tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/droit-dasile-40124/articlesdroit d'asile – The Conversation2024-03-05T16:03:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
<blockquote>
<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2193762023-12-21T17:37:30Z2023-12-21T17:37:30ZÀ quand une vraie politique d’asile pour le Maroc ?<p>Alors que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations unies a annoncé en septembre dernier que <a href="https://reliefweb.int/report/morocco/unhcr-maroc-fact-sheet-septembre-2023">plus de 10 200 réfugiés se trouvaient actuellement au Maroc</a>, Rabat n’a toujours pas adopté la politique d’asile annoncée il y a dix ans.</p>
<p>En septembre 2013, le roi a lancé le chantier d’un droit d’asile qui devait passer par l’élaboration d’une loi et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR. Cette initiative a été <a href="https://journals.openedition.org/revdh/17310">suivie d’avancées significatives et de projets de loi</a>, avant de s’essouffler, tandis que le nombre de réfugiés dans le pays ne cessait de croître.</p>
<h2>L’absence d’asile dans les pays « arabes »</h2>
<p>Le Maroc est un pays africain et arabe. En matière d’asile, il entre davantage dans la deuxième catégorie. Tandis que la plupart des pays africains du sud du Sahara sont dotés de lois sur les réfugiés et ont élaboré leurs propres procédures, le Maroc demeure à ce jour, comme l’ensemble des pays de la région dite « MENA » (Middle East and North Africa), dépourvu de cadre ou de politique d’asile.</p>
<p>En dépit d’un décret adopté en 1957 « fixant les modalités d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 » et créant le Bureau des réfugiés et apatrides, le Maroc ne s’est jamais doté d’une législation et d’une procédure d’asile proprement dites.</p>
<p>Depuis une soixantaine d’années, le HCR se charge de la <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/protection/determination-du-statut-de-refugie">détermination du statut de réfugié</a> et de l’accès aux droits, en collaboration avec des associations locales, mais <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/actualites/points-de-presse/le-hcr-va-signer-un-accord-de-siege-avec-le-gouvernement-marocain">l’accord de siège avec le Maroc</a>, officialisant ce rôle, n’a été conclu qu’en 2007.</p>
<h2>La mise à l’agenda politique de l’asile</h2>
<p>La question de l’asile s’invite au Maroc au début des années 2000, sous l’effet conjugué d’une <a href="https://www.cairn.info/le-maghreb-a-l-epreuve-des-migrations--9782811101640.htm">augmentation de la présence étrangère</a>, y compris en besoin de protection, et d’une <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/398?lang=en">politique du HCR et de l’Union européenne</a> visant l’adoption de politiques d’asile dans l’ensemble du Maghreb. L’Europe cherche alors à « externaliser » le contrôle des frontières et à obtenir la contribution des pays maghrébins au maintien des réfugiés et demandeurs d’asile en amont de la Méditerranée.</p>
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<p>Le nombre de réfugiés connaît une forte progression en 2005-2006. De manière générale, la présence étrangère augmente au cours de ces années, sous l’effet notamment des <a href="https://algeria-watch.org/?p=5174">difficultés accrues</a> pour se rendre légalement en Europe. On décompte environ 1 800 demandes d’asile entre début 2005 et mi-2006.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2013 que le processus d’élaboration d’un droit d’asile est lancé. L’initiative du roi pour une « Nouvelle politique d’immigration et d’asile » (NPIA) suit les <a href="https://www.cndh.org.ma/fr/rapports-thematiques/conclusions-et-recommandations-du-rapport-etrangers-et-droits-de-lhomme-au">recommandations du Conseil national des droits de l’homme</a> (CNDH). Elle s’inscrit dans une concordance d’intérêts « post- <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01024402">mouvement du 20 février 2011 »</a>. Ce mouvement, qui s’inscrivait dans la vague de contestations et révolutions qualifiée de « printemps arabe », a été suivi de l’adoption d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-3-page-511.htm">nouvelle Constitution</a>, d’élections et de plusieurs projets de réformes. Parmi ceux-ci, le projet de « NPIA » nourrit une réaffirmation de la politique africaine du Maroc, répond aux demandes de la société civile ainsi qu’aux attentes de l’UE et des instances internationales, et est aussi un <a href="https://www.jeuneafrique.com/168616/politique/maroc-mohammed-vi-appuie-le-cndh-dans-la-d-fense-des-droits-des-migrants/">pied de nez au gouvernement Benkirane</a> de l’époque, qui défendait le bilan de sa politique.</p>
<h2>L’enthousiasme des premiers pas</h2>
<p>Les <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2019/01/Politique-Nationale-dimmigration-et-dAsile-_-Rapport-2018.pdf">Orientations royales du 6 novembre 2013</a> visent à « élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger est réorganisé et élargi aux « Affaires de la migration » pour inclure l’immigration. Il est confié à Anis Birou, qui demeure à ce poste jusqu’au 5 avril 2017 et porte les projets de réforme avec conviction. </p>
<p>La conjugaison de dynamiques personnelles et collectives aboutit à un tournant remarquable sur le plan formel et celui des pratiques. Une amélioration des droits des étrangers est <a href="https://www.libe.ma/Droit-des-etrangers-au-Maroc-Un-vide-juridique-qui-ne-dit-pas-son-nom_a114037.html">clairement observée</a>. La NPIA est d’abord constituée d’un chantier législatif, avec l’ambition d’adopter une loi contre la traite des personnes, une loi sur l’immigration et une loi sur l’asile. Un avant-projet de loi sur l’asile est proposé dès le 13 mars 2014. Finalement, seule la loi contre la traite des êtres humains est <a href="https://aujourdhui.ma/actualite/les-deputes-adoptent-la-loi-sur-la-traite-des-etres-humains">adoptée, en 2016</a>.</p>
