. L’idée de ce territoire comme étant sous occupation, et nécessitant un soutien actif de la péninsule pour sa libération, a été <a href="https://www.alaraby.co.uk/english/blog/2015/10/21/saudi-media-throws-weight-behind-irans-arab-separatists">ouvertement exprimée</a> : après l’attentat, si les ministères des Affaires étrangères du Qatar et du Koweït ont vite condamné l’attaque, le <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/gulf-and-arabian-peninsula/iran/irans-ahvaz-attack-worsens-gulf-tensions">silence du Bahreïn ou de l’Arabie saoudite</a> a confirmé le fait que certains pays considèrent le terrorisme frappant l’Iran comme étant acceptable.</p>
<p>Le professeur Abdulkhaleq Abdulla, <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/gulf-and-arabian-peninsula/iran/irans-ahvaz-attack-worsens-gulf-tensions">présenté</a> comme un proche du prince héritier d’Abu Dhabi et un conseiller du pouvoir aux Émirats, est allé jusqu’à déclarer que l’attaque à Ahvaz n’était pas du terrorisme, car il visait une <a href="https://twitter.com/Abdulkhaleq_UAE/status/1043461252956213249">cible militaire</a> iranienne…</p>
<h2>Equilibre de la terreur entre Riyad et Téhéran</h2>
<p>La tentation d’un soutien renforcé au séparatisme arabe du Khuzestan est d’autant plus forte à Riyad que ce dernier permet de créer une sorte d’équilibre de la terreur entre le Royaume et la République islamique.</p>
<p>En effet, les Saoudiens craignent particulièrement l’influence iranienne dans leur province de l’Est, largement peuplé de chiites. Comme les Arabes du Khuzestan, ils se sentent marginalisés, dépossédés de leurs ressources naturelles par un pouvoir qui ne les écoute pas. Et Riyad préfère les voir comme les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/alnimr-et-les-chiites-dar_b_8967312.html">pions d’une puissance étrangère hostile</a> plutôt qu’exprimant une révolte liée à certaines réalités spécifiques au sein du royaume.</p>
<p>Se sentant potentiellement menacée par un séparatisme que sa politique discriminatoire contre les chiites nourrit, l’Arabie saoudite est d’autant moins réservée dans l’utilisation de forces indépendantistes contre l’État associé au chiisme au Moyen-Orient.</p>
<p>Enfin, le fait que les <a href="https://www.dw.com/en/us-tells-iran-to-look-in-the-mirror-after-rouhani-blames-it-for-ahvaz-attack/a-45611472">Américains eux-mêmes</a> se fassent l’écho du discours selon lequel le régime iranien serait responsable de ses propres malheurs, y compris face au terrorisme, confirme chez les Iraniens un sentiment d’encerclement par des forces globalement hostiles. Entre menace séparatiste et hostilité extérieure, l’attentat d’Ahvaz est perçu en Iran comme un possible facteur de déstabilisation du Golfe.</p>
<p>Face au danger très réel pour ce pays, on met souvent en avant, à raison, le sentiment nationaliste, unissant tous les Iraniens face à une menace extérieure. Mais est-ce que dans ce cas précis, ledit sentiment sera forcément positif pour Téhéran ? C’est le sujet qui sera abordé dans notre prochain article.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105511/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre menace séparatiste et hostilité extérieure, l’attentat d’Ahvaz, commis le 22 septembre 2018, est perçu en Iran comme un facteur sérieux de déstabilisation du Golfe.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1037862018-09-25T20:19:00Z2018-09-25T20:19:00ZL’État islamique en Irak : un djihadisme ritualisé<p>Dimanche 23 septembre 2018, <a href="https://www.iraqinews.com/iraq-war/iraqi-police-kill-five-islamic-state-militants-in-mosul/">cinq membres de l’État islamique étaient arrêtés par la police et les forces spéciales irakiennes à Mossoul</a>, dans le cadre d’une vaste opération d’arrestations contre les militants de l’organisation terroriste ayant survécu à l’assaut militaire de 2017 dans cette même ville. Ces hommes s’étaient, pour la plupart, cachés dans les tunnels secrets de la zone et dans des caves ; ils planifiaient de s’en prendre à des populations civiles locales.</p>
<p>Cet incident, comme tant d’autres survenus depuis un an, démontre, s’il en est encore besoin, que le mouvement djihadiste n’a jamais été entièrement défait, comme l’annonçait pourtant fin 2017 le <a href="https://www.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2017/12/09/l-irak-estime-la-victoire-contre-les-djihadistes-de-l-etat-islamique-acquise_5227318_1667109.html">gouvernement du premier ministre sortant Haïdar al-Abadi</a>, et qu’il retient, au contraire, d’importantes capacités de nuisance sur fond d’instabilité sociopolitique structurelle.</p>
<h2>Une violence omniprésente</h2>
<p>À l’heure où la <a href="https://lemonde.fr/proche-orient/article/2018/09/07/l-irak-rattrape-par-la-contestation-sociale_5351834_3218.html?">colère sociale gronde dans les principales provinces chiites du sud</a>, où les protestataires accusent les autorités d’impéritie et réclament des réformes dans tous les secteurs prioritaires de la reconstruction irakienne, la violence reste omniprésente dans les gouvernorats sunnites du centre et du nord, où les djihadistes, un temps, avaient établi leur proto-État.</p>
<p><a href="https://reliefweb.int/report/iraq/un-casualty-figures-iraq-month-august-2018-enarku">Au cours du seul mois d’août 2018</a>, la Mission d’assistance des Nations unies en Irak (MANUI) faisait état de 90 citoyens irakiens tués et de 117 autres blessés dans des attentats visant, par ailleurs, essentiellement l’armée irakienne et les figures et symboles de l’État central. Plusieurs sources sécuritaires s’accordent à dire que le groupe djihadiste continue de constituer une menace existentielle pour l’Irak.</p>
