tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/culture-populaire-39240/articlesculture populaire – The Conversation2024-02-14T14:29:06Ztag:theconversation.com,2011:article/2218222024-02-14T14:29:06Z2024-02-14T14:29:06Z« Johnny Hallyday, l’exposition », ou les enjeux de la postérité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575631/original/file-20240214-24-js6ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C7%2C2473%2C1650&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">3 000 m2 pour partir à la rencontre de Johnny, sa vie et son œuvre.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque disparaît un artiste de l’envergure de Johnny Hallyday, une menace pèse sur l’homme, le chanteur et sur son œuvre : l’oubli. Comment le faire entrer dans la postérité, maintenir son souvenir, l’intégrer dans le patrimoine culturel ?</p>
<p>Pour y parvenir, plusieurs pistes se présentent : l’organisation d’évènements commémoratifs, de cérémonies, l’inauguration de plaques commémoratives et de lieux nouvellement baptisés du nom de la vedette, l’érection d’une statue, mais aussi la réédition d’un disque, la sortie de chansons inédites, la publication d’une biographie, la création d’une comédie musicale, ou encore la mise en ligne d’un site Internet dédié ou d’un blog, la production d’un documentaire, l’organisation d’une convention, d’une rétrospective, d’un festival, d’un colloque…</p>
<p><a href="https://www.johnnyhallydaylexposition.com/">« Johnny Hallyday, L’exposition »</a> qui se tient du 19 décembre 2023 au 19 juin 2024 au parc des expositions de la porte de Versailles participe à la construction de la postérité du chanteur populaire.</p>
<p>Sur près de 3 000m2, elle invite le visiteur à partir à la rencontre de Johnny, sa vie et son œuvre. On y (re)découvre le comédien, le rocker, l’artiste, sur scène, mais aussi dans l’intimité de ses maisons, de son bureau, de son ancienne chambre d’adolescent… Les dispositifs scénographiques et les technologies modernes favorisent une immersion et une expérience multisensorielle, avec, pour guider le visiteur, la voix de l’ami fidèle du chanteur, le comédien Jean Reno.</p>
<h2>Une exposition qui zoome sur l’artiste</h2>
<p>L’exposition a déjà été abondamment présentée et décrite, à l’occasion d’une promotion importante, riche en textes comme en images. Disons simplement ici qu’elle repose sur des reconstitutions (le bureau du chanteur dans sa maison de Marne-la-Coquette, sa chambre d’adolescent rue de la Tour des Dames, un bureau des locaux d’Europe 1…). Elle comprend également des projections de films (sur les « virées » motorisées de Johnny aux États-Unis, sur les funérailles princières du chanteur), et surtout de nombreux espaces et vitrines, organisés chronologiquement (l’enfance, les débuts au Golf Drouot, l’ascension, les années 70, les années 80, la gloire des années 90 et 2000…) ou thématiquement (la musique et les disques, la scène, l’Olympia, le cinéma, les États-Unis et les motos, la solitude, le succès médiatique et les paparazzis, les trophées et récompenses, les costumes de scène, les fans, les lieux phares, les funérailles et célébrations posthumes…).</p>
<p>La vie privée, les femmes, les enfants du chanteur sont très peu présents, l’exposition se focalisant véritablement sur Johnny Hallyday. Quantité de portraits de Hallyday sont présentés, de l’enfance aux derniers jours, et d’innombrables objets sont exposés, des costumes de scène aux guitares, des Harley-Davidson aux bijoux du chanteur, de ses peignes, paquet de Gitanes, flacons de parfum, à ses contrats, récompenses, papiers d’identité, ou DVD, de son juke-box à ses posters d’adolescent, de sa Cobra bleue aux affiches des films dans lesquels il a joué… Enfin, l’exposition propose des expériences immersives (un espace accueille les visiteurs, leur proposant de vivre l’expérience du concert).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Blousons, santiags et casques pour évoquer les virées en moto de Johnny.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span>
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<h2>Fabriquer un récit héroïque</h2>
<p>« Johnny Hallyday L’exposition » raconte la vie et l’œuvre de Johnny. Ce récit est le résultat de choix, de tris, d’épisodes mis en avant, réécrits, ou passés sous silence, exagérés ou atténués, édulcorés. Il est le fruit d’un travail de sélection des éléments à conserver (les objets, les lieux, les épisodes biographiques…) caractéristique du <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-1994-4-page-15.htm">processus de patrimonialisation</a>.</p>
<p>Le récit qui nous est conté, via ces dispositifs, ces lieux reconstitués, ces images ou objets, et le texte, surtout, dit par Jean Reno, est conforme au récit idéal typique de <a href="https://theconversation.com/elvis-presley-a-travers-ses-biographes-la-malediction-de-la-rock-star-220711">la vie des rock stars</a>. On y retrouve l’ensemble des motifs et dimensions qui structurent et émaillent ce type de narration : enfance malheureuse, autodidaxie, exceptionnalité, incompréhension et rejet, amour, générosité et bonté, martyr, solitude, détresse, triomphes et exploits épiques, ferveur des fans, blessures intimes, démons, autodestruction, ascension, pression médiatique et revers de la gloire…</p>
<p>Au fil du parcours, on apprend que la vie du chanteur débute sous les pires auspices. « Né dans la rue », enfant malheureux, abandonné par ses parents, Hallyday est ensuite hué par le premier public (en première partie des spectacles de Devos à l’Alhambra), et raillé par la critique (Claude Sarraute, Boris Vian). Il connaît une ascension fulgurante et un succès précoce, qu’une tentative de suicide a cependant bien failli interrompre. La solitude ou la peur de celle-ci, le mal-être, les blessures intimes, le cynisme d’un père absent, mais destructeur le conduisent vers la dépression, aux abords du suicide, durant ces années de gloire qui sont également des « années noires ». « Les chanteurs sont des gens très entourés, mais seuls » entend-on de la bouche même de Johnny, artiste maudit aux multiples démons – l’alcool, la cocaïne, la vitesse…</p>
<p>A la malédiction s’ajoutent l’amour et la générosité. Johnny chante et donne de l’amour. Jean Reno dit son « amour des femmes, des amis, des enfants, de son public, des exclus de la société ». Il poursuit : « cet amour, il le prodiguait avec une extrême générosité, sans compter, sans mesure […] ». On apprend que Johnny était « d’une bienveillance et d’une humanité rare […] attentif à tous ». La place laissée aux fans et à leur message de reconnaissance achève de convaincre le visiteur que Johnny a beaucoup donné d’amour et qu’il obtient légitimement en retour une reconnaissance et une gratitude rares.</p>
<p>Johnny est raconté également et surtout comme un être extraordinaire. « Il avait quelque chose en plus. Il était très beau, un charisme exceptionnel sans rien faire », témoigne Line Renaud. Cela se traduit aussi par des exploits et une carrière hors normes : « 55 ans de carrière », est-il rappelé par Reno, « 40 disques d’or, 1110 titres enregistrés, 200 tournées ». Les mots sont secondés par les images, les vidéos, les affiches, les photos, les extraits de concerts (et notamment de ces entrées en scène si spectaculaires), qui témoignent de la beauté, de l’aura, de la grandeur de la star, mais aussi de la ferveur des fans et de leur dévotion, exceptionnelle, à la (dé) mesure de celui qui en est l’objet.</p>
<p>Les gros plans du visage du chanteur projetés sur plusieurs écrans géants, ou le découpage de sa silhouette le poing tendu vers le ciel, les plans larges sur les foules immenses et transportées, ou ceux, plus serrés, sur les visages de spectateurs dévastés par l’émotion racontent et amplifient cette grandeur et les effets qu’elle produisait. Ils invitent le visiteur à éprouver à son tour cette fascination et le placent, autant que possible, dans les conditions les plus favorables à cette expérience. La puissance de la voix, grâce aux moyens technologiques, qui emplit tout l’espace de cette salle dédiée aux concerts, participe de ce récit performatif sur l’être d’exception. Les vitrines renfermant les messages d’amour et de dévotion des fans rappellent également l’importance de la ferveur à l’égard du chanteur – attestant là encore « l’exceptionnalité » de Johnny Hallyday.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une reconstitution du bureau de Johnny à Marnes-la-Coquette.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span>
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<p>Le récit met en lumière la double nature de la vedette. Ce dernier, s’il est placé sur un piédestal, célébré, glorifié, héroïsé, est également présenté dans son rapport intime avec les fans. Sa proximité avec son public est abondamment mise en scène. Johnny lui-même témoigne : « il y a une photo de moi, au-dessus de la cheminée, parmi les photos des parents ». La relation de Johnny à son public est, selon Daniel Rondo, cité par Reno, « une cérémonie de l’échange ». Johnny donne de l’amour à ses fans qui le lui rendent bien, dans une relation de proximité, de complicité, d’intimité et d’affection, d’amour partagé, que résume bien cette citation de Johnny que les visiteurs découvrent, au terme de leur visite : « Merci d’avoir été là, je vous aime du fond du cœur », message ultime de « Jojo » (ainsi qu’il est parfois désigné affectueusement) à ses fans. Le récit combine ainsi la légende et l’intime, le mythe et le proche, l’être exceptionnel et inaccessible et le compagnon du quotidien, la vénération de l’idole et l’amour du proche.</p>
<p>Enfin, le récit de la vie de Johnny Hallyday est un récit ascensionnel. C’est l’histoire d’une destinée miraculeuse, qui comprend plusieurs phases : la pauvreté d’origine, l’ascension marquée par des rejets, incompréhensions et humiliations avant les conquêtes et les triomphes, la gloire phénoménale et le succès inégalé comme points d’orgue de cette « revanche sur le destin ». C’est également un récit qui dit, en quelques motifs, quelques mots ou quelques anecdotes, le rejet initial par un ordre établi et intellectuel (incarné par Sarraute ou Vian) d’un chanteur et d’un rock’n’roll à la fois déviant et novateur, puis une réconciliation (des fans et des élites), la reconnaissance unanime et enfin la célébration conformément au modèle de la sainteté et à la structure du récit de vie hagiographique.</p>
<h2>Au-delà de la fonction mémorielle</h2>
<p>L’exposition remplit d’abord une fonction mémorielle, en assurant la postérité de la vedette. Elle préserve le chanteur de l’oubli et le maintient parmi nous. Interrogé par un journaliste, un <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/johnny-hallyday/johnny-hallyday-une-exposition-porte-de-versailles-penetre-l-intimite-de-l-artiste_6261120.html">visiteur déclare, ému</a> : « Parfois, on a l’impression qu’il va apparaître quelque part, c’est beau ! »</p>
<p>Le récit proposé assure aussi une fonction pédagogique et didactique. Ils expliquent, précisent, racontent qui était Hallyday, ce qu’il a accompli, comment il a vécu, les obstacles qu’il a rencontrés, l’importance et les effets de son œuvre… L’exposition explique ce que l’on doit à Hallyday qui a « été le premier à populariser le rock en France » et la façon (le film de ses funérailles) dont la France lui rend hommage.</p>
<p>L’exposition remplit tout aussi bien une fonction célébrative, en proclamant la grandeur de Johnny et l’importance de son œuvre, en invitant à la célébration et à la dévotion. La vitrine dédiée aux fans, à leurs messages et hommages, est à la fois un éloge de ces fans (présentés comme des « gardiens de la mémoire »), et une célébration de la célébration. L’existence même de cette exposition conduit à faire pénétrer le chanteur et son œuvre dans le patrimoine culturel national, ce que confirment à leur tour les témoignages, extraits de discours et éloges funèbres proposés au visiteur.</p>
<p>« Johnny Hallyday, l’exposition » remplit également une fonction économique, invitant à une multitude d’actes d’achat, transformant le chanteur, sa vie, son œuvre, en marchandises, et la passion voire le culte des fans en monnaie sonnante et trébuchante. Ce dont témoigne de façon exemplaire la boutique qui accueille les visiteurs au sortir de leur visite ou plus exactement qui clôture cette visite. Et dans laquelle – elle déborde de marchandises (des ouvrages et disques au catalogue de l’exposition, des affiches aux objets à l’effigie du chanteur, des mugs aux coussins, des sacs aux figurines, de la montre à la bouteille de champagne, du pendentif à « l’authentique morceau de veste de Johnny ») – on peut se livrer sans entrave à cette consommation et satisfaire son besoin de marchandise, sa recherche d’objets mémoriels comme sa quête de reliques…</p>
<p>« Johnny Hallyday, L’exposition » remplit en outre une fonction politique et idéologique, même si elle n’est pas la plus manifeste. Il reste qu’elle célèbre et commémore une personnalité consensuelle et fédératrice, en témoignent ses funérailles « nationales » et l’unanimité des marques d’amour et de reconnaissance, en provenance de la plèbe comme des élites. Le héros de l’exposition est une figure tutélaire, qui rassemble la communauté et assure la cohésion d’une nation tout entière qui l’a aimée, pleurée et à présent la célèbre. Hallyday, comme « héros national », est porteur des valeurs, des idéaux de la société de consommation et de l’économie capitaliste, ambassadeur d’un ordre économique et marchand, symbole d’une « société sans classe », où règnent méritocratie et mobilité sociale, avec pour horizon idéologique et culturel les États-Unis, à leur tour idéalisés comme terre des libertés.</p>
<p>Cette exposition fait du visiteur à la fois un élève, un fidèle, un consommateur et un acteur de la lutte contre l’oubli, celui qui maintient en vie, assure la présence et l’éternité de Johnny Hallyday.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Segré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À la fois pédagogique, célébrative, économique, politique, mémorielle, l’exposition consacrée à Johnny Hallyday remplit de multiples fonctions.Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2134952023-09-17T14:45:10Z2023-09-17T14:45:10ZFaut-il transformer le cinéma en produit de luxe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548643/original/file-20230916-37582-fbxzbn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C0%2C2023%2C1536&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour la sortie du film _Oppenheimer_ de Christopher Nolan, le Grand Rex, cinéma parisien des Grands Boulevards conçu au début du 20e siècle, sort le grand jeu avec des projections en 70mm. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/LeGrandRex/status/1678799247070601217/photo/1">Compte X (ex Txitter) du cinéma le Grand Rex.</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Aller au cinéma est une activité culturelle éminemment populaire en France. Pour qu’elle le reste, encore faut-il que ce marché réinvente le plaisir de la « sortie au cinéma ». Ce ne serait pas le moindre des paradoxes que l’avenir de ce loisir populaire passe aussi par sa transformation, pour partie, en produit de luxe.</p>
<h2>Le cinéma en salle : une résilience toujours menacée</h2>
<p>Le cinéma en salles est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/19/le-cinema-en-salles-cet-eternel-resilient_6154996_3232.html">« cet éternel résilient »</a>, rescapé de la crise du Covid, dont la diversité de l’offre a peu à peu convaincu tous les publics de retrouver le chemin des multiplexes comme des cinémas de proximité.</p>
<p>Porté par le désormais fameux phénomène « Barbenheimer » (soit la sortie simultanée des blockbusters <em>Barbie</em> et <a href="https://theconversation.com/oppenheimer-une-obsession-americaine-212476"><em>Oppenheimer</em></a>), l’été 2023, avec 34,29 millions d’entrées cumulées en juillet et août, affiche des records de fréquentation (+41 % par rapport à l’été 2022, +6 % par rapport aux moyennes estivales des années fastes 2017-2019).</p>
<p>Les toutes dernières statistiques publiées <a href="https://www.cnc.fr/professionnels/communiques-de-presse/frequentation-du-mois-daout-2023%E2%80%931591-millions-dentrees_2023800">par le Centre national du cinéma et de l’Image animée</a> confirment le redressement de la fréquentation amorcée l’an passé. En année glissante (septembre 2022 à août 2023), les salles cumulent 179,6 millions d’entrées : l’écart n’est désormais plus que de 13,6 % par rapport aux 207,75 millions enregistrés en moyenne durant les années 2017-2019.</p>
<p>Mais comme toujours, ces moyennes masquent les mêmes et profondes disparités structurelles d’avant la crise : domination des « majors » et de quelques blockbusters, atomisation continue des publics, concurrence des plates-formes de streaming. La fidélisation du public dit occasionnel, toutes tranches d’âge et de composition sociologique confondues, mais surtout le renouvellement et la conquête de nouveaux publics restent des enjeux majeurs pour la pérennisation du cinéma en salles. Dans cette perspective, trois actualités récentes, trois « cas » particulièrement médiatisés, esquissent une stratégie autour de « l’évènementialisation » de la sortie au cinéma.</p>
<h2>Le multiplexe « full premium » – le cas Pathé</h2>
<p>Le concept de salle « premium », offrant confort et prestations haut de gamme, le plus souvent combinées à des technologies de pointe (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/IMAX">Imax</a>, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Dolby_Vision">Dolby Vision</a>, <a href="https://www.pathe.fr/experiences/4dx">4DX</a>), n’est en soi pas nouveau et équipe déjà une centaine de multiplexes, soit un peu moins de 5 % du parc de salles en France. En revanche, et à rebours des résultats de l’étude publiée par le CNC en mai 2022 (qui soulignait la sensibilité des spectateurs, toutes catégories confondues, <a href="https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/etude---pourquoi-les-francais-vontils-moins-souvent-au-cinema_1693485">au prix du billet de cinéma perçu comme trop élevé</a>), le groupe de Jérôme Seydoux innove en ouvrant, en décembre 2022, sous l’enseigne Pathé Parnasse, son premier multiplexe de 12 salles et 800 fauteuils « full premium ». La capacité de l’ancien cinéma Gaumont est ainsi réduite de 62 %, et le tarif normal de la place passe à 18,5 €.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-matiere-de-gouts-cinematographiques-paris-et-la-province-ne-jouent-pas-dans-la-meme-salle-208797">En matière de goûts cinématographiques, Paris et la province ne jouent pas dans la même salle</a>
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<p>Avec l’ouverture en 2024 de son futur Pathé Capucines sur le même concept, Pathé amorce une stratégie à priori audacieuse visant à faire du cinéma un produit de luxe. Cette stratégie n’est ni purement parisienne (un multiplexe « full premium » est annoncé à Lille), ni spécifique à Pathé : le propriétaire du Grand Rex a déclaré au printemps dernier vouloir lui aussi aller vers un cinéma de luxe et transformer l’emblématique cinéma des Grands Boulevards en « Movie Palace ».</p>
<h2>La projection « de prestige » – le cas <em>Oppenheimer</em></h2>
<p>La sortie de <em>Oppenheimer</em> le 19 juillet en France et dans le monde a fait l’objet d’une médiatisation, inédite à cette échelle, des technologies utilisées pour le tournage, mais aussi la projection du film en salles. Ce ne sont en effet pas moins de cinq techniques de projection possibles du film qui ont été détaillées, comparées et débattues jusque dans la presse grand public, celle-ci classant les salles dans lesquelles <a href="https://www.ecranlarge.com/films/news/1483736-oppenheimer-nolan-imax-70mm-ou-voir-film-meilleures-conditions">voir le film par ordre de préférence</a>, en privilégiant les deux formats promus par le réalisateur Christopher Nolan : l’Imax au format presque carré 1,43 :1, et la <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-le-70mm_1022583">projection argentique en 70mm</a>.</p>
<p>La stratégie marketing globale du film s’est saisie de la rareté de ces deux technologies de projection pour en promouvoir le caractère prestigieux et « évènementialiser » les quelques salles équipées. En France, le Grand Rex en a fait un spectacle en soi, où des visites de la cabine de projection 70mm ont été proposées aux spectateurs les plus curieux.</p>
<p>Sans être un phénomène nouveau, le marketing autour du film de Nolan se démarque par la combinaison savamment élaborée entre performance de la technologie, grandeur de l’écran et du spectacle, notoriété du film aussi bien que de son réalisateur, et rareté des conditions de projection optimales voulues par ce même réalisateur.</p>
<p>Son exceptionnel record au box-office mondial et la part de marché des salles Imax (22 % des recettes mondiales pour seulement 740 salles) pourraient inciter les studios à poursuivre voire développer cette stratégie, malgré son coût élevé. Par ailleurs, le succès des projections en 70mm (55 000 spectateurs au Grand Rex en trois semaines) pourrait de même inciter certains circuits ou exploitants indépendants à persévérer dans l’évènementialisation de la projection argentique.</p>
<p>Dans tous les cas, l’objectif est identique : restituer à la projection cinématographique le caractère singulier et une certaine forme d’aura que le déversement continu d’images numériques sur toutes formes d’écran lui a fait perdre aux yeux d’une grande partie du public. En creux se dessine l’enjeu de redonner à la séance de cinéma son prestige d’antan (quand le cinéma se projetait dans de véritables palaces), et d’y attirer de nouveaux publics.</p>
<h2>Le « lieu cinéma » – le cas du Grand Rex</h2>
<p>En décembre 2022, l’inauguration de la façade rénovée du Grand Rex (toujours lui !) fait l’objet d’une médiatisation tout à fait inédite. Restitué dans ses couleurs et son style Art déco d’origine, flanqué de son enseigne lumineuse rotative surplombant les Grands Boulevards, le cinéma s’affiche comme un lieu emblématique de la cité. Il remet en lumière l’importance de la salle de cinéma qui invite au plaisir du spectacle : selon le mot de l’architecte américain <a href="https://www.laconservancy.org/learn/architect-biographies/s-charles-lee/">Simeon Charles Lee</a>, créateur des grands palaces de l’âge d’or hollywoodien, « the show starts on the sidewalk » !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548642/original/file-20230916-19-bo0mh9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le West Side Theatre, en Californie, conçu par l’architecte Simeon Chrales Lee en 1940.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cinematreasures.org/theaters/2437">cinema treasures</a></span>
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<p>Après des décennies de découpage des grands cinémas en complexes multisalles puis d’uniformisation des salles de cinéma en multiplexes souvent confortables, mais anonymes, l’architecte français Pierre Chican ne dit aujourd’hui rien d’autre : <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/architecture--comment-imaginer-la-salle-de-cinema-de-demain_1836364">c’est la salle de cinéma elle-même qu’il faut événementialiser</a>.</p>
<p>Mais cette promesse d’un moment unique vécu dans une salle de cinéma ultra confortable et doté de technologies haut de gamme peut-elle séduire sur le long terme ? Certains spectateurs, à la sortie d’une séance en salle « premium », déclarent : <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/12/28/au-cinema-pathe-parnasse-a-paris-des-sieges-plus-larges-et-des-prix-plus-eleves_6155873_3246.html">« on a un peu l’impression d’être à la maison »</a>… et ne semblent pas impressionnés par le côté luxueux de la proposition.</p>
<p>Dans le même temps, la plupart des nouvelles technologies d’image et de son de la salle de cinéma (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/4K">4K</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dolby_Atmos">Dolby Atmos</a>) se retrouvent désormais dans les « home cinéma » domestiques, dont les tailles d’écran ne cessent de grandir et pourront bientôt couvrir le mur entier d’un salon. Si donc l’attractivité de l’offre de films et du « grand spectacle » non reconstituable dans l’environnement domestique, restent une condition nécessaire, la banalisation du confort et l’obsolescence technologique aidant, elle ne sera pas durablement suffisante pour conquérir et fidéliser de nouveaux publics. Les trois cas précédemment évoqués ont tous en commun de « resacraliser » la séance de cinéma, en l’associant au lieu qui lui confère luxe et prestige.</p>
<h2>La réinvention du « théâtre cinématographique » – Le cas Ōma</h2>
<p>C’est dans cette perspective qu’un projet architectural en cours tente d’imaginer la salle de cinéma de demain. <a href="https://omacinema.com/">Baptisé Ōma</a>, ce projet innove par la conception verticale du lieu. Tous les spectateurs sont répartis dans des loges suspendues sur toute la hauteur de la salle, leur donnant la même vision rapprochée par rapport à l’écran, alors que dans une salle classique la vision dépend du placement de chacun selon l’implantation horizontale des rangées de fauteuils, de leur éloignement et de leur décalage latéral par rapport à l’écran.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548654/original/file-20230916-25-6zq1jn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La salle de luxe du futur ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.profession-audiovisuel.com/emission-oma-cinema/">Profession audiovisuel</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Le projet, qui permet aussi le maintien d’un parterre de fauteuils « traditionnel » si l’exploitant le souhaite, se veut suffisamment flexible pour s’adapter à tous volumes et capacités des salles, déjà existantes ou conçues spécifiquement selon cette architecture. En réinventant la loge de théâtre au cinéma (de nombreux commentateurs y ont aussi reconnu le sénat galactique, décor iconique de la saga <em>Star Wars</em>), la salle Ōma annonce le retour au « théâtre cinématographique » des origines, un lieu à forte identité culturelle et sociale.</p>
<p>Destiné à priori au grand spectacle, le projet convient aussi à des salles plus intimistes, et on peut imaginer que de futurs cinémas d’art et essai Ōma offrent aux cinéphiles une expérience d’immersion inédite dans un film d’auteur ou de patrimoine… L’ouverture, fin 2023, de la première salle Ōma, de 160 places, à Mougins, dans les Alpes maritimes, permettra d’évaluer le modèle économique des futurs cinémas de luxe, sachant toutefois que leur capacité réduite n’est pas en soi discriminante, le taux d’occupation des fauteuils de cinéma ne dépassant pas 15 % en moyenne en France, selon une étude réalisée par le CNC.</p>
<p>Il peut paraître paradoxal de conclure, à partir des cas cités précédemment, que la réinvention d’un loisir populaire passe par sa transformation en produit de consommation de luxe. Ce n’est de toute évidence qu’une réponse partielle à la problématique de renouvellement et de conquête de nouveaux publics. Elle concerne prioritairement les spectateurs potentiels ou occasionnels actuellement <a href="https://theconversation.com/cinema-pourquoi-les-multiplexes-doivent-se-reinventer-188035">détournés de la sortie au cinéma</a> soit par manque d’intérêt et de « pratique », soit du fait de la concurrence d’autres consommations culturelles plus valorisantes.</p>
<p>En redonnant à la sortie au cinéma un statut différenciant, à la fois culturellement et socialement, les promoteurs du cinéma de luxe ne visent rien d’autre que de lui faire atteindre de nouvelles « cibles ». On peut plaider que cette stratégie marketing renvoie à la mission dont bon nombre d’exploitants, métier de passion s’il en est, se sentent investis, à savoir, comme le souligne Laurent Creton, « offrir une expérience qualitative de sortie », fondée sur <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/12/20/des-crises-le-cinema-en-a-vu-d-autres-decrypte-laurent-creton-professeur-a-l-universite-paris-iii-sorbonne-nouvelle_6155138_3246.html">« les films, l’accueil, l’animation, mais aussi la beauté du lieu »</a>).</p>
<p>Tout le cinéma ne deviendra pas un produit de luxe, tous les publics (nouveaux, occasionnels, réguliers ou assidus) continueront d’aller dans « leurs » cinémas, en diversifiant leurs expériences en fonction de leurs attentes et des offres du moment. Le public s’élargit, se renouvelle et perdure dans toute sa diversité, le cas Ōma synthétise ce que sera l’expérience cinéma de demain : concilier l’immersion collective dans le spectacle et l’intimité du partage des émotions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Aléonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si l’avenir de ce loisir populaire passait par case « luxe » ? De nouveaux projets de salles et de nouvelles offres semblent confirmer cette piste.Laurent Aléonard, Directeur académique de l'EMLV, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2121472023-08-31T18:21:12Z2023-08-31T18:21:12Z« Yannick » de Quentin Dupieux, une fable habile sur le mépris social<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/545263/original/file-20230829-28218-p7066c.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1140%2C840&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand un spectateur s'insurge contre ce qui lui est proposé. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-315119/photos/detail/?cmediafile=22017826">Allociné / Chi-Fou-Mi Productions</a></span></figcaption></figure><p>C’est peu dire que le cinéma de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quentin_Dupieux">Quentin Dupieux</a>, réalisateur singulier mais aussi compositeur de musique électronique, constitue une expérience à part. Ses films, étranges par leur forme autant que par leurs sujets, sont imprégnés d’un humour noir qui oscille entre l’absurde et le surréalisme. Mais qu’est-ce que son cinéma atypique peut nous apprendre sur la fragilité des institutions, la fonction de l’art dans les conflits sociaux, ou encore la dynamique du mépris dans les sociétés contemporaines ? C’est dans le but d’explorer ces questions, et avec une approche volontairement éclectique, empruntant autant à la psychologie sociale qu’à la philosophie ou la littérature, que j’analyserai le film de Quentin Dupieux sorti récemment, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=315119.html"><em>Yannick</em></a>.</p>
<p>Ainsi débute l’intrigue : Yannick, gardien de nuit sur un parking, est venu assister à une représentation de théâtre, plus exactement un vaudeville, afin de s’évader d’un quotidien morose. Or, visiblement, la représentation du soir à laquelle assiste Yannick paraît fort poussive, c’est le moins qu’on puisse dire ; les comédiens se montrant peu soucieux de la qualité de ce qu’ils sont en train d’interpréter. Une soirée gâchée. Au fond, tout pourrait s’arrêter là.</p>
<p>Mais par son initiative, Yannick fait entendre une parole dissonante et qui détraque les règles du jeu du théâtral, interpellant de vive voix les comédiens, sidérés et rendus incrédules par tant d’audace et d’inconscience. Yannick se défend : cette pièce n’était-elle pas censée lui remonter le moral ? N’était-il pas venu ici pour passer un bon moment ? Qui lui remboursera sa journée de congé et ses deux heures de transport ?</p>
<p>Cette prise de parole naïve coïncide avec une première rupture qui traduit la profondeur de l’incompréhension mutuelle entre la troupe de comédiens et Yannick. Ce dernier rappelle la dureté de ses conditions de vie et de travail, cependant que de leur côté, les comédiens se contentent de rappeler Yannick à l’ordre, c’est-à-dire, d’une part de lui remettre en mémoire les « règles du jeu » – un spectateur n’intervient pas dans une pièce en cours –, et d’autre part d’insister sur le fait que « l’art » n’a rien à voir avec les déboires personnels ou les attentes de divertissement de chacun. Premier moment de tension qui suscite un certain malaise et une crispation.</p>
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<h2>La spirale du mépris</h2>
<p>De nombreuses interprétations sont bien sûr possibles, dont celle, que je trouve particulièrement intéressante, issue d’une critique du <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/01/yannick-de-quentin-dupieux-ou-la-revolte-du-strapontin_6184052_3246.html"><em>Monde</em></a>, par Mathieu Macheret :</p>
<blockquote>
<p>« Par son déraillement, Yannick laisse entrevoir des facettes troubles, une étrange férocité, un penchant obsessionnel. Ce qui fait retour avec lui dans l’espace codifié du théâtre, c’est une certaine violence sociale refoulée <a href="https://theconversation.com/podcast-assister-a-un-match-de-foot-ou-aller-a-lopera-est-ce-vivre-la-meme-experience-esthetique-195674">par les us culturels</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Mon interprétation s’accorde avec cette idée, mais tend plutôt à lire le film comme une fable cruelle sur l’expérience du mépris en général, qui met en lumière les refoulés non seulement culturels mais surtout sociaux de nos façons de vivre et communiquer.</p>
<p>Par sa forme même, le film figure de façon schématique mais très juste la dynamique décrite par le philosophe allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Axel_Honneth">Axel Honneth</a> lorsqu’il parle d’une « lutte pour la reconnaissance » en jeu dans la société. Résumée succinctement, l’idée consiste à dire que les expériences de mépris subies par les individus et groupes sociaux doivent mener les institutions en place à interroger en retour les normes qui régulent la vie en commun, cela afin de mener à une compréhension mutuelle élargie.</p>
<p>Ces luttes, qui n’ont pas à être violentes, se déroulent la plupart du temps au sein de l’espace public afin d’acquérir la reconnaissance institutionnelle qui avait été initialement refusée. Si elle peut paraître abstraite, cette théorie permet néanmoins de comprendre la mobilisation de nombreux mouvements sociaux, en particulier, comme l’indique le sociologue français <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/comment-sortir-de-la-societe-du-mepris">Pierre Rosanvallon</a>, celle exceptionnelle des « gilets jaunes » qui a profondément marqué le paysage politique et social français : </p>
<blockquote>
<p>« Si la caractérisation des “gilets jaunes” en termes de catégories socio-professionnelles reste ainsi problématique, il y a un autre type de lien qui les a indubitablement réunis : celui d’avoir eu le sentiment d’être méprisés. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, l’expérience du mépris suscite un affect violent, qui peut s’étendre à tout un groupe social, et entraîner une situation hors de contrôle et de crise violente – soit ce que vient illustrer la dynamique du film de Dupieux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Yannick, interprété par Raphaël Quenard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chi-Fou-Mi Prod/Quentin Dupieux 2023</span></span>