<p>En septembre 2013, le Bureau des réfugiés et apatrides (BRA) est rouvert et une commission en charge de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR est créée. Le HCR continue à effectuer la détermination du statut de réfugiés, qui doit ensuite être confirmée par le BRA. Le BRA doit donc auditionner les réfugiés reconnus comme tels par le HCR et, lorsque leur statut est confirmé, délivre la carte de réfugié, qui permet d’accéder à la carte de séjour et aux droits afférents. Il est prévu qu’une fois la loi sur l’asile adoptée, l’ensemble de ces responsabilités seront transférées aux autorités marocaines. Lors des premières phases de régularisation, en 2013 et 2014, toutes les personnes auditionnées par le BRA sont régularisées. Ce sont principalement des Ivoiriens, des Congolais et des Irakiens. Le 24 décembre 2013, les premières cartes de réfugié et de séjour sont délivrées.</p>
<p>En 2014 est aussi menée une campagne de régularisation administrative des étrangers en situation irrégulière. Une <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/operations-de-regularisation/">suite favorable est donnée à 83,53 % des 27 649 demandes déposées</a>. Certains demandeurs d’asile, notamment syriens, en bénéficient du fait des réticences du BRA à leur reconnaître le statut de réfugié. La même année, la <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2018/02/Strate%CC%81gie-Nationale-dimmigration-et-dAsile-ilovepdf-compressed.pdf">Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA)</a> est lancée, qui vise l’accès aux droits, notamment à la santé, à l’éducation et au logement, pour les personnes régularisées, y compris les réfugiés. Une seconde campagne de régularisation des étrangers se déroule de 2016 à 2017.</p>
<h2>L’essoufflement</h2>
<p>Le 9 décembre 2015, le projet de loi sur l’asile est programmé pour passer en conseil de gouvernement. Il en est retiré le jour même. On se situe alors en pleine « crise migratoire » en Europe. Rabat, à l’instar de son voisin algérien et de l’UE, impose un visa d’entrée aux Syriens – comme aux ressortissants de la plupart des pays sources de réfugiés (Libye, Yémen, Soudan, Érythrée, Éthiopie, Cameroun, Centrafrique…), ce qui est un moyen d’empêcher leurs arrivées régulières.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/discours-integral-de-sm-le-roi-loccasion-du-62e-anniversaire-de-la-revolution-du">discours du 20 août 2015</a>, le roi avait en quelque sorte distingué asile et hospitalité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. »</p>
</blockquote>
<p>Un second projet de loi est néanmoins <a href="https://lematin.ma/journal/2019/on-oublie-qu-loi-lasile-aidera-maroc-controler-lentree-sejour-territoire/317974.html">soumis au conseil de gouvernement en septembre 2018</a>. Avec l’organisation les 10-11 décembre de cette même année du sommet de Marrakech de l’ONU qui aboutit à la signature du <a href="https://www.ohchr.org/fr/migration/global-compact-safe-orderly-and-regular-migration-gcm">« Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières »</a>, dit Pacte de Marrakech, dans un contexte où le Maroc se voit de nouveau <a href="https://www.gadem-asso.org/couts-et-blessures/">critiqué pour le non-respect</a> des droits des migrants, plusieurs voix pronostiquent l’adoption prochaine du projet de loi sur l’asile, qui viendrait rappeler, comme en 2014, que le Maroc peut être un modèle dans la région. L’année 2017 avait d’ailleurs été marquée par le retour du royaume dans l’Union africaine (UA), laquelle l’avait nommé <a href="https://aujourdhui.ma/societe/le-maroc-leader-de-lunion-africaine-sur-la-question-de-la-migration">« leader sur la question des migrations »</a>. </p>
<p>Cependant, le Pacte de Marrakech n’est pas accompagné de l’adoption de la loi sur l’asile. <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/ewhatisi/2021/10/Rapport-2020-5-10-VF.pdf">Une version actualisée, présentée en 2019</a> au conseil de gouvernement, se perd dans les couloirs ministériels où un projet serait de nouveau discuté de manière discrète depuis 2022. En parallèle, le BRA, qui avait suspendu ses travaux à plusieurs reprises – en mars 2015 pour six mois, entre mars 2017 et décembre 2018, de nouveau en 2020 avec la crise sanitaire – les a repris en 2022, mais à un rythme très faible. En conséquence, moins de la moitié des réfugiés auraient des documents de résidence valide.</p>
<p>Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un essoufflement de la SNIA et des reculs en matière de respect des droits des étrangers, visibles dès 2017. Le ministère des Marocains résidant à l’étranger perd d’ailleurs de nouveau toute référence à l’immigration et redevient délégué (auprès du ministre des Affaires étrangères). Fin 2018, malgré les régularisations, seuls environ 1 000 étrangers bénéficiaient de la SNIA du fait des problèmes d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour des régularisés et des fermetures du BRA. Les relations entre le HCR et le gouvernement marocain sont par ailleurs compliquées, parfois tendues, depuis lors.</p>
<h2>La situation actuelle de l’asile</h2>
<p>Après une augmentation du nombre de réfugiés à partir de 2015, du fait des guerres en Syrie et au Yémen, une progression est encore observée en 2018. Au 1<sup>er</sup> octobre, le HCR dénombre 5 353 réfugiés et 1 985 demandeurs d’asile, principalement de Syrie mais aussi du Yémen, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Guinée. Du fait des suspensions d’activité du BRA, beaucoup de réfugiés n’ont plus accès à l’emploi et décident de quitter le pays pour se rendre en Europe – le taux de départ est évalué par le HCR à environ 30 % des personnes sous son mandat. Des personnes dotées d’un document HCR se font arrêter lors de tentatives de passage vers l’Europe, ce qui réactive, chez les policiers, la suspicion de fraude aux documents : tandis que les refoulements de personnes disposant d’une attestation du HCR – devant donc être protégées du refoulement – avaient cessé ces dernières années, ils <a href="https://gallery.mailchimp.com/66ce6606f50d8fd7c68729b94/files/3690d5cc-2b47-404c-a43d-ca0beeb7e383/20181011_GADEM_Note_Expulsion_gratuite_VF.pdf">reprennent</a>. </p>
<p>En septembre 2020, le HCR dénombre 7 561 réfugiés reconnus de son côté, dont la majorité est syrienne. Le nombre de personnes en recherche de protection poursuit ensuite sa progression. Au 30 juin 2022, 19 278 personnes sont recensées, partagées de manière quasiment égale entre réfugiés et demandeurs d’asile. Elles proviennent principalement de Syrie (5 251), de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Yémen, du Cameroun, de Centrafrique mais aussi désormais du Soudan.</p>