<p>Pour autant, ce qui demeure communément présenté comme un <a href="https://www.lesinrocks.com/2018/07/24/actualite/comment-letat-islamique-est-en-train-doperer-un-retour-en-irak-111108463/">« retour » de l’État islamique</a> dans ce pays n’en est pas vraiment un. Résurgence ou réorganisation sont deux termes sans doute plus adéquats pour décrire le processus à l’œuvre, quoiqu’ils n’en disent pas non plus davantage sur ce qui se trame sur le terrain, sur les causes, logiques et conséquences de cette persistance.</p>
<p>En effet, si les djihadistes ont perdu la plupart des centres urbains qu’ils gardaient sous leur contrôle (et ce faisant une majorité de leurs infrastructures), et s’ils ont dû se replier <a href="http://www.rfi.fr/hebdo/20171006-strategie-groupe-ei-replier-vers-desert-syrie-irak-strategie">dans le désert pendant des mois</a> et adopter une nouvelle stratégie, ils doivent avant tout leur survie à la ritualisation de la violence qu’ils ont alimentée dans le temps long, synonyme d’un climat émotionnel qui leur est encore partiellement favorable parmi certaines franges sunnites.</p>
<h2>Le djihad comme rite d’interaction</h2>
<p>Telle que développée <a href="https://journals.openedition.org/traces/4930">par le sociologue américain Randall Collins</a> (1975), et inspirée par les réflexions d’Émile Durkheim et d’Erving Goffman, la théorie des rites d’interaction permet de rendre compte de la force motrice des séquences stéréotypées de l’activité sociale. Appliquée à l’étude d’une insurrection comme celle de l’État islamique en Irak, elle renforce la compréhension des logiques mobilisatrices au sein de ce groupe et vers l’extérieur, de même que les modalités d’intégration des militants et leur indéfectible attachement à la cause.</p>
<p>Cette approche place en effet au centre de l’analyse la notion de rite pour en dégager les éléments dynamiques et interdépendants. Le rite est central à la préservation des cadres cognitifs et affectuels de l’interaction, violente en l’occurrence, mettant en scène des djihadistes ; c’est le rite quotidien entre ces derniers qui perpétue le sens de leur action ainsi que l’identité de l’organisation et ses émotions collectives.</p>
<p>Collins évoque aussi dans ses travaux <a href="https://press.princeton.edu/titles/7769.html">des chaînes de rites d’interaction</a> impliquant une coprésence des acteurs, une conscience partagée, un objet commun d’attention, une coordination et une synchronisation. Ces aspects dépendent au premier plan des représentations symboliques du groupe et de la rectitude morale dont ses membres se sentent investis.</p>
<h2>Gestion de crise</h2>
<p>Certes, l’époque triomphaliste où l’État islamique en Irak dévalait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2014/06/11/les-djihadistes-s-emparent-de-la-deuxieme-ville-d-irak_4435918_3210.html">sur des pans entiers du territoire irakien</a> pour y asseoir son projet panislamiste et y proclamer la restauration du « califat » contre les frontières coloniales du Moyen-Orient est désormais révolue. L’État islamique doit s’adapter à ses revers et ses lourdes pertes humaines (y compris dans les rangs de son commandement), et assure en conséquence une gestion de crise qui se traduit, par exemple, par la <a href="https://www.scmp.com/news/world/middle-east/article/2161732/islamic-state-reorganises-survive-after-stinging-defeats-iraq">réduction récente du nombre de ses provinces.</a> En lieu et place des 35 <em>wilayat</em> revendiquées au moment de son apogée militaire, ce ne sont ainsi plus que six qui subsistent, de part et d’autre de la frontière irako-syrienne et au-delà vers l’Afrique du Nord (Sinaï égyptien, Libye), l’Afghanistan, l’Asie de l’Est et l’Afrique.</p>
<p>Outre ces évolutions circonstancielles, le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/08/baghdadi-recording-iraq-syria-terrorism/568471/">rite du djihad n’a lui guère évolué</a> et continue de souder les combattants, représentants et sympathisants de l’organisation terroriste, en Irak comme ailleurs, réunis autour d’objectifs inchangés : éliminer les « mécréants », combattre les « apostats » (chiites, sunnites), défaire la « tyrannie » (<em>taghout</em>) des régimes du monde musulman que les djihadistes entendent mettre à bas.</p>
<p>De ce point de vue, la notion de co-présence des militants, qui les unit et les ancre dans la situation du moment, dans un environnement (le contexte irakien) en leur permettant d’en exploiter au maximum les failles, revêt une <a href="https://laviedesidees.fr/Microsociologie-de-la-violence.html">pertinence inédite pour éclairer la microsociologie de la violence et la survie de l’État islamique</a>.</p>
<p>Dans les interactions qu’elle configure et nourrit au quotidien, la co-présence des combattants, par le corps et par l’esprit, est ce qui entretient leur détermination idéologique. Elle accentue le zèle belliqueux de ceux restés au front ou qui s’allient encore aux rangs du djihad irakien, et se perçoivent mutuellement comme les hérauts de la lutte armée.</p>
<h2>Une constante énergie émotionnelle</h2>
<p><a href="http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1043463193005002005">La ritualisation du djihad</a> produit surtout une énergie émotionnelle stable, pour citer une autre composante clé de la théorie de Collins. Elle suscite une effervescence et des affects durables au sein du groupe. De l’enthousiasme des insurgés à leur haine envers leurs adversaires, cette énergie maintient la mobilisation, indépendamment des échecs miliaires enregistrés ; elle façonne une humeur partagée, en l’espèce le ressentiment et la volonté d’en découdre.</p>
<p>D’autres émotions sont sollicitées, telles la tristesse et la mélancolie, qui transparaissaient de manière particulièrement claire dans le dernier discours du « calife » Abou Bakr al-Baghdadi, émis au cours de l’Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, et appelant les musulmans à « ne pas délaisser le djihad ». Rappelons que Baghdadi, <a href="https://tribune.com.pk/story/1808692/3-islamic-state-leader-baghdadi-worlds-wanted-sought-syria-offensive/">annoncé mort à plusieurs reprises</a>, est toujours activement recherché par les États-Unis.</p>