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<h2>Du mépris à la situation de crise violente</h2>
<p>En un sens, la scène aurait pu s’interrompre après l’exclusion de Yannick, par les comédiens. Mais c’est que, non contents d’être parvenus à exclure le spectateur récalcitrant de l’espace de la scène suite à sa prise de parole, un peu comme certains groupes sociaux dérangeants se voient refuser l’accès à toute parole et visibilité dans l’espace public, les comédiens épris de triomphe se prennent à singer cruellement et de façon méprisante les propos de Yannick – sous l’hilarité générale du public qui pis est ! Sous le coup d’un mépris violent, revenu sur scène avec une arme, celui-ci en vient à passer à l’acte et prend en otage toute la salle. Il s’agit ni plus ni moins pour Yannick que de réécrire la pièce dans son ensemble afin que celle-ci puisse retranscrire plus fidèlement son expérience de vie.</p>
<p>Ce moment marque un réel basculement, tant dans le rapport de forces, puisque Yannick prend le dessus sur l’art grâce à son arme, mais également dans l’équilibre des relations sociales au sein de la salle. Il est à noter en effet que par sa gouaille, son humour incongru et ses manières maladroites, Yannick gagne progressivement l’affection de la salle, qui, prise en otage, bascule en sa faveur. L’idée d’y voir un <a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-201/syndrome-de-stockholm">« syndrome de Stockholm »</a> (soit un retournement des sentiments de terreur à l’égard du ravisseur en affection) serait tentante, quoi qu’un peu facile.</p>
<p>Car ce qui se met en place à mon avis, c’est plutôt une réécriture d’ensemble des règles de la scène théâtrale, et, plus largement, des règles du jeu de l’institution elle-même afin de décider ce qui a le droit ou non d’être représenté et considéré comme un art légitime. Le passage à l’arme devient ici un recours visant à prendre le pouvoir pour effectuer un saut brutal sur la scène et entamer un passage à l’art. Autrement dit, il s’agit au sens propre d’une révolution (symbolique) figurée ici en miniature par le personnage de Yannick. Soit, comme l’écrivait <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/manet-une-revolution-symbolique-pierre-bourdieu/9782021135404">Bourdieu</a> à propos de l’œuvre du peintre impressionniste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Manet">Manet</a>, une tentative visant à transformer les structures à travers lesquelles nous percevons une œuvre d’art, sa légitimité et par extension l’ensemble des règles sociales qui lui correspondent.</p>
<hr>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dionysos-vs-apollon-experiences-esthetiques-et-milieux-sociaux-98605">Dionysos vs Apollon : expériences esthétiques et milieux sociaux</a>
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</p>
<hr>
<p>Cette « prise d’otage » du public fait par ailleurs écho à la virulence avec laquelle les œuvres de Manet, et plus globalement des impressionnistes, furent reçus par une partie du public et de la critique. Rappelons à ce titre, ironie de l’histoire, que le terme <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/et-monet-fit-grande-impression-16-08-2016-6043373.php">« impressionniste »</a>, lancé par un critique, visait d’abord à railler et disqualifier cette nouvelle forme de peinture qui se trouvait pour la première fois exposée !</p>
<p>De ce fait, ce second temps de la prise d’otage à laquelle on assiste dans Yannick illustre un moment de cris marqué par l’incertitude. Ces situations, comme l’a montrée la <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-de-psychosociologie--9782749229829-page-110.htm">psychosociologie</a>, se définissent par : « une rupture des dynamiques et équilibres antérieurs et à une incapacité présente à réguler ou à stabiliser le jeu des relations pour assurer une suffisante stabilité. » C’est d’ailleurs tout la dynamique qui préoccupe une grande partie du film, Yannick s’efforçant d’attirer la sympathie des spectateurs en cherchant à les convaincre du bien-fondé de son action – certes l’arme au poing, comme lui fera remarquer un spectateur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Confrontation entre un comédien et le spectateur mécontent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chi-Fou-Mi Productions/Quentin Dupieux</span></span>
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</figure>
<h2>De l’art à l’arme, et inversement</h2>
<p>De fait, après un moment de latence et plusieurs revirements, Yannick finit par imposer sa pièce aux comédiens. En dépit des maladresses d’expression littéraire de Yannick, ou peut-être grâce à celles-ci, le public y trouve de l’humour, et même un certain réconfort. Les rires fusent. Il faut dire que la pièce écrite par Yannick relate l’histoire d’un homme dont on croyait qu’il était dans le coma mais qui souffre en réalité d’un « mal d’amour ». Rien que ça ! La blague de Dupieux est bien entendu énorme, mais c’est là toute l’ambiguïté et l’intelligence de son cinéma qui point derrière ses facéties et son humour noir.</p>
<p>On assiste alors à l’afflux incroyable d’émotions qui soulèvent Yannick ; les larmes aux yeux, ce dernier assiste au triomphe de sa propre pièce inspirée de son mal-être et sa souffrance. Une réussite et un apaisement ? Mais voilà, les forces de l’ordre se sont rendues sur place et le film se clôt sur leur entrée imminente dans la scène du théâtre. La question reste donc entièrement en suspens : quel ordre sera rétabli, celui de Yannick ou celui des comédiens ? A moins qu’autre chose ne se prépare ? Je crois que c’est ici que le côté « méta » de la mise en scène de Dupieux atteint sa pleine portée symbolique.</p>
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<p>Je trouve que le film prend ici une tonalité presque shakespearienne. La comparaison paraîtra moins improbable si l’on songe combien la métaphore du théâtre dans le théâtre, ou encore la guerre comme phénomène qui atteste de la fragilité de la vie sociale et politique sont des thèmes omniprésents chez Shakespeare. Plus fondamentalement, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/03/10/richard-marienstras-angliciste_1491189_3382.html">l’universitaire britannique Richard Marienstras</a> spécialiste de Shakespeare écrivait que pour ce dernier « la violence appartient à l’ordre même des choses. » Or, c’est bien ce qui est visible dans le film : la crise violente vient rappeler à quel point les règles, qui paraissaient immuables, sont en fait précaires et réversibles.</p>
<p>Si le normal n’a plus rien de normal, si l’évidence n’a plus cours, alors cela nous conduit à nous interroger autrement sur notre environnement, à en décoder les impensés et les refoulés. La folie « normale » du monde éclate au grand jour, ainsi que le mépris violent qui a lieu au quotidien sans y prendre garde. Plus que son humour bizarre ou ses histoires fantasques, je crois que c’est là une raison importante qui explique le malaise suscité par les films de Dupieux au visionnage.</p>
<p>Car derrière ses faux-airs de film désinvolte, Yannick cache une véritable fable cruelle et un remarquable tour de force dont la portée morale tient à ce qu’elle place le spectateur – par la force même du cinéma – dans une situation ambiguë où toute forme de jugement tranché semble impossible et le pousse à interroger ses propres présupposés et jugements. Autrement dit, Dupieux place le spectateur face à un choix éthique difficile qui n’admet aucune réponse évidente. Enfin, il me semble que la grâce d’un film comme <em>Yannick</em> tient à ce mélange de fantaisie, d’humour et de générosité, tirant le meilleur parti d’un cinéma « populaire » (n’oublions pas Yannick était venu assister à un vaudeville, une pièce censée le divertir !) pour émouvoir son public tout en le portant à réfléchir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212147/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Lomellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans son dernier film, Quentin Dupieux nous interpelle : qu’est-ce qu’un art « légitime » ? Jusqu’où les règles du jeu social peuvent-elles être subverties ?Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012222023-05-11T18:16:48Z2023-05-11T18:16:48Z« Random Access Memories » : le coup de maître des Daft Punk fête ses 10 ans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522776/original/file-20230425-22-s88z43.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C2%2C1714%2C952&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran du clip « Get Lucky », feat. Pharrell Williams et Nile Rodgers. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=CCHdMIEGaaM">Youtube, capture d'écran. </a></span></figcaption></figure><p>Le 17 mai 2013, les Daft Punk publiaient leur quatrième album <em>Random Access Memories</em>, délaissant leur home studio pour des studios d’enregistrement classiques et remplaçant leurs sampleurs et boîtes à rythmes par des instrumentistes humains.</p>
<p>À l’époque, l’écho médiatique et le succès furent considérables, et il reçut cinq Grammy Awards, dont celui de « l’album de l’année ». </p>
<p>Mais <em>Random Access Memories</em> se voulait plus qu’une actualité musicale éphémère : les Daft Punk ont affiché leur ambition de l’inscrire dans la lignée de grands albums classiques comme <em>Dark Side of the Moon</em> de Pink Floyd, <em>Sgt. Pepper’s</em> des Beatles ou <em>Thriller</em> de Michael Jackson. </p>
<p>Dix ans plus tard, l’anniversaire de sa sortie nous donne l’occasion de se questionner avec plus de recul sur la place de cet album dans la musique populaire contemporaine.</p>
<h2>Un album passéiste ?</h2>
<p>Le rapport au passé musical exprimé dans cet album a suscité l’admiration de nombreux nostalgiques mais aussi le rejet de la critique moderniste, <a href="https://www.liberation.fr/musique/2013/05/15/daft-punk-casques-vermeils_903208/">qui l’accusa de passéisme</a>. Il est vrai que les Daft Punk s’inspirent volontiers de musiques des années 1970 et début 80, juste avant l’avènement de l’ère numérique – l’époque de leur prime enfance.</p>
<p>Le titre <em>Random Access Memories</em> porte en lui toute l’ambiguïté du rapport que le duo, dont le succès s’est construit à l’époque où le Web se démocratisait, a toujours entretenu avec l’informatique. D’une part, il fait référence à la mémoire vive des ordinateurs (RAM pour <em>random access memory</em> en anglais) <a href="https://o.nouvelobs.com/musique/20130426.OBS7299/daft-punk-nous-avons-tente-une-aventure-humaine.html">dont le fonctionnement n’est, selon eux, pas si éloigné de celui d’un cerveau humain</a>. D’autre part, il renvoie aux « souvenirs » fragmentaires de l’histoire de la musique invoqués sur l’album, provenant d’une époque à laquelle la mémoire était bien humaine.</p>
<p>Trois des artistes invités sur l’album, Nile Rodgers, Giorgio Moroder et Paul Williams étaient alors au sommet de leur carrière. Mais on ne peut réduire <em>Random Access Memories</em> à son rapport au passé : l’histoire s’y frotte en permanence au présent et à l’ambition d’ouvrir de nouvelles voies. Ainsi, à ces trois invités « historiques » répondent pas moins de six invités contemporains des Daft Punk, qui sont d’ailleurs plus présents : Pharrell Williams, Julian Casablancas, Panda Bear, Chilly Gonzales, DJ Falcon et Todd Edwards.</p>
<p>La préférence des Daft Punk pour le son analogique mérite également d’être relativisée. S’ils réincluent dans leur pratique des machines anciennes dont l’usage s’était raréfié (magnétophone à bande, console analogique, chambre d’écho…) pour en exploiter les qualités sonores spécifiques, d’autres ont en réalité toujours coexisté avec le numérique (synthétiseurs analogiques, microphones et effets vintage…).</p>
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<p>Plus important, les Daft Punk ne bannissent aucunement les technologies numériques les plus récentes, comme le <a href="https://www.soundonsound.com/people/recording-random-access-memories-daft-punk">montrent les interviews de leurs ingénieurs du son Peter Franco, Mick Guzauski</a> et <a href="https://youtu.be/MI3UH2Fq6O0">Antoine Chabert</a>, mais limitent leur usage à des tâches spécifiques (montage, certains effets, mastering…). De fait, le logiciel audionumérique Pro Tools leur est <a href="https://entertainment.time.com/2013/05/21/robocall-a-conversation-with-daft-punk%E2%80%A8%E2%80%A8-%E2%80%A8%E2%80%A8/">indispensable</a>, et prend place <a href="https://sonicscoop.com/icons-mick-guzauski-on-engineering-and-mixing-daft-punks-random-access-memories/">au cœur de leur processus créatif</a>. Les Daft Punk semblent surtout <a href="https://www.soundonsound.com/people/recording-random-access-memories-daft-punk">rejeter les logiciels de modélisation ou d’émulation</a>, qui imitent des machines existantes.</p>
<p>Au fond, plus qu’un retour en arrière, les Daft Punk défendent dans <em>Random Access Memories</em> l’idée que la <a href="https://theconversation.com/les-darons-en-festival-electro-choc-des-generations-a-tomorrowland-201036">musique électronique</a> peut évoluer autrement que par une fuite en avant technologique ; ils refusent l’injonction de sonner « numérique », très présente dans le discours de critiques comme <a href="https://www.grrif.ch/interview/retromania-ce-passe-qui-ronge-la-culture-pop/">Simon Reynolds</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/musique/2013/05/15/daft-punk-casques-vermeils_903208/">Sofian Fanen</a>.</p>
<h2>Du « homework » aux « teachers »</h2>
<p>Dans leur premier album <em>Homework</em> (1997), les Daft Punk se présentaient en élèves faisant leurs devoirs : leurs « maîtres », les artistes anglo-saxons qui les avaient inspirés sont énumérés dans la chanson <a href="https://youtu.be/6jntFhnvugg">« Teachers »</a>. À la sortie de <em>Random Access Memories</em>, devenus l’influence majeure d’une nouvelle génération, c’est à leur tour de montrer la voie : <a href="https://youtu.be/IluRBvnYMoY">« Give Life Back to Music »</a> exhorte leurs contemporains à « redonner vie à la musique » et <a href="https://youtu.be/zhl-Cs1-sG4">« Giorgio by Moroder »</a> vante le parcours de précurseur de l’intéressé.</p>
<p>Mais leur « enseignement » passe surtout par l’exemple de leur propre démarche créative. Dans leurs interviews, les Daft Punk défendent une certaine vision de l’ambition artistique, qui consiste à <a href="https://www.lesinrocks.com/musique/rencontre-en-2001-avec-daft-punk-pour-discovery-un-retour-a-lenfance-158077-26-02-2021/">bousculer les normes</a> établies pour <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/2013/05/03/03006-20130503ARTFIG00588-daft-punk-la-musique-actuelle-manque-d-ambition.php">« ouvrir le champ des possibilités »</a>, ce qui se traduit de différentes manières dans <em>Random Access Memories</em>.</p>
<p>Cet album révèle par exemple un travail important sur les structures. Les formes standards comme le couplet-refrain de « Get Lucky » y sont peu communes, et certaines chansons ont des structures très singulières comme « Touch ». D’une durée dépassant huit minutes, elle donne l’impression d’une suite de sections enchaînées sans cohérence particulière, mais en y prêtant attention on peut y déceler deux thèmes vocaux distincts, successivement introduits, exposés et développés avant d’être mêlés l’un à l’autre en conclusion. « Touch » est également le point central d’une structuration globale à l’échelle de l’album (7<sup>e</sup> piste sur 13), qui comporte également une progression harmonique et thématique cohérente.</p>
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<p>Autre exemple, le parti pris de remplacer les sampleurs et boîtes à rythme par des musiciens humains n’est pas aussi passéiste qu’il n’y paraît. En effet, la méthode créative des Daft Punk n’a pas simplement consisté à faire jouer une composition à des interprètes, mais davantage à <a href="https://sonicscoop.com/chris-caswell-on-playing-the-grammys-with-daft-punk-and-the-beatles/">susciter une improvisation collective guidée</a> de façon à capter un moment musical unique enregistré sur le vif.</p>
<p>Ils ont ainsi obtenu une matière sonore originale de consistance équivalente à <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/2013/05/03/03006-20130503ARTFIG00588-daft-punk-la-musique-actuelle-manque-d-ambition.php">celle qu’ils avaient l’habitude de sampler</a>, à partir de laquelle ils ont créé leurs compositions par l’arrangement et le montage. En somme, les Daft Punk ont expérimenté un processus compositionnel hybride, qui n’est ni vraiment celui de la culture pop et rock, ni tout à fait celui de la culture DJ, mais qui emprunte à ces deux univers sur le plan créatif. C’est l’un des aspects les plus singuliers de leur démarche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522830/original/file-20230425-28-68xuwg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour leur prestation aux Grammy Awards, les Daft Punk ont mis en scène leur processus créatif avec un décor évoquant un studio d’enregistrement, où eux-mêmes demeurent en régie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran Youtube.</span></span>
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<h2>Daft Punk : héritage</h2>
<p>Depuis <em>Random Access Memories</em>, les Daft Punk ont collaboré avec The Weeknd et Parcels, des artistes très différents qui apparaissent comme les continuateurs privilégiés de la vision ambitieuse défendue dans cet album. Il ne fait guère de doute que son succès a également contribué à remettre au goût du jour les sonorités disco <a href="https://www.ledevoir.com/culture/musique/662322/musique-la-tentation-du-disco-dans-la-pop-d-ici-et-d-ailleurs">que l’on entend si couramment dans la pop française et internationale actuelle</a>. Mais ce vernis rétro n’est qu’un reflet finalement assez superficiel qui reflète peu la réelle profondeur de <em>Random Access Memories</em>.</p>
<p>En privilégiant dans cet album l’investissement créatif, l’expérimentation en studio, le développement de structures singulières, une instrumentation foisonnante, des sonorités inouïes et la remise en cause des normes de l’industrie musicale, les Daft Punk se sont inscrits dans une certaine vision de l’ambition artistique, que l’on percevait déjà chez les Beatles, les Beach Boys, Pink Floyd et dans le rock progressif, puis plus tard chez Radiohead ou Björk, pour ne citer que quelques noms. Cette vision n’appartient ni au passé, ni à l’avenir, ni à un style musical en particulier : elle existe depuis longtemps et trouve encore des défenseurs, sans doute minoritaires, au sein de l’industrie musicale.</p>
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<p>En se retirant du jeu le 22 février 2021, les Daft Punk ont fait de <em>Random Access Memories</em> leur ultime héritage. Eux-mêmes se présentent désormais en groupe à la carrière achevée, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b7WU3QHpM18">comme l’a récemment confirmé un Thomas Bangalter</a> à visage découvert : leurs sorties récentes ou à venir, composées de rééditions et/ou d’inédits, sont tournées vers leur propre passé et la construction d’une image d’artiste « culte », modèle pour les générations à venir, comme celle qui crée actuellement de nouveaux contenus basés sur leur musique sur la plate-forme TikTok, grâce à un <a href="https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/plongez-dans-la-musique-avec-daft-punk-sur-tiktok">partenariat annoncé il y a quelques mois</a> dans les médias. Dans l’attente, peut-être, qu’un gamin vienne enfin clamer <a href="https://kevinegperry.com/2013/05/14/daft-punk-interview-we-dont-have-egos-we-have-superpowers/">« les Daft Punk ont tout faux ! »</a>, comme ils l’espéraient déjà en 2013. Le meilleur moyen, assurément, de dessiner des sourires bien humains (après tout…) derrière leurs casques impassibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Lebray ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec « Random Access Memories », les Daft Punk ont signé un album qui fait déjà partie des classiques du répertoire de la musique pop et électronique.Sébastien Lebray, musique (populaire), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012582023-03-24T14:28:05Z2023-03-24T14:28:05ZVoici pourquoi nous avons si peur des clowns<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516506/original/file-20230320-1833-z53pt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C992%2C607&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La représentation négative des clowns dans la culture populaire est un facteur qui semble contribuer beaucoup plus à la coulrophobie.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Avez-vous peur des clowns ? Si oui, vous n’êtes pas seul. La coulrophobie, ou peur des clowns, est un phénomène largement reconnu. <a href="https://www.chapman.edu/wilkinson/research-centers/babbie-center/_files/full-survey-methodology-2019.pdf">Des études</a> indiquent que cette peur est présente chez les adultes et les enfants <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00207411.2022.2046925?journalCode=mimh20">dans de nombreuses cultures</a>. Pourtant, elle n’est pas bien comprise en raison d’un manque de recherches ciblées.</p>
<p>Alors que de nombreuses explications possibles de la phobie ont été avancées dans la <a href="https://www.jstor.org/stable/26899534">littérature académique</a>, aucune étude n’a spécifiquement examiné ses origines. <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2023.1109466/full">Nous avons donc entrepris de découvrir</a> les raisons pour lesquelles les gens sont effrayés par les clowns et de comprendre la psychologie qui sous-tend cette phobie. Nous voulions également explorer la fréquence de la peur des clowns chez les adultes et examiner la gravité de la peur chez celles et ceux qui l’ont signalée. </p>
<p>Pour ce faire, nous avons élaboré un questionnaire psychométrique pour évaluer la prévalence et la gravité de la coulrophobie. <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00207411.2022.2046925">Le questionnaire sur la peur des clowns</a> a été rempli par un échantillon international de 987 personnes, âgées de 18 à 77 ans. </p>
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<img alt="Un clown effrayant sort de derrière un arbre. Il porte un haut rouge. Il est maquillé en blanc et affiche un large sourire sinistre peint en rouge" src="https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510340/original/file-20230215-15-x2wxpk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avez-vous peur des clowns ? Si oui, vous n’êtes pas seul.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/closeup-scary-evil-clown-woods-emerging-503361121">(Shutterstock)</a></span>
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<p>Plus de la moitié des personnes interrogées (53,5 %) ont déclaré avoir peur des clowns, au moins dans une certaine mesure, et 5 % d’entre elles ont déclaré en avoir « extrêmement peur ». Il est intéressant de noter que ce pourcentage de personnes déclarant avoir une peur extrême des clowns est légèrement plus élevé que les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/psychological-medicine/article/abs/crossnational-epidemiology-of-specific-phobia-in-the-world-mental-health-surveys/A0EDD4B22E19CDB63269D7A34F2C21AA">proportions déclarées pour de nombreuses autres phobies « extrêmes »</a>, telles que les animaux (3,8 %), le sang/les injections/les blessures (3,0 %), les hauteurs (2,8 %), l’eau calme ou les phénomènes météorologiques (2,3 %), les espaces clos (2,2 %) et l’avion (1,3 %). </p>
<p>Nous avons également constaté que les femmes ont davantage peur des clowns que les hommes. Pourquoi ? Ce n’est pas clair. Mais cette observation fait écho aux <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ejn.14602">résultats des recherches</a> sur d’autres phobies telles que la peur des serpents et des <a href="https://psycnet.apa.org/record/1984-06781-001">araignées</a>. Nous avons également découvert que la coulrophobie diminue avec l’âge, ce qui est également observé <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/psychological-medicine/article/abs/crossnational-epidemiology-of-specific-phobia-in-the-world-mental-health-surveys/A0EDD4B22E19CDB63269D7A34F2C21AA">pour d’autres peurs</a>. </p>
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<img alt="Un homme vêtu d’un costume de clown rouge, bleu, vert et jaune nous fait signe. Il a une perruque multicolore, un maquillage blanc et un gros nez rouge" src="https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512852/original/file-20230301-23-3x3i35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tous les clowns ne sont pas censés être effrayants, mais cela ne nous empêche pas d’en avoir peur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/full-length-clown-portrait-169753952">(Shutterstock)</a></span>
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<h2>Les origines de cette peur</h2>
<p>L’étape suivante consistait à explorer les origines de la peur des clowns. Un <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2023.1109466/full">questionnaire de suivi</a> a été remis aux 53,5 % de personnes qui avaient déclaré avoir au moins un certain degré de peur des clowns. Cette nouvelle série de questions proposait aux participants huit explications possibles des origines de cette peur, à savoir :</p>
<ol>
<li><p>Un sentiment étrange ou troublant dû au maquillage des clowns qui leur donne un aspect pas tout à fait humain. Une réaction similaire est parfois observée avec les <a href="https://theconversation.com/uncanny-valley-why-we-find-human-like-robots-and-dolls-so-creepy-50268">poupées ou mannequins</a>.</p></li>
<li><p>Les traits exagérés du visage des clowns transmettent un sentiment direct de menace.</p></li>
<li><p>Le maquillage des clowns dissimule les signaux émotionnels et crée de l’incertitude.</p></li>
<li><p>La couleur du maquillage de clown nous rappelle la mort, l’infection ou les lésions sanguines, et suscite le dégoût ou l’évitement.</p></li>
<li><p>Le comportement imprévisible des clowns nous met mal à l’aise.</p></li>
<li><p>La peur des clowns a été inculquée par les membres de sa famille. </p></li>
<li><p>Les représentations négatives des clowns dans la culture populaire.</p></li>
<li><p>Une expérience effrayante avec un clown.</p></li>
</ol>
<p>Étonnamment, nous avons constaté que la dernière explication, à savoir celle d’une expérience personnelle effrayante avec un clown, était la moins populaire auprès des participants. Cela indique que l’expérience personnelle ne suffit pas à expliquer pourquoi les gens ont peur des clowns. </p>
<p>En revanche, la représentation négative des clowns dans la culture populaire est un facteur qui semble contribuer beaucoup plus à la coulrophobie. Ce n’est pas étonnant, puisque certains des clowns les plus connus dans les livres et les films ont été conçus pour être effrayants. On peut par exemple penser à Pennywise, le clown effrayant du roman It de Stephen King (1986). (Ce personnage a récemment fait l’objet de deux films en <a href="https://www.warnerbros.co.uk/movies/it">2017</a> et <a href="https://www.warnerbros.co.uk/movies/it-chapter-two">2019</a>, avec Bill Skarsgård dans le rôle principal).</p>
<p>Or, certaines personnes ont peur de Ronald McDonald, la mascotte de la chaîne de restauration rapide éponyme. Le hic, c’est que ce clown n’est pas censé vous effrayer. Cela suggère qu’il y a peut-être quelque chose de plus fondamental dans l’apparence des clowns qui déstabilise les gens.</p>
<p>En fait, le facteur le plus important que nous ayons identifié est celui des signaux émotionnels cachés, ce qui suggère que pour de nombreuses personnes, la peur des clowns provient du fait qu’elles ne sont pas en mesure de percevoir leurs expressions faciales en raison de leur maquillage. Nous ne pouvons pas voir leur « vrai » visage et ne pouvons donc pas comprendre leur intention émotionnelle. Par exemple, nous ne savons pas s’ils froncent les sourcils, ce qui indiquerait de la colère. Le fait de ne pas pouvoir détecter ce qu’un clown pense ou ce qu’il pourrait faire ensuite rend certains d’entre nous nerveux en leur présence.</p>
<p>Ces recherches ont permis de mieux comprendre pourquoi les gens ont peur des clowns, mais d’autres questions demeurent en suspens. Par exemple, si le maquillage qui masque les émotions provoque la peur, les personnes qui se font peindre le visage en animal produisent-elles le même type d’effet ? Ou bien y a-t-il quelque chose de plus particulier dans le maquillage des clowns qui suscite cette peur ? C’est sur ces questions que nous poursuivons nos recherches.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201258/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Nos recherches montrent que la coulrophobie, ou peur des clowns, est principalement déclenchée par l’incapacité à comprendre leurs expressions faciales.Sophie Scorey, PhD Researcher, University of South WalesJames Greville, Lecturer in Psychology, University of South WalesPhilip Tyson, Associate Professor of Psychology, University of South WalesShakiela Davies, Lecturer in Clinical Psychology and Mental Health, University of South WalesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993612023-02-16T20:31:40Z2023-02-16T20:31:40ZPourquoi les films sont-ils de plus en plus longs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510632/original/file-20230216-26-z3eanm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=69%2C4%2C1528%2C835&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Avatar, la Voie de l'eau », une plongée de 192 minutes. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>Un simple coup d’œil à l’écosystème audiovisuel suffit pour se rendre compte que les contenus sont de plus en plus nombreux et surtout de plus en plus courts.</p>
<p>Notre attention est constamment sollicitée par le flux incessant de tweets, de <em>reels</em>, de vidéos TikTok, etc. Face à cette saturation – pour ne pas dire hypertrophie – de l’espace audiovisuel, certains auteurs ont souligné le risque de voir notre capacité d’attention compromise. C’est le cas de Nicholas Carr et de son désormais classique <a href="https://www.nicholascarr.com/?page_id=16"><em>Internet rend-il bête ?</em></a></p>
<p>On pourrait dès lors supposer que les films ou les séries suivent cette tendance, vers toujours plus de concision ; mais au contraire, la longueur des films ne cesse de croître.</p>
<h2>Plus de minutes s’il vous plaît</h2>
<p>L’augmentation du temps d’écran est perceptible dans les films destinés aux salles de cinéma. C’est le cas dans <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=178014.html"><em>Avatar : La voie de l’eau</em></a> (James Cameron, 2022), avec 192 minutes, le récent <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=275675.htmll"><em>Babylon</em></a> (Damien Chazelle, 2022), avec 188 minutes, ou encore le blockbuster <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=232669.html"><em>Avengers : Endgame</em></a> (Anthony et Joe Russo, 2019) et ses 181 minutes.</p>
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Leer más:
<a href="https://theconversation.com/babylon-de-lusine-a-reves-au-cauchemar-hollywoodien-199326">« Babylon », de l’usine à rêves au cauchemar hollywoodien</a>
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<p>Mais cette tendance se retrouve également dans des films conçus avant tout pour être exploités par les plates-formes de streaming – comme <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=139628.html"><em>The Irishman</em></a> (Martin Scorsese, 2019), avec 209 minutes de métrage, et <a href="https://www.allocine.fr/rechercher/?q=bardo"><em>Bardo</em></a> (Alejandro González Iñárritu, 2022) et ses 159 minutes – ou ceux destinés à des circuits plus minoritaires, traditionnellement liés au cinéma indépendant ou d’auteur. Dans ce sens, on peut mentionner <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=280669.html"><em>Pacifiction</em></a> (2022), le film de 166 minutes d’Albert Serra.</p>
<p>Comment expliquer cette augmentation de la durée des films ?</p>
<p>Tout d’abord, il convient de souligner qu’il y a toujours eu des films plus longs que la moyenne. Pensez par exemple à des classiques tels que <a href="https://www.allocine.fr/rechercher/?q=autant+en"><em>Autant en emporte le vent</em></a> (Victor Fleming, George Cukor et Sam Wood, 1939), avec une durée de 238 minutes, et <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=1532.html"><em>Ben-Hur</em></a> (William Wyler, 1959) et ses 211 minutes, pour ne citer que quelques exemples connus.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme passe la porte et se retourne pour regarder une femme dans l’ombre" src="https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505114/original/file-20230118-24-9wet76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">238 minutes jusqu’à ce moment.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.filmaffinity.com/es/filmimages.php?movie_id=470268">FilmAffinity</a></span>
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<p>Mais on peut tout de même se demander pourquoi les films sont de plus en plus longs à une époque où tout indique que la tendance devrait aller dans la direction opposée : le succès des séries, les <a href="https://theconversation.com/lentree-de-disney-dans-la-guerre-du-streaming-fragilise-lhegemonie-de-netflix-126396">guerres entre plates-formes de streaming</a>, la bataille pour l’attention et l’offre sans fin qui encourage la consommation accélérée.</p>
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Leer más:
<a href="https://theconversation.com/avec-avatar-2-james-cameron-nous-raconte-lanthropocene-197126">Avec « Avatar 2 », James Cameron nous raconte l’anthropocène</a>
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<h2>Des causes multiples</h2>
<p>Il y a trois raisons potentielles à ce changement : d’une part, la volonté d’élargir les récits, d’autre part, la nécessité de se différencier de la fiction télévisuelle (ou via le <em>streaming</em>) et, enfin, la tentative de justifier la hausse du prix du billet de cinéma.</p>
<p>Cette question, cependant, n’est pas une nouveauté absolue, mais accentue plutôt des caractéristiques déjà présentes dans l’industrie cinématographique depuis le <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2007-3-page-116.htm">Hollywood des années 1950</a>. Déjà à cette époque, la nécessité de se démarquer de l’offre télévisuelle a conduit les studios à opter pour des films plus longs, avec plus de stars, plus d’effets, plus de spectacle. Un peu comme ce qui se passe aujourd’hui avec des productions comme <em>Avatar</em> ou les films Marvel.</p>
<p>Au cours des décennies précédentes, les cinémas avaient opté pour un modèle de double séance, hérité du passé, ou pour trois séances d’affilée. C’est l’une des raisons pour lesquelles la durée moyenne d’un film était de 90 ou 100 minutes.</p>