<p>L’augmentation de la présence des Soudanais est flagrante dès 2021, liée sans doute à la situation dramatique en Libye où se rendaient la plupart d’entre eux, et d’où certains partaient pour l’Europe. Les Sud-Soudanais font partie des nationalités bénéficiant d’une <a href="https://emergency.unhcr.org/fr/protection/cadre-juridique/la-reconnaissance-prima-facie-du-statut-de-r%C3%A9fugi%C3%A9">reconnaissance « prima facie »</a> de leur statut de réfugié par le HCR (s’ils bénéficient de papiers d’identité, ce qui est rarement le cas), aux côtés des Syriens, des Yéménites, des Centrafricains et des Palestiniens, pour faciliter leur accès à la protection dès l’enregistrement. Les autres nationalités suivent la procédure normale. En juin 2022, la Côte d’Ivoire est retirée de la liste des pays à risque ; la part de ses ressortissants au Maric diminue donc depuis, les Ivoiriens sachant qu’ils sont moins susceptibles qu’auparavant d’obtenir le statut de réfugié. </p>
<p>Aujourd’hui, le Maroc continue à jouer la <a href="https://www.maroc.ma/fr/actualites/sommet-de-lua-les-efforts-de-sa-majeste-le-roi-en-matiere-de-la-migration-mis-en-exergue">carte migratoire dans le cadre de sa diplomatie africaine</a> en promouvant un « Agenda africain sur la migration », mais plus personne ne porte la politique d’asile et d’immigration sur le plan national. Il semble que le projet royal de 2013 ait répondu à une coïncidence d’intérêts et d’ambitions à une période donnée, ce qui expliquerait l’essoufflement constaté dès 2018.</p>
<p>Sur le plan interne, une approche plus pragmatique pourrait être adoptée concernant les moyens de la politique d’asile. Le HCR offre beaucoup aux réfugiés (aide au logement, frais médicaux, allocation éducation notamment). C’est davantage que ce que l’État marocain procure aux étrangers, en dépit de certains progrès, par exemple dans l’accès à l’éducation et à la santé. Avec l’adoption de la loi viendra le temps des décrets d’application, de la mise en œuvre, du budget, de la question des coûts et des calculs ; la peur éventuelle, aussi, que la nouvelle loi provoque un appel d’air.</p>
<p>Plus qu’un aboutissement, la loi à venir constituerait le nouveau point de départ d’un processus encore long de débats, de discussions et de tâtonnements sur la voie de la fabrique de l’asile. La question de l’asile et de la migration reste un dossier sensible, partagé entre plusieurs compétences ministérielles, ce qui fait ressortir les tensions. La variation des contenus des projets de loi et le silence autour de leur (non) adoption reflètent le caractère hautement complexe de ce sujet.</p>
<p>Pourtant, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile demeure relativement faible et l’adoption d’une politique d’asile nationale permettrait au Maroc de maîtriser son évolution plutôt que de la subir. Elle ajouterait aussi à la sincérité de l’action du <a href="https://newsbeezer.com/maroc/le-matin-le-31e-sommet-de-lua-adopte-la-creation-de-lobservatoire-africain-des-migrations-au-maroc/">« leader de l’UA sur la question des migrations »</a>.</p>
<p>À l’heure où des voix appellent à l’adoption d’une <a href="https://medias24.com/2023/11/25/le-gadem-appelle-a-la-reforme-de-la-loi-n02-03/">nouvelle loi sur l’immigration</a>, on peut s’interroger sur le maintien de l’engagement marocain au regard du processus lancé il y a dix ans. Le Maroc peut-il encore s’afficher en modèle au sein de l’Afrique et mobiliser la même rhétorique alors que les droits sont clairement en recul depuis ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dix ans après le lancement de la « Nouvelle politique d’immigration et d’asile », le Maroc va-t-il enfin adopter sa loi sur l’asile ?Delphine Perrin, Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182892023-12-10T15:52:09Z2023-12-10T15:52:09ZDossier : l’immigration en France, quels enjeux ?<p>Depuis le 6 novembre, le Parlement discute la nouvelle loi « immigration » portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Si adoptée, elle pourrait constituer la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">trentième loi sur l’immigration</a> depuis 1980. Durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, l’immigration a été le <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-quels-sujets-ont-monopolise-les-temps-de-parole-des-candidats-1399582">deuxième sujet le plus évoqué</a> par les candidats. Nous vous proposons ici une série d’articles revenant sur certains points clefs de la politique migratoire française et de leurs impacts dans la société.</p>
<p>Ainsi, lorsque l’immigration est évoquée dans le paysage médiatique, c’est souvent pour la décrier et lui apposer une image négative mais les Français y sont-ils <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">aussi opposés qu’on le dit</a> ? Les débats sur le projet de loi ont été particulièrement intenses sur la <a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">suppression de l’aide médicale d’État</a> aux étrangers en situation irrégulière tandis que l’égalité entre hommes et femmes dans l’immigration est la <a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">grande absente du texte</a>. Les <a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">femmes enceintes sont d’ailleurs particulièrement vulnérables,</a> y compris dans leur pays d’accueil.</p>