<p>La solidarité entre membres de l’État islamique est donc intacte, et les interactions entre eux symbolisées de manière sacrée. Le capital culturel du groupe sort lui aussi renforcé par les défaites, lointaines comme plus récentes, toutes décrites telles de simples épreuves à surmonter.</p>
<h2>Un attrait persistant sur les jeunes</h2>
<p>En face, les forces irakiennes sont contraintes de se redéployer pour faire face à une insurrection toujours aussi lancinante. Toutes les provinces irakiennes à majorité confessionnelle sunnite continuent, de fait, d’être prises pour cibles par des attaques intermittentes. <a href="https://www.iraqinews.com/iraq-war/three-islamic-state-members-arrested-in-diyala-source/">La province de Diyala, frontalière de l’Iran, est particulièrement touchée par ce reflux de violence</a> et certaines sources rapportent que Baghdadi y aurait transité pour fuir vers l’Afghanistan via l’Iran. L’État islamique possède, de plus, nombre de cellules dormantes dans son sanctuaire historique d’Al-Anbar, où l’armée irakienne continue de coopérer étroitement avec les conseillers militaires de la coalition.</p>
<p>À la fin du mois d’août, Le Pentagone estimait que les militants étaient « bien placés » pour reconstruire leurs capacités en Irak et évoquait un <a href="http://time.com/4144457/how-terrorists-kill/">contingent de combattants situé entre 20 000 et 32 000 hommes</a>, dont plus de 17 000 se trouveraient en Irak. Au-delà de ces estimations et de la question de leur véracité, il est évident que l’État islamique demeure une <a href="https://www.iraqinews.com/iraq-war/islamic-state-member-killed-while-planting-bomb-northeast-of-diyala/">menace omniprésente</a> et qu’il ne devrait pas être négligé comme cela fut le cas par le passé (2009-2014).</p>
<p>Comme le reconnaissait le secrétaire d’État américain à la Défense James Mattis, le combat est loin d’être clos, et ce d’autant plus que l’énergie déployée par la mouvance djihadiste conserve son attrait auprès des plus jeunes, en particulier parmi les plus dépossédés et désœuvrés.</p>
<p>Dans sa forme ritualisée, en d’autres termes, le djihad irakien doit être considéré comme une problématique au long cours et non comme un phénomène passager. De fait, il ne disparaîtra pas avec les défaites militaires et élections successives. <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/myriam-benraad-l-irak-est-a-nouveau-en-train-perdre-paix-159751">Le combattre avec sérieux et sincérité suppose de vraies réformes de fond, que Bagdad n’a jusqu’ici jamais mises en œuvre</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteure publiera, le 8 novembre 2018, son nouvel ouvrage « L’Irak par-delà toutes les guerres. Idées reçues sur un État en transition » (Paris, Cavalier Bleu).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103786/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin d’avoir été défait, le mouvement djihadiste conserve d’importantes capacités de nuisance sur fond d’instabilité sociopolitique structurelle en Irak.Myriam Benraad, Professeure assistante en science politique, Leiden UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/878212017-11-23T21:30:51Z2017-11-23T21:30:51ZComprendre le Hezbollah, force régionale incontournable du Proche-Orient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/195649/original/file-20171121-6044-7xty8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Hasan Nasrallah durant une allocution télévisée à Baalbek, au Liban le 31 aoput 2017.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le Hezbollah (ou Parti de Dieu), mouvement <a href="https://books.google.fr/books?id=x0MZOnnu8qcC&pg=PA30&redir_esc=y">créé dans les années 80</a>, a été officialisé comme parti en 1985 pendant une période de <a href="https://www.plutobooks.com/9780745336893/hezbollah/">crise politique intense</a> caractérisée par la guerre civile libanaise et l’<a href="http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-guerre-du-Liban-1975-1990-entre.html">invasion du Liban par Israël en 1982</a>, et après l’instauration de la République Islamique d’Iran en 1979 au niveau régional.</p>
<p>C’est un mouvement politique fondamentaliste islamique chiite qui prend sa source idéologique <a href="https://www.ucpress.edu/book.php?isbn=9780520085039">directement du Khomeynisme</a> et de sa théorie du « Wilayat al-Faqih » (Théorie du Jurisconsulte). Dans la théorie du Willâyat al-Faqîh, le jurisconsulte devrait détenir le <a href="https://www.al-islam.org/shia-political-thought-ahmed-vaezi/what-wilayat-al-faqih">pouvoir politique ultime</a>.</p>
<p>En 1987, Hassan Nasrallah, devenu depuis 1992 <a href="http://www.aljazeera.com/archive/2006/04/2008410115816863222.html">secrétaire général du Hezbollah</a>, expliquait que l’autorité de ce chef est à la fois spirituelle et politique, et ne peut être contestée. Ce concept fondamental au parti doit être suivi de tous membres.</p>
<p>Le Hezbollah s’est ancré dans des régions libanaises à fortes <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-3-page-149.htm">populations chiites</a> : Dahyeh, dans la « banlieue » de Beyrouth, au sud du pays ou encore la région de la Bekaa à l’est. C’est dans ces régions que le Hezbollah a fondé sa légitimité tout en se focalisant sur la résistance armée contre Israël, au cœur de son projet.</p>
<p>Peu à peu le Hezbollah est devenu un acteur incontournable et clivant de la scène libanaise et régionale.</p>