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<p>Ironiquement, les productions de type « blockbuster », dont la durée dépasse la moyenne de quelques minutes, telles que <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=62.html"><em>Alien : le huitième passager</em></a> (Ridley Scott, 1979 ; 116 minutes), <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=448.html"><em>Retour vers le futur</em></a> (Robert Zemeckis, 1985 ; 116 minutes), <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=437.html"><em>S.O.S. Fantômes</em></a> (Ivan Reitman, 1984 ; 107 minutes) et <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=1051.html"><em>Les Goonies</em></a> (Richard Donner, 1985 ; 114 minutes), pour ne citer que quelques exemples encore frais dans la mémoire des lecteurs – sont passés du statut d’exception à celui de norme et ont finalement donné une nouvelle orientation à l’industrie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Trois hommes armés en bleu de travail" src="https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505119/original/file-20230118-9531-2iber8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">107 minutes de <em>Ghostbusters</em> et c’est tout ce qu’il fallait.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.filmaffinity.com/es/film289694.html">Film Affinity</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, la tentative d’élargir les récits (qui, paradoxalement, pourrait être considérée comme une « tentative de ressembler à la série »), sans constituer quelque chose d’entièrement nouveau, présente des nuances différentes.</p>
<p>Robert McKee, dans son ouvrage <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782200617479-story-ecrire-un-scenario-pour-le-cinema-et-la-television-robert-mckee/?provenance=wishlist_list"><em>Story</em></a>, signale l’existence d’œuvres comportant plus d’actes que les trois traditionnels. En ce sens, il cite <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=101286.html"><em>Quatre mariages et un enterrement</em></a> (Mike Newell, 1994), avec cinq actes ; <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=121.html"><em>Les aventuriers de l’Arche perdue</em></a> (Steven Spielberg, 1981), avec sept, ou <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=5093.html"><em>Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant</em></a> (Peter Greenaway, 1989), avec huit.</p>
<h2>Une exception devenue la norme</h2>
<p>Aujourd’hui, ce qui était autrefois une exception commence à devenir la norme.</p>
<p>Cela nous amène à la conclusion suivante : le <a href="https://theconversation.com/debat-non-le-cinema-ne-va-pas-disparaitre-152495">cinéma doit faire face à plusieurs problèmes</a>. Parmi ceux-ci, citons les <a href="https://theconversation.com/podcast-qui-pourra-arreter-netflix-110532">changements dans les habitudes de consommation des spectateurs</a> – dont une baisse de la fréquentation des salles de cinéma –, la primauté des séries (plus conforme à l’idée d’une consommation domestique et dynamique), l’offre audiovisuelle plus importante et le prix des tickets de cinéma – similaire au coût d’un abonnement mensuel à une quelconque plate-forme de <em>streaming</em> –.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, l’industrie cinématographique, en particulier celle qui est orientée vers les salles de cinéma, semble avoir concentré son offre. Ainsi, il a favorisé les films longs à gros budget, avec plus d’intrigues secondaires et plus de spectacularisation. Toutes ces caractéristiques semblent justifier le prix d’entrée et dissuader de s’abonner à une plate-forme de streaming ou à d’autres canaux de diffusion.</p>
<p>Dans le cas des productions plus <a href="https://bearmanor-digital.myshopify.com/products/the-history-of-independent-cinema-by-phil-hall?_pos=1&_sid=a0b759245&_ss=r"><em>indépendantes</em></a>, la durée plus longue répondrait à une volonté d’explorer de nouvelles narrations, plus éloignées des discours télévisuels ou <em>mainstream</em> et des grandes productions.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, et tout en confirmant la dérive du secteur, il serait peut-être judicieux de commander le pop-corn en format XL, si l’on ne veut pas en manquer avant que les lumières ne s’allument dans la salle de cinéma.</p>
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<p><em>Cet article fait partie des recherches menées par le groupe de recherche IDEcoA de l’Université de Murcia.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabri Ródenas no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>Ces derniers temps, on a l’impression que les films sont tous plus longs qu’il y a quelques années. Mais pourquoi ?Gabri Ródenas, Profesor de Comunicación Audiovisual, Universidad de MurciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1972392023-01-12T18:46:26Z2023-01-12T18:46:26Z« Le Seigneur des anneaux » : Gollum aurait-il été condamné à de la prison ferme par la justice française ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504051/original/file-20230111-22-t4yssf.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C2%2C873%2C530&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'abolition du discernement, si elle est retenue, est établie selon des critères très précis. </span> <span class="attribution"><span class="source">New Line Cinema</span></span></figcaption></figure><p>L’enseignement du droit pénal n’étant pas toujours chose aisée, j’ai opté, il y a plusieurs années déjà, pour la projection d’extraits de films illustrant les principes et infractions étudiées en cours. Devant le succès de ce nouveau mode d’apprentissage, nous avons décidé d’étendre l’<a href="https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/parutions/46405-le-droit-penal-fait-son-cinema">étude du droit pénal à travers l’analyse de 62 films</a>, permettant, notamment, de se demander si Gollum aurait été condamné par la justice française.</p>
<p>Récemment à Paris, l’irresponsabilité des auteurs d’infractions pénales a encore déchaîné les passions. Le meurtre de Sarah Halimi par Kobili Traoré, en 2017, en est l’un des exemples. Malgré le meurtre de cette retraitée par défenestration, Kobili Traoré a été reconnu irresponsable de ses faits par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour abolition du discernement, comme cela a déjà été analysé dans un <a href="https://theconversation.com/irresponsabilite-penale-comment-comprendre-la-loi-161698">précédent article</a>. La Cour a estimé que, si le prévenu avait bien pris volontairement et durablement des psychotropes le rendant responsable de son état psychiatrique, « les dispositions de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043473408?isSuggest=true">l’article 122-1, alinéa 1ᵉʳ</a> du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. ». <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/06/au-proces-troadec-la-perpetuite-requise-contre-hubert-caouissin-pour-le-quadruple-meurtre_6087244_3224.html">L’affaire Troadec</a> est un exemple tout aussi intéressant, car il concerne non pas l’abolition du discernement, mais son altération, concernant Hubert Caouissin, ayant tué quatre personnes dans ce qui a été qualifié de folie meurtrière.</p>
<p>Cette question d’irresponsabilité pénale pour abolition, ou altération, du discernement, qui représentait <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_RSJ_Penal_11_4%202020.ods">203 cas en 2020</a>, s’est à nouveau posée dans le cadre du meurtre de <a href="https://theconversation.com/quand-les-tueurs-denfants-ninteressaient-personne-193875">Lola Daviet</a> par Dahbia Benkired ; l’expertise psychiatrique a, finalement, conclu que si Dahbia Benkired souffrait d’« un trouble grave et complexe de la personnalité » et d’une « absence d’empathie et de culpabilité », elle ne souffrait « d’aucun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ».</p>
<p>L’abolition du discernement n’est qu’une des causes d’irresponsabilité. Le code pénal en prévoit <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006149818/2020-11-10/">six autres</a>. Et grâce à la fiction, il est bien plus aisé de les comprendre.</p>
<h2>La contrainte irrésistible</h2>
<p>Avant de devenir difforme et repoussant, dans <em>Le Seigneur des Anneaux</em>, Gollum était un hobbit du nom de <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=39187.html">Sméagol</a>. Alors qu’il pêchait avec son cousin Déagol, celui-ci trouva l’Anneau unique qui avait été perdu par Isildur. Son pouvoir d’attraction était tel que Sméagol demanda à Déagol de le lui donner. Celui-ci refusa. Pris d’une rage incontrôlable, Sméagol <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KZkr--DHjic">l’étrangla</a> et lui vola <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7oVgkQ4iicQ">l’anneau</a>. Puis il se réfugia dans des cavernes afin de ne pas se le faire dérober ; l’anneau ne cessa, depuis, d’exercer son pouvoir de fascination.</p>
<p>Sméagol est-il responsable de son acte ? Tournons-nous vers une première cause d’irresponsabilité : la contrainte irrésistible. L’article 122-2 du code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’emprise d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Si l’infraction est bien présente, son auteur ne pourra voir sa responsabilité pénale engagée.</p>
<p>Il existe deux types de contrainte ou de force : physique ou morale. Chacune d’entre elles peut, également, être subdivisée : interne ou externe.</p>
<p>La contrainte physique externe est celle d’une force extérieure à l’auteur de l’infraction, qui le rend impuissant. Cela peut être le fait de la nature, d’un tiers… Il en va ainsi d’un militaire ne pouvant se rendre dans son régiment à l’heure impartie du fait d’une tempête. La contrainte physique interne est inhérente à l’agent. C’est le cas de l’automobiliste qui, du fait d’un problème cardiaque, perd connaissance et renverse un piéton. Dans tous les cas, la contrainte doit avoir été irrésistible et imprévisible, c’est-à-dire que l’auteur du fait doit avoir été dans l’impossibilité absolue (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k426056x/f49.item.r=%22Gaston%20Vidal%22.zoom">Crim. 8 fév. 1936</a>) de ne pas commettre l’infraction. Une faute personnelle ne doit, par ailleurs, pas être à l’origine de cette contrainte. Comme un marin qui ne pourrait se rendre sur son bâtiment avant appareillage, car il a été arrêté pour ivresse sur la voie publique.</p>
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<p>La contrainte morale peut également être externe ou interne. La contrainte morale externe peut prendre la forme d’un employé braqué et menacé d’une arme. Il n’a pas d’autre choix que de s’exécuter, pour ne pas l’être. La contrainte interne n’entraîne plus, en revanche, l’irresponsabilité. C’est le cas des crimes passionnels d’antan dans lesquels les prévenus arguaient du fait qu’une passion les avait contraints à commettre l’irréparable.</p>
<p>Mais revenons-en à Sméagol. Dans un monde rationnel, le meurtre qu’il a commis pourrait s’expliquer par un acte passionnel. Il est très peu probable qu’un juge admette son irresponsabilité au titre d’une force morale interne. Mais en Terre du Milieu, dans le monde fantastique de Tolkien, l’anneau exerce un pouvoir tel qu’on pourrait le qualifier de contrainte morale externe, présentant les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. Il suffit d’observer l’attitude de tous les personnages du Seigneur des Anneaux qui ont été en possession de celui-ci. Sméagol pourrait donc ne pas être reconnu irresponsable de ses actes.</p>
<h2>Le trouble psychique ou neuropsychique</h2>
<p>Un autre fondement juridique pourrait être mis en avant : celui du trouble psychique ou neuropsychique. Selon <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370748">l’article 122-1, al. 1ᵉʳ</a> du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Cette cause d’irresponsabilité nécessite qu’un trouble psychique ou neuropsychique ait privé l’individu de sa capacité de discernement.</p>
<p>Toute la difficulté réside dans la capacité du juge de déterminer si l’individu était, au moment des faits, incapable de saisir la portée de ses actes, de déterminer si le trouble dont il était atteint était d’une telle ampleur qu’il a supprimé intégralement sa capacité à juger le bien et le mal ; en somme que son discernement a été aboli. Le juge d’instruction fera, pour cela, appel un expert psychiatre. Une étape particulièrement délicate.</p>
<p>Dans l’hypothèse de la reconnaissance d’une abolition du discernement, le juge diligentera des contre-expertises, qui peuvent parfois se contredire. La reconnaissance définitive d’une telle abolition, par la chambre de l’instruction, entraîne l’irresponsabilité pénale de l’individu. Une altération du discernement ne fait pas disparaître la responsabilité pénale de celui-ci ; elle peut, en revanche, être invoquée par le juge dans la détermination de la peine.</p>
<p>Sméagol était-il atteint de trouble ayant aboli son discernement au moment des faits ? La réponse ne peut être apportée que par un expert psychiatre, après de nombreux entretiens – probablement rocambolesques – avec lui. Malheureusement, Tolkien n’a pas prévu ce scénario. Il est cependant possible de constater que son cousin et lui semblaient sains d’esprit au début de leur partie de pêche. Et que leur folie meurtrière est apparue concomitamment à la découverte de l’anneau. Folie qui s’est emparée des deux personnages, indistinctement. Une fois Déagol tué, Sméagol n’a d’ailleurs pas semblé récupérer ses esprits, ni son discernement ; devenant peu à peu Gollum.</p>
<p>On peut donc présumer qu’un expert psychiatre conclurait à une abolition du discernement de Sméagol, le rendant pénalement irresponsable mais entraînant son hospitalisation sous contrainte sans durée préétablie. Et sans son « précieux » anneau.</p>
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<p><em>Olivier Lasmoles est l’auteur de l’ouvrage <a href="https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/parutions/46405-le-droit-penal-fait-son-cinema">« Le droit pénal fait son cinéma, Le droit pénal français en 62 films analysés et commentés »</a>, paru en novembre 2022 chez LexisNexis.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197239/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Lasmoles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour mieux comprendre les clauses d’irresponsabilité des auteurs d’infractions pénales, petit détour par la Terre du milieu.Olivier Lasmoles, Associate Professor in Law - Skema, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1968992023-01-01T16:26:41Z2023-01-01T16:26:41ZNetflix, une machine à standardiser les histoires ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504947/original/file-20230117-26-e5a7h9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C8%2C784%2C450&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Emily in Paris », pur produit de la plateforme. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-22796/photos/detail/?cmediafile=21754009">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Dans l’univers académique, les « popular culture studies » s’intéressent depuis la fin des années 1950 à ce que les cultures populaires disent de nos sociétés : Netflix et le monde des séries, toujours plus nombreuses, entrent de plein fouet dans ce champ. Cette culture dite populaire est très souvent critiquée par celles et ceux <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2-page-60.htm">qui voient dans cette production souvent d’origine anglo-saxonne une forme d’abrutissement des masses à des fins exclusivement commerciales</a>.</p>
<p>Pourtant, ces travaux fournissent aujourd’hui d’importants apports sociologiques et révèlent au grand jour des <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/19368">combats et des audaces multiples</a>, que ce soit à travers l’étude du hip-hop, du mouvement punk, d’Andy Warhol, de <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/beyonce-nuances-d-une-icone-culturelle/2023-01-19t183000">Beyoncé</a> ou de Lady Gaga.</p>
<p>Créé en 1997, Netflix inonde le marché de la VOD dès 2007 pour créer la plus grande plate-forme mondiale de streaming.</p>
<p>En 2022, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/20/netflix-limite-ses-pertes-a-un-million-d-abonnes-au-2e-trimestre-et-prevoit-un-rebond_6135430_4408996.html">malgré un certain ralentissement</a>, la plate-forme compte 220 millions d’abonnés, plus de 5 000 programmes et vient de lancer un nouvel abonnement à bas prix, mais avec publicité.</p>
<p>Si Netflix est parvenu à écraser une concurrence de plus en plus dure, voire à l’étouffer dès le départ, c’est grâce à son audace, en proposant des contenus inédits. Mais cet <a href="https://www.cairn.info/revue-nectart-2021-2-page-124.htm">hypermarché des séries</a> pose question : la plate-forme promeut-elle la diversité des histoires et des scénarios ou au contraire, cette plate-forme n’est-elle qu’une énorme machine à produire de la conformité ?</p>
<h2>De l’audace dans un paysage morne</h2>
<p>Quand Netflix arrive en France en 2014, les offres sérielles sont assez peu nombreuses et le choix se fait entre quelques créations de Canal+ dont certaines feront date – <em>Engrenages</em> en 2005, <em>Le Bureau des Légendes</em> en 2015 ou encore <em>Baron noir</em> en 2016 et la mythique <em>Kaamelott</em> sur M6 (2005) ; sans compter les feuilletons quotidiens des grandes chaînes façon <em>Plus belle la vie</em> (2004–2022). La France reste dans des cadres narratifs et imaginaires souvent policés, très classiques – on imagine mal un <em>House of cards</em> avec pour toile de fond l’Elysée <a href="https://www.ege.fr/infoguerre/2019/08/series-televisees-devenues-puissant-outil-daffrontement-informationnel-a-lechelle-mondiale">comme le dit Dominique Moïsi</a>.</p>
<p>Au milieu des années 2010, Netflix heurte de plein fouet l’offre française en proposant son système de très grande distribution de séries.</p>
<h2>La création originale : premier pari</h2>
<p>Dès 2007, quand Netflix lance son service de streaming aux États-Unis, il est tout de suite question de distancer les premiers concurrents – notamment les chaînes telles HBO – qui a diffusé la fameuse série <em>Games of Thrones</em> en 2011 – ou NBC. Netflix développe alors une offre audacieuse, avec des histoires complexes, des personnages forts (Carrie dans <em>Homeland</em>, Piper dans <em>Orange Is the New Black</em>…), une production soignée. Il s’agit de conquérir le marché, et l’innovation fait partie de sa stratégie pour devancer la concurrence.</p>
<p>Dès 2010, des accords sont passés avec les studios Paramount, Lionsgate et aussi la Metro Goldwyn Mayer, pour assurer une certaine qualité et une plus grande diversité à la programmation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-series-et-la-guerre-des-recits-retour-sur-le-soft-power-des-plateformes-173860">Les séries et la guerre des récits : retour sur le soft power des plateformes</a>
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<p>En 2013, Reed Hastings – cofondateur et directeur de Netflix – décide de produire des créations originales. <em>House of Cards</em> et <em>Orange Is the New Black</em> seront ces premières offres made by Netflix, et leur succès confirmeront la pertinence du choix stratégique de la plate-forme.</p>
<p>Les créations originales deviennent dès lors un axe fondamental pour Netflix. Entre 2017 et 2018, <a href="https://www.latimes.com/business/hollywood/la-fi-ct-netflix-programming-surge-20180812-story.html">elles augmentent de 88 %</a> et représentent plus de 5000 programmes. C’est d’ailleurs cette même année que la plate-forme s’offre son premier grand studio de production à Albuquerque.</p>
<p>La création originale a donc fait la marque Netflix qui se lance avec des stars – côté réalisation comme dans les castings – et du budget ; ce virage de simple diffuseur à producteur est essentiel et Netflix arrive à attirer, entre autres, Martin Scorsese ou Bong Joo-Ho. Avec <em>Orange Is the New Black</em>, les questions féministes et de genre sont mises en avant, de même que les violences sexuelles. C’est une première dans un monde audiovisuel très soumis <a href="https://academic.oup.com/screen/article-abstract/16/3/6/1603296?redirectedFrom=fulltext">au « male gaze » décrit par Laura Mulvey</a>. Être audacieux et bousculer les spectateurs permet à Netflix d’asphyxier la concurrence.</p>
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<h2>Universel et local : second pari</h2>
<p>Si le marché se globalise via Internet, Netflix s’exporte et tient compte, dans ses productions originales et bien sûr via ses partenariats, des spécificités locales. Netflix joue sur une sorte d’universalisme des attentes, dans un monde où la pop culture est déjà largement dominée par les productions américaines, mais sait faire avec les différences, les particularismes, les identités régionales, dans une dynamique de <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-2-page-45.htm">glocalisation</a>. Ce pari passe par l’achat et la proposition de créations nationales : l’exemple le plus parlant étant <em>La Casa de Papel</em> « petite » série espagnole – 600 000 $ de budget par épisode pour les premières saisons environ contre 6 millions pour GOT par exemple – devenue iconique grâce à la plate-forme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-le-charme-discret-des-series-165686">Bonnes feuilles : « Le charme discret des séries »</a>
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<p>Des séries made by Netflix s’inscrivant dans le régional et savent aussi être très incisives, bousculant aussi bien le gouvernement de Modi en Inde que celui d’Erdogan en Turquie : les séries comme <em>Leila</em> ou <em>Dir Baskadir</em> sont typiques de la ligne « progressiste » de la plate-forme, avec des arcs narratifs très audacieux notamment pour <em>Leila</em> qui nous projette dans une dystopie toute politique au cœur de l’Inde de 2047.</p>
<p>Au total, ce sont dès les années 2020, 18 % des séries Netflix Originals qui sont produites ou coproduites en Europe, 12 %, en Asie, 5 % en Amérique latine et 2 % en Océanie. Jusqu’ici, une quarantaine de pays ont été impliqués <a href="https://www.cairn.info/revue-nectart-2021-2-page-124.htm">dans des productions originales Netflix</a>, tournées en une vingtaine de langues.</p>
<p>Pour se démarquer, Netflix doit innover et repousser les limites des récits habituels – en abordant des thèmes comme la politique dans <em>House of Cards</em>, en proposant un huis clos féministe avec <em>Orange Is the New Black</em>, ou en racontant la misère au féminin avec <em>Maid</em>. Cette créativité, cette originalité des propositions est vitale pour la plate-forme, si tant est que la qualité de production soit au rendez-vous… Avec l’arrivée de l’univers de jeux vidéos dans certaines productions, de nouvelles dynamiques se dessineront dans les années à venir.</p>
<p>Pour l’heure, la stratégie en « tour de Babel » porte ses fruits et que <a href="https://www.latimes.com/business/hollywood/la-fi-ct-netflix-programming-surge-20180812-story.html">« Le meilleur vecteur de promotion pour Netflix, c’est le service Netflix lui-même »</a>, selon l’aveu de Cindy Holland en 2018, tandis qu’elle était encore vice-présidente des contenus originaux pour la plate-forme. En d’autres termes, <a href="https://www.fypeditions.com/brand-success-50-reussites-exceptionnelles-marketing-de-communication-preface-de-maurice-levy-ouvrage-dirige-marc-drillech/">Netflix construit son autonomie</a> afin de maîtriser en interne tous les rouages de son offre : créations, auteurs maison, production, diffusion.</p>
<h2>Economie de l’attention</h2>
<p>Tout cela se passe dans le cadre de ce que l’on nomme l’<a href="https://www.cairn.info/l-economie-de-l-attention--9782707178701-page-7.htm?contenu=resume">« économie de l’attention »</a>.</p>
<p>Si celle-ci a toujours existé, elle tend à devenir l’alpha et l’oméga de toute production audiovisuelle ou éditoriale ; en d’autres termes, le lien réception – consommation est devenu fondamental, la nouveauté résidant dans la surabondance des informations, des propositions, des offres perpétuelles de contenu ; une surabondance qui s’est emballée via la technologie.</p>
<p>Netflix – comme d’autres – doit capter cette attention : notre temps de cerveau disponible, y compris quand il rogne sur notre sommeil, <a href="https://www.cairn.info/l-economie-de-l-attention--9782707178701-page-7.htm?contenu=resume">est la base de sa rentabilité</a>.</p>
<p>C’est peut-être ici que Netflix peut verser dans la tentation de standardiser ses contenus, tendant des pièges aux téléspectateurs/consommateurs que nous sommes.</p>
<h2>Algorithmes et cliffhangers</h2>
<p>Les algorithmes permettent à Netflix – comme à d’autres – de consolider cette économie de l’attention, de la parfaire, d’en jouer toujours plus et certainement de nous enfermer dans nos propres silos. Attirer le public, puis le conserver aussi longtemps que possible, telle est la stratégie de Netflix, qui se traduit par le redoutable bouton : « Lancer l’épisode suivant ».</p>
<p>L’algorithme de Netflix est surpuissant : il profile l’utilisateur et tire profit de chaque visite sur le site, devenant de plus en plus précis quant aux propositions voire aux prédictions qu’il fait. Cela maximise l’addiction de l’utilisateur puisque l’algorithme répond toujours et encore à ses attentes.</p>
<p>C’est là que le piège se referme : nous ne sommes plus que des consommateurs, réfractaires à sortir de notre confort de visionnage… nous standardisons notre consommation, puissamment aidés en cela par l’algorithme.</p>
<p>Un autre piège s’opère via les arcs narratifs essentiellement conçus autour du fameux « cliffhanger », le « à suivre » des <a href="https://journals.openedition.org/narratologie/7570">feuilletons d’antan</a>. Celui-ci n’a d’autre but que de laisser le récit en suspens et de créer une forte attente du côté du spectateur.</p>
<p>Des séries coréennes non doublées (VOST) peuvent ainsi faire exploser le box-office de Netflix avec une féroce critique politique et sociale <a href="https://theconversation.com/transformer-la-serie-squid-game-en-jeu-de-telerealite-est-ce-trahir-sa-portee-critique-186407">avec <em>Squid Game</em></a>. <em>Extraordinary Attorney Woo</em> met en scène une avocate souffrant d’un trouble autistique, tandis que <em>The Penthouse</em> dépeint la vie de riches habitants de Séoul plus ou moins corrompus. Ces trois séries ont fait des audiences spectaculaires : 46 millions d’heures de visionnage pour <em>Extraordinary Attorney Woo</em>, 142 millions pour <em>Squid Game</em>, soit le double de Bridgerton qui est pourtant un énorme succès.</p>
<p>Dans ces séries plutôt audacieuses au regard des sujets proposés, on retrouve toujours un pic émotionnel, qui encourage le binge-watching (pratique consistant à regarder à la suite plusieurs épisodes d’une même série télévisée) : il s’agit de tenir en haleine celui ou celle qui regarde, provoquer l’envie de continuer à regarder à l’infini.</p>
<p>Finis le silence, la réflexion, les plans longs sur des paysages ou des visages… Il en va de même au cinéma, qui peut offrir des créations extrêmement attendues, comme des fictions plus exigeantes qui généralement ne rencontrent pas une grande audience – le casse <em>Océan’s 11</em> (450 millions de $ au box-office) n’est pas le cinéma plus confidentiel et artistique de Peter Greenaway. Il en va des séries comme des films ou des livres ; l’accès « facile » reste un peu la règle.</p>
<p>Netflix s’appuie sur les <a href="https://www.huffpost.com/entry/the-netflix-addiction_b_8473094">ressorts du neuromarketing</a> qui consiste à <a href="https://www.humensciences.com/livre/Le-charme-discret-des-series/85">stimuler sans cesse l’attention</a> à offrir des sensations fortes ; une fois les visionnages à l’arrêt, la dopamine s’en va : il est donc « nécessaire » de continuer à regarder afin d’obtenir un rééquilibrage homéostatique. En d’autres termes, il est émotionnellement difficile de se passer de la suite, de l’épisode suivant. Le phénomène des séries obéit bien à la logique stimulation/addiction.</p>
<p>On le voit, Netflix sait faire preuve d’audace et encourager la créativité à travers une offre qui ouvre le champ des possibles en matière de récits et d’horizons imaginaires ; mais le succès de son modèle repose largement sur le binge-watching, entretenu à coups de cliffhangers et autres algorithmes. Bien sûr les recettes existent, bien sûr les bibles (projets de séries) répondent à des standards, mais elles engendrent moins une pression vers la conformité qu’une pression vers la facilité absolument nécessaire à cette économie de l’attention : facilité à regarder des créations qui se/nous ressemblent, facilité à être toujours stimulés via du suspense, facilité à être toujours « nourris », à éprouver du plaisir. À nous de faire le tri et d’éduquer notre capacité à chercher d’autres sources de stimulation !</p>
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<p><em>Virginie Martin est l’autrice du <a href="https://www.humensciences.com/livre/Le-charme-discret-des-series/85">« Charme discret des séries »</a>, paru aux éditions Humensciences en 2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dès son lancement, la plate-forme de streaming s’est imposée par des propositions innovantes et audacieuses. Mais ce modèle finit-il par produire de l’uniformité dans les récits et les visions du monde ?Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1969122022-12-21T16:20:09Z2022-12-21T16:20:09ZLe rire du père Noël, amusant ou angoissant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502163/original/file-20221220-23-6tgbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C888%2C612&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le rire du Père Noël a quelque chose d'ambivalent. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>C’est reparti pour la joyeuse et festive saison de Noël avec ses clochettes, ses guirlandes et le typique « Ho ho ho ! » du père Noël. Avec les citrouilles d’Halloween et les clowns, le père Noël est l’un de nos symboles culturels les plus populaires qui soient associés au sourire et au rire. Et les représentations du rire du père Noël dans la culture populaire nous en disent long sur les pièges et les promesses de l’humour, ainsi que sur les liens pas si évidents entre l’humour et le rire.</p>
<p>Le rire du père Noël est souvent un rire innocent et empreint de gentillesse. Dans la comédie musicale fantastique de 1970 <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haKESbXK28g"><em>Santa Claus Is Coming to Town</em></a>, presque toutes les bonnes actions du joyeux bonhomme sont accompagnées de rires, qu’il s’agisse de distribuer les jouets aux enfants de la peu accueillante Sombertown ou de faire fondre le cœur du sorcier de l’hiver. Le rire souligne ainsi la gentillesse du père Noël et ajoute un élément de gaieté aux sombres paysages urbains et forestiers. Le rire du père Noël peut également être utilisé pour <a href="https://reporter.anu.edu.au/all-stories/from-killer-robot-to-sweatshop-boss-santa-on-screen">améliorer le système éducatif sur Mars</a> comme dans le film de 1964 <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L4SZyeUGSM4"><em>Santa Claus Conquers the Martians</em></a>.</p>
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<img alt="Une carte vintage" src="https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502149/original/file-20221220-16-5idb4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une carte de Noël du début des années 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rawpixel.com/image/556799">NYPL/Creative Commons</a></span>
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<p>Le film fantastique mexicain surréaliste de 1959 <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SYStOBykqZk"><em>Santa Claus vs. the Devil</em></a> en est un autre bon exemple. Dans ce film, hilarant et scandaleux pour les spectateurs contemporains, le père Noël est un bonhomme rondouillard qui vit dans l’espace et ne dit presque rien. Qu’il jette un coup d’œil dans les chambres des enfants sur Terre grâce à son télescope cosmique ou qu’il assomme avecd es médicaments afin de pouvoir distribuer ses cadeaux sans être dérangé, son seul commentaire et sa réaction universelle à tout est un gros « Ho ho ho ! »</p>
<p>Ce joyeux papy au ventre rond est peut-être un fainéant 364 jours par an, mais c’est certainement une créature inoffensive. Son rire semble indissociable de l’atmosphère festive de Noël et constitue l’un des stimuli sonores les plus importants du film. Cependant, même un père Noël aussi bon vivant ne peut s’empêcher de jouer des tours au diable et de rire de bon cœur lorsqu’il y parvient. Son rire n’est donc pas seulement un signe de bonheur, mais aussi une façon de montrer que le père Noël n’est pas aussi inoffensif qu’il n’y paraît.</p>
<h2>Un père Noël plus sombre</h2>
<p>Dans les histoires où le père Noël est un robot tueur rigolard (par exemple, dans l’épisode de Futurama intitulé <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yJGUhVrS-Gs">« Xmas »</a>) ou s’attaque, en version démultipliée, à un simple père de famille joué par Arnold Schwarzenegger (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jWyeugspkUA"><em>Jingle all the Way</em></a>), la nature pas si innocente du rire du père Noël devient encore plus évidente. Contrairement à ce qui se passe dans de <a href="https://doi.org/10.1177/00187267035612004">nombreux autres cas</a>, l’humour et le rire ne sont pas ici destinés à favoriser la cohésion sociale et l’esprit communautaire. Ils signalent plutôt le pouvoir que l’on a sur ses ennemis, la jouissance malicieuse face à leurs échecs ou même l’intention de les tuer.</p>
<p>Dans ces films, le rire du père Noël fait écho au <a href="https://doi.org/10.1080/21504857.2021.1989005">rire mortel du Joker et à d’autres méchants de la bande dessinée</a> ; c’est une arme psychologique, une autre façon d’attaquer et de vaincre. Le rire est souvent accompagné d’un rictus, et le fait de montrer les dents peut facilement devenir menaçant (les sourires des citrouilles d’Halloween ressemblent souvent à des grimaces angoissantes !). </p>
<p>Ces monstres au rire malicieux peuvent faire surface avant Noël, ajoutant une dimension effrayante à cette fête. Le film <em>L’étrange Noël de Monsieur Jack</em> de Tim Burton illustre la façon dont des créatures maléfiques peuvent essayer de transformer Noël, notamment en détournant le rire du père Noël, qui est clairement reconnaissable mais qui semble d’autant plus effrayant lorsqu’il est émis par un Jack Skellington, le Roi des citrouilles. Un tel rire n’a aucun rapport avec l’humour et se rapproche plutôt du <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijid.2013.11.014"><em>risus sardonicus</em></a>.</p>