<p>Des retombées économiques de la <a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">migration étudiante en France</a> à <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">l’évaluation des bénéfices de notre politique d’asile</a>, nous vous proposons aussi un autre regard politique sur l’immigration.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">Immigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nettement moins de Français formulent des jugements négatifs à l’égard des immigrés qu’il y a 30 ans.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/trois-femmes-assises-pres-de-la-fleur-gYdjZzXNWlg">Priscilla du Preez/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">L’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 2022, environ 400 000 personnes ont bénéficié de l’aide médicale d’État pour un coût représentant 0,5 % de la dépense totale de l’Assurance maladie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CDC/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Débat autour d’une transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence. Le point sur l’AME et les enjeux autour de sa suppression.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Government Press Office/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une future loi devrait tenir compte d’une répartition égale entre les sexes dans les populations immigrées. C’est en effet un facteur d’intégration clé sur lequel une étude récente s’est penchée.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a></h2>
<p>Pendant la grossesse, la santé des femmes migrantes est plus à risque que celle des autres femmes qui vivent dans le même pays qu’elles. Une méta-analyse récente éclaire les causes de cette situation.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">L’immigration étudiante, entre bénéfices économiques et craintes des administrations</a></h2>
<p>L’exemple canadien montre comment se prémunir d’une immigration déguisée tout en renforçant l’attractivité des universités auprès des étudiants étrangers, dont les apports ont largement été démontrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a></h2>
<p>Même si les données existent et que les méthodes pour les exploiter ont fait leurs preuves, les évaluations quantitatives de la politique d’asile en France restent très rares. Cela pénalise le débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218289/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Alors que la politique migratoire refait la une de l’actualité, nous vous proposons une série d’articles pour mieux cerner les enjeux de ces débats.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceTimothée David, Journaliste pour la rubrique Économie + EntreprisesVictoire N’Sondé, Cheffe de rubrique santéThomas Leite, EditorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179732023-12-05T16:53:22Z2023-12-05T16:53:22ZChangement climatique et politique migratoire : l’accord Australie-Tuvalu, un modèle pour la France et ses territoires du Pacifique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562167/original/file-20231128-21-q9upvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5304%2C2974&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les neuf îles qui constituent l'archipel de Tuvalu seront englouties au cours des prochaines décennies.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/undpclimatechangeadaptation/52387326768">TCAP/PNUD</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Lors de sa visite officielle en Australie le 4 décembre, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est dite <a href="https://apnews.com/article/french-colonna-australia-tuvalu-climate-change-b77617344c2deff169a1e1144d2f7adf">ouverte à examiner toute demande de réinstallation</a> émanant de petites nations du Pacifique Sud confrontées à la montée des eaux, s’alignant ainsi sur l’exemple de l’accord passé le 10 novembre dernier entre l’Australie et Tuvalu. Cet accord, conclu en marge de la 52<sup>e</sup> édition du <a href="https://www.forumsec.org/2023/11/09/reports-piflm52-communique-of-the-52nd-pacific-islands-leaders-forum-2023/">Forum des îles du Pacifique</a>, pourrait donc bien avoir des implications pour la France et ses territoires du Pacifique.</p>
<p>L’accord entre l’Australie et Tuvalu a été baptisé « Union Falepili ». Le terme « falepili », emprunté à la langue tuvaluane, incarne l’idée de « soutien mutuel entre voisins ». Souvent qualifié d’<a href="https://lepetitjournal.com/melbourne/rechauffement-climatique-australie-traite-historique-tuvalu-372713">historique</a> ou de fondateur, <a href="https://www.dfat.gov.au/geo/tuvalu/australia-tuvalu-falepili-union-treaty">ce traité</a> ouvre une voie migratoire innovante pour les Tuvaluans confrontés à l’élévation du niveau de la mer. Il souligne une prise de conscience croissante des vulnérabilités uniques des nations insulaires face au changement climatique, tout en établissant un modèle de coopération bilatérale pour aider ces populations.</p>
<h2>Pourquoi il est inexact de parler d’asile climatique d’un point de vue juridique</h2>
<p>Tuvalu, un archipel de neuf îles de faible altitude situé dans le Pacifique central, abrite environ 11 200 habitants. Ces îles sont parmi les plus exposées aux effets dévastateurs du changement climatique, en particulier à l’augmentation alarmante du niveau de la mer. Le pacte entre les deux nations reconnaît explicitement cette vulnérabilité et propose une réponse tangible : l’attribution chaque année de 280 visas de résidence permanente en Australie aux citoyens de Tuvalu.</p>
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<p>L’Union Falepili illustre un engagement sans précédent de Canberra envers les citoyens de Tuvalu, sévèrement impactés par la montée des eaux. Il survient dans un contexte où l’existence même de Tuvalu est en péril, et s’inscrit dans un cadre complexe de défis environnementaux et juridiques. Il est à noter que lors de la COP 27, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, a fait forte impression en annonçant la <a href="https://theconversation.com/tuvalu-menace-detre-englouti-par-les-eaux-cree-son-double-digital-195133">création d’une réplique numérique de son pays dans le Métavers</a>, envisageant ainsi une forme de survie virtuelle face à la menace d’une submersion réelle de son territoire.</p>
<p>Cependant, et contrairement aux qualificatifs employés dans nombre de médias nationaux et internationaux, il est essentiel de souligner que le type de visa offert par ce traité ne tend pas à donner <em>l’asile climatique</em> aux populations des Tuvalu car l’accord ne reconnaît pas, au sens juridique, les populations déplacées en tant que <em>réfugiés climatiques</em>.</p>