<p>Certains, comme l’<a href="http://www.france24.com/fr/20160302-conseil-cooperation-golfe-hezbollah-libanais-groupe-terroriste-arabie-saoudite">Arabie saoudite</a> et d’autres monarchies du Golfe l’accusent d’être une <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-11-19/arab-league-labels-lebanon-s-hezbollah-a-terrorist-organization-ja77de7b">organisation terroriste</a>. D’autres au contraire, notamment la Syrie et l’Iran, soutiennent que le Hezbollah est essentiel dans la résistance contre l’État d’Israël. C’est aussi le cas de plusieurs <a href="http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/H/bo21619489.html">universitaires</a> et certains courants <a href="http://www.fayard.fr/le-hezbollah-9782213632285">situés pour certains à « gauche »</a> en France et dans la région levantine.</p>
<p>Mais ce clivage ne suffit pas à comprendre les dynamiques actuelles de ce mouvement : il faut ainsi s’intéresser plus en profondeur à sa portée locale et régionale, et le mettre en perspective avec la guerre en Syrie.</p>
<h2>Un parti puissant et bien implanté</h2>
<p>La montée politique du Hezbollah est indissociable de ses capacités militaires, qu’il a acquises durant la guerre civile libanaise. D’après un <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2015/04/03/01003-20150403ARTFIG00330-en-cas-de-nouvelle-guerre-avec-le-hezbollah-israel-redoute-des-centaines-de-morts.php">article de 2015 du <em>Figaro</em></a>, le parti de Dieu pourrait lancer entre 1000 et 1500 roquettes quotidiennes sur Israël.</p>
<p>Il dispose par ailleurs d’un groupe parlementaire d’au moins 10 députés depuis les premières <a href="http://archive.ipu.org/parline-f/reports/arc/1179_92.htm">élections législatives de 1992</a>. Le Hezbollah a notamment confirmé sa popularité en remportant de nombreuses élections municipales, contrôlant désormais la grande majorité des zones à populations chiites du pays.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/195608/original/file-20171121-6072-1p5attm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=973&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Répartition religieuse au Liban, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lebanon_religious_groups_distribution.jpg">Sergey Kondrashov/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Hezbollah se repose enfin sur un puissant réseau d’associations et d’institutions sociales, éducatives, caritatives et d’un vaste appareil culturel, services <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00355098">à la base même du mouvement</a>. Ce réseau est largement financé par l’Iran et ce dès les débuts du parti, diffusant également ainsi son idéologie politique. Le soutien de Téhéran, selon plusieurs <a href="http://www.middleeasteye.net/analyses/forces-par-procuration-et-politique-pourquoi-l-iran-finance-des-milices-trang-res-339414507">sources</a> serait estimé entre 100 et 400 millions de dollars par année.</p>
<p>Le Hezbollah reçoit ces fonds directement du <a href="http://english.al-akhbar.com/content/hezbollahs-iran-money-trail-its-complicated">leader suprême de la République Islamique d’Iran</a> (RII) qui a le contrôle exclusif sur leur distribution.</p>
<h2>Embourgeoisement</h2>
<p>Le Hezbollah a tout d’abord puisé ses racines dans les couches sociales chiites les plus pauvres de la population. Il a depuis étendu son emprise <a href="https://www.contretemps.eu/le-hezbollah-une-force-contre-revolutionnaire/">à d’autres classes sociales</a>.</p>
<p>Les classes moyennes et bourgeoises chiites du Liban et de la diaspora ont en effet eu une influence grandissante – en particulier à Beyrouth, au sein du mouvement islamique.</p>
<p>Dans la banlieue sud de Beyrouth, de nombreux membres des familles chiites les plus riches et la plupart des commerçants ont été intégrés au sein de cette organisation, tandis que les activités et les institutions du parti (en particulier ceux qui sont liés au tourisme et aux loisirs) répondent aux besoins et fournissent des services aux chiites de la classe moyenne.</p>
<p>Certaines classes aisées, fortes de capitaux disponibles notamment grâce aux réseaux iraniens, se sont aussi développées, investissant notamment dans l’immobilier et le commerce, favorisant l’instauration d’une fraction bourgeoise chiite – au Liban et dans la diaspora – liée au parti de Dieu.</p>
<p>Entre <a href="http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-01-30-Liban">juillet 2005 et novembre 2006</a>, le ministre Hezbollah Muhammad Fneich, alors ministre de l’Énergie et de l’Eau, a ainsi favorisé la privatisation de l’électricité au Liban (EdL), plaidant pour que les entreprises privées puissent <a href="http://rumor.hypotheses.org/207">fournir le réseau de l’étatique Électricité du Liban</a>.</p>
<p>Le Hezbollah s’est félicité de cet acte dans une déclaration <a href="http://www.dirasat.net/">consultable sur le site</a> du Consultative Center for Studies and Documentation, think tank du parti. Il l’a même jugé comme un résultat positif des accords de Paris III, à même d’aider au redressement des finances publiques libanaises.</p>
<p>Pourtant, la privatisation n’a pas nécessairement amélioré la situation des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1038115/privatisation-de-lelectricite-quelles-implications-.html">ménages les plus pauvres et des salariés</a>, bien au contraire.</p>
<p>Depuis la participation du Hezbollah aux gouvernements libanais successifs à partir de 2005, aucun fonds supplémentaire n’a été alloué à l’éducation, la santé ou à des secteurs productifs de l’économie. Dans ses politiques urbaines, le Hezbollah a promu des politiques qui encouragent l’accumulation du capital au détriment des résidents les plus marginalisés.</p>