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<img alt="Père Noël souriant" src="https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502140/original/file-20221220-23-5oehez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une photo du film <em>Santa Claus</em> de 1959.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.imdb.com/title/tt0053241/mediaviewer/rm4031742721/">IMDb</a></span>
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<p>De manière (peu) surprenante, les différentes nuances du rire du père Noël reflètent les différents rôles que le <a href="https://www.researchgate.net/publication/232489851_Laughter_A_Scientific_Investigation">rire joue dans les sociétés humaines</a>. Il peut représenter le plaisir et en procurer, mais il peut aussi avoir un côté plus sombre : lorsque nous rions <em>de</em> quelqu’un (par opposition à <em>avec</em> lui), nous l’excluons du groupe, l’humilions et le dénigrons. Le rire peut signaler l’accord, la gêne, la supériorité, l’agressivité – et paradoxalement, ces sentiments peuvent être mélangés dans la seule expression du rire. Il n’y a donc pas de frontière nette entre la joie et l’effroi dans nos rires.</p>
<p>Le père Noël, dans toutes ces versions, montre que nous savons apprécier l’ambiguïté du rire, qui en dit parfois beaucoup plus que mille mots. Le rire est étroitement lié à l’humour, mais il est encore plus étroitement lié à la complexité des relations humaines en général. Le moment et le contexte de notre rire – ou, au contraire, de notre <a href="https://doi.org/10.2307/20487675">« non rire »</a> lorsque nous voulons montrer explicitement que nous ne sommes pas amusés – sont également d’une importance cruciale.</p>
<p>Gardez donc un œil sur votre père Noël ce week-end et vérifiez s’il est plutôt du genre « Ho ho ho ! » plein de bonhomie ou d’un Père Noël Joker. Et lorsque vous rirez de lui ou avec lui, pensez à ce que votre rire peut signifier pour vous et pour les gens qui vous entourent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196912/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le « Ho ho ho » de ce personnage familier pourrait-il être plus proche du rire d'un clown maléfique que vous ne le pensez ?Anastasiya Fiadotava, Assistant professor, Institute of English studies, Jagiellonian UniversityAnna-Sophie Jürgens, Assistant Professor in Popular Entertainment Studies, Australian National UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1937562022-12-20T15:58:32Z2022-12-20T15:58:32ZLa bande dessinée, un modèle de gentrification culturelle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/571197/original/file-20240124-25-wvrpam.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1050%2C751&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Élissa Alloula, Claïna Clavaron et Sephora Pondi dans « Culottées », à la Comédie française.</span> <span class="attribution"><span class="source">Comédie Française</span></span></figcaption></figure><p>Ce jeudi 25 janvier marque le coup d'envoi du 51ᵉ Festival de la bande-dessinée à Angoulême. C'est aussi la première d'une pièce adaptée de la série de BD <em>Culottées</em> de Pénélope Bagieu - dans laquelle elle revient sur de grandes figures féminines de l'histoire - <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/culottees23-24">sur la scène de la Comédie française</a>. Une première pour cette institution culturelle, et la preuve que la bande dessinée fait désormais partie du monde de la culture « légitime » : elle est connue, reconnue, scrutée ; de plus en plus d’autrices et auteurs de bande dessinée sont devenus des personnages publics.</p>
<p>À l’université Paris 3, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-L%E2%80%99Art_%C3%A0_l%E2%80%99%C3%A9tat_vif-2267-1-1-0-1.html">dans mon cours intitulé « Cultures à l’état vif »</a>, je retrace les trajectoires sociales de pratiques culturelles nées dans les milieux les plus pauvres, les plus minoritaires, les moins éduqués ou chez les plus jeunes ; cultures des « marges » à leurs débuts, comme le jazz, le rap et le rock, ou cultures dites populaires comme le cirque ou le théâtre de rue, le cinéma et la photographie aussi, elles connaissent souvent une ascension qui finit par les classer dans la culture « légitime », ou à les institutionnaliser. Pourtant, ces pratiques, lorsqu’elles émergent sont tantôt exécrées, tantôt raillées, toujours <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-1-page-3.htm">discréditées esthétiquement par les élites intellectuelles</a>.</p>
<p>Avec le temps cependant, bien souvent, elles deviennent dignes d’intérêt(s) pour les catégories sociales les plus favorisées. Acquérant le statut « d’art intermédiaire » par rapport aux Beaux-Arts, certaines disciplines <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2009-2-page-45.htm">semblent même être érigées au rang d’art à part entière.</a></p>
<p>Ce fut le cas de la BD ce 26 octobre 2022, qui faisait son entrée au Collège de France avec le <a href="https://www.college-de-france.fr/agenda/lecon-inaugurale/un-art-neuf/un-art-neuf">cours inaugural</a> de l’historien Benoît Peeters. Apothéose de reconnaissance artistique pour une discipline qui était déjà adoubée avec l’entrée à l’Académie française de l’historien et critique de bande dessinée <a href="https://www.actuabd.com/Pascal-Ory-50-ans-d-historiographie-de-la-bande-dessinee-francaise-VIDEO">Pascal Ory</a> en 2021 puis désormais avec Catherine Meurisse, première dessinatrice de bandes dessinées entrée à l’Académie des beaux-arts, le 30 novembre 2022. C’est la concrétisation d’un processus institutionnel de légitimation de la planche devenue art. La BD avait en effet coché au fil du temps toutes les cases de cette trajectoire ascendante désormais bien connue <a href="https://doi.org/10.4000/lectures.8155">que l’on nomme depuis les travaux de Roberta Shapiro et de Nathalie Heinich : artification</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lO8MlTAxPBE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En apôtre de cette artification, Benoît Peeters exposait ainsi sur France Culture ce même 26 octobre, durant plus d’une heure, toutes les raisons qui permettent de considérer la bédé comme un art. Dès le début de l’interview, il lui donne une profondeur historique.</p>
<p>À contre-courant des conceptions communes qui associent la BD au XX<sup>e</sup> siècle, il fait remonter son origine au début du XIX<sup>e</sup> siècle en <a href="https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/m-topffer-invente-la-bande-dessinee/">mobilisant la figure de Rodolphe Töpffer</a>, pédagogue, écrivain, homme politique et auteur de bande dessinée suisse, considéré comme le créateur et le premier théoricien de cet art. Il donne ainsi au genre la légitimité de la durée tout en l’inscrivant, dès ses débuts, dans l’histoire de l’art. Il se trouve en effet que Töpffer avait été adoubé par Goethe, « preuve » de la dimension artistique de la BD dès sa création, loin de l’image d’un divertissement enfantin.</p>
<h2>Un genre à part entière</h2>
<p>Simultanément, pour suivre le processus d’artification, cette historicité devait s’accompagner d’une affirmation de l’originalité esthétique indubitable de la discipline BD, en tant que genre à part entière. Cette reconnaissance d’un procédé, le dessin mis en case, et d’une esthétique unique, incomparable, intervient pour faire de la BD un art véritable. Et Benoît Peeters d’évacuer ce doute persistant en réaffirmant qu’« il y a une poétique de la bédé qui ne mime ni la littérature, ni la peinture, ni le cinéma ». Autonomisation du genre donc, qui se poursuit par l’invention d’une forme, le livre de BD, l’objet de bande dessinée qui n’existait pas véritablement jusqu’à la Première Guerre mondiale.</p>
<p>Au cours du XX<sup>e</sup> siècle, enfin, s’invente le langage artistique de la discipline. Un langage fait de termes spécifiques, inconnus du grand public, qui en achève l’artification en se cristallisant dans la bouche de critiques ou d’historiens. Benoît Peeters souligne :</p>
<blockquote>
<p>« Quand je parle de bande dessinée […] il s’agit bien de séquences narratives qui n’ont pas forcément de phylactère, mais le phylactère connu depuis longtemps n’est pas l’unique façon de raconter en image. »</p>
</blockquote>
<p>Avec ces termes techniques et cette esthétisation du genre, la consécration artistique de la discipline confère à la BD un statut sérieux, savant, original, historique. Elle peut alors entrer dans les espaces consacrés de l’histoire de l’art : musées, écoles des beaux-arts, universités.</p>
<p>Notons enfin que, la valeur artistique se créant toujours dans une interaction <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/23412">entre les institutions publiques et le marché</a>, l’artification s’accompagne du développement de galeries privées, <a href="https://www.galeriebarbier.com/a-propos">qui la mettent en scène comme un art contemporain</a> et de salons qui <a href="https://www.bdangouleme.com">consacrent le dessinateur en artiste à part entière</a>. Petit à petit se constitue ce qui, dans le milieu, est de plus en plus considéré comme une « caste d’auteurs élus », bien loin de la <a href="https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/panorama-de-la-bande-dessinee-en-france">condition précaire de la majorité des dessinateurs</a>.</p>
<p>La gentrification culturelle va plus loin que l’artification. Comme elles s’approprient un quartier, les classes supérieures s’approprient un style, une discipline artistique. Elles en redéfinissent les normes, les contours, le bon usage, monopolisant l’espace du débat public sur cette discipline, excluant ceux <a href="https://journals.openedition.org/labyrinthe/4071#ftn21">qui n’en ont pas le même usage, les dénigrant</a>. Le divertissement culturel ne suffit pas à ces nouveaux adeptes, membres de la « bourgeoisie » dont Pierre Bourdieu écrivait qu’elle « est toute révérence envers la culture ». Les pratiques culturelles de ces milieux bourgeois sont principalement orientées vers une dimension cognitive, heuristique sur le monde – le divertissement n’est pas une fin en soi. C’est même <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2011-1-page-9.htm">ce qui la constitue en classe à la fin du XVIIIᵉ siècle contre l’aristocratie</a>. La recherche de vérité en définit le cœur, autant que l’esthétique.</p>
<h2>Appropriation par les élites</h2>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1992_num_90_87_6745">Depuis Alexander Gottlieb Baumgarten</a> et surtout Hegel, la culture, cette culture de classe, ne peut plus être une simple distraction oisive ou un mode d’intégration sociale.</p>
<p>Quelle que soit la discipline, cette artification instaure une appropriation par les élites culturelles de la forme « populaire », la modifiant profondément. Avec cette confiscation se construit aussi la validation de forme légitime. Comme les animaux ou l’exploit physique ont été bannis du cirque devenu « arts du cirque », la gentrification de la BD essaie de gommer son caractère enfantin, ses formes humoristiques les plus populaires, ses avatars politiques ou le dessin de presse.</p>
<p>Cette négation s’effectue par la mise en avant du roman graphique qui incarne véritablement son passage à l’art. En parallèle, un monde artistique distinct se crée, consacré à l’enfance, qui se présente également dans une version artistique à travers l’édition jeunesse, consacrée au festival de Montreuil chaque année.</p>
<p>Avec le roman graphique, la sacralisation esthétique de la forme s’installe, on parle de chefs-d’œuvre, de nouveaux auteurs font référence. Parmi eux, Art Spielgelman incarne ce tournant en 1992. Le propos n’est plus uniquement humoristique ou distrayant : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JS7kZQjd_zc">avec <em>Maus</em></a>, on entre dans l’histoire.</p>
<p>Benoît Peeters renchérit en parlant de <em>Persépolis</em> de Marjane Satrapi, autre exemple de ce passage de la légèreté d’un loisir culturel à l’accès au débat de société, à l’histoire, à la géopolitique. La BD gentrifiée est aujourd’hui marquée par cette injonction à produire, si ce n’est de la vérité au moins un éclairage original du monde. Et les styles de BD <a href="https://arenes.fr/livre/kessel/">ne cessent d’évoluer dans ce sens avec la BD historique</a>, <a href="https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2021/03/26/quand-la-bd-rencontre-la-sociologie/">biographique ou sociologique</a>.</p>
<p>Malgré tout, le mode de consommation distrayant ou humoristique ne disparaît pas, il reste même majoritaire – <em>Dragon Ball</em> et <em>One Piece</em> sont en bonne place dans le récent <a href="https://actualitte.com/article/108876/television/les-25-livres-favoris-des-francais-devoiles">classement des 25 livres préférés des Français</a>. Même si ce mode populaire de rapport à la BD se réfugie aujourd’hui dans le manga ou certains comics, elle garde la légèreté et la facilité d’accès que n’ont pas les autres formes de cultures savantes. Reste qu’une gamme de styles artistiques nouveaux apparaissent sans cesse, selon la même logique de recentrage sur l’enjeu esthétique et cognitif.</p>
<p>Les formes esthétiques naviguent ainsi souvent vers le haut de l’échelle sociale. Quand elles parviennent dans les classes supérieures, on les regarde avec nostalgie. Selon les milieux sociaux, on est satisfait de voir qu’elles ont acquis des atours « artistiques » ou un peu triste de les voir dépossédées de leur caractère spontané, distrayant, de l’énergie et parfois du militantisme de leurs débuts. D’autres formes d’expression prennent le relais, et la BD dans sa forme et par ses origines reste potentiellement populaire, donc véhicule possible de subversion, de transformations, de surprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193756/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La bande dessinée a coché au fil du temps toutes les cases d’une trajectoire ascendante qui en fait désormais une catégorie culturelle « légitime ».Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961572022-12-15T18:20:23Z2022-12-15T18:20:23ZLa littérature populaire, aux origines de la pop culture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/501333/original/file-20221215-27-fqnyye.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1481%2C1273&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La couverture de « Recel de malfaiteurs » d'André Héléna, Fleuve noir, 1967. </span> </figcaption></figure><p><em>L’histoire littéraire s’est construite sur un mensonge : elle a largement occulté sa part populaire et la conquête du grand public par l’édition, fruit d’une dynamique qui la place au cœur des industries culturelles. C’est cet autre visage de la littérature que ce livre donne à voir. Puisant dans des archives inédites, il retrace l’histoire chorale de celles et ceux qui, autour des Presses de la Cité et du Fleuve Noir, ont façonné à partir des années 1950 les genres majeurs de l’imaginaire contemporain : espionnage, policier, science-fiction, érotisme… Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux explorent cette histoire dans leur ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/aux_origines_de_la_pop_culture-9782348074738">« Aux origines de la pop culture. Le Fleuve noir et les Presses de la Cité au cœur du transmédia à la française, 1945-1990 »</a>, paru aux éditions La Découverte. En voici un extrait.</em></p>
<hr>
<p>Les règles implicites du roman noir des trente glorieuses définissent les rôles genrés : aux femmes sont échues la douceur ou la séduction érotique ; aux hommes la force virile et la volonté. Quand ce modèle est transgressé, la remise en ordre se doit d’être particulièrement cruelle. Parce qu’il n’est pas tout à fait un homme, le héros trompé par sa partenaire se retrouve humilié et abaissé – avant de se rebeller avec plus ou moins de succès.</p>
<h2>Héroïsme en crise</h2>
<p>Si le mari trompé est le plus souvent un minable, il entre en résonance avec d’autres figures de ratés : détectives à la petite semaine, artistes n’ayant jamais percés, employés médiocres… Le déclin ou l’échec social sont ainsi généralement associés à une mise en crise de la masculinité. Comme l’épouse du héros de <em>La Nuit du chat</em> (Adam Saint-Moore, 1967) le lui crie au visage au terme du récit : « Je ne voulais pas finir ma vie avec un minable incapable de me procurer l’existence que je méritais ! Je ne voulais pas finir ma vie dans un petit appartement miteux et rouler avec des bagnoles d’occasion payées à tempérament pendant que mes belles-sœurs et mes amies roulaient en Triumph et se payaient des croisières sur le France. » Il n’est pas anodin que cet homme humilié soit un ancien militaire ayant servi durant la guerre d’Indochine. Il incarne en effet l’héroïsme en crise de ses aînés, lui qui est condamné à une vie médiocre et sans perspective d’avenir. En restaurant l’ordre, il réaffirmera sa masculinité, envoyant sa femme droguée derrière les barreaux avec l’aide d’une très jeune fille qui reconnaîtra en lui l’homme que sa femme ne reconnaissait plus.</p>
<p>Sa situation n’est pas très éloignée de celle du héros de Pierre Vial, qui cherche à « vaincre enfin cette veulerie dont il [a] honte » et à « endosser une nouvelle peau », afin d’« obtenir son “certificat d’homme” » (<em>On ne tue pas n’importe qui</em>, 1962). Il s’agit explicitement de restaurer un ordre genré en réaffirmant une masculinité blessée, qui ne touche pas seulement à la sexualité (même si les métaphores d’impuissance sont courantes), mais également au rôle social : être un homme, c’est aussi réussir dans la société, subvenir aux besoins du foyer et pouvoir être admiré de sa compagne.</p>
<p>Dans les intrigues violentes des récits criminels, tout se passe comme si se mêlaient la question des rapports genrés et celle de la réussite sociale. Les travaux sur la virilité ont montré les liens qui se tissaient, depuis la Seconde Guerre mondiale, entre les <a href="https://www.persee.fr/doc/revss_1623-6572_2000_num_27_1_1873_t1_0153_0000_3">redéfinitions de la masculinité</a> et les transformations du champ social, avec le déclin des métiers physiques (définissant un modèle de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-tete-au-carre/le-corps-a-l-ouvrage-6419823">virilité ouvrière</a>) au profit d’emplois répétitifs ou bureaucratiques. Être un homme, c’est alors négocier entre une situation sociale et un <a href="https://shs.hal.science/halshs-01650604">idéal de masculinité</a> hérité des modèles antérieurs. Pour le héros du Fleuve noir, il s’agit de réaffirmer une masculinité archaïque dans un contexte où celle-ci n’a plus tout à fait sa place.</p>
<p>Dans cette perspective, on peut interpréter les nombreuses figures de gangsters et de « petites frappes » comme les vestiges de cette masculinité populaire en crise. Si ceux-ci reconduisent un modèle de virilité proche de celle du « dur à cuire », leur brutalité avec les femmes n’a plus l’attrait qu’elle avait dans les récits <em>hardboiled</em> (ce terme qualifie un genre littéraire proche du roman noir, où le protagoniste est typiquement un détective cynique, NDLR). Le casse de <em>Péril en la demeure</em> tourne au meurtre et toute la bande, sauf un, y laissera la vie (Roger Vilard, 1966) – c’est à peu près le sort qui attend les voyous apeurés qui tirent sur un agent de police dans les premières pages de <em>Recel de malfaiteurs</em> (André Héléna, 1967).</p>
<p>Le modèle incarné par ces voyous représente la figure inversée des maris et amants ratés : ils représentent une virilité incontrôlée qui les détruit. Leur violence envers les femmes qui les accompagnent (anciennes prostituées et filles faciles) participe de cette masculinité désuète qui n’a plus de place dans la France des années 1960. Le détective privé et l’espion du début des années 1950 qui tombaient les strip-teaseuses et les filles faciles dans les bars appartenaient à un imaginaire tout droit sorti d’un roman de Peter Cheyney, lequel se retrouve déjà dépassé dans les années 1960 sous l’effet des transformations sociales.</p>
<h2>L’espion, symbole de la nouvelle masculinité des trente glorieuses</h2>
<p>Les écueils du raté et de la petite frappe sont finalement conjurés dans une troisième figure masculine : celle de l’espion, qui combine une conception traditionnelle de la virilité et les nouveaux codes de la masculinité qui s’imposent après-guerre. Relativement indépendant, l’espion est une sorte d’aventurier produit par la société technocratique.</p>
<p>Il tient une position contradictoire : il est intégré dans l’appareil étatique mais indépendant, obéit à sa hiérarchie mais affirme une forme d’individualisme irréductible, ses voyages autour du monde apparaissent à la fois comme du travail et du loisir, et ses deux accessoires dominants sont le pistolet et le dossier confidentiel. Son autorité définit un profil, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Cadres-1947-1-1-0-1.html">celui du cadre supérieur</a> qui s’impose à l’imaginaire de la France des trente glorieuses.</p>
<p>Dans les années 1960, le cadre est une figure qui fait sens pour la collectivité : elle est associée aux imaginaires technologiques et technocratiques de la France de l’époque et voit <a href="https://editions.flammarion.com/rouler-plus-vite-laver-plus-blanc/9782082105408">ses valeurs</a> relayées par un ensemble de médias, comme <em>L’Express</em>. Or l’espion partage avec le cadre une forme d’expertise technique qui lui permet d’accomplir les tâches qu’on lui a confiées en professionnel capable de prendre des initiatives : ses missions s’inscrivent dans un projet plus large, décidé à un niveau supérieur, pour lequel il est un exécutant hautement qualifié ; il se situe à un niveau intermédiaire dans la hiérarchie, qui lui permet de disposer d’une forme d’autonomie par rapport à ses chefs et fait de lui un donneur d’ordres vis-à-vis de ses subordonnés. Il peut même se permettre de se plaindre de la bureaucratie, qui l’empêche d’agir avec l’efficacité souhaitée.</p>
<p>À bien des égards, les espions du Fleuve noir – ceux en particulier de Paul Kenny et de Claude Rank – possèdent des traits communs avec le cadre : ils ont le sérieux des ingénieurs en voyage qui s’autorisent une séance de séduction autour d’un verre le soir. Ils en partagent la technicité revendiquée des gestes et le souci de l’organisation. Même les gadgets qu’ils emploient ont quelque chose des signes extérieurs du pouvoir managérial qui s’affichent dans les publicités des magazines de l’époque – stylo, briquet, montre, attaché-case. Et lorsqu’au cours d’un briefing ils évoquent avec leurs responsables de nouveaux prototypes d’avion, des installations nucléaires secrètes ou quelque dispositif électronique, ils le font avec le sérieux d’un représentant détaillant une fiche de produit.</p>
<p>De même que le héros des romans d’aventures exotiques représentait au début du XX<sup>e</sup> siècle une forme superlative du soldat ou du colon, de même que le savant de Jules Verne (1828-1905) idéalisait le métier de l’ingénieur, l’espion des romans d’après-guerre apparaît comme une version sublimée du cadre, qu’il hybride avec les formes plus traditionnelles de la masculinité offerte depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle dans les romans d’aventures.</p>
<p>Une telle reconfiguration se joue surtout dans les scènes d’action, mais elle apparaît également dans sa relation aux femmes : l’espion est un séducteur et un consommateur, pour qui les personnages féminins comptent peu. Même s’il tombe régulièrement amoureux, son sens du devoir l’emporte toujours et il ne pleure jamais longtemps ses anciennes conquêtes lorsque celles-ci meurent au cours du récit. On peut dès lors le rapprocher de nouvelles figures de la masculinité apparues à la même époque, à l’instar du séducteur défini par l’éditeur de presse étatsunien Hugh Haffner Hefner (1926-2017), fondateur en 1953 du magazine <em>Playboy</em>.</p>
<p>Comme l’a montré la philosophe Beatriz Preciado (devenue Paul B. Preciado en 2015), le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pornotopie-paul-b-preciado/9782021483505">playboy</a> qui s’invente alors dans les pages du magazine américain est également un technicien, qui conçoit le plaisir (celui associé à la séduction, mais aussi aux loisirs, au bien-être et à la consommation) suivant des principes d’efficacité. Ces traits le rapprochent des cadres et de l’espion, avec lesquels il partage le goût du gadget, de la précision, mais aussi de l’élégance et des divertissements raffinés. Si l’espion est aussi un playboy, c’est que les figures de l’un et l’autre partagent un même idéal de masculinité pris dans les imaginaires techniques et consuméristes des années 1950 et 1960.</p>
<p>Cette nouvelle forme de masculinité qui s’incarne dans l’espion romancé s’inscrit plus largement dans l’imaginaire des trente glorieuses, lequel enregistre aussi les transformations du monde du travail et les imaginaires qui lui sont associés. Il n’est guère étonnant en ce sens que son audience ait décliné dès la fin des années 1960, comme le détective <em>hardboiled</em> avait mal résisté à la fin des années 1950. Mais la crise de l’espionnage imaginaire s’inscrit aussi dans un ensemble de mutations culturelles plus générales. Comme nous le verrons dans le chapitre 5, la littérature populaire prend en effet dans les années 1970 un tournant « contreculturel » qui contribue à marginaliser l’ensemble des produits du Fleuve noir.</p>
<p>Créée au lendemain de la guerre, puis développée avec le souci de coller aux nouvelles techniques de production et de consommation – au point d’inventer une sorte de modèle fordiste de l’édition populaire –, une maison comme le Fleuve noir a été conçue pour exprimer le monde qui l’a engendrée. Choisis pour leur capacité à se couler dans des formats standardisés et à en investir les stéréotypes, ses auteurs tendent naturellement à adopter les positions majoritaires véhiculées par les médias de masse et les partis de gouvernement. Visant à une consommation hédoniste par un lectorat masculin, ces romans offrent des intrigues susceptibles d’alimenter les désirs supposés des lecteurs.</p>
<h2>Culture transmédiatique à la française</h2>
<p>Les récits de conquête et de progrès et les romans d’action manichéens exaltant de nouveaux imaginaires de la virilité reflètent certes les représentations du temps, mais leur contenu est tout autant déterminé par les nouvelles logiques induites par les nouvelles modalités de production, distribution et consommation des ouvrages. De même en est-il de nouveaux modèles avec lesquels dialoguent les récits, ceux de cadres évoluant dans une France technocratique et dominés par un idéal de progrès.</p>
<p>Ces récits interagissent directement avec les représentations des trente glorieuses véhiculées par les médias et les discours sociaux, mais ils contribuent aussi à les réorganiser à partir de leurs logiques propres et des héritages avec lesquels ils négocient : ceux des romans d’aventures nationalistes de l’entre-deux-guerres et les valeurs qu’ils promeuvent. C’est bien parce que l’esthétique du Fleuve noir met en jeu des dynamiques éditoriales, des conditions de création des œuvres et des logiques de consommation finalement très datées que ses éditeurs et ses auteurs n’ont pas su prendre le tournant des imaginaires populaires dans les années 1970 et 1980, lesquels s’inscrivaient dans un tout autre contexte éditorial et culturel que le leur. Ce qui démontre l’influence décisive des successions générationnelles dans l’évolution de la créativité éditoriale…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Aux origines de la pop culture, Le Fleuve noir et les Presses de la Cité au coeur du transmédia à la française, 1945-1990 », Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux, éditions La Découverte.</span>
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<p>Mais le succès ou le déclin des imaginaires véhiculés par les œuvres doit se lire dans une perspective culturelle plus large, en replaçant la littérature dans le contexte d’une culture médiatique à laquelle elle participe pleinement. D’autant que si les trente glorieuses voient triompher cinéma, radio puis télévision, la littérature populaire joue un rôle stratégique dans la circulation des fictions dans les médias de masse. Dès lors, loin d’être marginaux, éditeurs et auteurs sériels se révèlent des acteurs majeurs dans l’invention des imaginaires de ce qui apparaît comme un premier moment d’une culture transmédiatique à la française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196157/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Espionnage, policier, science-fiction, érotisme… ces genres littéraires très populaires dans la France des années 1950 ont su conquérir le grand public et infuser la culture au sens large.Loïc Artiaga, Maître de conférences en histoire culturelle , Université de LimogesMatthieu Letourneux, Professur de littérature, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1956742022-12-01T17:24:19Z2022-12-01T17:24:19ZPodcast : Assister à un match de foot ou aller à l’opéra, est-ce vivre la même expérience esthétique ?<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/638774096322960010b54a46" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Si l’expérience esthétique est universelle, chaque milieu social en définit cependant les formes et le format. Cette simple considération permet de réintégrer dans le même domaine les arts dits « légitimes », et des ensembles de pratiques culturelles considérées comme « illégitimes » dont pourtant, l’expérience esthétique est tout à fait similaire.</p>
<p>Au lieu de définir la culture en se penchant sur différents objets culturels, Fabrice Raffin nous propose de l’aborder par le prisme de l’expérience, en adoptant un point de vue sociologique.</p>
<p>Le moment de l’expérience esthétique culturelle a toujours une fonction sociale, définie par des règles précises : il est par exemple autorisé d’exprimer ses émotions, quand l’expérience est collective – pleurer au cinéma, crier au concert, chanter à un match de foot… Et même quand nous vivons ces expériences seuls, il s’agit encore de s’inscrire dans une communauté d’appartenance. Enfin, cette expérience émotionnelle et physique peut également être associée à la notion de plaisir – n’en déplaise à la conception philosophique héritée de Kant et Hegel.</p>
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<p><em>Crédits : conception et animation, Sonia Zannad ; réalisation, production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment définir une expérience esthétique culturelle ? Quelles sont ses caractéristiques, d’un point de vue sociologique ?Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867712022-07-14T21:06:00Z2022-07-14T21:06:00ZLes podcasts « Objets cultes » : voir du sens dans les choses qui nous entourent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519784/original/file-20230406-28-ius3ni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Version pour site</span> </figcaption></figure><p><em>Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? demandait le poète. S’ils ont une âme, il s’agit bien de la nôtre. C’est ce que démontrait le sémiologue Roland Barthes dans ses Mythologies, publiées en 1957. L’intellectuel y étudiait en effet les objets et les rites populaires qui révélaient l’esprit d’une époque et les affects collectifs du pays, inventant ainsi une nouvelle manière de faire de la sociologie, accessible, impertinente et ludique. La DS, le steak-frites, les jouets en plastique… rien n’échappait à sa sagacité.</em></p>
<p><em>Aujourd’hui, ces objets ne sont plus les mêmes, et la globalisation a changé la donne. Mais l’exercice, lui, n’a pas pris une ride et c’est Pascal Lardellier, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne, auteur entre autres de <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html"><em>Nos modes, nos mythes, nos rites</em></a> qui se penche sur nos objets cultes.</em></p>
<p><iframe id="tc-infographic-818" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/818/2cb911d7f5dde27b26b0d660b5a8acba1b0830e6/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-le-scrolling-204466">« Le scrolling »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/644fdcf20095f9001108a8f9" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Je scrolle donc je suis : telle pourrait être la devise des humains du 21e siècle, les yeux si souvent rivés sur les écrans de leur téléphone ou de leur ordinateur.
Nous sommes en effet devenus experts en scrolling (de l'anglais « scroll », parchemin), cet art de faire défiler des images et du texte sur un écran.
Mais que dit ce geste de nos besoins et de nos travers contemporains? </p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-le-sac-a-dos-204080">« Le sac à dos »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/643e65bbd354bc001127952a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Symbole de l’aventure ou de la vie étudiante, le sac à dos n’en finit plus d’envahir les rues et de compléter le look des branchés urbains. Une obsession qui en dit long sur nos fantasmes et nos modes de vie. C’est l’objet qui retient notre attention aujourd’hui.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-le-mma-202890">« Le MMA »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/642af3552d9d700011d91465" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Quel est le sport de combat le plus efficace entre la boxe anglaise, le kickboxing, la lutte ; le karaté, et le jiu-jitsu brésilien ? C’est pour répondre à cette colle que le MMA (<em>mixed martial arts</em>) est né dans les années 1920 au Brésil, avant de s’installer dans le paysage sportif américain dans les années 1990. En France, la pratique du MMA en compétition a été légalisée et sa diffusion à la télévision autorisée depuis janvier 2020. D’une violence spectaculaire, opérant une fusion ultramoderne entre différentes disciplines tout en convoquant un imaginaire sans âge, le MMA rencontre un succès planétaire, qui va grandissant. Comment l’expliquer ?</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-la-cigarette-electronique-202205">« La cigarette électronique »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6418cbea202f500011bda7c7" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>La cigarette électronique, dite aussi vapoteuse ou e-cigarette, a le vent en poupe. Venue de Chine, elles s'est installée dans le paysage français en 2005. Dans cet épisode, il sera question des codes liés à ce nouvel usage social et de l'imaginaire qui émerge de sa fumée parfumée. </p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-les-emojis-201256">« Les émojis »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/64060f4d52deee00111711e4" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Au quotidien, les émojis ou émoticônes ponctuent nos mails et nos textos, ils rendent nos conversations plus chaleureuses et complètent le sens de nos mots. Grâce à ces images pop et colorées, qui renvoient à l’univers de l’enfance, nous exprimons nos émotions et nous inventons collectivement une nouvelle forme de communication.