<p>Cette notion, de <a href="https://www.oxfamfrance.org/migrations/vers-une-augmentation-croissante-du-nombre-de-refugies-climatiques/">plus en plus évoquée dans les débats publics et académiques</a>, désignerait des individus et communautés obligés de quitter leur lieu de vie habituel en raison des effets directs ou indirects du changement climatique. Bien que de plus en plus pertinente et fréquemment utilisée dans le discours public, la catégorisation des réfugiés climatiques n’est pas encore reconnue dans le droit international. Elle n’est également pas évoquée dans les termes du traité de l’Union Falepili.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729107878647058655"}"></div></p>
<p>En effet, selon la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a>, un réfugié est défini comme une personne qui fuit la persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Bien que l’interprétation de cette définition par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ait été étendue pour inclure les personnes fuyant des conflits armés généralisés, le changement climatique n’est donc pas (encore) reconnu comme un motif de persécution légitime en droit international. En conséquence, les populations déplacées de force par des catastrophes ou changements climatiques ne bénéficient donc pas de protection et d’assistance de la communauté internationale au regard du droit d’asile international.</p>
<p>En l’état actuel, faute d’un cadre juridique international établi et d’une jurisprudence correspondante, les concepts d’asile et de réfugiés climatiques demeurent des notions non reconnues en droit.</p>
<p>Bien que le terme de « réfugié climatique » n'ait pas de signification juridique, il existe certainement des réfugiés dont la situation est <a href="https://johnmenadue.com/a-different-kind-of-climate-movement-the-kaldor-centre-principles-on-climate-mobility-pic/">aggravée à cause du changement climatique</a>. Comme le révèle une <a href="https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2017/08/03052016_FR_Protection_Agenda_V1.pdf">étude de l’Initiative Nansen</a>, le changement climatique ne provoque pas à lui seul des déplacements, mais exacerbe d’autres facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui incitent les gens à quitter leurs foyers. Il amplifie les risques et les vulnérabilités, et rend les catastrophes plus fréquentes et/ou intenses. Ce phénomène engendre donc une multitude de mouvements, qu’ils soient forcés ou volontaires, temporaires ou permanents, à l’intérieur d’un pays ou au-delà des frontières – qui peuvent survenir dans le contexte du changement climatique et des catastrophes qu’il provoque.</p>
<p>Les complexités juridiques entourant ces termes sont illustrées par des affaires telles que celle de Ioane Teitiota en 2015. <a href="https://www.france24.com/fr/20131017-habitant-kiribati-reclame-statut-refugie-climatique">Ioane Teitiota</a>, un habitant de Kiribati, une nation insulaire du Pacifique, a sollicité l’asile en Nouvelle-Zélande, arguant que la montée du niveau de la mer et d’autres conséquences du changement climatique menaçaient sa vie et celle de sa famille. Toutefois, la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rejeté sa demande, estimant que les conditions de vie à Kiribati, bien qu’extrêmement difficiles, ne relevaient pas de la persécution au sens de la Convention de 1951.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"623368107676053504"}"></div></p>
<p>Cette décision a été ultérieurement confirmée par le <a href="https://www.ohchr.org/en/treaty-bodies/ccpr">Comité des droits de l’homme des Nations unies</a> en 2020, qui a cependant reconnu que le changement climatique pouvait entraîner des violations des droits humains si les personnes fuyant les effets du changement climatique étaient renvoyées dans leur pays d’origine (le concept de <em>refoulement</em>, proscrit en droit international) après avoir quitté leur territoire. Cette reconnaissance a été souvent interprétée comme pouvant <a href="https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348">ouvrir la voie à une future intégration des réfugiés climatiques dans le droit international</a>.</p>
<p>En effet, selon cette décision et comme reconnu par le HCR, compte tenu des évolutions du droit et de la menace climatique, les personnes qui fuient dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=617aafa24">peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié</a> en vertu de la Convention de 1951 précédemment mentionnée. Il faudrait pouvoir justifier, entre autres, d’une peur fondée de subir des persécutions liées au changement climatique, si ce dernier interagit avec des vulnérabilités inhérentes, ou si les effets néfastes du changement climatique ou des catastrophes interagissent avec les conflits et la violence.</p>
<h2>Une avancée notable tout de même</h2>
<p>Bien que l’accord bilatéral entre l’Australie et Tuvalu ne s’inscrive pas encore dans une reconnaissance juridique des réfugiés climatiques, il marque néanmoins une avancée notable, créant un précédent international dans la mesure où il reconnaît concrètement cette problématique, et accorde aux Tuvaluans le droit de migrer en Australie avec des privilèges substantiels, tels que l’accès à l’éducation et au marché du travail.</p>
<p>Cette initiative traduit dans les faits une expansion de la politique migratoire australienne, visant à répondre de manière ciblée aux défis des déplacements forcés liés à l’environnement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/phtusNSqPDc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage de la chaîne publique australienne ABC sur l’Union Falepili.</span></figcaption>
</figure>
<p>Compte tenu de la complexité de la reconnaissance, en droit international, du changement climatique comme motif de persécution, le centre Kaldor de droit international des réfugiés, basé à Sydney, et qui à salué les termes de l’Union Falepili, privilégie l’expression « mobilité climatique » pour décrire ce phénomène et élaborer des réponses politiques et juridiques adaptées. À cet égard, le centre a élaboré 13 <a href="https://www.unsw.edu.au/content/dam/pdfs/unsw-adobe-websites/kaldor-centre/2023-11-others/2023-11-Principles-on-Climate-Mobility_v-4_DIGITAL_Singles.pdf">Principes sur la mobilité climatique</a>, destinés à soutenir et à protéger les communautés affectées par la migration forcée liée aux problèmes environnementaux et à assurer leur sécurité, leurs droits et leur dignité tout en préservant leur patrimoine culturel et en favorisant une approche collaborative et durable.</p>