<p>Le Hezbollah a aussi renforcé ses liens clientélistes dans des régions agricoles telles que la vallée de la Bekaa, et a été critiqué pour sa proximité avec des hommes d’affaires impliqués dans <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1018829/reglement-de-comptes-ou-decision-du-hezbollah-.html">des affaires de corruption</a>, le parti lui-même <a href="http://www.thestar.com/news/world/2009/09/23/madofflike_scandal_soils_hezbollahs_clean_image.html">ayant parfois été mis en cause</a></p>
<h2>Alignement politique</h2>
<p>Par ailleurs, l’opposition radicale initiale du Hezbollah au <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-2-page-369.htm">système politique traditionnel libanais</a> a beaucoup diminué.</p>
<p>Par exemple, durant l’été 2015 et la <a href="https://syriafreedomforever.wordpress.com/2015/08/30/la-campagne-vous-puez-secoue-le-regime-confessionnel-au-liban/">campagne « tu pues »</a> contre le système de gouvernance au Liban, le Parti de Dieu n’a pris part à aucune revendication, démontrant ainsi son alignement sur les partis traditionnels en place.</p>
<p>En dépit d’un discours populiste contre ce qu’il nomme le « capitalisme sauvage » <a href="http://www.lebanonrenaissance.org/assets/Uploads/15-The-New-Hezbollah-Manifesto-Nov09.pdf">dans son manifeste de 2009</a>, le parti n’a pas développé d’alternative, au contraire soutenant les politiques néolibérales.</p>
<p>Le Hezbollah va néanmoins devenir une force régionale importance à travers ses interventions et implications dans des pays voisins.</p>
<h2>Interventions en Irak</h2>
<p>La capacité d’action du mouvement libanais islamique chiite n’a cessé de se développer dans la région. Déjà après l’invasion de l’Irak en 2003 menée par l’armée américaine et britannique, le Hezbollah avait <a href="http://iswiraq.blogspot.ch/2014/08/echoes-of-syria-hezbollah-reemerges-in.html">envoyé des conseillers</a> militaires et ont travaillé avec des milices fondamentalistes liées à groupes islamiques politiques chiites, sous la supervision des <a href="https://deepblue.lib.umich.edu/bitstream/handle/2027.42/64683/afshon_1.pdf;jsessionid=DF7BFA33BF18FF73E9117CB0504F14E1?sequence=1">Gardiens de la révolution iraniens</a>.</p>
<p>Au-delà de leur lutte contre diverses armées (milices fondamentalistes sunnite, autres forces irakiennes d’oppositions, et forces d’occupations américaines et britanniques) ces groupes ont aussi attaqué des civils (sunnites) irakiens et <a href="http://www.reuters.com/article/2014/11/12/us-mideast-crisis-militias-specialreport-idUSKCN0IW0ZA20141112#top">ont participé à la guerre civile</a> entre 2005 et 2008 en Irak.</p>
<h2>La question syrienne</h2>
<p>L’intervention la plus massive du Hezbollah reste néanmoins celle en Syrie depuis la fin de l’année 2011 et début de l’année 2012 aux côtés des forces militaires du régime d’Assad pour mater le mouvement populaire.</p>
<p>Les combattants du Hezbollah en Syrie sont estimés <a href="http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/01/lebanon-hezbollah-teenagers-jihad-syria.html;">entre 7,000 et 9,000</a> et comprennent des combattants d’élite, des experts techniques et <a href="http://www.lorientlejour.com/article/862890/-marchands-de-legumes-commercants-ou-etudiants-les-hommes-du-hezb-fiers-de-combattre-en-syrie.html">des réservistes</a>.</p>
<p>Le Hezbollah a également formé et entraîné <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00263200500417801?src=recsys&journalCode=fmes20">des milices</a> combattant pour le régime syrien, notamment les « Comités populaires » (<em>lijan al-sha’biyya</em>) ou d’autres directement liées au Hezbollah comme <em>Quwat al-Rida</em>, en majorité composée de Syriens de confessions chiites, mais pas seulement. <a href="http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2015/08/syrian-shiite-militia.html#ixzz3lQxXNYZE">Certaines milices</a> ont même adopté le nom de <em>Hezbollah fi Suriyya</em> (Hezbollah en Syrie) et l’idéologie du <em>wilayat al-faqih</em>. Avec, toujours, l’appui de Téhéran, l’envoi d’équipements, de spécialistes ont permis la formation de <a href="http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/01/lebanon-hezbollah-teenagers-jihad-syria.html">10 000 à 20 000 miliciens pro-Assad en Syrie</a>.</p>
<p>Jusqu’à aujourd’hui, le Hezbollah continue de fournir un soutien crucial à l’armée du régime syrien et aux milices loyalistes, aux côtés des forces iraniennes et de l’armée de l’air russe, à travers tout le territoire syrien.</p>
<p><a href="http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/hezbollah-is-embedded-in-syria">Selon diverses estimations,</a> (le parti ne publiant aucun chiffre officiel) entre 2 000 à 2 500 soldats du Hezbollah sont morts en Syrie (et 7 000 blessés) depuis 2011.</p>
<h2>Bras droit de l’Iran</h2>
<p>Ces implications du Hezbollah sont étroitement liées aux intérêts de l’Iran qui consolide et étend <a href="https://theconversation.com/the-rise-and-rise-of-iran-how-tehran-has-become-pivotal-to-the-future-of-the-middle-east-83160">son influence régionale</a>.</p>
<p>Cela explique aussi pourquoi la confrontation militaire entre le Hezbollah et Israël – malgré la guerre de 2006 <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/DA_SILVA/15143">lorsqu’Israël a envahi le Liban</a> – n’est plus l’unique priorité du parti libanais. Celui-ci se concentre d’abord à renforcer les intérêts de Téhéran, y compris au Liban, et dans ses interventions en Syrie et en Iraq. Des combattants et experts militaires du Hezbollah ont également été repérés au Yémen, <a href="http://iswiraq.blogspot.ch/2014/08/echoes-of-syria-hezbollah-reemerges-in.html">assistant les forces Houtis</a>, <a href="https://www.reuters.com/article/us-yemen-iran-houthis/exclusive-iran-steps-up-support-for-houthis-in-yemens-war-sources-idUSKBN16S22R">soutenus par l’Iran</a>.</p>
<h2>Où va le Hezbollah ?</h2>