Mais quels symboles charrient ces signes, leur usage est-il toujours simple, et s’agit-il d’un langage universel ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-les-ecouteurs-182086">« Les écouteurs »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404f05ce83d830010609f25" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Avec ou sans fils, les écouteurs sont un objet du quotidien devenu indispensable pour beaucoup d’entre nous. Mais que racontent-ils de nos modes de vie et de nos mondes intérieurs ?</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-la-doudoune-182719">« La doudoune »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/63ff613fb6e2f5001143bf30" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Réservée aux alpinistes dans les années 1930, la doudoune s’est largement démocratisée.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-chargeur-182983">« Le chargeur »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404ef8c9ade8700115b28a5" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Que dit de nous notre addiction au chargeur et à la batterie pleine ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-gel-hydroalcoolique-182979">« Le gel hydroalcoolique »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404efe5e83d830010608b4a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Avec la pandémie de Covid-19, de nouvelles pratiques d’hygiène sont apparues, comment questionnent-elles notre rapport à la sensorialité ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-masque-182999">« Le masque »</a></h2>
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<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404ef1802a1ce00117220de" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Barrière physique qui protège des virus, mais qui limite également les interactions sociales, le masque s’est imposé à nos quotidien depuis maintenant deux ans.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-pass-184754">« Le pass »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404eeb5db11850011dc2598" frameborder="0" width="100%" height="« 190px""></iframe>
<p>QR code, digicode, mot de passe, données biométriques, les « pass » conditionnent nos déplacements et nos accès aux biens et services.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-tatouage-185415">« Le tatouage »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404dc641181ac0011e0ef64" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Bien que douloureux et définitif, le tatouage séduit un public de plus en plus large. Quel est le sens de cette pratique ?</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-la-trottinette-186054">« La trottinette »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/6404dbf89ade87001157807a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>Légères, pliables, les trottinettes prolifèrent dans les villes et font de nous de grands enfants.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/objets-cultes-le-spritz-186347">« Le spritz »</a></h2>
<iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/63ff60e12019d4001132e8e1" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p>À la fois chic et simple, fun et sophistiqué, rétro et moderne, le spritz séduit toutes les générations.</p>
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<p><em>Crédits : Conception et animation, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Roland Barthes, dans ses « Mythologies », publiées en 1957, analysait notre rapport aux objets et rites du quotidien. Aujourd’hui, ces objets ont changé, mais l’exercice n’a pas pris une ride.Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FrancePascal Lardellier, Professeur à l'Université de Bourgogne Franche-Comté, Chercheur au laboratoire CIMEOS, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1828242022-05-11T18:52:47Z2022-05-11T18:52:47Z« Killing Eve », une série qui questionne les normes de la série policière… et de la féminité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462300/original/file-20220510-18-sofnyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4500%2C2519&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sandra Oh et Jodie Comer dans "Killing Eve".</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.filmaffinity.com/es/filmimages.php?movie_id=423899">Filmaffinity</a></span></figcaption></figure><p><em>Attention, cet article comporte des « spoilers ».</em></p>
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<p>La série <a href="https://www.filmaffinity.com/es/film423899.html"><em>Killing Eve</em></a>, réalisée par Phœbe Waller-Bridge et diffusée pour la première fois sur BBC America en avril 2018, est basée sur les livres <em>Codename Villanelle</em> (2014-2016) écrits par Luke Jennings. Il raconte la rencontre de l’agente de renseignement britannique Eve Polastri (jouée par Sandra Oh) avec la tueuse à gages du groupe international The Twelve, Villanelle (jouée par Jodi Comer).</p>
<p>Si de nombreux liens peuvent être établis avec d’autres séries et livres policiers, le couple Eve/Villanelle reprend certains binômes comme Sherlock Holmes/James Moriarty, en les retravaillant pour refléter des préoccupations contemporaines sur le genre, la sexualité et la moralité, l’autodéfense féminine dans un monde post #MeToo, la visibilité <em>queer</em> ou la distance entre le bien et le mal, ce qui contribue à expliquer le succès de ce phénomène télévisuel.</p>
<h2>Les premiers romans policiers</h2>
<p>Les grands classiques du roman policier sont apparus au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, avec Edgar Allan Poe et son détective Auguste Dupin, en 1841. La popularité du genre n’a fait que croître tout au long de l’ère victorienne.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.2307/2873238">Comme l’explique Rosemary Jann</a>, partant du principe que l’imagination littéraire répond largement aux craintes et aux préoccupations d’une époque, l’essor du roman policier à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle correspondait à une forme de vigilance face aux « paniques morales » du moment, plutôt qu’aux transgressions de la loi elle-même.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461555/original/file-20220505-1511-m4ndtz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sherlock Holmes et le professeur Moriarty aux chutes de Reichenbach, dans une illustration de l’histoire <em>The Final Problemm</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sherlock_Holmes_and_Professor_Moriarty_at_the_Reichenbach_Falls.jpg">Sidney Paget/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Prenons le couple fictif Sherlock Holmes et James Moriarty, qui joue le rôle principal dans la série de livres populaires écrits par Sir Arthur Conan Doyle, publiés entre 1887 et 1927. Dans ces romans, Sherlock est présenté comme un individu très intelligent, calculateur et rationnel, capable de déchiffrer les secrets de la société afin d’assurer l’ordre social. Comme exemple de la supériorité du rationalisme et du positivisme, les déductions de Sherlock rendent le chaos évitable et apparemment logique, si l’on tient compte des marqueurs sociaux qui mènent au mal.</p>
<p>En outre, <a href="https://journals.openedition.org/chs/343?lang=en">comme l’a montré Joseph Kestner</a>, Sherlock a également favorisé un modèle de masculinité hégémonique qui était menacé par des dangers extérieurs, tels que le déclin de l’Empire britannique, la croissance et la massification des villes, la <a href="https://oxfordre.com/americanhistory/americanhistory/view/10.1093/acrefore/9780199329175.001.0001/acrefore-9780199329175-e-427">« new woman »</a> ou les protestations des classes ouvrières. Sherlock est individualiste et solitaire ; il se méfie des masses. Il s’agit donc d’un genre qui cherche à reproduire un type très spécifique de masculinité qui promeut la surveillance sociale tout en mettant en garde contre sa disparition prévisible.</p>
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<p>Cependant, l’ère victorienne a également vu l’émergence d’une figure littéraire plus controversée : la <a href="https://www.routledge.com/Sherlocks-Sisters-The-British-Female-Detective-1864-1913/Kestner/p/book/9780367888312">femme détective</a>. Si ce personnage remet en cause la stricte division des sphères publique et privée, la transgression du rôle domestique de la femme est un moyen de réclamer la justice, de dénoncer des crimes et même une façon de subvenir aux besoins de sa famille. Ainsi, bien qu’elles soient considérés comme des <em>anomalies</em> ou même <a href="https://www.routledge.com/Contemporary-Rewritings-of-Liminal-Women-Echoes-of-the-Past/Borham-Puyal/p/book/9781032175904">comme des imitatrices qui choisissent de refléter le comportement des hommes</a>, il est important de noter qu’une renégociation des rôles de genre a lieu, qui fixe finalement la différence de genre comme une source de rectitude morale.</p>
<p>De même, le <a href="https://books.google.com.ni/books/about/Women_Murder_and_Femininity.html?id=gVMsAQAAMAAJ&utm_source=gb-gplus-shareWomen">XIXᵉ siècle a vu naître les tueurs en série</a>, hommes et femmes, en réponse à l’évolution des normes et des comportements socialement acceptés. La tueuse en série, qui s’écarte complètement des notions normatives de la féminité comme étant nourricière et attentionnée, met en lumière les inquiétudes concernant l’évolution des rôles féminins à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Cependant, le fait qu’elle soit présentée comme un monstre offre également l’opportunité d’une utilisation cathartique de cette figure pour la neutraliser et réaffirmer l’ordre social.</p>
<h2>Tueurs en série et autres transgressions</h2>
<p>Dans <em>Killing Eve</em>, la structure narrative typique du <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Whodunit"><em>whodunnit</em></a> est démantelée – nous savons dès le début que les meurtres sont commis par Villanelle – et les meurtres n’y ont aucun mobile significatif. Villanelle ne tue pas seulement pour l’argent, pour maintenir le style de vie luxueux qu’elle mène : elle aime tuer. Elle est aussi dotée d’un appétit de vivre : nous la voyons s’adonner aux plaisirs de la bonne chère, au sexe et au shopping compulsif de vêtements et de produits de luxe. En d’autres termes, elle assouvit ses désirs d’une manière qui est culturellement considérée comme transgressive pour les corps féminins.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461551/original/file-20220505-21-ego7xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux femmes fascinées l’une par l’autre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.filmaffinity.com/es/filmimages.php?movie_id=423899">Filmaffinity</a></span>
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<p>De plus, Villanelle affronte le regard masculin et la surveillance du contrôle social précisément en exerçant une sorte d’hyperféminité. <a href="https://doi.org/10.1080/14680777.2021.1996423">Comme l’expliquent Alyson Miller, Cassandra Atherton et Paul Hetherington</a>, Villanelle a une conscience aiguë du regard masculin, mais elle y résiste, le modifie, s’en moque et le subvertit, défiant les systèmes de surveillance et commettant des crimes en se fiant à son apparence féminine et donc inoffensive.</p>
<p>Villanelle se déguise souvent en serveuse, en infirmière ou en autre soignante afin de passer inaperçue aux contrôles de sécurité, tandis qu’à d’autres moments, elle castre littéralement les hommes qui ont tenté de la harceler.</p>
<p>D’autre part, le développement du personnage se déplace vers la détective Eve Polastri, alors que dans les récits policiers traditionnels, ce personnage reste stable, solide. Eve, une Américaine d’origine coréenne travaillant pour le service de renseignement national britannique MI5, est licenciée lorsqu’elle refuse d’arrêter d’enquêter sur les meurtres de Villanelle. Elle est ensuite engagée par le MI6, qui se concentre sur les questions de renseignement étranger.</p>
<p>Bien que la vie d’Eve soit apparemment normale – elle est mariée et a un travail qu’elle apprécie – elle devient obsédée par Villanelle, au point qu’elle commence à agir comme elle. Cette transformation est visible dans une scène du cinquième épisode de la première saison, où Eve essaie une robe que Villanelle lui a offerte, ainsi qu’un parfum appelé <em>L’Eau de Villanelle</em>, se voyant devenir à la fois Villanelle et l’objet du désir de Villanelle.</p>
<p>Eve commence à mener sa propre enquête, contre les ordres de ses supérieurs, mettant même en danger ses collègues et son mari. En fait, les frontières entre les deux femmes disparaissent lorsque Eve poignarde Villanelle à la fin de la première saison, après avoir réussi à lui faire confiance et à établir une certaine intimité physique et personnelle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461550/original/file-20220505-11-ezbp2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sandra Oh, une détective qui sort de son rôle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.filmaffinity.com/es/filmimages.php?movie_id=423899">Filmaffinity</a></span>
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<p>Eve rompt ainsi avec l’attente d’une femme détective jouant le rôle de « gardienne » de la société à grande échelle, et incarne la possibilité de se libérer des obligations imposées aux femmes par la société. Tout au long de la série, il apparaît clairement que l’intérêt d’Eve pour Villanelle découle précisément de sa propre fascination pour les multiples possibilités de vivre une vie de femme hors norme qu’offrent les transgressions de Villanelle. En ce sens, l’échange affectif entre Villanelle et Eve montre la fascination qu’elles éprouvent l’une pour l’autre, et la recherche d’une vie différente que suscite le désir. Précisément lorsque, dans le sixième épisode de la deuxième saison, Eve lui demande ce qu’elle ressent lorsqu’elle tue, Villanelle répond qu’elle s’ennuie de la vie et de ses limites :</p>
<blockquote>
<p>« La plupart du temps, la plupart des jours, je ne ressens rien. Je ne ressens rien. C’est très ennuyeux. Je me réveille et je me dis, encore une fois, vraiment, est-ce que je dois refaire ça ? Et ce que je ne comprends vraiment pas, c’est comment tout le monde ne hurle pas d’ennui aussi, et n’essaie pas de trouver des moyens de me faire ressentir quelque chose. Plus, et plus, et plus, et plus, mais ça ne fait aucune différence. Peu importe ce que je fais, je ne ressens rien. »</p>
</blockquote>
<p>Villanelle exprime un ennui qui peut être étendu à l’ennui qu’Eve ressent dans sa vie, et auquel le public peut s’identifier.</p>
<h2>Explorer d’autres possibilités</h2>
<p>Eve et Villanelle sont toutes deux fascinantes parce qu’elles explorent de nombreuses possibilités. Que faut-il à une femme en âge de se marier pour sortir des limites du mariage, fonder une famille et remplir le rôle que la société lui a assigné ? Comment imaginer d’autres façons d’être une femme ? Comment sortir de l’ennui ? Est-ce possible ?</p>
<p>Dans le dernier épisode de la troisième saison, on voit Eve et Villanelle se dire au revoir sur le Tower Bridge. Eve est réticente à l’idée d’un avenir possible avec Villanelle, même si elle dit qu’elle voit son visage « encore et encore ». Ils finissent par se séparer pour qu’Eve puisse essayer de retourner à son ancienne vie. Villanelle croit que son propre monstre anime le monstre d’Eve, ce à quoi Eve répond : « Je crois que je l’ai voulu ».</p>
<p>Bien que la série nous permette d’imaginer des possibilités au-delà d’une expérience normative, prévisible et lisible de la féminité, cette possibilité n’est que brièvement retenue dans le temps, juste assez longtemps pour nous permettre de réfléchir et de remettre en question l’ordre actuel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura de la Parra Fernández no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>La série brosse le portrait de deux personnages féminins (une meurtrière et une détective) et reformule les conventions du genre policier.Laura de la Parra Fernández, Profesora Ayudante Doctora, Universidad Complutense de MadridLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1822452022-05-08T16:59:46Z2022-05-08T16:59:46ZL’Eurovision Song Contest, un laboratoire politique continental ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/461841/original/file-20220508-21-yqtu8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C12%2C961%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kalush Orchestra, candidat de l'Ukraine au concours Eurovision de la chanson 2022, se produit devant des réfugiés juifs ukrainiens lors d'un spectacle dans un hôtel de Jérusalem, le 5 avril 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les élections présidentielles françaises sont à peine terminées et voilà que deux nouvelles échéances pointent le bout de leurs urnes. La première concerne les législatives, annoncées désormais par certains candidats malheureux comme un troisième tour, évidemment décisif, en vue du renouvellement des représentants des citoyens. Et l’évènement d’être d’ores et déjà autant relayé que les campagnes d’avril… </p>
<p>La seconde échéance est internationale : l’Eurovision Song Contest, anciennement Concours Eurovision de la Chanson, dont la 66ᵉ édition aura lieu cette année à Turin. La finale rassemblera médiatiquement environ 200 millions d’êtres humains. Elle reste pourtant reléguée aux faits divers de la dernière page culturelle de la partie congrue de la presse grand public.</p>
<h2>Votes en stock</h2>
<p>Certes, il pourrait sembler indécent surtout en ce moment de crises en escadrille de mettre en regard d’une part de vraies élections politiques (aux programmatiques enjeux sociétaux, économiques, écologiques où même les droits et les devoirs de chacun se voient mis en concurrence), et d’autre part le <a href="https://www.ebu.ch/fr/about/history">plus vieux télé-crochet de l’ère radio-télévisuelle</a> (pour lequel on vote au mieux par fanatisme, mélomanie, ou pur plaisir de la moquerie). Néanmoins, on est en droit aussi de se demander pourquoi une retrouvaille d’une telle ampleur reste boudée par les grands titres et son public de lecteurs et auditeurs. L’ESC est en effet une caisse de résonance des <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/factory/radio-thesards/qui-profite-l-eurovision">enjeux internationaux majeurs</a> : conflits latents ou en cours, modernité culturelle et puissance économique des sociétés, image des communautés issues des différentes diasporas au sein des pays du bloc européen occidental, représentativité des communautés LGBTQIA+ dans des pays plutôt hésitants sur la question, pour ne citer que quelques-uns des thèmes qui ont accaparé ces dernières années la littérature d’Eurovision.</p>
<p>Mais alors, pourquoi ne s’y intéresse-t-on pas ? Certains diront que l’ESC n’est qu’un pur divertissement et que la politique n’a rien à voir là-dedans, sanctionnant ainsi son inadéquation journalistique. Ne s’émeut-on pas pourtant lorsque l’équipe de football des États-Unis affronte celle de l’Iran aux Championnats du monde de Football, ou quand la Grèce dame le pion aux Allemands à l’Euro, ou encore lorsque les drapeaux ukrainiens flottent au-dessus des podiums des Jeux Olympiques d’hiver chinois, <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220313-jeux-paralympiques-malgr%C3%A9-la-guerre-l-ukraine-brille-%C3%A0-p%C3%A9kin">organisés sur neige artificielle en pleine période de désastre écologique</a> ? De fait, l’Union européenne de radiotélévision – conceptrice et organisatrice de l’ESC – a été la première grande institution internationale à se positionner sur la brûlante question du conflit russo-ukrainien et <a href="https://www.ebu.ch/fr/news/2022/03/statement-on-russian-members">sur le traitement à réserver aux délégations russes</a>. Si la primeur ne fait pas le monopole, on peut tout de même remarquer, du moins en France, une différence de considération flagrante : d’un côté une institution populaire diffusée en mondovision, constamment ignorée, de l’autre n’importe quelle compétition de sport – tenez, les fléchettes par exemple ! – qui, malgré tout le respect qui lui reviendrait, est diffusée et commentée sur des chaînes dédiées.</p>
<h2>Un laboratoire sociopolitique insoupçonné</h2>
<p>L’ESC pourrait constituer un lieu d’expérimentation idéal pour repenser le vivre ensemble dans un monde globalisé. À l’heure où revient sur le devant de la scène la question de la gouvernance exécutive de l’Europe communautaire (déjà unifiée par la monnaie, son parlement et ses divers conseils, et <a href="https://information.tv5monde.com/info/union-europeenne-la-necessaire-creation-d-une-force-militaire-commune-en-discussion-423231">dont on dit qu’elle ferait bien d’être militarisée)</a>, on peut déceler dans l’ESC des manières innovantes d’appréhender les modalités d’expression et de sélection de représentants à l’échelle continentale.</p>
<p>Prenons par exemple le vote du concours au sens large : il nous invite à relire nos affinités électives. Nous pourrions comparer la finale de l’ESC à une élection à proprement parler, élection qui rassemble une bonne quarantaine de nations. Sans revenir sur l’histoire haletante des modalités de vote du concours, qui ont beaucoup changé au cours des décennies, précisons seulement qu’aujourd’hui que le scrutin est équilibré en tant qu’il est pondéré par deux types d’électeurs : le gagnant est en effet désigné à 50 % par la somme des notations conjointes de jurys nationaux et à 50 % par un savant calcul issu exclusivement des préférences du public international du programme.</p>
<p>Et si cette modalité était appliquée à une élection politique, par exemple européenne ? On pourrait ainsi élire de la sorte une Présidente de l’Union ? Ou à l’inverse, le Président français, en offrant 50 % de la puissance du vote aux pays voisins et frontaliers directs ? Ou simplement appliquer cet équilibre moitié-moitié à notre contrée, en constituant un jury présélectionné. Cette option serait probablement interprétée comme un retour en arrière, car on voit bien que les discussions actuelles autour de la proportionnalité – notamment lors des législatives – penchent plutôt en faveur d’une correspondance stricte entre les préférences exprimées et les représentants sélectionnés.</p>
<h2>Vent nouveau</h2>
<p>Finalement, c’est en amont du concours que l’on peut flairer un souffle réformateur. Peut-on imaginer que le vote qui aura lieu samedi 14 mai 2022 a en réalité été précédé d’une multitude de tours de chauffe à l’échelle nationale ?</p>
<p>En effet, les clubs OGAE (Organisation générale des amateurs de l’Eurovision) de chacun des pays membres de l’UER qui participent au concours réalisent chaque année au printemps leurs <em>previews</em>. Il s’agit d’une sorte de répétition générale du décompte fatidique de la finale, où chaque Eurofan, tel un juré haut placé, jauge ses préférences à l’aune des réalités artistiques et de la dynamique de groupe. C’est un peu comme si, avant le premier tour de la présidentielle, et dans chaque région française, on demandait à des personnes engagées politiquement, dans un parti ou juste localement, de se prêter à un jeu d’autorévélation.</p>
<p>Ainsi, imaginez qu’on propose, au hasard, à un fervent révolutionnaire de se mettre dans la peau d’un conservateur invétéré, ou à un écologiste chevronné dans celle d’un progressiste saint-simonien, le temps d’une journée. Leur mission déguisée ? Écouter l’ensemble des programmes des candidats à l’élection et, en fonction de leur nouvelle et provisoire identité politique, leur donner une note, une voix, avant de dépouiller l’ensemble des avis et d’en discuter autour d’un verre de l’amitié. Voilà donc ce que font les Eurofans aguerris dans chaque pays eurovisionnesque ce qui, en plus de donner du grain à moudre aux bookmakers qui font leur blé sur l’issue de l’ESC, les entraîne à penser comme l’autre, à aimer comme son voisin et, finalement, à l’écouter.</p>
<h2>Du pouvoir des réseaux sociaux</h2>
<p>L’Eurovision manque peut-être de considération, mais les fans du concours sont eux remarquables dans leur propension à consolider leur identité de groupe. Comme un cas d’école, ils promeuvent et symbolisent à la fois le crédo qui les porte : « Celebrate Diversity »… ou « Building Bridges » c’est selon, comme le montre l’évolution des slogans des commerciaux d <a href="https://eurovisionworld.com/esc/eurovision-the-logic-of-logos">e la marque Eurovision qui a pris un tournant évident il y a une dizaine d’années</a>. Les réseaux sociaux reflètent à leur tour cette politisation de l’ouverture à l’autre, <a href="https://mobile.twitter.com/hashtag/EurofansAreBeautiful?src=hashtag_click">comme en témoigne le hashtag #EurofansAreBeautiful</a> qui s’est imposé cette année comme un espace de revendication clair de la validité autoproclamée de l’appréciation du concours, devenue à son tour un moyen d’affirmation de soi. C’est d’ailleurs un créneau similaire qu’ont pris certains médias autonomes – webradios, podcasts, revues en ligne. Aux côtés de sites spécialisés comme <a href="https://eurovision-quotidien.com/">eurovision-quotidien.com</a> figurent désormais des formats audio réguliers comme <a href="https://podcast.ausha.co/12-points">12points</a>, l’un des premiers podcasts francophones qui mêle tonalité caustique, précisions historiques et approche scientifique, en accord avec ce qu’est devenu fièrement le Concours Eurovision : une fête cosmique où le monde devient village, un exutoire bon enfant où railler son voisin n’est en réalité qu’un moyen de mieux apprécier ses différences, le tout en chantant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Resche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le concours, qui rassemblera à travers les médias 200 millions de personnes, mérite qu’on s’y intéresse de plus près.Stéphane Resche, PRAG (PhD) / Associate researcher, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1753982022-02-03T17:46:25Z2022-02-03T17:46:25ZComment Spider-Man est devenu un objet patrimonial<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/444326/original/file-20220203-21-1v36ffv.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=211%2C0%2C2057%2C884&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La planche originale extraite de Marvel Super Heroes Secret Wars (p.25 du n°8, décembre 1984), dessinée par Mike Zeck, avec un encrage de John Beatty, Jack Abel et/ou Mike Esposito</span> </figcaption></figure><p>Le 13 janvier dernier, à l’occasion d’une vente organisée par la maison <a href="https://www.ha.com/heritage-auctions-press-releases-and-news/spider-man-s-black-costume-origin-sells-for-3.36-million-at-heritage-auctions-to-shatter-comic-art-record.s?releaseId=4394">Heritage Auction</a>, une planche originale tirée d’un <em>comic book</em> Marvel a atteint la somme record de 3,36 millions de dollars. Dessinée par Mike Zeck, à partir d’un scénario de Jim Shooter, cette page montre le superhéros Spider-Man revêtu pour la première fois de son costume noir qui, dans les années 1980, a remplacé un temps sa classique tenue rouge et bleue.</p>
<p>Le montant atteint par la vente peut sembler surprenant, le dessinateur de la planche étant loin d’être aussi connu que les grands noms généralement associés aux sommets des ventes comme <a href="https://www.artcurial.com/fr/actualite/nouveau-record-du-monde-pour-une-oeuvre-de-bande-dessinee">Hergé</a> ou <a href="https://www.forbes.com/sites/robsalkowitz/2017/05/19/original-comic-art-sets-new-record-price-at-auction/?sh=c591d983d80b">Robert Crumb</a>. Ce montant reflète cependant le croisement de plusieurs logiques, liées à la fois au « monde de l’art », étudié par le sociologue <a href="https://editions.flammarion.com/les-mondes-de-l-art/9782081245648">Howard Becker</a>, et aux stratégies de valorisation multisupport des <a href="https://www.pug.fr/produit/9/9782706108924/les-industries-culturelles-et-creatives-face-a-l-ordre-de-l-information-et-de-la-communication">industries culturelles</a>. S’y ajoute une dimension bien spécifique à une partie du « monde des <em>comics</em> », analysé notamment par le chercheur en communication et en littérature <a href="https://utorontopress.com/9781442696273/comics-versus-art/">Bart Beaty</a>, qui fonde dans la narration et ses moments clés la valeur patrimoniale des œuvres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444331/original/file-20220203-21-12ksayo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La planche originale extraite de Marvel Super Heroes Secret Wars (p.25 du n°8, décembre 1984), dessinée par Mike Zeck, avec un encrage de John Beatty, Jack Abel et/ou Mike Esposito.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://bleedingcool.com/comics/first-secret-wars-spider-man-black-costume-original-art-at-auction-venom/">Bleeding cool/Heritage Auctions</a></span>
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<h2>Spider-Man, le grand écran et le marché</h2>
<p>Il y a une trentaine d’années, la sociologue Raymonde Moulin montrait comment la valeur de l’art se construit à l’articulation du marché et du musée (<a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/23412"><em>L’artiste, l’institution et le marché</em></a>, 1992). Le contexte ici est différent – notamment en raison d’un rôle encore limité des institutions et politiques culturelles dans ce domaine –, et c’est dans une autre configuration que se détermine la valeur d’une planche comme celle du costume noir de Spider-Man. Sa valeur patrimoniale et marchande se situe à l’articulation entre un personnage (plutôt qu’un artiste), sa présence sur les écrans par ses adaptations audiovisuelles et le marché, en expansion, des planches originales.</p>
<p>Tout d’abord, si le phénomène de la vente des planches originales est désormais familier, certaines de ses dimensions méritent d’être rappelées. Une telle vente repose en effet sur une opération permettant le passage d’un objet reproduit (ici, le <em>comic book</em>) à un objet unique, sur le mode de l’œuvre d’art. Cela suppose d’isoler une étape particulière d’un processus collectif et industriel – la fabrication d’un ouvrage imprimé –, celle du dessin, et de considérer que c’est là que se trouverait l’œuvre originale, quand bien même celle-ci serait finalement assez différente de son pendant imprimé et plus connu. Ce faisant, le processus revient aussi à fragmenter ce qui était destiné à une autre appréhension, c’est-à-dire un récit fait pour être imprimé et lu. La mise en avant de la planche originale crée la rareté nécessaire à la valorisation symbolique et marchande de l’objet, coupé de son origine éditoriale. C’est donc par un décalque de pratiques et de critères du monde de l’art que la planche de <em>comics</em> acquiert sa valeur.</p>
<p>Pour la planche considérée ici, d’autres critères entrent cependant en ligne de compte. De manière centrale, ce n’est pas du côté de l’artiste – et les éventuelles qualités esthétiques qu’il a données à la planche – que la valeur marchande est à trouver.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444279/original/file-20220203-19-1s91ypf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">The Amazing Spider-Man 316 (juin 1989), première couverture avec Venom, l’anti-héros qui a hérité du costume noir. Dessinée par Todd McFarlane.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.comics.org/issue/46347/">Grand comics database</a></span>
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</figure>
<p>Les planches précédentes de Mike Zeck n’ont jusqu’alors jamais atteint, et de très loin, de <a href="https://blog.gocollect.com/spider-man-in-black-zeck-art-sells-for-3-36-million/">sommes équivalentes</a> à celle de cette vente.</p>
<p>Plutôt que sur la réputation de son auteur, la planche vendue à 3,36 millions de dollars s’appuie sur la notoriété particulièrement forte du personnage qu’elle représente – ou plutôt, <em>des</em> personnages.</p>
<p>La moitié de la planche est occupée par un dessin en pied de Spider-Man, habillé en noir. Cette case rassemble en fait deux voire trois personnages. Découvrant son nouveau costume, il s’agit tout d’abord de Spider-Man lui-même, Peter Parker.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444280/original/file-20220203-17-10e9toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Spider-Man : No Way Home (Jon Watts, 2021). Le dernier film consacré à Spider-Man.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.disneyphile.fr/les-affiches-de-spider-man-no-way-home/">Disneyphile</a></span>
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</figure>
<p>Mais, comme les lecteurs de l’époque l’apprendront progressivement, ce costume se révélera être une créature extra-terrestre autonome, désireuse de trouver un hôte avec lequel vivre en symbiose. Ce « symbiote » (selon les termes du récit) quittera plus tard Peter Parker pour nouer des relations, plus ou moins durables, avec d’autres humains, donnant lieu à la naissance d’un autre personnage, Venom, à la fois « super-vilain » et (anti-)héros. Nés et largement déclinés dans les <em>comic books</em>, Spider-Man et Venom ont tous deux fait l’objet d’adaptations télévisuelles et surtout cinématographiques (neuf longs métrages en 20 ans pour Spider-Man, deux depuis 2018 pour Venom). Et ces nombreuses adaptations, à succès, se sont accompagnées d’autres déclinaisons, en jouets ou jeux vidéo.</p>
<p>Au-delà des <em>comics</em>, Spider-Man et, dans une moindre mesure, Venom sont donc des figures de la culture médiatique contemporaine issue des industries culturelles. Dans cette perspective, la planche au costume au noir acquiert un autre statut, celui d’un artefact historique, qui trouve sa place dans l’histoire de la « pop culture ».</p>
<p>Des expositions comme celles organisées il y a quelques années par le musée Art Ludique à Paris sur les héros <a href="https://artludique.com/marvel.html">Marvel</a> et <a href="https://www.artludique.com/dccomics.html">DC</a> montraient bien comment planches originales, accessoires de tournage, reproductions <em>ad hoc</em> pouvaient se mêler dans un même cadre à vocation patrimoniale, tourné vers les contenus multisupports des industries culturelles. C’est dans ce contexte à la fois médiatique, industriel et patrimonial, autant que dans celui du marché de l’art plus classique, que se construit aussi la valeur de la planche au costume noir.</p>
<h2>Un moment clé dans la « continuité »</h2>
<p>D’autres planches de Spider-Man en costume noir ont déjà été vendues, dessinées par Mike Zeck ou <a href="https://comics.ha.com/heritage-auctions-press-releases-and-news/todd-mcfarlane-1990-spider-man-328-cover-art-brings-world-record-657-250-at-heritage-auctions.s?releaseId=2236">par d’autres</a> sans jamais atteindre le montant de janvier 2022. Au-delà des éléments déjà évoqués, c’est alors une autre dimension qu’il faut prendre en compte : la façon dont, dans le monde des <em>comics</em> (tout particulièrement de superhéros), les œuvres sont aussi hiérarchisées au regard de leur inscription dans un cadre simultanément éditorial et narratif.</p>
<p>Ce système de valeur peut s’observer très directement dans les guides destinés aux collectionneurs de <em>comics</em>, les <em>price guides</em> tels que le <a href="https://comics.ha.com/overstreet/comic-book-price-guide.s"><em>Overstreet Comic Book Price Guide</em></a> publié depuis 1970. Les cotes des anciens numéros y sont établies, sans surprise, selon la popularité des séries, des personnages et/ou des auteurs ou selon la rareté des exemplaires. Mais les « key issues » (numéros clés, davantage recherchés et, donc, cotés) renvoient aussi à ce qui est considéré dans ce cadre spécifique comme un événement particulier. Cela peut renvoyer par exemple à la première apparition éditoriale d’un personnage ou à la première couverture qui lui est consacrée. Des considérations narratives s’ajoutent à ces premiers critères. Ce sont alors les moments-clés de la vie des personnages qui sont retenus : origines, principaux combats, décès, mariage… Ou nouveau costume.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444281/original/file-20220203-19-18inn4m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un moment clé : Spider-Man revêt son nouveau costume noir (Marvel Super Heroes Secret Wars 8, décembre 1984, couverture de Mike Zeck et John Beatty).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.comics.org/issue/76321/cover/4/">Grand Comic Database</a></span>
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<p>Compte-tenu de son succès et des nombreux prolongements qu’il a entraînés, le costume noir de Spider-Man est une figure exemplaire de ces pratiques. Dans les guides de collectionneurs ou sur les sites de vente, on peut ainsi trouver des <a href="https://www.mycomicshop.com/search?SeriesID=53273885">recensions très précises</a> de toutes les premières apparitions de celui-ci, depuis ses premières annonces publicitaires dans des magazines périphériques jusqu’à son dévoilement intégral en couverture ou dans les pages intérieures des épisodes de Spider-Man. </p>
<p>Si on lit attentivement ces inventaires, on se rendra compte que la page vendue à prix record, datant de décembre 1984, n’a été publiée que sept mois après l’introduction régulière du costume noir dans les différentes séries mensuelles consacrées à Spider-Man… Elle est donc loin de constituer une « première apparition » au sens éditorial. Selon les mêmes listings, ce qui fait sa spécificité, c’est qu’il s’agit là de sa « première apparition dans la continuité » du récit. Bien que parue des mois après de nombreuses autres pages, c’est bien elle qui représente le moment précis où Peter Parker enfile son nouveau costume pour la première fois. La planche à 3,36 millions de dollars trouve donc son caractère exceptionnel dans la place incontournable qu’elle occupe dans la « continuité » narrative de Spider-Man et au-delà dans celle de tout l’univers Marvel.</p>
<h2>L’imbrication des logiques narratives et commerciales</h2>
<p>La <a href="https://www.upress.state.ms.us/Books/R/Retcon-Game2">continuité</a> doit être entendue ici comme la cohérence intertextuelle que respectent les récits d’un même éditeur dans leur représentation des personnages, des événements, de la chronologie et de l’espace et ce, quels qu’en soient les auteurs. Pour le dire autrement, tous les épisodes de tous les <em>comics</em> Spider-Man (ou presque) s’inscrivent dans une même trame narrative partagée qu’ils prolongent et approfondissent.</p>