<h2>Des enjeux multiples</h2>
<p>Au-delà des réflexions sur la dichotomie voies migratoires/voies d’asile, cet accord entre les deux nations du Pacifique soulève donc également des questions essentielles, notamment concernant la préservation de l’identité culturelle de Tuvalu, tout en interrogeant la responsabilité des pays développés face aux communautés les plus touchées par les effets dévastateurs du changement climatique.</p>
<p>Une analyse réaliste indique que, si les termes actuels de cet accord perdurent, Tuvalu pourrait se retrouver entièrement dépeuplé dans les 40 prochaines années, ses habitants se réinstallant progressivement en Australie, par force bien plus que par choix, car comme le rappelle Jane McAdam, directrice du centre Kaldor, <a href="https://theconversation.com/australias-offer-of-climate-migration-to-tuvalu-residents-is-groundbreaking-and-could-be-a-lifeline-across-the-pacific-217514">la grande majorité des Tuvaluans ne souhaitent pas quitter leur pays pour l’Australie</a>.</p>
<p>Selon certaines prédictions, il est également concevable que la vie sur l’île de Tuvalu devienne invivable bien avant cette échéance. Comme le rappelait le premier ministre des Tuvalu <a href="https://webtv.un.org/en/asset/k1g/k1ggc33eht">à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2022</a> et selon un rapport du GIEC, les Tuvalu risquent d’être totalement submergés au cours de ce siècle et inhabitables d’ici 20 à 30 ans. Comment une diaspora progressivement relocalisée peut-elle préserver son héritage culturel à l’étranger ? Comment aborder les pertes et dommages associés à la mobilité climatique ? Cet accord, dans sa mise en œuvre pratique, et pour la première fois, met en lumière des défis cruciaux en termes de responsabilité, de souveraineté et d’identité culturelle, nécessitant une réflexion approfondie et une action soutenue de la part de la communauté internationale.</p>
<p>De plus, il souligne les <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">obligations des États à l’égard des changements climatiques</a>. En tant que grande <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-australie-decidee-a-continuer-a-extraire-son-charbon-malgre-les-avis-scientifiques-20210909">exportatrice de combustibles fossiles</a> et pays dont l’empreinte carbone est conséquente, l’Australie fait l’objet de critiques régulières concernant sa politique climatique et l’impact, direct ou indirect, de celle-ci sur les migrations forcées. Ce traité pourrait être interprété comme une reconnaissance de sa part des répercussions du changement climatique sur les nations insulaires, représentant une avancée vers une prise de conscience et une action environnementale plus résolues.</p>
<h2>Un accord au service des intérêts géopolitiques de Canberra ?</h2>
<p>Toutefois, l’accord bilatéral entre les deux nations revêt également une dimension géopolitique majeure, dépassant le simple cadre de l’assistance et intégrant des aspects de sécurité et de présence stratégique. L’Australie se voit ainsi octroyer des droits étendus sur le territoire des Tuvalu, y compris des droits d’accès, de présence, de survol, ainsi que le droit de s’opposer à des décisions en matière de sécurité qui pourraient contrarier ses intérêts. L’Union Falepili s’insère donc dans une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/influence-l-asile-climatique-le-cadeau-pas-si-desinteresse-de-l-australie-aux-citoyens-des-iles-tuvalu">stratégie géopolitique australienne</a> plus large, visant à renforcer sa présence dans une région qui est géopolitiquement importante. Cette approche reflète non seulement les préoccupations sécuritaires de l’Australie, mais aussi son désir d’étendre son influence dans le Pacifique, une zone qui attire de plus en plus l’attention de grandes puissances mondiales.</p>
<p>Cette dimension centrale du traité <a href="https://islandsbusiness.com/news-break/australia-deal-with-tuvalu/">soulève des interrogations</a> quant aux motivations réelles de Canberra. Bien que largement salué par la communauté internationale, il fait également l’objet de critiques, notamment concernant les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/l-asile-climatique-propose-par-l-australie-aux-habitants-des-tuvalu-suscite-la-controverse_6202058_3244.html">intentions altruistes</a>, de l’Australie, puisque révélant une tentative de cette dernière de contrebalancer l’influence chinoise, tout en améliorant ses propres capacités de sécurité et de défense dans le Pacifique.</p>
<h2>Un modèle pour la France et ses collectivités du Pacifique ?</h2>
<p>L’Union Falepili illustre donc l’interconnexion croissante entre les enjeux climatiques et les stratégies géopolitiques à l’échelle mondiale. Pas de <em>réfugiés</em> ni <em>d’asile climatique</em> donc, mais plutôt une <em>mobilité climatique</em> matérialisée par des accords bilatéraux mutuellement bénéfiques. Cette initiative pourrait donc inspirer d’autres nations comme la France, si l’on en croit Catherine Colonna.</p>
<p>Cependant, la ministre a souligné qu’elle préférerait « voir le changement climatique être contrôlé et maîtrisé », ajoutant qu’« une action préventive est peut-être meilleure que de prendre certaines mesures correctives quand il est trop tard ». Elle a par ailleurs rappelé que la taille du continent australien était bien plus propice à l’accueil de petits nombres de déplacés climatiques que le sont, par exemple, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dont le système social et écologique pourrait se trouver mis à mal par un éventuel afflux de déplacés.</p>