<p>L’appareil militaire et de sécurité du Hezbollah reste ainsi un élément central dans le développement du parti pour asseoir sa position politique et s’opposer à toute menace qui réduirait ses intérêts. Ce faisant, il recherche pour l’instant un statu quo dans la gouvernance politique Liban pour s’y assurer une relative stabilité, tout en y maintenant une certaine domination et contrôle politique.</p>
<p>Mais, dans une région qui a vu des <a href="https://remmm.revues.org/9306">soulèvements populaires continus depuis 2011</a>, des changements politiques intenses et rapides, il va sans doute être de plus en plus difficile à la direction du Hezbollah de continuer à proclamer son soutien aux « opprimés du monde entier », tout en soutenant le néolibéralisme libanais et des régimes autoritaires comme la Syrie et l’Iran.</p>
<p>Fin octobre, les habitants du quartier défavorisé chiite de Hay Sellom à Beyrouth <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1080432/a-hay-el-sellom-des-protestataires-chiites-sen-prennent-publiquement-a-hassan-nasrallah.html">avait manifesté leur ras-le-bol</a> vis-à-vis d’un Hezbollah démissionnaire face à leurs revendications sociales quotidiennes, plus intéressé par l’envoi de soldats en Syrie.</p>
<p>Faute d’alternative politique, la base populaire du Parti de Dieu est pour l’instant toujours prête dans sa majorité à le soutenir et ce malgré des critiques internes croissantes. Mais qu’adviendra-t-il lorsqu’un mouvement politique démocratique, social et transconfessionel répondant à leurs intérêts apparaîtra ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph Daher est fondateur du blog Syria Freedom Forever.</span></em></p>Le Hezbollah est devenu incontournable au Liban et au-delà. Comment ce parti, tiraillé entre une base populaire, des velléités néolibérales et un Iran interventionniste se dessine-t-il dans la région ?Joseph Daher, Maitre de conférences, faculté sciences sociales et politiques, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/846512017-09-26T22:01:16Z2017-09-26T22:01:16ZAu Kurdistan irakien, une nouvelle étape sur le chemin de l’indépendance<p>Le peuple du Kurdistan irakien a enfin choisi, en votant pour son indépendance. « Sur 3 305 925 votants, le oui a obtenu 92,73 % et le non 7,27 % », a indiqué, mercredi 27 septembre, la commission électorale, précisant que la participation avait atteint 72,16 %. Le nom du Kurdistan existe depuis plus de huit cents ans, mais le « le pays des Kurdes » ne connaît qu’une indépendance partielle, et <em>de facto</em>, depuis 1991.</p>
<p>Écartelé entre quatre États – l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie –, le Kurdistan ne dispose d’une forme de statut juridique que dans sa partie irakienne (intégré au sein de la Fédération irakienne). À l’issue du référendum d’indépendance du 25 septembre 2017, ce statut est fortement invité à évoluer vers un État indépendant ou vers une confédération irako-kurdistanaise.</p>
<p>À ce stade, il convient de préciser d’emblée que le terme de Kurdistan désigne la région où les Kurdes sont majoritaires. Sur place, d’autres ethnies sont présentes : les Assyriens, les Chaldéens, les Arméniens, les Turkmènes et les Arabes. En parcourant cet article, le lecteur rencontrera le terme « kurdistanais ». Bien que rarement utilisé dans la langue française, il est le plus approprié pour désigner les habitants et institutions du Kurdistan irakien. Cette distinction met en exergue la portée de cet article qui ne se limite pas au cadre du droit des minorités kurdes, mais tente de définir le statut d’un territoire peuplé principalement par les Kurdes.</p>
<h2>Maîtres de chez eux</h2>
<p>L’idée de référendum d’indépendance n’est pas bien reçue dans une région du monde qui souffre d’instabilité permanente et des guerres confessionnelles, le Moyen-Orient.</p>
<p>L’apparition récente de l’État islamique en Irak et au Levant à la frontière de régions peuplées des Kurdes a changé la donne au Moyen-Orient. Grâce à leurs combattants, les Kurdes sont parvenus à protéger leur région. Malgré la guerre entre les <em>peshmarga</em> (les combattants kurdes) et l’État islamique, cette situation a favorisé l’aspiration nationale kurde à l’indépendance. Les Kurdistanais sont en effet les seuls maîtres de leur territoire en Irak.</p>
<p>L’histoire de l’Irak se répète avec peu ou prou les mêmes acteurs. Aujourd’hui comme il y a 100 ans, ce pays est divisé en trois parties : une partie à majorité kurde (le Kurdistan) en quête d’indépendance depuis 1991, une partie à majorité arabe sunnite et une troisième à majorité arabe chiite.</p>
<p>La région du Kurdistan mène un double combat. Le premier est militaire : contre l’État islamique qui contrôle les zones majoritairement arabes sunnites en Irak et en Syrie. Le deuxième combat, qui est d’ordre économique et politique, se déroule avec le gouvernement fédéral qui exerce uniquement son pouvoir à Bagdad et dans le sud du pays à majorité arabe chiite. Ce pouvoir, en revanche n’est toujours pas parvenu à trouver un juste équilibre national, ethnique et religieux pour gérer le pays par-delà les appartenances confessionnelles et sans recourir à l’intervention des États voisins.</p>
<h2>L’État kurde, un projet historique</h2>
<p>Les Kurdes ne sont pas une nation sans histoire. Le traité de paix signé le 10 août 1920 entre puissances alliées (et associées) et la Turquie, plus connu sous le nom de Traité de Sèvres (non ratifié par la Turquie) avait prévu la création de l’État du Kurdistan. Il était également stipulé, dans son article 64, que les Alliés n’émettraient aucune objection à l’adhésion volontaire des Kurdes habitant le Wilayet de Mossoul au futur État indépendant du Kurdistan.</p>
<p>En 1925, la Société des Nations a envoyé une commission internationale pour vérifier la situation sur le terrain. Cette Commission déclarait alors :</p>
<blockquote>