<p>Cette cohérence narrative n’est pas propre aux <em>comics</em> de superhéros – elle se trouve au cœur des « constellations » fictionnelles qui, comme l’a montré la chercheuse en littérature <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/constellations/">Anne Besson</a>, sont si présentes dans l’imaginaire contemporain. Mais elle est absolument centrale pour le genre super-héroïque, tel que les éditeurs américains l’ont construit depuis les années 1940 et surtout 1960.</p>
<p>Cette continuité est inséparable de son contexte de production, fondé sur une réalisation collective et régulière de contenus à suivre publiés dans les périodiques que sont les <em>comic books</em>. Elle constitue un moyen commercial en elle-même : fidéliser les lecteurs par un récit sans fin, créer un fil narratif entre différents contenus, éventuellement commercialisés sur différents supports. C’est ce que Marvel a fait avec succès dans les <em>comics</em> et a plus récemment importé au cinéma, avec les Avengers ou les versions <em>live</em> ou <a href="https://theconversation.com/avec-spider-man-new-generation-plusieurs-araignees-pour-une-seule-toile-109825">animée</a> de Spider-Man.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444282/original/file-20220203-19-19pnt0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rassembler les plus grands héros Marvel pour lancer une gamme de jouets (Couverture de Marvel Super Heroes Secret Wars 1, mai 1984, par Mike Zeck et John Beatty).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.comics.org/issue/76314/cover/4/">Grand Comic database</a></span>
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<p>Les évolutions du récit général que trace la continuité reflètent aussi les stratégies commerciales de l’éditeur, qu’il s’agisse de mettre en avant tel ou tel personnage ou d’établir des synergies avec les déclinaisons dans d’autres médias. A nouveau, le cas du costume noir de Spider-Man est exemplaire ici. Son apparition est liée à la série <em>Marvel Super Heroes Secret Wars</em> que Marvel a publiée entre 1984 et 1985 (et dont la planche vendue par Heritage Auction est tirée). Cette série de douze numéros a été produite par l’éditeur en réponse à une sollicitation de Mattel. </p>
<p>La célèbre marque de jouet était désireuse de lancer une nouvelle gamme de figurines et d’accessoires. Le projet consistait alors à créer un événement inédit dans les <em>comics</em> Marvel, avec le lancement d’une série spéciale rassemblant de manière spectaculaire les principaux personnages de l’éditeur pour les faire s’affronter sur une planète lointaine. La trame de la série incluait des péripéties permettant des déclinaisons diverses en jouets – et par exemple de proposer plusieurs figurines d’un même personnage, une rouge et bleu et une noire pour Spider-Man. Avec la vente record de la planche, le costume noir, dont l’introduction avait été explicitement pensée pour ses retombées commerciales, continue de produire ses effets.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444329/original/file-20220203-27-115fzr1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La figurine de Spider-Man dans son costume noir (Mattel, 1984). Au dos de l’emballage, un rappel du moment clé du comics.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.figurerealm.com/actionfigure?action=actionfigure&id=13197&figure=spidermanblack">Figure Realm/Bronze Age babies</a></span>
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<h2>Un retour au récit</h2>
<p>D’autres facteurs seraient sans doute à considérer pour éclairer la vente de janvier, telle que l’arrivée d’investisseurs atypiques sur ce type de marché prêts à investir de manière inattendue de très fortes sommes, comme l’a montré <a href="https://www.numerama.com/tech/821933-un-collectif-crypto-achete-le-livre-dune-de-jodorowski-3-millions-de-mais-il-ne-leur-servira-a-rien.html">l’exemple récent du <em>storyboard</em> du <em>Dune</em></a> – mais l’identité de l’acheteur de la planche de Spider-Man n’a pas été révélée. Cependant, c’est bien dans les logiques croisées de l’œuvre unique, de la notoriété médiatique et du moment clé narratif que se trouve l’attribution d’une valeur si forte à cette planche.</p>
<p>La planche plutôt que le <em>comic book</em>, le(s) personnage(s) plutôt que l’artiste, le moment clé plus que sa représentation : ce sont là autant de substitutions ou déplacements que produit la rencontre des mondes de l’art et des comics dans un contexte d’industries culturelles. Au regard de ces opérations, le <em>comic book</em> paru en décembre 1984 et son histoire de superhéros en guerre secrète sur une planète perdue peuvent sembler bien loin. </p>
<p>Mais paradoxalement, alors que la vente d’une planche de bande dessinée fragmente un ensemble originellement fait pour être lu, les autres logiques qui sont à l’œuvre ici viennent réinscrire la page du costume noir de Spider-Man dans le récit dont elle est issue. C’est par ce qu’elle raconte du héros et de son univers fictionnel que cette planche trouve sa valeur patrimoniale et marchande.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Matthieu Méon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les logiques des mondes de l’art, des comics et des industries culturelles se croisent pour définir la valeur d’une telle planche.Jean-Matthieu Méon, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740992022-01-05T18:52:46Z2022-01-05T18:52:46ZMusique : sur un album, l’ordre des pistes a son importance<p>Depuis que les <a href="https://blog.discogs.com/en/happy-70th-birthday-lp/">albums existent</a>, ils ont offert aux auditeurs des moments d’émerveillement, d’espoir, de vérité et de réflexion réaliste sur la condition humaine.</p>
<p>Ce n’est possible que grâce à un effort collectif. Les artistes, producteurs, compositeurs-paroliers, ingénieurs, graphistes et auteurs de notes d’accompagnement organisent et présentent avec soin une bande-son structurée, avec des titres ordonnés de façon à entraîner les auditeurs dans un voyage. Cela peut apporter un semblant d’ordre dans leur vie souvent chaotique.</p>
<p>Mais qu’arrive-t-il quand on écoute les chansons de l’album d’un artiste de façon aléatoire plutôt que dans l’ordre prévu ?</p>
<p>Ce n’était pas vraiment un problème quand les gens devaient <a href="https://www.theguardian.com/music/2013/aug/30/cassette-store-day-music-tapes">appuyer sur la touche avance rapide de leur lecteur de cassettes ou de CD pour atteindre la piste souhaitée</a> ou déplacer la pointe d’une platine vinyle vers bon sillon. Mais depuis <a href="https://mixdownmag.com.au/features/musicology-the-history-of-music-streaming/">l’avènement des services de streaming</a>, on peut changer l’ordre des pistes d’un album en un seul clic, et la lecture aléatoire est <a href="https://community.spotify.com/t5/Android/Why-is-shuffle-play-ALWAYS-default-FORCED/td-p/4800307">parfois même programmée par défaut</a>.</p>
<p>Le 19 novembre 2021, la chanteuse Adele a <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/adele-30-album-stream-buy-online-1256455/">sorti son quatrième album</a>, « 30 ». Elle est parvenue à convaincre la plate-forme de streaming Spotify de <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-59365019">changer ses paramètres par défaut pour que les titres de son nouvel album soient joués dans l’ordre</a>.</p>
<p>Je suis tout à fait d’accord avec elle.</p>
<p>En tant que compositeur lauréat d’un <a href="https://www.josevalentino.com/">Latin Grammy Award et musicien lauréat d’un Emmy Award</a> ayant produit plus de 90 albums, qui <a href="https://arts.ufl.edu/directory/profile/166311">donne aussi des cours sur l’industrie musicale et l’entreprenariat dans ce secteur</a>, je sais d’expérience combien le séquençage des albums est important ; en d’autres termes, l’art d’organiser les pistes musicales pour refléter au mieux les thèmes de l’album.</p>
<h2>Le processus créatif</h2>
<p>Les producteurs comme moi prennent en considération le fait que l’art, tel que je le définis, est un moyen d’exprimer son humanité. Nous essayons donc de créer des albums qui reflètent des expériences personnelles.</p>
<p>Et tout comme les histoires n’ont de sens que si l’on connaît le contexte, le début et la fin, les auditeurs ont besoin de comprendre l’élan à l’origine de la création de l’album.</p>
<p>Les producteurs tiennent aussi compte des différentes étapes nécessaires à cette création. <a href="https://scholar.google.com/citations?user=g15hDLMAAAAJ&hl=en">Le spécialiste de l’éducation musicale John Kratus</a> en a défini quatre <a href="https://eric.ed.gov/?id=ED363524">dans son étude des processus de la création musicale</a> :</p>
<p>La première étape consiste en une exploration du concept de l’album. C’est à ce moment-là que l’on discute des thèmes qui y seront abordés.</p>
<p>La deuxième étape fait appel à des processus d’improvisation. C’est le moment où les musiciens travaillent ensemble à créer la structure des chansons, les rythmes et les paroles appropriés pour évoquer ces thèmes.</p>
<p>Vient ensuite la troisième étape : la composition ou la documentation de l’album. Cela se fait en studio d’enregistrement avec des ingénieurs du son et des producteurs qui déterminent quelles seront les versions finales des chansons présentes sur l’album.</p>
<p>Pour finir, la quatrième étape est la performance créative, c’est-à-dire la distribution de l’album. Elle commence après l’enregistrement et concerne le marketing et les stratégies de communication mises en place pour promouvoir l’album, au travers de concerts, clips vidéo et interviews. L’équipe créative décide sous quels formats et sur quelles plates-formes l’album va sortir.</p>
<p>Le processus décrit ci-dessus est illustré presque trait pour trait dans le <a href="https://theconversation.com/the-beatles-get-back-and-the-magic-of-seeing-chords-become-anthems-172533">récent documentaire de Peter Jackson sur les Beatles</a>, <em>The Beatles: Get Back</em>.</p>
<p>Les images montrent les quatre membres de l’un des groupes les plus influents de tous les temps en plein processus créatif.</p>
<p>Ils commencent par discuter de ce qui les pousse à écrire une chanson – c’est la phase d’exploration. Ils créent ensuite la structure mélodique de la chanson, l’harmonie et le rythme – phase d’improvisation. Puis ils enregistrent le répertoire de l’album – phase de composition. Enfin, ils répètent les chansons à jouer dans un ordre spécifique lors des futurs concerts – phase de distribution.</p>
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<h2>Les clés du succès</h2>
<p>Une autre variable importante est l’ordonnancement des chansons sur un album de manière à répondre à un certain nombre d’exigences.</p>
<p>Par exemple, on peut les organiser de façon à rendre l’écoute plus plaisante et appréciable. Si l’album a trop de chansons intenses dès le début – par exemple, des chansons au tempo rapide et au son fort, riches en interactions musicales – l’auditeur pourrait croire que l’artiste ne s’est pas donné la peine de moduler le rythme de « l’histoire » et la puissance des morceaux sur l’ensemble de l’album.</p>
<p>Un producteur veut aussi éviter la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12193-011-0079-z">fatigue auditive</a>, c’est-à-dire la lassitude que l’on peut éprouver à l’écoute d’un album qui présente une trop grande intensité musicale dès le début. Pour ce faire, les producteurs s’assurent que l’instrumentation, la progression harmonique et le niveau d’énergie des chansons varient lorsqu’on les écoute les unes après les autres.</p>
<p>L’ordre des pistes peut aussi influencer les sentiments d’empathie et d’identification des auditeurs envers l’artiste et son projet pour l’album, en classant les thèmes des chansons de sorte à refléter les expériences personnelles de l’artiste dans l’ordre où elles se sont produites dans la vraie vie. Par exemple, un musicien peut raconter une histoire autobiographique au travers de chansons dont la chronologie reflète celle des événements réels.</p>
<p>Dans son autobiographie publiée en 2016, Bruce Springsteen évoque la façon dont il a délibérément ordonné les chansons de son album <em>Born to Run</em> pour donner aux auditeurs l’impression d’une journée qui commence tôt le matin et s’achève tard dans la nuit. De son côté, le saxophoniste multi-lauréat des Grammy Awards Michael Brecker <a href="https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=11118365">a organisé son dernier album</a>, <em>Pilgrimage</em> à l’image des derniers jours de sa vie alors qu’il se battait contre un cancer.</p>
<p>Les différents artistes et genres musicaux n’ont pas tous la même approche des albums. Toutefois, il existe certaines règles à suivre pour l’ordonnancement des morceaux. Je suggère ci-dessous un exemple standard d’organisation d’un album de 12 titres :</p>
<ul>
<li><p>Piste 1 : Une chanson emblématique pleine d’énergie, vibrante et intense, aux riches textures instrumentales.</p></li>
<li><p>Piste 2 : un titre au tempo moyen avec moins de textures instrumentales et de paroles. L’idée est d’exprimer davantage de vulnérabilité.</p></li>
<li><p>Piste 3 : Un morceau très dynamique avec des textures instrumentales totalement différentes. Par exemple, si la piste 1 utilise beaucoup d’instruments acoustiques, la piste 3 sera plus électronique.</p></li>
<li><p>Piste 4 : Une ballade poignante.</p></li>
<li><p>Piste 5 : La deuxième chanson la plus marquante de l’album, en général d’un tempo et d’une temporalité différente – cela peut être par exemple une valse ou une chanson de style swing.</p></li>
<li><p>Les pistes 6 à 11, qui auraient traditionnellement été sur la face B des disques vinyles, ont tendance à être plus détendues et moins concernées par l’attrait commercial. Elles servent à transmettre davantage de nuances philosophiques et poétiques.</p></li>
<li><p>En général, la dernière piste de l’album, piste 12 dans notre exemple, est soit nostalgique, soit ne se résout pas entièrement au niveau des paroles ou de la musique. L’objectif est souvent de donner envie à l’auditeur d’acheter le prochain album.</p></li>
</ul>
<p>Cette structure n’est pas immuable, mais si les lecteurs regardent leur album favori, il y a de bonnes chances pour que certaines de ces règles s’appliquent.</p>
<h2>Le message social d’un album</h2>
<p>Le séquençage de l’album est traditionnellement l’une des dernières étapes et a lieu pendant ce que l’on appelle une « séance de repérage ».</p>
<p>A ce stade, les artistes, les producteurs, les managers et les publicitaires s’attellent au séquençage pour s’assurer que les thèmes abordés soient communiqués de façon fluide et que la vision de l’artiste soit comprise à l’écoute de l’album, du début à la fin.</p>
<p>Réfléchir à tout ce qu’implique l’ordonnancement des pistes d’un album peut aider les amateurs de musique à mieux comprendre pourquoi autant de musiciens ont appuyé la <a href="https://www.npr.org/2021/11/21/1057783216/adele-spotify-shuffle-30">requête d’Adèle de supprimer la lecture aléatoire par défaut</a>. En utilisant cette fonction, les auditeurs risquent de passer à côté du message et du voyage sonore si soigneusement étudiés.</p>
<hr>
<p><em>Traduit par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174099/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Valentino Ruiz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cliquer sur « lecture aléatoire » quand on écoute un album n’est pas à l’avantage de l’artiste. Cela peut aussi faire rater quelque chose aux auditeurs.Jose Valentino Ruiz, Head and Inaugural Professor of Music Business & Entrepreneurship, University of FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738602022-01-04T19:09:19Z2022-01-04T19:09:19ZLes séries et la guerre des récits : retour sur le soft power des plateformes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438861/original/file-20211222-21-12q2x1g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C3%2C741%2C428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La série « Bir Baskadir », une productiuon turque, renconbtre un grand succès sur Netflix. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>La guerre, la « vraie », est largement mise en scène dans bon nombre de séries : <em>Homeland</em>, <em>Le Bureau des légendes</em>, <em>Fauda</em> et tant d’autres.</p>
<p>Et puis il y a une autre guerre, celle dont parlait Antonio Gramsci, <a href="https://livre.fnac.com/a15096546/Sebastien-Antoine-Antonio-Gramsci-de-l-ideologie-a-l-hegemonie">intellectuel communiste italien au début du XXᵉ siècle</a>. Cette guerre là est plus immatérielle ; elle est livrée à des fins d’hégémonie culturelle.</p>
<p>Elle n’est pas sans rappeler le soft power – par opposition au hard power – cette « puissance douce » faite pour influencer, séduire, attirer.</p>
<p>Gagner cette bataille culturelle c’est travailler les opinions, les représentations dominantes, construire ou déconstruire les croyances.</p>
<p>Ce combat possède ses propres armes que sont les écoles, les livres, les médias et le monde de la fiction. Ces armes, ces appareils sont vus par Gramsci comme des moyens de domination, mais aussi d’attraction. Ils sont des <a href="https://www.babelio.com/livres/Martin-Le-Charme-discret-des-series/1352394">foyers d’irradiation et des aimants</a>. Culture cultivée et culture populaire sont primordiales dans cette bataille, les séries étant au cœur de la nébuleuse.</p>
<p>Gramsci ne dissocie jamais le culturel du politique, car selon lui le culturel peut mener jusqu’à l’activité pratique et collective. La <em>Casa de papel</em> n’a t-elle pas été prise pour symbole dans de nombreuses révoltes ?</p>
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<p>Le monde culturel et ceux qui le fabriquent sont définitivement les architectes de la chose politique ; et les séries participent de cette dynamique, elles sont des moments politico-culturels. Elles construisent un objet politique, et enrichissent les approches autour du pouvoir.</p>
<p>Ce monde en séries est d’autant plus efficace qu’il vient se loger dans nos intimités, dans notre environnement familier, dans notre cocon.</p>
<p>Le côté émotionnel de la série permet une absorption très efficiente des valeurs qu’elle peut donner à voir. Ces séries peuvent créer, de manière insidieuse ou plus explicite, un individu collectif, un individu politique via la pédagogie, le familier, l’émotionnel. Pour exemple, les vêtements-symboles des héros de <em>La Casa de papel</em> ont été repris ici où là comme habits de l’insoumission au libéralisme. Lors de certains mouvements, tels les zadistes ou les cheminots en grève, ont été masques et combinaisons.</p>
<p>Ce monde sériel est porté par la puissance des plateformes, une puissance d’autant plus grande qu’elle sait parfaitement s’inscrire dans l’environnement liquide qui serait devenu le nôtre.</p>
<h2>L’extra fluidité des plates-formes enjambe un monde solide</h2>
<p>Les DAN – Disney, Amazon, Netflix – ne connaissent en effet quasiment aucune frontière. Elles sont transnationales, et dépassent largement les principes de souveraineté nationale.</p>
<p>Elles sont flexibles, totalement dématérialisées et <a href="https://www.babelio.com/livres/Bauman-La-vie-liquide/12430">correspondent au monde liquide décrit par Bauman</a>.</p>
<p>Immatérielles et insaisissables, ces plateformes viennent se nicher là où sont leur intérêt, et leur fluidité leur donne une longueur d’avance pour gagner la guerre des récits dans un monde – quel que soit son degré de globalisation et de mondialisation – qui reste, lui, profondément ancré sur des nations, des pays, des territoires, des frontières.</p>
<h2>Un soft power offshore</h2>
<p>Elles exercent leur soft power à la façon <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/soft-power">dont Joseph Nye l’avait théorisé</a> mais c’est un soft power qui n’est pus teritorialisé.</p>
<p>Quand Joseph Nye parle du soft power dans les années 90 et veut convaincre les présidents américains de livrer une guerre culturelle plutôt qu’armée, il le fait notamment via les 2 H et les 2 M à savoir : Harvard, Hollywood, Mc Donald’s et Macintosh. Ces outils du soft power passent par les interstices du quotidien indispensable : la nourriture, l’école, les loisirs, les outils de travail. C’est une mainmise sur la quasi-totalité du quotidien.</p>
<p>Ces armes de soft power ou d’hégémonie culturelle restent des entités concrètes, et surtout rattachées à un pays : Hollywood reste ancré en Californie. Harvard au Massachusetts. Le rattachement à un au pays est la raison même du soft power ; le <a href="https://livre.fnac.com/a2650203/Michel-Clouscard-Le-capitalisme-de-la-seduction">plan Marshall avait déjà été largement pensé comme cela</a>.</p>
<p>Dans le cas qui nous occupe, les plates-formes sont quasiment hors sol et offshore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009">dirait Latour</a> à savoir sans réel ancrage géographique dans nos imaginaires.</p>
<p>Les plates-formes n’ont quasi pas de territoires, pas plus que leurs productions.
Elles parviennent à s’immiscer, via des fictions, en Jordanie – <em>Djinn</em> –, en Norvège, ou en Turquie – <em>Bir Baskadir</em> – elles viennent se saisir des enjeux nationaux et, simultanément, du pays en question.</p>
<p>En parallèle se jour une guerre marketing, une bataille pour l’attention. La présence sur le marché des séries peut signifier, en fonction des stratégies, inonder le marché ou ciseler des objets fictionnels très qualitatifs, ou encore investir massivement dans la promotion de ses séries.</p>
<p>Bien sûr, celui qui maîtrise toute la chaîne de production reste américain mais, c’est comme si, culturellement, on ne le voyait plus, comme si la patte américaine avait disparu. Des premiers temps de la <em>Casa de Papel</em> à <em>Leila</em> en passant Chernobyl, où sont les Etats-Unis ? On ne le sait plus tout à fait.</p>
<p>Netflix représente une technologie culturelle mutante qui joue à la guerre des récits. Capable de saper la souveraineté des pays, elle se détache de son territoire originel et finit par être un objet flottant qui ne nous dit plus d’où elle parle.</p>
<p>Ces DAN sont si puissants qu’ils jouent tels de véritables pays dans cette guerre sérielle ; et, simultanément, tous les pays, même les plus rétifs, s’embarquent dans cette bataille en séries.</p>
<h2>Le soft power minimum : en être</h2>
<p>De nombreux pays – Corée, Suède, Nigeria, Brésil… – savent qu’ils n’ont d’autre choix que de produire et diffuser leurs productions sérielles via les DAN, ce, afin de compter dans les représentations dominantes du monde. Regardons la ferveur à l’égard de la Corée à partir de sa K Pop, en passant par ses dramas, comme <em>My ID is Gangnam Beauty</em> ou par le succès de <em>Hellbound</em> ou de _Squid game</p>
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<p>Les grandes puissances ont compris qu’il était indispensable de participer à cette guerre des récits. En être, c’est déjà une manière de prendre le pouvoir et c’est potentiellement empêcher l’autre de le prendre. Les séries ont véritable un pouvoir discursif <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01491635/document">au sens foucaldien du terme</a>.</p>
<p>Certains veulent aussi « en être », mais à leur manière, et peuvent refuser de jouer le jeu des Netflix et autres. On pense à la Chine et la Russie – même si cette dernière est en train de modérer son approche ; deux pays qui sont plus proches du « sharp power » que du soft.</p>
<h2>Du soft au sharp power</h2>
<p>Dans cette guerre des récits, des pays plus autoritaires entendent jouer de leur influence un peu différemment ; de façon plus aiguisée, plus belliqueuse. Les façons de faire seront celles du sharp power à savoir : gêner, voire déstabiliser les démocraties, mais aussi exister dans le périmètre régional et in fine atteindre la diaspora éparpillée de par le monde. Travailler à une certaine propagande, via l’institut Confucius ou des médias comme la chaîne de télévision Russia Today.</p>
<p>Le sharp power, selon les créateurs de ce concept, Christopher Walker et Jessica Ludwig, consiste à jouer avec des fake news [afin de fragiliser les démocraties occidentales]. Walter et Ludwig donnent quelques exemples, et différencient la Chine et la Russie sur ce plan.</p>
<p>Cette dernière va créer des rumeurs – par exemple, « le sida aurait été inventé en laboratoire par la CIA ». La Chine, elle, cible plutôt les leaders d’opinion : <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-vendredi-01-juin-2018">élites politiques, économiques intellectuelles</a>, et
cherche à convaincre que son système est conforme au modèle des démocraties libérales.</p>
<p>Le sharp power représente clairement une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2019-3-page-39.htm">dynamique d’arsenalisation du soft power</a>.</p>
<h2>De l’antipopulisme au wokisme</h2>
<p>Dans cette bataille des récits restent ceux qui ne veulent pas juste « en être » mais qui « sont », Netflix en tête. Ceux-là ont bien l’intention d’évangéliser le monde au regard de deux piliers.</p>
<p>Le premier est la figure détestée et honnie du « populiste ». De Trump à Modi en passant par Erdogan, les figures du « mal » politique sont en joue dans de nombreuses créations : <em>Leila</em> pour l’Inde, <em>Dir baskadir</em> pour la Turquie, <em>Jinn</em> pour la Jordanie, <em>Years and years</em> pour l’Europe nationaliste, <em>Occupied</em> pour la Russie</p>
<p>Le second concerne la promotion du « wokisme » ou la dénonciation des discriminations et une manière d’encourager l’empowerment des minorités. Les minorités et les personnes invisibilisées par la société sont largement mises à l’honneur dans cet univers sériel : <em>I May Destroy You</em>, <em>Little Fires Everywhere</em>, <em>Mrs. Maisel</em>, <em>Pose</em>, <em>Orange Is the New Black</em>, <em>Maid</em>, <em>It’s a Sin</em>…</p>
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<p>Toutes ces séries prônent une approche <a href="https://www.ted.com/talks/kimberle_crenshaw_the_urgency_of_intersectionality">progressiste et intersectionnelle</a></p>
<p>Le tout orchestré – chez Netflix – par l’écrivain et activiste afro-américain Darnell Moore qui y est chargé de l’inclusivité.</p>
<p>Ces DAN, avec leurs séries « armées », sont tout à la fois des contenus et des contenants.</p>
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<p>Plus que des entreprises multi- et transnationales, elles deviennent des objets culturels et politiques en tant que tels. Elles se confondent avec les séries qu’elles proposent et sont partie prenante de cette guerre des récits.</p>
<p>Ces entreprises toutes-puissantes sont quasiment devenues de <a href="https://www.babelio.com/livres/Martin-Le-Charme-discret-des-series/1352394">nouveaux États</a>, avec leur agenda, leurs budgets colossaux, leur politique, leur propre soft power. Mais des états fluides et sans territoires, annonçant les prémisses d’une nouvelle donne géopolitique.</p>
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<p><em>Cet article a été rédigé avec le précieux concours de Jessica Cluzel (étudiante Kedge Business School) ; il est aussi le résultat d’une journée <a href="https://www.irsem.fr/agenda-enhancer/agenda/les-representations-du-monde-militaire-dans-les-series-tv-et-le-cinema.html">organisée par l’Irsem</a> le 8 novembre 2021 autour des représentations du monde militaire dans les séries TV et le cinéma.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre des séries sévit sur les plates-formes. Une guerre livrée à des fins d’hégémonie culturelle.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1733652021-12-09T18:16:59Z2021-12-09T18:16:59ZPourquoi Elizabeth Taylor est-elle si convaincante en Cléopâtre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436431/original/file-20211208-25-wxik9l.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C722%2C497&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Elizabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre (Cleopatra de Mankiewicz, 1963).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://muromaestro.files.wordpress.com/2017/01/et-cleopatra-2.jpg">MuroMaestro</a></span></figcaption></figure><p>Dans la figure de Liz Taylor en Cléopâtre, devenue mythique, trois légendes fusionnent : celle de l’ancienne reine d’Égypte, celle de l’actrice sulfureuse et enfin celle d’une superproduction pharaonique au coût exorbitant.</p>
<p>Au cours des siècles qui suivirent sa défaite et sa mort, Cléopâtre (69-30 av. J.-C.) connut un exceptionnel destin posthume à travers les arts et la littérature. Sa figure fantasmée, sans cesse réadaptée et réappropriée, a traversé les siècles jusqu’à nous, en une étonnante chaîne d’œuvres qui se font écho et naissent successivement les unes des autres. Un extraordinaire parcours qui, 2000 ans après sa mort, conduisit la fameuse reine d’Alexandrie jusqu’à Hollywood.</p>
<h2>Une succession de reines de l’écran</h2>
<p>C’est en 1899 que Cléopâtre fait son entrée au cinéma, dans un court-métrage de Georges Méliès. Une œuvre longtemps considérée comme perdue, mais finalement retrouvée en 2005. Jehanne d’Alcy (1865-1956) y incarne la toute première Cléopâtre cinématographique.</p>
<p>On retrouve ensuite la célèbre reine dans plusieurs films muets dont le plus remarqué fut réalisé par J. Gordon Edwards en 1917. Cette <em>Cleopatra</em> est malheureusement perdue, mais grâce à d’impressionnantes photographies publicitaires on peut se faire une idée assez précise de la très provocante Theda Bara (1885-1955), « vamp » de l’époque, <a href="https://muromaestro.wordpress.com/2017/03/05/oliver-messel-e-irene-sharaff-la-sfida-per-cleopatra-per-cleopatrapanni-di-cleopatra/">dans le rôle-titre, au milieu d’un grandiose décor égyptisant</a>.</p>
<p>En 1934, Cléopâtre fait son entrée dans le cinéma parlant, incarnée cette fois par Claudette Colbert (1903-1996), dans une superproduction de Cecil B. De Mille. L’actrice, drapée de tissus moulants, toujours plus clairs et éclatants que les tenues de son entourage, ne cesse de « crever » l’écran. Cecil B. De Mille impose, par la même occasion, l’idée qu’un film sur Cléopâtre réunit forcément trois caractéristiques majeures, garantes de son succès : un gros budget, des vêtements féminins hors du commun et une star sulfureuse.</p>
<p>La superproduction de Cecil B. De Mille fut néanmoins éclipsée par le chef d’œuvre monumental réalisé par Joseph L. Mankiewicz en 1963. Un film de quatre heures qui offrit à Cléopâtre son <a href="https://www.cinematheque.fr/article/1647.html">apogée cinématographique</a>.</p>
<h2>Un colossal fantasme de Mankiewicz</h2>
<p>Elizabeth Taylor (1932-2011), souvent considérée comme la plus belle femme du moment, y incarne une souveraine aussi séduisante qu’intelligente face à Jules César, interprété par Rex Harrison, dans la première partie du film dont le ton est celui d’une comédie sophistiquée.</p>
<p>Dans la seconde partie, plus « romantique », la reine se montre fougueuse et passionnée en compagnie de son amant Marc Antoine, joué par Richard Burton.</p>
<p>Le scénario est nourri de la lecture des biographies de Jules César et de Marc Antoine, écrites par l’auteur antique Plutarque, mais aussi du drame de Shakespeare, <em>Antony and Cleopatra</em> (1607) dont la dimension à la fois psychologique et amoureuse a été transposée à l’écran.</p>
<p>La Twentieth Century Fox dépensa des sommes colossales pour créer d’innombrables décors, sans compter les milliers de figurants et de figurantes qu’il fallut recruter. La grandiose entrée à Rome de Cléopâtre, trônant à l’avant d’un immense sphinx, tiré par deux rangées d’esclaves, demeure l’une des scènes « culte » du film.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vB5Wv8IHVf0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’imposant véhicule pénètre sous l’arche centrale d’un énorme arc de triomphe romain, précédé de deux pyramides très pointues aux pieds desquelles ont pris position plusieurs figurantes vêtues en déesse égyptienne Isis. Sur une photographie prise au cours du tournage, on les voit en rang, en train d’attendre sagement le moment de leur entrée en scène, assises sur le premier degré du décor pyramidal qui leur sert de socle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436728/original/file-20211209-25-y8ksnm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tenue d’Isis dessinée par la costumière Irene Sharaff et figurantes en Isis au repos lors du tournage de l’entrée de Cléopâtre à Rome en mai 1962.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://muromaestro.wordpress.com/2017/03/05/oliver-messel-e-irene-sharaff-la-sfida-per-cleopatra-per-cleopatrapanni-di-cleopatra/#jp-carousel-13712">Muro Mestro</a></span>
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<p>Tout cela est une pure invention et un fantasme de Mankiewicz, puisqu’il n’en est nullement question dans les sources antiques. En réalité, Cléopâtre s’était faite discrète lors de son arrivée à Rome, afin de ne pas indisposer Jules César. Elle était aussi parfaitement consciente des antipathies de l’élite romaine à son égard. Mais Mankiewicz préféra l’effet colossal à la vérité historique, en un spectacle où, à travers la figure de Cléopâtre, s’entremêlent volonté de séduire et désir de puissance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436729/original/file-20211209-172173-1shukkb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Coiffe d’Isis et photographie prise lors du tournage, en mai 1962.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://muromaestro.files.wordpress.com/2017/03/ingressotrionfale.jpg">Muro Mestro</a></span>
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<h2>La tenue d’or de la déesse Isis</h2>
<p>À ces onéreux décors s’ajoutent de nombreuses tenues et accessoires. Soixante-cinq robes, trente perruques et cent-vingt-cinq bijoux furent spécialement créés pour Liz Taylor, notamment par la costumière Irene Sharaff. Tous ces vêtements avaient en commun de <a href="https://muromaestro.wordpress.com/2017/03/05/oliver-messel-e-irene-sharaff-la-sfida-per-cleopatra-per-cleopatrapanni-di-cleopatra/">mettre en valeur la taille et la poitrine de la reine</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-parfum-de-cleopatre-etait-il-vraiment-envoutant-122771">Le parfum de Cléopâtre était-il vraiment envoûtant ?</a>
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<p>Plutarque (<em>Vie d’Antoine</em> 54, 6) écrit que Cléopâtre se montrait à son peuple vêtue comme la déesse Isis. C’est pourquoi, la tenue dorée arborée par Liz Taylor est directement inspirée de l’iconographie antique de cette divinité : cobra au-dessus du front, coiffe constituée de cornes de vaches enserrant un disque solaire surmonté de deux plumes, robe décorée de motifs évoquant de grandes ailes déployées… Aussi riche qu’éblouissant, ce costume est constitué de fines lamelles de cuir ornées d’or 24 carats et de nombreuses perles. Il aurait coûté soixante-quinze mille dollars de l’époque.</p>
<p>En fin de compte, le coût du film fut exorbitant : quarante-quatre millions de dollars. Ce qui en fait l’une des productions les plus onéreuses de l’histoire du cinéma. Liz Taylor, à elle seule, toucha un cachet d’un million de dollars. Il ne mit cependant pas en faillite la Twentieth Century Fox puisqu’il rapporta plus de cinquante-sept millions de dollars.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436730/original/file-20211209-142574-s3g8wj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Liz Taylor lors du tournage à Rome, en mai 1962.</span>
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<h2>Deux fauves en cage à Cinecittà</h2>
<p>Le tournage avait mal commencé à Londres, en septembre 1960, sous la direction du réalisateur Rouben Mamoulian. Des débuts calamiteux à cause de la pluie et du brouillard qui rendaient difficiles les tournages hors des studios. Elizabeth Taylor avait souffert, durant plusieurs mois, d’une interminable pneumonie. La Twentieth Century Fox décida finalement de mettre un terme au contrat de Mamoulian. C’est alors que Joseph L. Mankiewicz fut chargé de reprendre le tournage en septembre 1961, non à Londres, mais à Cinecittà.</p>
<p>Un excellent choix, car Elizabeth Taylor se sentit revigorée par le charme de Rome et la douceur du climat méditerranéen. Mais surtout, elle vécut sur le tournage une relation passionnée avec Richard Burton.</p>
<p>Cependant les amants étaient tous deux mariés ; ce qui leur valut d’être sans cesse poursuivis par des paparazzi, tandis qu’un parfum de scandale flottait en permanence sur le tournage. Le Vatican s’en mêla, critiquant cette fougueuse relation extraconjugale. Lors des scènes qu’il tourne avec Taylor et Burton, Mankiewicz dit avoir l’impression d’être emprisonné dans une cage avec deux fauves.</p>
<h2>Lizpatra</h2>
<p>Cette passion partagée avec son amant pourrait expliquer la remarquable performance d’Elizabeth Taylor, désignée sous le nom de Lizpatra. Un terme créé et employé pour la première fois par l’écrivain et journaliste Dwight Macdonald (1906-1982) dans un article publié dans le magazine <em>Esquire</em>, en février 1965. Liz se serait confondue avec Cléopâtre durant le tournage, en raison de sa liaison décriée avec Burton. D’où son extraordinaire prestance irradiant les autres acteurs et tous ceux qui participaient au tournage.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cleopatre-reine-monstrueuse-ou-grande-femme-politique-58507">Cléopâtre, reine monstrueuse ou grande femme politique</a>
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<p>C’est ainsi que les 4500 figurants, réunis pour acclamer la reine lors de son entrée à Rome, se mirent à hurler en chœur « Li-iz, Li-iz ! ». La confusion entre l’actrice et la reine était à son comble. On ne savait plus si c’était Liz Taylor qui incarnait Cléopâtre ou Cléopâtre qui incarnait Liz Taylor. L’actrice-reine parvint ainsi à entrer dans la légende et l’œuvre de Mankiewicz devint mythique avant même sa sortie en salles.</p>
<p>Comme Alberto De Rossi, maquilleur de Liz Taylor sur le tournage, avait fait un savant usage de l’eye-liner qui lui permettait de dessiner un parfait œil égyptien, les magazines de mode <em>Vogue</em> et <em>Look</em> en profitèrent pour faire la promotion de l’Egyptian look et de nombreuses femmes, paraît-il, voulurent ressembler à Lizpatra.</p>