<p>Autre point intéressant : en se concentrant sur une relocalisation envisageable dans les îles du Pacifique environnantes, la ministre semble pour l’instant écarter toute forme de mobilité climatique vers la France métropolitaine. Il est pourtant important de souligner que ces territoires insulaires sont eux aussi <a href="https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/27/ouvea-le-paradis-qui-ne-veut-pas-devenir-un-enfer_6179430_3244.html">confrontés aux défis du changement climatique</a>. Il est particulièrement manifeste en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Polynésie française</a>, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/nouvelle-caledonie-la-montee-des-eaux-menace-l-archipel_5971037.html">Nouvelle-Calédonie</a>, ainsi qu’à <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Wallis et Futuna</a>, où le risque de submersion marine ne cesse d’augmenter. Cette situation critique incite les autorités à adopter des mesures préventives, notamment en imposant des surélévations dans les constructions, et à mener des opérations de restauration des écosystèmes marin et côtier afin de faire face à cette menace grandissante.</p>
<p>Que les accords de mobilité climatique restent à l’état de propositions ou deviennent une réalité prochaine en France et/ou dans ses territoires insulaires, ils soulignent l’urgence d’une réponse globale et coordonnée. Cette approche est essentielle pour affronter efficacement les multiples aspects de cette crise climatique, en prenant en compte non seulement ses conséquences géopolitiques, mais aussi ses répercussions sociétales et humanitaires. Cela met en lumière la nécessité d’une stratégie intégrée et multidimensionnelle pour gérer ces enjeux complexes et interconnectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse est affiliée au centre Kaldor de droit international des réfugiés</span></em></p>L’Australie va permettre aux habitants de Tuvalu, archipel voué à disparaître à cause de la montée des eaux, de migrer progressivement vers son territoire. Décryptage d’un accord aux multiples enjeux.Camille Malafosse, Doctorante, University of New South Wales, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162932023-11-12T16:21:29Z2023-11-12T16:21:29ZÀ La Réunion, des Sri Lankais victimes des déficiences de la politique migratoire<p>Le 7 octobre, le jeune Sri-Lankais Rusgan est <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/rusgan-le-migrant-sri-lankais-expulse-par-erreur-a-ete-reconduit-par-avion-a-la-reunion-1434017.html">rentré par avion à La Réunion</a> après en avoir été <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/a-la-reunion-un-migrant-sri-lankais-renvoye-par-charter-vers-son-pays-avant-meme-son-passage-au-tribunal-1429223.html">expulsé le 18 septembre</a>, en compagnie de six autres migrants, via un vol spécialement affrété à destination de Colombo. </p>
<p>Ce cas illustre les défaillances d’une politique migratoire visant systématiquement les expulsions des migrants à La Réunion, peu en importe le <a href="https://imazpress.com/actus-reunion/migrants-sri-lankais-le-voyage-vers-leldorado-coute-cher-en-expulsion">coût</a>, et témoigne d’un flux migratoire inédit pour l’île.</p>
<p>Jusqu’en 2018, la question de l’asile dans l’outre-mer français de l’océan indien était mécaniquement associée à Mayotte. Selon le <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf">rapport de l’OFPRA</a> de 2022, la demande d’asile dans l’océan Indien, qui représente 49 % de la demande outre-mer, est, en effet, en quasi-totalité accueillie à Mayotte. </p>
<p>Les Comoriens constituent plus de 50 % des demandeurs, suivis par les ressortissants malgaches (21 %) et, à hauteur de 25 %, ceux originaires de la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo). Les médias ont d’ailleurs progressivement fait des <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-1-page-39.htm"><em>kwassa-kwassa</em></a>, ces canots utilisés par les Comoriens pour rejoindre illégalement l’archipel, une image d’Épinal de ces flux.</p>
<p>La Réunion accueille certes des flux migratoires en provenance de Madagascar, des Comores et de Maurice (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6536241/re_ina_74.pdf">parmi les immigrés, 43 % sont nés à Madagascar, 20 % à Maurice et 14 % aux Comores</a>), mais la part des étrangers et des immigrés au sein de la population reste significativement moins élevée que celle de la moyenne nationale et elle est inférieure à celles de toutes les régions françaises. Par ailleurs, en 2017, la Réunion n’avait reçu que 11 demandes d’asile : d’Afrique du Sud, du Burundi, des Comores, d’Inde et du Pakistan.</p>
<h2>La Réunion, nouvelle terre d’asile pour des migrants sri-lankais</h2>
<p>C’est l’arrivée d’un radeau rassemblant <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/6-marins-sri-lankais-secourus-au-large-reunion-571373.html">six Sri-Lankais</a>, sans doute mis à l’eau par un bateau au large de la station balnéaire de Saint-Gilles, qui a fait émerger la Réunion sur la carte des destinations d’asile en 2018.</p>
<p>Spectaculaire dans sa forme mais faible en nombre, cette arrivée par la mer a provoqué l’émoi mais peu d’oppositions concernant la nécessité d’accueil. Elle a été suivie de plusieurs bateaux qui effectuaient, selon les ports de départ, une traversée d’une durée de 18 à 21 jours. Accueillant principalement des hommes célibataires âgés de 25 à 35 ans, ces embarcations provenaient dans la plupart des cas de Sri Lanka, même si certaines avaient transité par Maurice ou par Diego Garcia, atoll de l’archipel des Chagos, quand d’autres étaient parties directement d’Indonésie.</p>
<p>L’image des bateaux de pêche – dont certains en bois – souvent surchargés, a eu un impact fort dans les médias locaux et dans les représentations des habitants. Certains médias nationaux ont même qualifié ces migrants de <a href="https://www.liberation.fr/societe/a-la-reunion-moult-ecueils-pour-les-boat-people-sri-lankais-20230305_H2K6JKR3TJDMVPZ4F3WAXVXIWA/">boat people</a>.</p>
<p>Entre mars 2018 et février 2023, ce sont au total 12 bateaux qui se sont succédé. Parmi eux, le 13 avril 2019, 123 personnes ont débarqué en provenance d’Indonésie, après 21 jours en mer, dont 120 personnes de nationalité sri-lankaise et 3 Indonésiens (le capitaine et les mécaniciens). Malgré un coup d’arrêt pendant la pandémie de Covid-19, ce sont finalement 484 Sri-Lankais qui sont arrivés à La Réunion, dont 267 ont été reconduits au sein de leur pays et 27 qui ont opté pour l’aide au retour volontaire (situation au 19 octobre 2023). Parmi les 190 Sri-Lankais encore sur le territoire fin octobre 2023, une minorité a vu leur demande d’asile accordée, d’autres sont en attente de décision car la procédure est en cours, et une dernière catégorie est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Au sein des familles auprès desquelles nous avons enquêté à la Réunion en octobre 2023, la stratégie migratoire décrite est souvent similaire : le chef de famille part en premier à Jakarta, tente de trouver un logement en colocation avec d’autres coreligionnaires, puis y fait venir sa famille.</p>