<p>« Les Kurdes forment la majorité de la population. Ils ne sont ni Turcs ni Arabes […] Seuls les Kurdes et les Arabes habitent en masse compacte de grands territoires. Seuls ces deux éléments de la population pourraient, par leur répartition, fournir la base de tracé d’une ligne de séparation des races. […] S’il fallait tirer une conclusion de l’argument ethnique isolément, elle conduirait à préconiser la création d’un État kurde indépendant […].<br>(Rapport de la Commission de l’enquête sur la question de la frontière entre la Turquie et l’Irak, Société des Nations, 1925).</p>
</blockquote>
<p>En effet, depuis l’intégration des Kurdes en Irak en 1925, les Kurdes n’ont pas hésité de confirmer leur volonté indépendantiste.</p>
<h2>Le référendum et l’État-nation en marche</h2>
<p>Bien qu’ils représentent le quatrième peuple quantitativement au Moyen-Orient – après les Arabes, les Perses et les Turcs – et constituent l’une des plus grandes nations apatrides du monde, les Kurdes n’ont toujours pas un État indépendant, ni de représentant à l’Organisation des Nations unies (ONU).</p>
<p>Une question revient de manière récurrente : les Kurdes sont-ils une nation ? En dehors de la portée juridique et politique de cette interrogation, il s’agit là d’un véritable défi académique pour un enseignant de droit international public au Kurdistan-Irak, surtout lorsqu’il l’aborde devant les étudiants kurdes. À cet égard, le référendum du 25 septembre semble bien attester de la construction d’un État-nation.</p>
<p>Dans l’ordre juridique irakien, il est proprement incompréhensible d’affirmer qu’il existe une nation irakienne, une nation syrienne, etc. Dans cette partie du monde, en effet, chaque individu s’identifie d’abord par sa langue, par son ethnie ou par sa confession, tandis que la citoyenneté vient en second lieu. Par exemple, le sentiment d’appartenir à une nation kurde est plus puissant que la citoyenneté irakienne. Dans le même ordre d’idée, l’article 3 de la Constitution irakienne de 2005 stipule que l’Irak est un pays composé de multiples nations (<em>Qaumyat</em>), religions et confessions.</p>
<p>Cette réalité amène à appréhender d’une manière différente le rapport de la nation et de l’État que celle véhiculée par le modèle des États européens.</p>
<h2>Les nations, un « État dans l’État »</h2>
<p>La devise connue comme <em>in varietate concordia</em> n’est pas d’actualité en Irak. La définition de l’État multinational retenue par le <a href="http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1995_num_60_4_4479_t1_1055_0000_2">professeur Stéphane Pierré-Caps</a> est celle d’un État composé « de deux ou plusieurs nations existant en tant que communautés différentes, chacune ayant conscience de sa spécificité et manifestant le désir de la conserver. » Elle ne trouve pas sa traduction en Irak. En effet, lorsque le seul moyen pour <em>conserver cette spécificité</em> est le rapport de force, l’existence même d’un État multinational perd sa signification. Ainsi, l’ancien Président irakien, Saddam Hussein, a commis des crimes internationaux massifs contre les Kurdes.</p>
<p>Plus l’État se montre incapable d’être véritablement multinational, en Irak mais aussi en Syrie, plus le sentiment national kurde en faveur de l’indépendance s’épanouit.</p>
<p>Certes, personne ne peut nier l’existence de l’État en Irak et en Syrie. Certes, il existe bien une nationalité irakienne ou syrienne. En revanche, il est bien difficile d’affirmer l’existence d’une nation irakienne. Les pays arabes sont quasiment unanimes sur le fait qu’ils font partie d’une nation arabe. La quasi-totalité de leur Constitution affirme cette appartenance, au détriment de la présence des minorités. Dans cette partie du monde, officialiser les nations revient à entériner l’existence d’un État dans l’État.</p>
<h2>Le sort des régions disputées</h2>
<p>Le référendum du 25 septembre 2017 s’est déroulé non seulement au Kurdistan irakien mais également dans les régions disputées entre le gouvernement de Bagdad et le gouvernement du Kurdistan. Ce sont les forces kurdes qui ont protégé ces zones pendant la guerre de Daech (2014-2017). Les forces irakiennes ont en effet abandonné ces territoires, les laissant dans un vide sécuritaire total.</p>
<p>Un mécanisme comportant plusieurs étapes est prévu dans l’article 140 de la Constitution irakienne de 2005 permettant théoriquement aux Kurdes de rattacher administrativement les régions conflictuelles mentionnées auparavant au Kurdistan. La dernière étape pour y parvenir stipule en effet l’organisation d’un référendum dans ces territoires. Dès lors, le vote du 25 septembre constitue, aux yeux des Kurdes, l’application stricte de la Constitution : ce référendum permet ainsi de rattacher de facto ces territoires à la région du Kurdistan.</p>
<h2>Le droit à l’autodétermination face au principe de l’intégrité territoriale</h2>
<p>L’éternel débat entre le droit à l’autodétermination et le principe de l’intégrité territoriale n’est toujours pas résolu. <a href="https://www.un.org/press/fr/2017/sgsm18682.doc.htm">Dans une récente déclaration, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres</a>, considère que « toute décision unilatérale d’organiser un référendum en ce moment dérogerait à la nécessité de vaincre EIIL ». En même temps, il rappelle le respect de « la souveraineté, intégrité territoriale et l’unité de l’Irak » et considère que « toutes les questions en suspens entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de la région du Kurdistan devraient être résolues dans le cadre d’un dialogue structuré et d’un compromis constructif ».</p>
<p>Le principe de l’intégrité territoriale apparaît, en définitive, comme un moyen de protéger les frontières. A cet égard, le professeur Pierre-Marie Dupuy note à propos du peuple kurde que :</p>
<blockquote>