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<p><em>Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Cleopatre--La-deesse-reine/784074">« Cléopâtre, la déesse-reine », aux éditions Payot</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La légende « Lizpatra » est née d’une conjonction favorable d’événements et de talents.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1656862021-08-24T18:56:50Z2021-08-24T18:56:50ZBonnes feuilles : « Le charme discret des séries »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/417437/original/file-20210823-26-cw0apx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C9%2C1203%2C707&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pose, une série queer désormais incontournable. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18682163.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p><em>Les séries que nous aimons exercent sur nos vies un charme discret. Elles influencent notre façon de voir le monde, nos représentations politiques, sociétales, économiques, écologiques. Elles s’invitent désormais dans les débats sur le pouvoir, l’avenir de la planète, les minorités, les sexualités. Leur force, adossée à des plates-formes telles que Netflix, Amazon Prime Video, MyCanal ou Disney+, est considérable. Les séries participent d’un soft power mondial à l’ampleur inédite. Dans « Le charme discret des séries », Virginie Martin révèle les coulisses de cet univers : scénaristes, financements, messages. Elle montre comment ces séries, hypnotiques, peuvent aussi nous éveiller et nous stimule.</em></p>
<p><em>Ci-dessous, un extrait qui s’attarde sur les séries « queer friendly », qui évoquent les mondes LGBTQIA+.</em></p>
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<p>Août 2019, un internaute tweete : « Les gays ne sont pas nécessaires dans vos séries. » La réponse du <em>community management</em> de Netflix ne s’est pas fait attendre : « T’es pas nécessaire dans nos abonnés. »</p>
<p>Voilà, la chose est claire. Netflix, peut-être plus encore que les autres plates-formes, se veut très « queer friendly ». Dans les catégories de son catalogue, on trouve même une explicite « série LGBTQ » que la firme a fini par créer pour répondre à la demande.</p>
<p>De très nombreuses entrées concernent en effet les questions LGBTQIA+. Des séries mais aussi des films, voire des télé-crochets. La panoplie est aussi large que diverse de <em>Pose</em> à <em>Glee</em> en passant par le fameux concours de drag-queens orchestré par le célèbre RuPaul, cette drag-queen américaine devenue animateur vedette. Sans compter que, dans la quasi-totalité des séries, sont désormais mis en scène des personnages issus de la communauté LGBT+.</p>
<p>C’est le cas dans <em>Dynastie</em>, le fils de la famille Carrington se mariera avec un latino, c’est le cas du couple formé par Connor et Oliver dans <em>Murder</em>, c’est Bryan dans <em>Les 100</em>, Felix dans <em>Orphan Black</em>, Piscatella ou Piper, Nicky, Alex… dans <em>Orange is the New Black</em>. On peut aussi penser à Astrid ou Charles dans <em>Vikings</em>, Rachel dans <em>House of Cards</em>, Mr Kaplan dans <em>Blacklist</em>, Alice dans <em>Under the Dome</em>. Ce sont des personnages dotés de rôles pivot telle Kat, une des trois héroïnes de la série <em>The Bold Type</em> en couple pour la première fois de sa vie avec une jeune femme musulmane portant le voile. Il y a aussi Cyrus Beene dans <em>Scandal</em>. Il est l’éminent chef de cabinet du président des États-Unis. Dans un contexte républicain, connu pour ses valeurs plutôt conservatrices en la matière, Cyrus se mariera avec un journaliste et le couple adoptera une petite fille.</p>
<p>La série <em>American Horror Story</em>, dans la saison 7, met en scène un couple de lesbiennes ayant un petit garçon dont nous suivons le quotidien sur fond d’anti-trumpisme. Le créateur de la série Ryan Murphy, très présent chez Netflix, insère régulièrement des personnages homosexuels, lesbiens mais aussi transgenres, avec des rôles majeurs. Dans la série <em>Grace et Frankie</em>, Sol et Robert savourent une retraite paisible après avoir quitté leur femme respective et assument pleinement leur amour à plus de 70 ans. Ici, l’homosexualité n’est plus fantasmée ou hypersexualisée, elle est banalisée, volontairement normalisée comme une relation amoureuse et sexuelle parmi d’autres entre deux hommes.</p>
<h2>Façonner les représentations, désigner les choses</h2>
<p>Ces séries jouent un rôle primordial, car comme le rappelle le consultant et spécialiste des représentations LGBTQIA+ dans les médias Gabriel Harivelle(ntf-45) : « Si les choses ne sont pas représentées dans les médias, alors elles n’existent pas et sont marginalisées ; il est nécessaire que les choses soient montrées pour qu’elles deviennent réelles. »</p>
<p>Tous ces opus permettent en effet d’introduire des enjeux forts animant la communauté lesbienne et gay dans son ensemble.</p>
<p>C’est notamment le cas de la dure mais fabuleuse série It’s a Sin évoquée plus haut. Une série sur les premières années du sida à Londres. Quelques amis vivant en colocation, des rapports sexuels, des fêtes, des premières embauches, des nuits blanches, des promotions professionnelles, des amours, de l’amitié… et subitement les taches sur la peau du sarcome de Kaposi, la fatigue, le système immunitaire défaillant. Le VIH qui débarque dans ces vies insouciantes et légères. Ces vies de gens qui ont 20 ans en 1981 en Angleterre. </p>
<p>Cette série est un coup de poing sociologique qui met brillamment en perspective ces années sida : l’homophobie, la déroute médicale, les tentatives pour alerter les pouvoirs publics, les familles, la détresse. La bande-son choisie par Russell T Davies est une bombe émotionnelle : Pet Shop Boys, Queen, Blondie, Soft Cell, REM. Impossible de ne pas comprendre ce phénomène et la manière dont il a été pris en charge à ses débuts après avoir visionné cette minisérie en six épisodes. Un phénomène qui est aujourd’hui très banalisé – malgré un bilan de 30 millions de morts dans le monde à ce jour –, mais qui a été à l’époque une tempête médicale, politique et humaine largement comparable au coronavirus. Le monde des séries est aussi capable de ce genre de prouesse et d’éclairages historico-sociologiques.</p>
<p>D’autres enjeux moins tragiques traversent aussi ce monde sériel ; il s’agit notamment du mariage entre des personnes du même sexe, ou des questions liées aux enfants.</p>
<p>Parfois, un seul épisode d’une série peut avoir un impact considérable. Ce fut notamment le cas pour la série Modern Family avec la célébration d’un mariage homosexuel. Après sa diffusion aux États-Unis, les sondages ont remarqué une évolution en faveur du mariage homosexuel(ntf-46).</p>
<p>De GLOW à Sense8 en passant par The Good Wife dont l’héroïne est considérée comme « une icône gay » par la Gay and Lesbian Alliance de Chicago, la plate-forme Netflix ne cesse de rendre classiques, presque banals, les enjeux sociétaux liés à la communauté LGBTQIA+.</p>
<p>Cette imagerie permet de façonner d’autres représentations sociales, de raconter d’autres histoires, de proposer des regards différents, de faire bouger la norme bien sûr. La plate-forme a joué avec détermination cette carte dans l’Amérique de Trump, un président considéré comme raciste, sexiste et homophobe. Sur le même continent, du côté du Brésil de Bolsonaro, Netflix joue gros en valorisant clairement ce genre de propositions alternatives. Des séries brésiliennes qui sonnent souvent très juste, comme le souligne Gabriel Harivelle, avec, par exemple, la télénovela <em>La Force de la volonté</em> qui met en scène avec beaucoup de finesse le personnage trans d’Ivan. Ces choix font certainement avancer les mentalités et donc bouger les lignes, même dans une société brésilienne encore très homophobe et transphobe, indique ce spécialiste de la représentation médiatique des questions LGBTQIA+.</p>
<p>Les lesbiennes et les gays font partie du paysage des fictions et, dans cet univers, les mots ont leur importance. Dans de nombreuses séries, le terme « lesbienne » est enfin prononcé, les femmes ne sont pas « gays » ; elles sont clairement lesbiennes. Dans <em>Le Génie lesbien</em>, Alice Coffin dit d’ailleurs combien c’est son expérience américaine qui lui a permis de s’approprier sereinement ce mot.</p>
<p>De façon plus générale, le vocabulaire pour parler de l’orientation sexuelle et de la sexualité est foisonnant. Avec Netflix, les spectateurs, qui pour la plupart ne sont familiers que des seuls termes « hétérosexuels » et « homosexuels », découvrent – et du même coup se familiarisent avec – la bisexualité, la pansexualité, l’asexualité et aussi toutes les formes de transidentités en passant par la non-binarité ; tout un langage qui est d’ailleurs aujourd’hui largement utilisé dans Ici tout commence de TF1.</p>
<p>Des termes souvent très présents dans les séries qui traitent de l’adolescence avec des personnages qui ne cessent de s’interroger sur leur identité de genre et finissent par trouver les bons mots, ceux qui feront sens pour eux et pour elles.</p>
<p>Au-delà de ces présences et de ces dénominations, la volonté des séries connotées LGBTQIA+ est d’abord de raconter une histoire qui permettra de promouvoir une Amérique qui n’est pas celle du trumpisme. Une Amérique qui est du côté de New York ou de Los Angeles, mais loin du Kansas ou de l’Idaho… C’est le message de <em>The Prom</em>, le film porté par Meryl Streep consacré à une lycéenne de l’Indiana harcelée et rejetée pour cause d’homosexualité. Une troupe d’artistes sur le retour débarque de New York et la sauve de cette Amérique profonde qui semble se braquer devant la moindre différence.</p>
<p>C’est l’Amérique des séries qui aura fini par remporter les dernières élections présidentielles, celle des femmes, des noirs, des gays, des lesbiennes, des Asiatiques, des Hispaniques… de ce que l’on nomme la « woke culture » ; une Amérique qui soutient plutôt Biden-Harris, mais aussi, encore plus à gauche, des personnalités comme Bernie Sanders ou la démocrate progressiste Alexandria Ocasio-Cortez.</p>
<h2>Trouble dans le genre</h2>
<p>À la pointe des débats de société, ces créations font donc entrer dans les foyers la question des multiples identités de genre.</p>
<p><em>Pose</em> plante le décor de l’homosexualité masculine, puis très rapidement explore le genre sous toutes ces facettes. La question est lancée dès le début de la série, dans toute sa complexité : « Finalement est-ce être gay si on aime les hommes mais que l’on se sent femme ? »</p>
<p>S’ensuit une plongée dans le monde à la fois sombre – à cause des problèmes d’argent, de rejet familial, du VIH – et haut en couleur – par les travestissements, les robes étincelantes, les bodies à paillettes et les rires – de ces quelques héros que nous suivons.</p>
<p>La série est précise, elle décortique et dit le malaise lié au trouble d’un corps biologique qui ne correspond pas au corps psychique. Les personnages ne sont pas « cis », c’est-à-dire que leur assignation sexuelle de naissance n’est pas en adéquation avec leur genre. C’est Bianca, en train de se déshabiller dans une chambre d’hôtel qui, arborant son sexe encore masculin, demande à son client : « Y a bien des trucs que tu n’aimes pas toi non plus dans ton corps non ? Des parties que tu aimerais voir disparaître ? »</p>
<p>Subtilement, la série renvoie dos à dos les malaises visibles et invisibles quand le client répond : « Oui, mais les miennes sont toutes à l’intérieur. »</p>
<p>Il n’empêche, à l’image, il y a le pénis de Bianca, qui se veut femme, se sent femme, se vit femme, et que ce sexe masculin gêne, handicape même. Ce genre double, flou, rend difficile et fragilise la vie de l’héroïne.</p>
<p>Le message s’adresse autant au spectateur en phase avec Bianca qu’aux autres, à la société entière. Ce trouble dans le genre, comme le dirait la philosophe Judith Butler, est encore plus difficile à vivre dans une société qui ne veut pas en entendre parler, qui ne veut rien avoir à faire avec ça, une société qui hiérarchise les niveaux de discrimination et met les trans tout en bas d’une échelle sociale, ce que la série fait parfaitement ressortir. Alors que Bianca se fait jeter d’un bar réservé aux gays blancs de moins de 35 ans, son amie – latina et trans – lui explique : « C’était couru d’avance, tout le monde a besoin de se sentir supérieur à quelqu’un. Nous, on ferme la marche. La merde se déverse par paliers. D’abord sur les femmes puis sur les noirs, les latinos, les gays avant d’arriver en bas, sur nous. »</p>
<p>Les trans, ces derniers de cordée dans l’échelle des discriminations, le message est passé.</p>
<p>Pourtant, « ces femmes transgenres racisées et parfois travailleuses du sexe sont à l’origine de nombreuses révolutions dans les communautés queers », comme me le rappelle Gabriel Harivelle lors d’un entretien. Marsha P. Johnson, Stormé DeLarverie et Sylvia Rivera sont les initiatrices des émeutes de Stonewall que la Gay Pride commémore chaque année à travers le monde. Tout comme l’icône transgenre Cristina Ortiz disparue en 2016.</p>
<p>« Les Javis » – Javier Calvo et Javier Ambrossi – consacrent la série Veneno à ce personnage fort en gueule, dont l’influence politique a été réelle dans l’Espagne des années 1990. Cristina Ortiz, « La Veneno », a poussé les murs, a révélé sa transidentité, la violence de sa famille à son égard, sa prostitution, son illettrisme, ses galères.</p>
<p>Les séries tentent donc de rendre hommage, ou « femmage » devrais-je même dire, à toutes ces femmes en marge de la société, qui n’avaient ni famille, ni profession traditionnelle, ni image à protéger et qui ont permis à toute une génération de s’exprimer, de s’« outer », de faire sa transition.</p>
<p>Mais si <em>Pose</em> permet d’entrevoir le quotidien des trans, leurs histoires restent souvent mises en scène par des hommes cisgenres, non trans, avec leur regard qui fait écho au regard masculin – homosexuel ou pas – de nombreux réalisateurs, prévient Gabriel Harivelle.</p>
<p>Une complexité de regards et de représentations que l’on retrouve dans le télé-crochet de RuPaul. Dans ce concours de drag-queens, RuPaul, jusqu’à une date récente, a refusé les trans dans son show et les femmes cis jusqu’à nouvel ordre au grand regret de Michelle Visage, une des co-animatrices de l’émission.</p>
<p>Ces questions complexes ont été très vite dépassées pour Veneno ; en effet, l’auteure du livre biographique consacrée à Cristina Ortiz a exigé que tous les personnages trans de l’adaptation en série soient joués par des trans.</p>
<p>Au-delà de ces questions de genre et de leurs troubles, peuvent aussi se poser les questions autour de l’hypersexualisation des femmes dans les mondes drag mais aussi trans ; le personnage trans de Veneno en est un cas typique. De nombreuses féministes peuvent être très critiques au regard du fait que les femmes sont sursexualisées, voire caricaturées dans ces univers : faux seins souvent énormes, tenue minimaliste, talons aiguilles vertigineux.</p>
<p>Ce débat est au cœur de vifs désaccords entre les féministes dites libérales et les féministes radicales. Les premières voient là une liberté, une sorte d’empowerment ; les féministes radicales voient au contraire dans le phénomène drag-queen « une pratique similaire au black face », à l’instar de Marguerite Stern. « Des hommes qui s’amusent à se déguiser en femmes en caricaturant les “attributs” des femmes ; la drag-queen est une pratique profondément sexiste. Être femme n’est pas un déguisement », insiste cette ancienne Femen. « Concernant les trans, dit-elle, si la transidentité est quelque chose d’intime et de compliqué, le transactivisme est plus gênant, en tant que proposition politique qui tend à prôner les stéréotypes de genre ; je pense au fond que, quand on est un homme, même qui a fait sa transition, on n’a toujours pas un vécu de femme. »</p>
<p>Ces enjeux posés par le monde des créations sont extrêmement subtils et ils sont souvent discutés avec finesse et précision dans bon nombre d’opus dont nous venons de parler : l’univers sériel sait bouger les lignes et met au centre des questions trop souvent marginalisées.</p>
<h2>L’Hexagone</h2>
<p>En France, les personnages trans des séries semblent encore relégués aux rôles de victimes de meurtres violents, de prostituées caricaturales ou, pire, d’assassins et de monstres, comme le précise Gabriel Harivelle.</p>
<p>Ces représentations ont été abandonnées depuis longtemps chez Netflix et dans la plupart des séries américaines, comme évoqué plus haut, mais l’Hexagone s’obstine et persiste. De ce point de vue, la série <em>La Mante</em> semble caricaturale. Cet opus met en scène une tueuse en série transgenre. Sa folie et sa dangerosité sont présentées comme étant intimement liées à sa particularité transgenre et à l’échec de sa chirurgie pratiquée en Thaïlande. Ce rapport de cause à effet induit une représentation délétère de la transsexualité, comme si cette dernière avait emmené le personnage à sa folie meurtrière et au passage à l’acte. C’est comme si nous étions revenus à l’époque où Alfred Hitchcock mettait en scène Norman Bates déguisé en femme pour commettre ses crimes dans le fameux <em>Psychose</em>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/417436/original/file-20210823-26-rsw7ys.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le charme discret des series paraît le 25 août chez Humensciences.</span>
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<p>Les pays ne sont visiblement pas tous au même niveau de maturité concernant ces sujets. Mais c’est vrai qu’il y a du queer côté Netflix ! Un goût pour les identités hybrides et différentes. Loin des normes, des mises en catégorie, des cadres se voulant purs, le monde des séries nous plonge dans un « devenir hybride ». Il est métissage, créolisation, emprunt, transition, métamorphose, c’est un monde non fixe, toujours en mouvement. Ce n’est pas seulement une hybridation technologique, mais aussi culturelle, historique, sexuelle et genrée. Le cyborg théorisé par la féministe Donna Haraway ne doit pas être considéré comme un post-humain, il est aussi un concept, une hybridation, une subjectivité « bâtarde » résultant d’une fusion, non stabilisée, entre plusieurs niveaux d’identités.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.humensciences.com/livre/Le-charme-discret-des-series/85">« Le charme discret des séries »</a>, éditions Humensciences, parution le 24/08/2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les séries influencent notre façon de voir le monde. Elles s’invitent dans les débats sur le pouvoir, l’avenir de la planète, les minorités, les sexualités.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627802021-06-17T16:56:31Z2021-06-17T16:56:31Z« Friends » : les raisons d’une popularité au long cours<p>La mort de Matthew Perry, à 54 ans, acteur incarnant le charismatique et sarcastique <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/matthew-perry-chandler-de-la-serie-friends-est-mort-a-54-ans-20231029_63AAPHBKOFF6NGGTAZXVZNHHB4/">Chandler Bing</a> rappelle à quel point la série <em>Friends</em> a marqué un tournant générationnel. </p>
<p>En 2021, la sortie de l’épisode spécial de <em>Friends</em> qui avait réunit les six acteurs de la sitcom iconique, avait suscité l’excitation des fans tout en occasionnant une reprise de <a href="https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2021/05/27/friends-grossophobe-sexiste-et-homophobe-pourquoi-la-serie-reste-culte-malgre-les-critiques_6081619_1655027.html">certaines polémiques</a>. Ces dernières entouraient la série depuis son arrivée sur le petit écran états-unien, et avaient <a href="https://www.buzzfeed.com/elliewoodward/times-friends-was-actually-really-problematic">pris de l’ampleur</a> dans les années suivant sa diffusion originale.</p>
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<p>Accusée <a href="http://www.slate.fr/story/97247/friends-chandler">d’homophobie</a>, de transphobie, de grossophobie, et de misogynie, et critiquée pour son manque de diversité ethnique et racial, <em>Friends</em>, diffusée sur la grande chaine américaine NBC entre 1994 et 2004, dépasse désormais le simple statut de série télé populaire pour atteindre véritablement le niveau de phénomène culturel, et ce à l’échelle mondiale.</p>
<p>Comment expliquer l’engouement qu’entretient cette série avec ses fans, sa capacité à attirer de nouveaux spectateurs parmi des générations qui n’ont pas forcément suivi la série lors de sa première diffusion, ainsi que sa popularité durable, voire croissante, dans un contexte culturel où les spectateurs sont de plus en plus sensibles et exigeants quant à la représentation et à l’inclusion des populations marginalisées – femmes, personnes de couleur, LGTBQ+ – dans la culture populaire ?</p>
<h2>Une sitcom disponible partout, tout le temps</h2>
<p>Les réponses s’avèrent multiples et complexes et varient sans doute d’un contexte culturel et géographique à un autre. En font partie sans nul doute plusieurs raisons commerciales et industrielles : <em>Friends</em> est l’une des rares situation comedies à jouir d’une position aussi dominante sur les écrans grâce à sa diffusion quasi continue sur diverses chaînes depuis son arrêt en 2004. </p>
<p>Aussi, l’émergence de nouvelles formes de visionnage et l’accès à volonté à l’intégralité de la série rendus possible par la montée en puissance de la plate-forme streaming Netflix. Enfin, et plus généralement, l’ubiquité croissante des écrans (ordinateur portable, tablette, smartphone) dans la vie quotidienne qui va de pair avec un processus de <a href="https://teleobs.nouvelobs.com/series/20130327.OBS8007/series-tele-popularite-et-legitimite-culturelle.html">légitimation culturelle</a> de l’objet « série télé », encore dédaigné il n’y pas si longtemps (bien que l’appellation de « quality TV » demeure encore largement réservée aux séries dramatiques telles que <em>The Sopranos</em>, <em>Mad Men</em>, ou <em>Game of Thrones</em>).</p>
<p>Mais ces réponses ne sont que partielles. Après tout, suivant la logique commerciale qui régit l’industrie télévisuelle, nulle chaine ou plate-forme payerait des <a href="https://www.forbes.com/sites/dbloom/2018/12/05/netflix-warnermedia-friends-licensing-bargain-streaming-video-rights/?sh=716997d180d8">sommes aussi colossales</a> pour acquérir les droits de diffuser une série si elle n’était pas assurée d’attirer des spectateurs.</p>
<h2>Des qualités indéniables</h2>
<p>Si les spectateurs sont continuellement au rendez-vous pour <em>Friends</em> c’est grâce, là encore, à plusieurs raisons complexes et interconnectées : de jeunes acteurs hautement télégéniques et charismatiques, une écriture soignée et sophistiquée, des innovations narratologiques et génériques, un humour et un timing de comique efficaces, des personnages caricaturaux, bien définis et attachants, un univers fictionnel étoffé et rassurant, des personnages secondaires mémorables, un ancrage émotionnel fort, pour n’en citer que quelques-unes. Tous ces éléments ont contribué et continuent à contribuer au succès de la série et ce dernier épisode mise avec une très grande efficacité sur l’aspect émotionnel et la nostalgie qui en découle.</p>
<p>Ainsi, la visite des six acteurs aux plateaux de tournage spécialement reconstitués pour l’évènement, le rappel des épisodes phares (« Celui qui gagne les paris »), les relectures par les six acteurs de dialogues originaux transposés sur les scènes originales, les bêtisiers, les visites des <em>guest stars</em> très appréciées par les fans, tous ses éléments ont servi la <a href="https://www.forbes.com/sites/dbloom/2018/12/05/netflix-warnermedia-friends-licensing-bargain-streaming-video-rights/?sh=716997d180d8">cause de la nostalgie</a> pendant ces retrouvailles-spectacle, pendant près de deux heures.</p>
<h2>La recherche du consensus</h2>
<p>Mais il se peut que la véritable nostalgie autour de <em>Friends</em>, et une des raisons fondamentales qui explique son succès phénoménal et persistant en dépit de son nouveau statut de série problématique, se situe ailleurs, se trouve, en fait, au niveau générique. <em>Friends</em>, en dépit de quelques arcs narratifs dramatiques, reste avant tout une sitcom grand public qui a été conçue et produite à la toute fin de l’ère des Networks (années 1950-1990) aux États-Unis. Ce moment, très différent du paysage télévisuel actuel, est caractérisé par une offre de contenu réduite et un modèle commercial basé sur le financement des publicitaires. Une grande chaîne comme NBC doit s’assurer que son contenu sera « vendable » aux publicitaires, qu’il réponde aux goûts du plus grand nombre de spectateurs. La sitcom, le genre le plus populaire de cette période, est ainsi le genre qui, historiquement et grâce à son déploiement de l’humour, cherche systématiquement le consensus culturel.</p>
<p>En effet, la sitcom américaine est un genre qui négocie sans cesse les tensions sociétales de son époque et de son pays. C’est un espace au sein de la culture populaire qui présente et interroge les points de vue variés, parfois diamétralement opposés ; qui questionne les normes sociétales d’une époque et qui propose éventuellement des possibilités dissidentes. On peut trouver dans une sitcom comme <em>Friends</em>, dont le récit continue pendant des années, toutes sortes de messages idéologiques, car ce processus dialectique, cette exploration fine et détaillée des questions de société, ne prend jamais fin lors de la vie d’une sitcom réussie. Elle est, en fait, une source d’inspiration. Si <em>Friends</em> semble donc souvent terminer ce travail culturel par une validation ou un renforcement des hégémonies en vigueur, cela reflète avant tout les limites de son cadre commercial et industriel : une sitcom qui pousse trop loin les limites du consensus risque la censure, ou pire encore, de ne jamais voir le jour.</p>
<p>Il n’est donc pas étonnant de voir qu’à certains égards <em>Friends</em> a <a href="https://www.cosmopolitan.com/uk/entertainment/a38817/11-times-friends-sexist-homophobic/">très mal vieilli</a>. Mais ce vieillissement inconfortable reflète en fait le profond engagement et occupation de <em>Friends</em> vis-à-vis des changements sociétaux rapides et profonds qui bouleversèrent les États-Unis à la fin du XX<sup>e</sup> siècle (visibilité et acceptation accrues des personnes LGTBQ+, remise en question des normes genrées et de la composition familiale, besoin de mieux intégrer les personnes de couleur dans la culture populaire). Toujours à la recherche du compromis culturel <em>Friends</em>, comme d’autres sitcoms grand public de son époque, a pu proposer du contenu qui fait grincer les dents des spectateurs contemporains.</p>
<h2>Le reflet d’un débat sociétal</h2>
<p>Il faut donc comprendre ce contenu problématique comme faisant partie d’un processus de discussion et de négociation qui reflète l’état du débat sociétal de l’époque, comme un engagement civique. Une sitcom de cette époque télévisuelle n’a pas pour vocation d’être progressiste (bien que <em>Friends</em> l’ait été à bien des égards) mais à chercher l’adhésion du plus grand nombre de spectateurs en leur proposant un modèle, un univers acceptable à la majorité, un compromis culturel et sociétal – en cela le genre est éminemment politique. Que le compromis qu’ait trouvé <em>Friends</em> il y deux décennies déçoive certaines personnes aujourd’hui montre justement que c’est ce même consensus – les termes du compromis – qui a évolué, non pas en dépit de <em>Friends</em> mais peut-être justement, en partie, grâce à la série et au travail culturel qu’elle a entamé pendant une décennie.</p>
<p>Il n’est pas anodin de constater que les années glorieuses d’un genre aussi investi dans la négociation amiable et humoristique des tensions sociétales soient suivies par un genre dont le mode opératoire est, d’une certaine manière, situé à l’opposé de la sitcom : la télé-réalité. En rien ancrée dans le réel, ces émissions de compétition acharnée et d’individualisme exacerbé semblent, au contraire, encourager le conflit, la dissidence et la polarisation aiguë (on n’oubliera pas que l’un des présidents américains les plus clivants a affûté sa réputation grâce à sa propre émission de télé-réalité).</p>
<h2>Une série refuge</h2>
<p>Si <em>Friends</em> reste populaire, si le public demeure au rendez-vous, c’est qu’il y ait bien un effet de nostalgie à l’œuvre. Mais cette nostalgie s’étend bien au-delà du simple univers <em>Friends</em>, bien au-delà d’une affinité pour les personnages, pour les acteurs ou pour un moment historique révolu. La nostalgie pour <em>Friends</em>, et la raison pour laquelle tant de personnes continuent à l’apprécier en dépit de son décalage avec nos sensibilités et normes actuelles, est, en réalité une nostalgie pour un procédé culturel qui ne prédomine plus sur le petit écran : une recherche de consensus et de compromis.</p>
<p>Dans cette nouvelle écologie télévisuelle fragmentée, la sitcom en tant qu’objet culturel ne peut plus occuper sa place d’avant, ne peut plus assumer son rôle de négociatrice culturelle. Aussi, il semblerait que les goûts du public ne tendent plus forcément vers le consensus mais plutôt vers la confrontation, la revendication et l’individualisme. Vouloir se réfugier dans un épisode de <em>Friends</em>, série doudou (certes un peu moisie et galvaudée), n’est finalement pas si difficile à comprendre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jessica Thrasher Chenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment expliquer l’engouement qu’entretient cette série avec ses fans, sa capacité à attirer de nouveaux spectateurs ?Jessica Thrasher Chenot, Docteure en études anglophones, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559122021-06-10T21:56:57Z2021-06-10T21:56:57ZUne leçon de théorie de l’art avec Rahan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/404800/original/file-20210607-17-2xdz59.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C48%2C2135%2C945&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, Rahan, La bête plate.</span> <span class="attribution"><span class="source">Avec l'aimable autorisation de Jean-François Lécureux. </span></span></figcaption></figure><p>Après une longue période pendant laquelle les musées sont restés fermés, le moment semble opportun pour reposer la question de la nécessité de l’art. C’est peut-être le moment de profiter de l’ouverture des librairies et bibliothèques pour nous replonger dans une bande dessinée populaire qui, entre autres grands mérites, a posé pour une génération de lecteurs les jalons d’une théorie de l’art aussi critique que pointue.</p>
<p>Le scénariste et le dessinateur de Rahan, Roger Lécureux et André Chéret, n’ont cependant jamais manifesté un quelconque intérêt pour l’art ou pour les ouvrages d’esthétique. Mais le pragmatisme dont ils dotent leur héros les amène à lui prêter un regard pour le moins sceptique sur les manifestations artistiques des âges farouches, assimilées à des cultes fatalement trompeurs. L’esprit critique de Rahan en matière d’art semble bien sûr moins devoir au paléolithique qu’au positivisme scientifique et à l’anticléricalisme propre à ses auteurs.</p>
<p>Rahan rencontre l’art pour la première fois dans <em>La bête plate</em> (janvier 1970). D’abord subjugué par le mimétisme des silhouettes peintes, il ne peut ensuite adhérer à la démonstration de superstition dont elles font l’objet. Les hommes du clan croient en effet que s’ils arrivent à toucher les bêtes peintes de leurs tirs, alors la chasse sera bonne. Rahan soutient que la seule façon de s’en servir, c’est en tant que cibles d’exercice : il n’y a aucune magie là-dedans, juste du travail, de l’habileté et du bon sens. Rahan ne se prononce pas sur le statut du peintre, qui reste un inconnu dans cet épisode. C’est le statut du spectateur qu’il interroge, celui d’un usager de l’art qui ne doit pas se laisser abuser par les séductions de l’œuvre ni se cantonner dans un rôle trop passif de regardeur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=512&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=512&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=512&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/386765/original/file-20210226-15-7i2cxy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>La bête plate.</em></span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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<p>Cette démonstration que les images ne servent à rien n’est qu’une étape de la critique radicale de l’art que Rahan mènera dans <em>La caverne des tromperies</em> (juillet 1975). Là, il rencontre un vieil homme qui peint d’admirables animaux au fond d’une grotte.</p>
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>La caverne des tromperies</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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<p>Mais le vieux peintre est aussi le cerveau d’une escroquerie : les chasseurs du clan – autant dire les prolétaires du Paléolithique – se prosternent devant ses images et lui versent un tribut lorsque la chasse est bonne. Ce sont ses fils, en fait, qui déposent du gibier là où il conseille les chasseurs d’aller. La leçon est claire : quand il revendique une part de magie, l’artiste est un voleur, un traître à la société.</p>
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>La caverne des tromperies</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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<p>Le peintre, d’ailleurs, a parfaitement conscience de son imposture, et méprise les chasseurs qui croient en son pouvoir.</p>
<p>Une autre escroquerie à la peinture se révèle encore plus sinistre. Dans <em>L’île des morts-vivants</em> (octobre-novembre 1975), des hommes très primitifs, incapables de parler, et cannibales de surcroît, sont tout de même parvenus à dresser des gorilles à leur amener de la chair humaine fraîche. Ils peignent un squelette humain sur les corps des primates, de manière à ce que les tribus crédules des alentours croient voir apparaître des spectres dans la nuit. Si l’aspect très fruste de ces cannibales peut sembler en contradiction avec leur maîtrise de la technique du trompe-l’œil, faut-il comprendre que les habiletés de la peinture ne constituent pas un marqueur de civilisation ?</p>
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>L’île des morts-vivants</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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<p>Dans ces deux derniers cas, il apparaît clairement que ce qu’on appelle l’art n’est pas une qualité inhérente à une image ou à un objet, mais tout un dispositif social dans lequel l’image ou l’objet se trouve pris. Pour preuve, <em>La mère des mères</em> (octobre 1973) montre un clan de Noirs esclavagisés par des Blancs pour transporter et ériger une gigantesque pierre en forme de déesse de la fécondité. L’important n’est pas la singularité formelle de la pierre, qui fortuitement ressemble à une déesse ce qui compte, ce sont les inégalités sociales que révèle cette singularisation.</p>
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>La mère des mères</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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<p>L’escroquerie au gibier, les gorilles squelettes, la pierre divinisée : trois situations où l’art est un dispositif social, articulant des artisanats remarquables, un public trompé, et, entre les deux, un régime de relation basé sur le mensonge, la volonté de pouvoir et la capitalisation. Dans ce système de l’art, les objets sont interchangeables. Croire en l’objet est une impasse.</p>
<p>Pour comprendre d’où vient le prétendu pouvoir de l’icône, pour démonter les supercheries qui y sont associées, Rahan se livre à des enquêtes dignes d’un archéologue ou d’un historien de l’art. Ainsi tombe-t-il un jour en arrêt devant une colossale statue de pierre qui se dresse au beau milieu d’un lac. Une tortue géante habite ces eaux, et le clan du rivage a pris l’habitude de lui sacrifier des nouveau-nés. L’aura divine qui entoure le monstre ne vient pas de sa taille ou de sa force, mais bien de la statue, et plus particulièrement du fait que sa présence au milieu d’une eau profonde reste, techniquement, inexplicable.</p>
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>Le secret de Wandaka</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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</figure>
<p>S’il veut mettre fin aux sinistres sacrifices, Rahan doit démontrer au clan du rivage que la présence de la statue n’a rien de magique ou de divine, et qu’elle a bien été façonnée par des hommes astucieux. Il plonge pour retrouver des traces d’outils, il émet plusieurs hypothèses… Finalement, une modélisation accidentelle avec son coutelas fiché dans le sable lui apporte la solution : des hommes ont autrefois découvert une immense roche qui affleurait, et l’ont excavée au fur et à mesure qu’ils la sculptaient. Des infiltrations de sources ont ensuite rempli l’immense cuvette ainsi formée, la transformant en lac.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>Le secret de Wandaka</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
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</figure>
<p>Si les histoires de Roger Lécureux sont astucieuses, il faut aussi rendre hommage au génie du dessinateur André Chéret, et à sa manière de mettre en scène des discussions et des moments de réflexion comme des actions à part entière. Chéret confessait qu’il avait, par facilité, pris ses mains et ses pieds comme modèles de Rahan, et sans doute aussi son visage. Cette projection du corps du dessinateur dans la case donne naissance à un univers narratif où dominent les mains qui désignent, qui manipulent pour comprendre, ainsi que des expressions faciales très variées, de cogitation, de désaccord… C’est toute une rhétorique visuelle de l’investigation, de la persuasion, de l’intelligence que Chéret a construite sous couvert de gros muscles et de bêtes hostiles.</p>
<p>Soumis à de telles manipulations, qu’elles soient physiques ou mentales, les objets mystérieux que croisent Rahan finissent, comme la statue au milieu du lac, par être totalement démystifiés. Rien d’étonnant à ce que Rahan favorise l’approche rationnelle et pragmatique de ce qu’on appelle aujourd’hui les arts appliqués. Son nomadisme l’incitant à la parcimonie (ses possessions matérielles se résument à un slip de peau, un couteau d’ivoire et un collier de griffes), il porte une attention très sélective à tout objet susceptible de combler un besoin.</p>