<p>« réclamant avec constance depuis des temps reculés son indépendance à l’égard des quatre États sur le territoire desquels il est dispersé (Iran, Irak, Syrie et la Turquie), le principe de l’intégrité territoriale est invoqué indépendamment de celui de <em>l’uti possedetis juris</em> puisqu’il ne s’agit pas, à titre principal, d’une situation héritée de la colonisation. »<br>(Droit international public, Dalloz, 8<sup>e</sup> édition, 2006).</p>
</blockquote>
<p>Mais, comme le souligne la Cour internationale de justice, <a href="http://www.icj-cij.org/fr/affaire/141">dans son avis concernant l’indépendance du Kosovo en 2008</a>, « la portée du principe de l’intégrité territoriale est limitée à la sphère des relations interétatiques. » Se pose alors la question suivante : le droit international public se divise-t-il selon deux sphères – étatique et non-étatique ? Selon cette formule de la Cour, les nations sans État, comme les Kurdes, ne font pas partie de la « sphère des relations interétatiques ». En se dotant d’un État, une nation passerait donc d’une sphère à une autre. Chaque sphère a ainsi ses propres principes et ses lois. <a href="http://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015-1-p-111.htm">André Moine</a> souligne, à juste titre, que « le respect de l’intégrité territoriale n’[est] pas opposable à une entité non étatique ».</p>
<h2>Deux poids, deux mesures</h2>
<p><a href="http://www.un.org/press/fr/2017/sc13002.doc.htm">Dans un communiqué de presse du 22 septembre 2017</a>, les membres du Conseil de sécurité s’étaient dit « inquiets de l’effet déstabilisateur que pourrait avoir le projet du gouvernement de la région du Kurdistan. » Dans cette partie du monde, la priorité de la communauté internationale semble être « les opérations menées contre l’EIIL (Daech) – au sein desquelles les forces kurdes ont joué un rôle essentiel », et le « retour librement consenti et en toute sécurité de plus de trois millions de réfugiés et de déplacés », qui vivent majoritairement au Kurdistan irakien.</p>
<p>Pourtant, la région contrôlée par les Kurdes en Irak reste le territoire le plus sûr pour les minorités linguistiques et religieuses ainsi que pour les réfugiés. Suite à l’avancée de l’État islamique en Irak et en Syrie, des centaines des milliers des chrétiens et des Yézidis, des Turkmènes et des Shabak s’étaient réfugiés au Kurdistan irakien.</p>
<p>Les mouvements séparatistes sont perçus par les Nations Unies comme des perturbateurs de l’ordre international. Ainsi, une majorité d’États s’opposent au référendum d’indépendance du Kurdistan irakien, un mécanisme pourtant totalement démocratique. Les raisons de cette opposition varient selon l’intérêt des États.</p>
<p>Le Kurdistan n’est pas un exemple isolé de tentative de gouverner un territoire et de revendication du droit à l’autodétermination. La situation du Kurdistan est parfois comparée – mais pas analogue – au Kosovo, à la Palestine, la Crimée, le Haut-Karabakh la Tchétchénie, le Tibet, le Cachemire, Taiwan, l’Écosse, Québec, etc.</p>
<p>Autre paradoxe : si le Secrétaire général des Nations Unies a critiqué le référendum du Kurdistan, les Nations Unies n’ont procédé à aucune déclaration par rapport à un autre référendum d’indépendance unilatéral, celui qui se déroulera le 1<sup>er</sup> octobre à Catalogne. Faut-il y voir un effet du principe bien connu du deux poids et deux mesures ? Ou, doit-on considérer seulement que la position géopolitique du Kurdistan et de la Catalogne sont radicalement différentes ?</p>
<h2>La crainte de l’effet domino</h2>
<p>La proclamation d’un État indépendant au Kurdistan irakien se heurterait à des oppositions non seulement en Irak, mais également de la part des pays voisins. Pour la Syrie, l’Iran et la Turquie, l’indépendance du Kurdistan ne constitue pas une solution, mais bien un problème qui touche à leur sécurité nationale. Chaque revendication des Kurdes est perçue par ces pays comme une expression du séparatisme. À l’inverse, dans l’esprit des Kurdes, chaque avancée sur le plan juridique est considérée comme une nouvelle étape franchie sur le chemin du futur État indépendant.</p>
<p>Le premier référendum d’indépendance peut-il faire vaciller un domino proche ? C’est la plus grande crainte des voisins du Kurdistan irakien. Cette question ne se pose pas seulement pour les pays où habitent les Kurdes. Une telle évolution pourrait créer un précédent pour d’autres régions et minorités au Moyen-Orient, en proie à une instabilité permanente.</p>
<p>Dans le discours des dirigeants kurde, le recours au référendum d’indépendance et son application en faveur des nations sans État pourraient apaiser une partie des tensions –- mais pas l’ensemble – au Moyen-Orient. Du point de vue des Kurdes, ce référendum n’est qu’une manifestation de justice.</p>
<p>La question qui se pose, enfin, est de savoir si la guerre contre l’État islamique est le « dernier combat » pour les Kurdes avant l’indépendance. Sachant que les combattants kurdes sont aujourd’hui en première ligne sur le champ de bataille contre le terrorisme international, seront-ils récompensés par la reconnaissance d’un État indépendant par la société internationale ?</p>
<p>Pour les Kurdes, la guerre contre le terrorisme international est bien perçue comme une guerre d’indépendance. C’est cet objectif qui les a poussés à combattre, et non pas la volonté de défendre l’intégrité territoriale de l’Irak. Par le biais du référendum d’indépendance, les Kurdes ont voulu délivrer au monde entier un message clair : « Nous voulons notre État ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryar S. Baban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cette partie du monde, chaque individu s’identifie d’abord par sa langue, par son ethnie ou par sa confession, tandis que la citoyenneté vient en second lieu.Bryar S. Baban, Maître de conférences en droit public, Salahaddin University-ErbilLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.