<p>L’exemple le plus important en est la gaine de son coutelas. Portée à la ceinture, juste sur la cuisse nue, l’arme menace de lui entailler la peau à chaque mouvement. Rahan commence par la protéger d’un étui en bambou ; puis il utilise une longue queue de panthère, dont la frime révèle son peu de fonctionnalité. Il lui faut douze épisodes pour enfin fabriquer la gaine souple en peau de lézard qui ne le quittera plus.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>La jeunesse de Rahan</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une planche tardive de 1989, dans <em>La jeunesse de Rahan</em>, synthétise ce tâtonnement, cette succession d’essais et d’erreurs, qui dans la dramaturgie de Rahan réunit les arts appliqués et la démarche scientifique. L’artiste accompli, selon, Rahan, c’est finalement l’ingénieur, qui met sa créativité et son observation de la nature au service de la société.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Roger Lécureux et André Chéret, <em>Les singes hommes</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation de Jean‑François Lécureux</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a une très belle scène, digne d’un artiste conceptuel, en ouverture des <em>Singes hommes</em> (décembre 1971), où Rahan sculpte, avec son coutelas d’ivoire, un faux coutelas en bois. En sculptant, il médite sur le fait que cette représentation serait inutilisable. Son visage concentré reflète aussi une intense mélancolie : celle de l’individu qui invente en même temps l’art et son dépassement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155912/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Baryga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’esprit critique de Rahan est le reflet direct du positivisme scientifique et de l’anticléricalisme de ses créateurs.Philippe Baryga, Maître de conférences en didactique de l'art, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1526022021-06-07T19:58:28Z2021-06-07T19:58:28ZSphère publique : la pensée est-elle vraiment en péril ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403822/original/file-20210601-27-3uvol0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C7%2C1002%2C653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c6/Think_Less_Stupid_More_%2815349952836%29.jpg/1024px-Think_Less_Stupid_More_%2815349952836%29.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Bien des personnes attachées à la culture classique, à la véracité des informations et à un débat public fondé en raison se sentent accablées par la décomposition apparente de la sphère publique. Les signes s’accumulent en effet pour alimenter cette inquiétude : consécration des influenceurs en ligne, paupérisation du journalisme de qualité, victoires politiques d’idées simples et de tribuns charismatiques, trivialisation de la production culturelle, brutalité des convictions propagées sans délais ni recul sur les réseaux sociaux…</p>
<p>Les symptômes évoqués – et ce ne sont pas les seuls – sont bel et bien alarmants. Mais peut-être la pensée des humanistes gagnerait d’abord à s’assurer qu’elle ne cède pas, elle aussi, à la facilité d’une opinion instinctive. Et même à se demander si elle ne contribue pas, par ses propres certitudes, à aggraver les dangers qu’elle redoute.</p>
<h2>Une tradition d’affliction</h2>
<p>« Vous ne m’entendrez point entonner une déclamation mille fois rebattue contre le siècle présent ; déclamation héréditaire, que l’on tient de ses pères et que l’on transmet à ses enfants » assurait en 1777 un chroniqueur culturel du premier quotidien francophone, <a href="http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0682-journal-de-paris"><em>Le Journal de Paris</em></a>. On sait cependant que cet héritage bimillénaire a continué à se transmettre de génération en génération, son capital se gonflant au fil des progrès technologiques et de l’élargissement des publics. </p>
<p>C’est ainsi qu’au XIX<sup>e</sup> siècle, Sainte-Beuve pouvait tempêter contre l’envahissement d’une <a href="http://agora.qc.ca/documents/la_litterature_industrielle">« littérature industrielle »</a> au rabais, Tocqueville analyser la médiocrité des goûts et des renommées culturelles comme une fatalité des sociétés démocratiques, Zola s’inquiéter de <a href="http://www.momentspresse.org/espaces/ZOLA.pdf">« l’état de surexcitation nerveuse »</a> dans lequel les informations télégraphiques plongeaient ses contemporains. Et, des deux côtés de l’Atlantique, des journalistes déplorer l’accélération de l’information, le raccourcissement de l’attention des lecteurs et l’abaissement de leurs attentes :</p>
<p>« Les jeunes d’aujourd’hui réclament une différente sorte de lecture que celle qu’appréciaient leurs parents et grands-parents. La majorité de la génération actuelle ne peut pas s’arrêter assez longtemps pour capter plus que l’écume de l’actualité. » (<em>The Journalist</em>, 1887, p. 2, ma traduction).</p>
<p>Le souvenir des paniques d’hier permet de relativiser les inquiétudes d’aujourd’hui ; il ne suffit pas à les écarter. Outre que les fausses alarmes ne préjugent jamais de l’alerte suivante, le contexte contemporain est profondément transformé par l’essor des réseaux de communication, mais aussi, <a href="http://www.puf.com/content/Apocalypse_cognitive">comme le souligne Gérald Bronner</a>, par l’évolution des conditions de vie qui a considérablement accru le « temps de cerveau » disponible pour recourir compulsivement à ces réseaux. Et même sans ces technologies, les flambées de fanatisme collectif qu’a connu le XX<sup>e</sup> siècle suffisent à rappeler que l’espace commun de la culture et du débat reste vulnérable aux pires dérives.</p>
<p>Cet <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2014-3-page-77.htm">espace de la communication publique</a>, marché hétéroclite sur lequel les articles de presse et les œuvres littéraires, les tweets et les contenus vidéo se disputent âprement une attention éphémère, se prête d’autant mieux à la déploration qu’il est facile de s’en faire une opinion (et la mienne n’est pas plus enthousiaste que celle de la plupart de mes homologues socioculturels). Mais s’il est aussi important qu’on le dit, cet espace gagnerait à se voir appliquer la célèbre <a href="https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Page:%C5%92uvres_de_Spinoza,_trad._Saisset,_1861,_tome_II.djvu/421&oldid=8712856">résolution de Spinoza</a> : ne pas déplorer ni maudire mais comprendre.</p>
<p>Une façon de le comprendre sans trop d’a priori est de le considérer justement comme un <a href="http://parution.info/Valinfos_EspaceMedias">vaste marché des idées</a> sur lequel tous les contenus, érudits ou frivoles, fiables ou infondés, rivalisent pour obtenir une part de l’attention du grand public. Celui-ci a-t-il « tort » de l’allouer à tant de billevesées ? Quiconque le pense ferait bien de regarder d’abord l’historique de son propre navigateur Internet. </p>
<p>Avant même l’essor des réseaux électroniques, <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/2096460.pdf">Peterson et Kern</a> n’avaient pu dénicher, sur plus de 10 000 personnes interrogées en 1982, que 10 répondants assez raffinés pour ne compter dans leur menu culturel aucun des genres associés aux classes moyennes et populaires. Le déterminisme social des préférences culturelles et médiatiques n’a cessé de s’affaiblir au fur et à mesure que les technologies (la presse rotative, la radio…) et le gonflement des publics déstabilisaient le cercle des contenus « légitimes » au profit d’offres nouvelles, toujours dénoncées comme indignes.</p>
<h2>Les valeurs sociales face aux affinités cognitives</h2>
<p>Le problème de la déploration lettrée n’est pas qu’elle est infondée – comme le clament à l’inverse les relativistes néophiles – ni même qu’elle s’accommode parfois d’un brin d’hypocrisie individuelle, c’est surtout qu’elle est borgne et de ce fait impuissante.</p>
<p>Dénoncer le populisme, les fausses nouvelles ou la culture au rabais, c’est faire de normes de valeur la seule clef d’interprétation des préférences communicationnelles. Or, la hiérarchie des valeurs n’explique qu’en partie les choix sur le marché des idées. Ceux-ci sont tout autant motivés par une autre force, connue elle aussi depuis longtemps. Théorisée – entre autres – par <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Hume_david/traite_nature_hum_t3/traite_nature_hum_t3.html">David Hume</a> au XVIII<sup>e</sup> siècle, soutenue par 150 ans de recherches psychologiques et très visible dans les statistiques de consommation culturelle, cette autre force, la détermination hédonique des goûts, n’implique que le plaisir et le déplaisir. Ou, selon sa redécouverte moderne par <a href="http://www.dan.sperber.fr/wp-content/uploads/2004_wilson_relevance-theory.pdf">Sperber et Wilson</a>, sur le rapport entre effet et effort cognitif qui conditionne la pertinence d’une information. Une conception coûts-bénéfices parfaitement asociale, aveugle aux valeurs culturelles, et à ce titre tout aussi insuffisante que l’opposition normative entre le légitime et l’illégitime.</p>
<p>Les gens, les vrais, y compris ceux qui multiplient les fautes d’orthographe sur les réseaux sociaux (mais aussi ceux qui lisent les bons auteurs et savent distinguer une information d’une sornette), ne sont ni les jouets de la pertinence cognitive ni ceux de la convenance sociale. Ils sont, comme chacun de nous guidés dans leurs préférences par leur propre façon d’équilibrer ces deux dimensions. Et ils se soucient assez peu de la <a href="https://www.youscribe.com/BookReader/Index/814157/?documentId=785223">vieille rivalité universitaire</a> entre les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2010-4-page-641.htm">explications sociologiques et psychologiques</a> des goûts. Cependant, les enjeux de cette question dépassent aujourd’hui largement ceux d’une concurrence interne au monde académique.</p>
<h2>Les rapports changent, les logiques demeurent</h2>
<p>L’hypothèse d’une détermination double des préférences, à la fois par la convenance sociale (le légitime contre le réprouvable) et par la pertinence cognitive (l’effet cognitif contre l’effort cognitif), éloigne la perspective d’un écroulement chaotique du marché discursif. Dans une partie de cartes, les mains des joueurs ont plus ou moins de valeur d’une donne à l’autre, mais les règles ne changent pas : maudire le sort est donc moins avisé que de bien comprendre le jeu, surtout lorsque les tricheurs abondent.</p>
<p>Sans entrer dans la <a href="https://www.jbe-platform.com/content/journals/10.1075/forum.15.2.02lab">nomenclature des composants de l’effort et de l’effet cognitif</a>, dont le détail serait assez long, il est aisé de remarquer que les facteurs d’effet dits de « bas niveau » (les plus spontanés) favorisent non seulement le succès commercial de certaines œuvres – films d’action, vidéos érotiques, livres pratiques… – mais aussi celui des fausses nouvelles, qui excellent justement à produire beaucoup d’effet pour le peu d’effort qu’elles demandent. De même, les discours qualifiés de « populistes » reposent à la fois sur des idées simples et des assertions électrisantes. À l’inverse, le doute et la nuance réclament plus d’effort cognitif et produisent moins d’effet : la réalité est souvent bien terne.</p>
<p>On se tromperait pourtant en croyant que l’attrait de la pertinence cognitive est plus puissant aujourd’hui qu’hier. Ce qui a surtout changé, c’est, de l’autre côté, l’<a href="https://www.telerama.fr/idees/devenons-nous-incultes,82262.php">affaiblissement des normes</a> sociales traditionnellement portées par l’élite discursive, mais aussi leur fragmentation face aux convictions de communautés plus restreintes.</p>
<h2>La dangereuse tentation du dédain</h2>
<p>Devant la désacralisation de la parole publique, ceux qui ne peuvent se contenter de se réfugier avec leurs pairs dans un Olympe intellectuel sont souvent tentés de dégrader leur propre discours pour le « mettre à la portée » de ceux à qui ils s’adressent. C’est là mal comprendre le public, jeune ou non, dont le droit de <a href="https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/68267-dynamique-de-l-insignifiance-une.pdf">rejeter des messages vides de sens</a> n’est pas un signe de futilité. Rien n’indique que la capacité ou l’envie de comprendre (qui est un facteur d’effet de haut niveau) se soit affaiblie, au contraire. Ni que la crédibilité d’une information ne soit pas un moyen de la distinguer.</p>
<p>Bien qu’accablés par la prédation des réseaux sociaux sur leurs revenus, plusieurs journaux sont engagés dans la bataille de l’intérêt. Des responsables politiques ou administratifs délaissent lentement les postures normatives condescendantes et les formules abstraites. Des enseignants et même des critiques culturels s’interrogent sur la valeur de l’ineffable pour d’autres qu’eux.</p>
<p>Les temps changent, en effet, mais ce qui disparaîtra peut-être, c’est l’antique propension de la noblesse discursive à compter sur la primauté de valeurs transcendantales – le devoir de savoir, la nécessité d’obéir, la supériorité d’une œuvre, l’importance d’une information… – sans éprouver le besoin de les justifier et d’y intéresser. Si telle devait être la seule victime, on ne la regretterait pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152602/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Labasse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ne pas déplorer ni maudire mais comprendre : telle semble la juste attitude pour ceux qui s’inquiètent d’un débat public dont le niveau leur semble indigent.Bertrand Labasse, Professeur à l'Université d'Ottawa, ESJ Lille (École supérieure de journalisme de Lille)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1613652021-05-21T11:03:57Z2021-05-21T11:03:57ZCorps à corps à l’Eurovision<p>Le Concours Eurovision de la Chanson (<em>Eurovision Song Contest</em>) est de retour ! </p>
<p>Finie la post-Eurovision depression, qui affecte les fans les plus assidus au lendemain de la finale du concours. La déprime aura duré près de vingt-quatre mois. </p>
<p>Cette année, en effet, l’Union européenne de Radio-Télévision avait anticipé les dernières restrictions sanitaires à travers plusieurs scénarios d’organisation (notamment en enregistrant au préalable chacune des prestations concurrentes, les live-on-tape) afin de maintenir l’événement à Rotterdam.</p>
<h2>Piqûre de rappel</h2>
<p>L’ESC est l’un des plus anciens produits culturels d’ambition internationale de l’ère des radio-télécommunications. Il a été <a href="http://www.eurovision-fr.net/histoire/histoire.php">lancé en 1956</a> par une poignée de pays désireux de jouer du <em>soft power</em> pour redonner aux populations meurtries par les guerres la curiosité de l’autre et retrouver du même coup le goût du respect des traditions de chaque zone, pays ou région euro-occidentaux. Le concours a survécu aux différentes révolutions techniques et politiques de l’espace européen, entendu dans une acception à la fois large et fluctuante.</p>
<p>Événement à la fois musical et linguistique dans les attentes qu’il suscite, radiophonique et télévisuel – et largement amplifié par le moyen du web – dans sa médiatisation et sa réception, politique et pop-culturel dans sa singularisation, l’ESC est également de plus en plus théâtralisé. En tant que « spectacle vivant », il est désormais un moment attendu par des milliers de fans qui se font l’écho de centaines de millions de radio et téléspectateurs et qui, par leur présence en chair et en os pendant que d’autres suivent les performances à distance, ancrent l’onde d’activités sur les réseaux sociaux dans une réalité indispensable.</p>
<p>De fait, le concours était autrefois traversé par la puissance du folklore, et pour cela fut considéré comme ringard après quelques décennies. Mais ces mêmes archaïsmes esthétiques ont été assumés et ont procuré une nouvelle force au programme, porté aujourd’hui tout autant par le goût assumé du kitsch que les excès de <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/07/19/mode-le-style-camp-emerge-la-ou-la-droite-conservatrice-domine_5491212_4497319.html"><em>camp style</em></a>. Désormais, cet espace de choix, qui profite d’un nouveau souffle boosté par un marketing calibré depuis une quinzaine d’années, constitue un écrin incomparable pour l’expression des diversités (sociales, de genre, communautaires…).</p>
<h2>La voix du corps</h2>
<p>Que ces jeux eurolympiques de la chanson suscitent, en fonction des pays ou des années, la moquerie ou l’encensement importe peu à ceux qui s’y intéressent de près. Pour comprendre le phénomène, les apports des <a href="https://journals.openedition.org/volume/7457"><em>cultural studies</em></a> et des <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/23451">études statistiques ou linguistiques</a> restent, au même titre que les approches théâtrales ou musicales, fort utiles. Mais on peut aussi se focaliser simplement sur la place conférée à un élément pendant le concours pour y voir plus clair : le corps. Le sujet, parcouru par les <a href="https://hull-repository.worktribe.com/output/377834/introduction-gender-and-geopolitics-in-the-eurovision-song-contest"><em>gender studies</em></a>, permet d’une part de sonder le pouvoir d’identification que comporte un tel produit médiatique à dimension globale, et d’autre part de percevoir les enjeux politiques qui se scellent derrière certains choix techniques, artistiques ou performatifs.</p>
<p>En l’occurrence, le corps a été l’un des grands perdants de la période pandémique, confiné comme il est/fut dans son petit pré carré d’intimité, c’est-à-dire aux antipodes de l’écho planétaire du programme ESC. Dans ce qu’il dit d’une identité, le corps se révèle comme l’un des objets principaux du concours Eurovision, au même titre que la voix des artistes. Fièrement costumé, savamment dénudé, canonisé ou justement altéré jusqu’à la monstruosité, le corps se présente comme un support d’engagement politique de première importance et se voit chargé d’incarner des thèmes brûlants : droits de chacun, acceptation de soi, lutte pour l’égalité entre les sexes, les âges…</p>
<h2>« Mix & Switch »</h2>
<p>Au cours de l’ESC 2019 (la dernière version « régulière », qui se tint à Tel-Aviv), une nouvelle séquence s’est définitivement installée dans le spectacle final : le « Mix & Switch », ou <a href="https://eurovision.tv/video/switch-song-with-conchita-wurst-maans-zelmerloew-eleni-foureira-verka-serduchka-eurovision-2019">« Switch Song »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/M1cjEuT_uvg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce moment doit être considéré comme fondateur dans la construction du mythe <em>in progress</em> du concours, au même titre que les cartes postales de présentation des pays ou que les présélections nationales, justement parce qu’il mélange sujets politiques et monstration des différences, à travers la variété des corps et des styles, tout en étant détaché de la compétition qui a lieu.</p>
<p>Placé au moment de l’<em>Interval act</em>, c’est-à-dire après l’ensemble des prestations chantées des concurrents de la finale, et juste avant le lancement de la longue et mythique session de vote, le « Switch Song » a vu cinq artistes interpréter des chansons désormais considérées comme des tubes dans le domaine ESC – ce qui au passage a enfoncé le clou d’un répertoire propre à l’Eurovision : l’autrichienne Conchita Wurst, qui triompha au concours à Copenhague en 2014 ; le suédois Måns Zelmerlöw, vainqueur l’année suivante à Vienne avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5sGOwFVUU0I"><em>Heroes</em></a> ; Eleni Foureira, favorite des bookmakers pour l’édition 2017 (finalement remportée par la représentante israélienne, Netta), lors de laquelle elle représenta Chypre avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vyDTbJ4wenY"><em>Fuego</em></a> ; Verka Serduchka, autre incontournable de la galaxie eurovision, interprète de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hfjHJneVonE"><em>Dancing Lasha Tumbai</em></a> qu’il présenta pour l’Ukraine en 2007 ; et Gali Atari, qui avait remporté le concours en 1979 avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=W75kmzHkm8o"><em>Hallelujah</em></a>.</p>
<p>Le choix des cinq artistes répondait à une double nécessité : représenter un panel des pays concourant à l’Eurovision (du nord au sud, d’est en ouest) ; promouvoir l’ouverture à la différence et au respect, thèmes dont les artistes qui font délégation se font les chantres.</p>
<p>Par ailleurs, le Switch Song de 2019 a instauré un système d’échange qui voyait un chanteur réinterpréter stylistiquement le tube de son acolyte, comme un hommage autocentré où le travestissement musical faisait écho à la transgression corporelle devenue norme. Ce système du mélange mettait en branle un subtil jeu de liens nouveaux, un tuilage des formes et des combats, qui renforce l’ESC dans son rôle d’espace apolitique-politisé. </p>
<p>La question du corps a été déterminante dans le choix des interprètes. Par exemple, C. Wurst et V. Serduchka sont deux personnages symboliques : la première est incarnée par le chanteur et drag queen Thomas Neuwirth, la seconde est un travesti qui prend les traits d’une femme forte vêtue de lumière et d’acier. Dans le Switch Song de 2019, Conchita était justement recouverte d’un tulle transparent, offrant ainsi sa masculinité féminisée au public qui l’avait découverte en madone barbue dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SaolVEJEjV4">« Rise Like a Phoenix »</a>, tandis que Verka conservait l’accoutrement cosmique et les formes généreuses qui font sa renommée.</p>
<p>Ces caractéristiques étaient contrebalancées par les variations corporelles bien plus conformistes des trois autres artistes participant au Switch Song. Zelmerlöw est un parfait bellâtre venu du nord, qui fait la une des magazines et envahit les médias nordiques depuis des années. La Gréco-Albanaise Foureira exposait une peau et une chorégraphie parfaitement huilées, alternant mouvements endiablés et déhanchés propres à réunifier un pays. Le tout exécuté dans un costume réduit au minimum, fait de trois étoiles érotiquement et stratégiquement placées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La séquence Switch Song, en 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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<p>Enfin, Gali Atari (née en 1953) donna au public un bel exemple de longévité à toute une génération de fans et participants de l’Eurovision : au milieu des quatre artistes précédemment cités, elle semblait la plus jeune du lot : miracle de l’esthétique en terre promise !</p>
<p>Le corps fut donc célébré dans tous ses retranchements, d’autant que les rondeurs revendiquées de Netta (gagnante du concours en 2018), puis l’intemporalité ostentatoire de l’indétrônable icône de la pop music Madonna, complétèrent le tableau de ce (trop) long entracte. </p>
<p>L’Eurovision est définitivement passée de la période post-Abba – qui a traîné jusqu’à la fin du siècle dernier – à l’ère de la corpo-choralité.</p>
<h2>Voilà 2021</h2>
<p>De l’hymne aux corps de Tel-Aviv, nous avons sauté à pieds joints dans le corps des hymnes de Rotterdam. Le slogan (un autre aspect marketing hautement significatif du concours) de cette édition était « open up » : un appel à l’ouverture, des oreilles, des yeux, des portes et des bras. En somme, une invitation à la différence qui devait, une nouvelle fois, ravir les communautés qui au cours des dernières décennies ont trouvé dans l’ESC un espace d’exhibition et d’expression, à l’échelle mondiale, et à leur mesure.</p>
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<p>Occasion rêvée pour les artistes qui, plutôt que de porter un message autre (bien que tout message politique soit interdit au concours, toute thématique engagée obtient souvent les faveurs du public et du jury) ont été invités à parler d’eux-mêmes. Oui, les artistes aussi ont vécu leur diaspora cette année à travers la crise du Covid. Pire, parmi eux, les chanteurs ont fait particulièrement les frais des restrictions anti-gouttelettes. Que d'hommages à la profession du spectacle au moment où chacun des représentants des jurys nationaux a annoncé ses préférences, au terme de la soirée !</p>
<p>Il y avait de quoi donner des ailes à la délégation française qui, portée par la jeune Barbara Pravi, entendait bien, dans son hymne piafesque, embrasser le corporatisme du <a href="https://www.eurovision-france.fr/eurovision-2021-le-turquoise-carpet-ouvre-le-concours/">« Turquoise Carpet »</a>, et dire bravo et merci à tous les artistes qui manquent à nos quotidiens et ne demandent qu’une chose : se mettre à nu.</p>
<p>La chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kTaOHpWz3og"><em>Voilà</em></a> a été plébiscitée, mais elle a été devancée d'un cheveu par l'envie de pogo incarnée par Zitti e buoni (littéralement « Chut ! Couchés ! ») des Italiens Måneskin.
Enfin, on s'attendait à un nouveau Switch Song en 2021 : hélas, il n'en fut rien, même si cette édition nous a réservé son lot de surprises (profusion des plumes, retour de l'esthétique des années 80, effets vidéos à couper le souffle). Probablement les conditions spéciales de réalisation du concours (l'ancien lauréat, Duncan Laurence, par exemple, a dû renoncer au prime au tout dernier moment) ont freiné les ambitions de mise en scène. Néanmoins, même si les prestations en live, et en groupe, ont visiblement été entravées, le répertoire ESC a été célébré comme il se doit. Nul doute que le format du Switch Song reviendra à Rome l'année prochaine, d'autant que les vainqueurs auront à cœur de remettre leur corps à rude épreuve en dialogant avec deux autres figures légendaires : Toto Cutugno et Gigliola Cinquetti.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Resche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le concours de la chanson est devenu au fil du temps un écrin incomparable pour l’expression des diversités.Stéphane Resche, PRAG (PhD) / Associate researcher, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604092021-05-19T16:35:01Z2021-05-19T16:35:01ZPourquoi les festivals nous manquent vraiment<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401574/original/file-20210519-23-ala99k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C0%2C3898%2C2579&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Communion émotionnelle à Tomorrowland Belgium, en 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Nico Didry</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Même si l’heure est à la réouverture des lieux culturels, nous n’aurons pas tous l’occasion de retrouver notre fameux rendez-vous de l’été pour la deuxième année consécutive une <a href="https://www.franceinter.fr/culture/annulations-reports-ou-en-sont-les-festivals-de-l-ete">grande majorité des festivals de musiques actuelles étant reportés à 2022</a>. Avec plus de <a href="https://www.touslesfestivals.com/actualites/le-bilan-des-festivals-de-lannee-2019-191219">7,5 millions de festivaliers en 2019 uniquement sur les gros festivals de musiques actuelles français</a>, ces rassemblements festifs sont bien ancrés dans l’imaginaire estival, au même titre que le Tour de France. Mais plus qu’une activité culturelle ou de loisir, le festival revêt une fonction sociale bien spécifique. Il s’agit ici de resituer le rôle de ces rassemblements devenus des rituels communautaires, avec une approche à la fois anthropologique, ethnologique et sociologique de la fête. En quoi le festival répond-il à nos besoins d’un point de vue social ?</p>
<h2>Communion émotionnelle et tribalité</h2>
<p>Selon l’approche postmoderne, le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01439617v1">phénomène de société lié aux festivals, associé à une croissance de sa démographie</a> – quantité de public, nombre d’événements – peut être envisagé dans le contexte global d’un retour des alchimies festives et du culte du plaisir, faisant la part belle aux affects et des émotions. Cet engouement représente le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/homo-eroticus-michel-maffesoli/">« triomphe du vouloir-vivre collectif sur l’individu, de la joie dionysiaque sur les morales arides »</a>. En somme, il correspond à une tendance sociétale fortement ancrée dans laquelle les rassemblements humains festifs ou sportifs ont pris une ampleur considérable.</p>
<p>Le festival est donc à aborder par la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2015-8-page-353.htm">notion du lien</a> et de la communauté, dans la mesure où <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/49-neo-marketing-reloaded.html">il répond, au travers de cette valeur de lien, au besoin des individus « postmodernes » de satisfaire leur désir de communauté</a>. La pratique festivalière s’envisage alors <a href="https://www.researchgate.net/publication/281355049_L%27Experience_de_Consommation_de_Spectacles_Vivants_de_Nouvelles_Perspectives_de_Recherche">au travers du lien social comme un phénomène tribal</a> dans lequel les festivals constituent une <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">« transhumance culturelle, un nomadisme festif »</a>. </p>
<p>Dans ces tribus, même éphémères, ce qui prévaut, c’est d’être relié à l’autre, « de développer un sentir en commun et de faire de l’être ensemble le cœur de ces rassemblements » selon <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2009-2-page-27.htm">Ferrand</a>. Il n’y a pas de finalité sinon le plaisir d’être là et de vivre ensemble ces effervescences musicales. Au-delà de la programmation, la <a href="https://www.researchgate.net/publication/311969851_Les_dynamiques_emotionnelles_collectives_dans_la_consommation_experientielle_approche_ethnomarketing_de_l%27experience_de_festival">motivation première de nombre de festivaliers est de partager leurs émotions, de vivre une expérience émotionnelle collective</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/festivals-et-concerts-en-temps-de-covid-19-une-experience-emotionnelle-appauvrie-158806">Festivals et concerts en temps de Covid-19 : une expérience émotionnelle appauvrie ?</a>
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<h2>Permettre l’évasion… et l’orgie</h2>
<p><a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02483492/">Provoquant une rupture spatio-temporelle avec le quotidien</a>, le festival permet de vivre un véritable réenchantement du monde et du quotidien. Il est alors le <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">symbole du retour de l’imaginaire, du rêve, du plaisir, du désir et de la fête</a>. Cet aspect dionysiaque des festivals est à mettre en corrélation avec la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/riac/1984-n11-riac02319/1034640ar/">constance dionysiaque de la société</a> que décrit Maffesoli dans « sa » sociologie de l’orgie.</p>
<p>Dans le prolongement de cette réflexion, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/derives/">Dolfès</a> considère l’orgie « comme une condition assez proche des formes d’exaltations néo-tribales, dont on peut observer les manifestations constantes dans les divers festivals rock, métal, grunge, etc. ». En effet, les festivals peuvent permettre de réunir les deux marginalisations, temporelle (carnavals, fêtes) et spatiale (pleine nature, forêt), et la caractéristique nocturne, qui sont les conditions de l’orgie. L’orgie, en cimentant le collectif, assure la pérennité de ce qu’il appelle la socialité de base.</p>
<p><a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01421660">Mon étude sur les festivals</a> montre que ces effervescences collectives qui permettent de produire des émotions collectives (vivre la même émotion au même moment et en être conscient) sont une composante primordiale du festival. Des études sur <a href="https://vimeo.com/231854605">Tomorrowland</a> ou encore le <a href="https://www.researchgate.net/publication/24099125_Can_Consumers_Escape_the_Market_Emancipatory_Illuminations_From_Burning_Man">festival Burning Man</a> ont monté que ces rassemblements peuvent même servir de catharsis, libérant les tensions et émotions intérieures, notamment en permettant de transgresser les normes et règles sociales.</p>
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<p>Enfin, et quel que soit le type de festival, il donne la possibilité aux individus d’exister à l’instant présent via cette composante tribale (sociale) et festive, mais aussi en aval du festival par le partage de leur expérience sur les réseaux sociaux. Aspect d’autant plus important <a href="https://www.actes-sud.fr/node/10596">« qu’à l’ère de l’information, l’invisibilité équivaut à la mort »</a>. Ici encore, le partage social des émotions, qu’il soit en réel ou en virtuel, dépend de l’intensité des émotions ressenties. <a href="https://www.puf.com/content/Le_partage_social_des_%C3%A9motions">Plus l’émotion vécue est forte, plus on va avoir envie de la partager, car c’est une manière de revivre cette émotion</a>. Le festival donne ainsi la possibilité de vibrer et vivre plus intensément à l’instant T mais aussi à posteriori. Bien qu’éphémère, il s’inscrit donc dans la durée.</p>
<h2>Vivre un rituel communautaire</h2>
<p>C’est le Woodstock Music and Art Fair, rassemblement emblématique de la culture hippie en 1969, qui signa la <a href="http://www.camionblanc.com/detail-livre-festivals-rave-parties-free-parties-histoire-des-rencontres-musicales-actuelles-en-france-et-a-l-etranger-287.php">véritable naissance des festivals en tant qu’événement rituel</a>, acte fondateur d’une pratique culturelle qui n’a cessé d’évoluer et de se développer jusqu’à l’heure actuelle, tandis qu’émergeaient de nouveaux styles musicaux et que se développaient des pratiques culturelles associées. Les fondamentaux du festival sont cependant restés inchangés : une programmation musicale associée à des activités et animations révélatrices et/ou constitutives de la culture dudit festival.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401641/original/file-20210519-15-djpgq7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mythique festival de Woodstock, en 1969.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/summer1978/21078773240/"> Rv1864/Flickr</a></span>
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<p><a href="https://www.antoinedesaintexupery.com/ouvrage/le-petit-prince-1943/">Saint Exupéry</a> décrivait le rite comme un moment « qui fait qu’un jour est différent des autres, une heure des autres heures ». Il s’agit en d’autres termes d’une « parenthèse sociale <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html">dramatisant et esthétisant les rapports »</a>.</p>
<p>Les rites sont présents à tous les niveaux de la vie de l’individu. <a href="https://www.armand-colin.com/la-consommation-et-ses-sociologies-4e-ed-9782200628291">La consommation n’échappe pas à cette ritualisation</a>. <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html">Les célébrations rituelles émaillent notre quotidien</a> : rentrée des classes, Toussaint, Noël, premières neiges, ménage de printemps, fête des mères, etc. <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/formes_vie_religieuse/formes_vie_religieuse.html">Durkheim</a> les définissait comme des règles de conduite qui prescrivent à l’homme comment se comporter avec les choses sacrées. <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html">Le rite contient aussi une part de magie, dès lors qu’il a le potentiel de transformer la réalité</a>.</p>
<p>L’ensemble des penseurs accorde au rite une fonction sociale importante : les événements ritualisés tissent ou retissent du lien. Ils produisent aussi de la mémoire, du partage et de <a href="https://www.researchgate.net/publication/32116735_Working_Weeks_Rave_Weekends_Identity_Fragmentation_and_the_Emergence_of_New_Communities">l’appartenance</a>. Les rituels sociaux sont particulièrement efficaces dans <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/4077?lang=fr">l’amélioration du sentiment d’appartenance à un groupe et pour l’intégration sociale</a>. D’ailleurs pour <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html">Lardellier</a>, les rites célèbrent toujours une communauté en même temps que des valeurs. Cet aspect communautaire se situe soit au niveau du festival (par exemple la communauté métal avec le Hellfest, la <a href="https://www.researchgate.net/publication/315450415_Les_emotions_partagees_lors_d%27une_experience_de_consommation_collective_de_consommation_une_approche_socioculturelle_du_Hadra_Trance_Festival_Shared_emotions_in_a_collective_consumption_experience_a_s">communauté psytrance avec le Hadra</a>) soit à un niveau interpersonnel au sein des groupes d’amis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401664/original/file-20210519-19-87plxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le rituel vestimentaire des groupes d’amis – Musilac 2017, Tomorrowland Belgium 2019 et Tomorrowland Winter 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nico Didry</span></span>
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<p>Ainsi, le rite possède une dimension communautaire au-delà de sa dimension sociale : <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/alternatives-marketing-9782100053766/">« toute relation sociale a besoin de rites pour se développer et se maintenir, et tout groupe social a besoin de rites pour affirmer et réaffirmer son existence et l’appartenance de ses membres »</a>.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://www.researchgate.net/publication/261976131_EUROCKEENNES_FRANCOFOLIES_VIEILLES_CHARRUES_OU_MAIN_SQUARE_FESTIVAL_Le_rituel_communautaire_comme_source_de_fidelisation">l’expérience de festival doit être envisagée comme un rituel communautaire</a> et appréhendée comme un pèlerinage païen permettant la <a href="https://www.researchgate.net/publication/32116735_Working_Weeks_Rave_Weekends_Identity_Fragmentation_and_the_Emergence_of_New_Communities">célébration symbolique des liens unissant les membres d’une communauté</a>. En ce sens, la finalité sociale de ces rassemblements festifs et communautaires, dont les valeurs (ici liées à la musique principalement) vont fédérer les individus, sont à analyser de la même manière que les rassemblements religieux (messes, pèlerinages), politiques (meetings, manifestations) ou encore sportifs.</p>
<p>Ils répondent à nos besoins de communion collective, mis à mal par la pandémie depuis mars 2020. Les nombreux festivals qui n’auront pas lieu vont d’autant plus nous manquer cet été.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160409/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nico Didry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le festival, en tant que rituel communautaire, répond à nos besoins de communion collective.Nico Didry, Maître de conférences, Stratégies Economiques du Sport et du Tourisme, CREG, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.