<p>Le déplacement s’effectue en avion, car il n’y a pas besoin de visa pour les ressortissants sri-lankais se rendant en Indonésie. Une fois à Jakarta, l’objectif est pour ces familles de pouvoir se faire enregistrer au sein du UNHCR afin d’obtenir une protection internationale et, à terme, le statut de réfugié : en 2021, le <a href="https://reporting.unhcr.org/sites/default/files/Indonesia%20Statistical%20Report%20June%202021.pdf">UNHCR</a> de Jakarta avait procédé à l’enregistrement de 468 Sri-Lankais. C’est d’ailleurs en face du bureau du UNHCR que les personnes enquêtées à La Réunion racontent avoir été approchées par un homme qui leur a parlé de l’existence d’un bateau qui quitterait le port pour la Nouvelle-Zélande et/ou l’Australie. Ce n’est qu’en mer et après avoir payé une somme importante (jusqu’à 10 000 euros pour les familles) que les migrants ont compris qu’elle serait leur véritable destination.</p>
<p>Rien ne préparait l’île de La Réunion, les institutions, les avocats et les associations à ce flux migratoire inédit quant à l’origine géographique des demandeurs d’asile, aux modes d’arrivée sur l’île et au type de bateau usité.</p>
<h2>Des vagues d’émotions simultanées et contradictoires</h2>
<p>En visibilisant les phénomènes migratoires, ces arrivées ont provoqué plusieurs vagues d’émotions, dont des <a href="https://freedom.fr/46-migrants-sri-lankais-reconduits-ce-vendredi-70-autres-pourraient-debarquer-ce-samedi/">réactions xénophobes</a> parfois <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/17/a-la-reunion-les-migrants-sri-lankais-sujets-de-tensions-locales-et-de-trouble-entre-france-et-royaume-uni_6158229_823448.html">instrumentalisées politiquement</a> sur les réseaux sociaux. Ces faits sont souvent intensifiés par un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692469">taux de pauvreté</a> élevé sur l’île et par le sentiment que l’urgence n’est pas l’accueil de ces populations, mais ils ont tout de même mis en mouvement différentes associations de solidarité.</p>
<p>La <a href="https://www.lacimade.org/regions/ocean-indien/">CIMADE</a>, la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/ile-de-la-reunion">Fondation Abbé Pierre</a>, le <a href="https://reunion.secours-catholique.org/">Secours catholique</a>, <a href="https://www.medecinsdumonde.org/">Médecins du monde</a> et l’<a href="http://www.anafe.org/">Anafé</a> se sont mobilisées, alors que s’organisaient des associations citoyennes telles que Ansamb Oi (ou ensemble océan indien), la Fédération des associations tamoules ou Réunion Solidarité Migrants, toutes bénéficiant de dons individuels ou d’aides organisées autour des temples hindous.</p>
<p>On aurait pu croire cette solidarité mécanique, du fait d’une part importante du peuplement d’ascendance indienne de la Réunion (environ ¼ de la population de l’île). Mais cette population d’origine indienne est elle-même <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2008_num_1275_1_5122">clivée</a> entre ceux qui revendiquent l’appellation de « Malbars » et ceux qui la rejettent car la jugent connotée par <a href="https://journals.openedition.org/oceanindien/1970">l’engagisme</a> et lui substituent celle de « Tamouls ».</p>
<h2>Une réaction tardive de l’État</h2>
<p>Dépassé par ces arrivées, l’État a été confronté à l’absence de tout dispositif national d’accueil (<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Asile/Guide-du-demandeur-d-asile-en-France">DNA</a>). Ce dispositif doit accompagner les demandeurs d’asile dès leur inscription à la préfecture, en leur présentant le parcours qu’ils vont rencontrer et les différentes options qui vont s’offrir à eux, jusqu’à leur hébergement dans des structures de type Structure de Premier Accueil du Demandeur d’Asile (SPADA) ou de Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA), et à l’obtention – ou non – de documents leur permettant de rester sur le territoire national. Les avocats spécialistes du droit d’asile, également peu nombreux lors des premières arrivées, se sont progressivement structurés par la création de la « permanence des étrangers » au sein du barreau du chef-lieu de l’île, Saint-Denis, pour assurer la défense des requérants.</p>
<p>Lors d’échanges en octobre 2023, plusieurs de ces avocats nous ont dit rencontrer des obstacles pour mener à bien leur travail, que ce soit dans l’accès aux zones d’attentes qui ont été créées en urgence, en étant prévenus tardivement des interpellations de Sri-Lankais, ou encore en faisant face à des juges expéditifs qui les poussent à présenter de nombreux recours ou appels. Ils n’étaient alors toujours pas payés par le fond d’aide juridictionnelle, l’organe du ministère de la Justice voué à financer ce type de procédures.</p>
<p>Une autre difficulté a été liée à l’hébergement des demandeurs d’asile sri-lankais : jusqu’à présent, comme les demandes d’asile étaient peu nombreuses à La Réunion, c’est le SAMU social, l’organisme voué à trouver des logements d’urgence pour les personnes sans-abris via le numéro téléphonique 115, qui s’en occupait.</p>
<p>Avec l’arrivée des Sri-Lankais, la prise en charge des demandeurs d’asile, obligatoire pour l’État français (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042772424/">Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile</a>) s’est faite dans le désordre.</p>
<p>En effet, une fois la décision de libération prise par le juge des libertés, les demandeurs d’asile ne sont plus sous la responsabilité du préfet, ce qui annule leur prise en charge dans la zone d’attente. C’est ainsi que des Sri-Lankais se sont retrouvés à la rue, sans biens personnels ni compréhension d’un environnement qu’ils ne connaissaient pas, parfois même sans chaussures.</p>
<p>Avec l’afflux du 14 décembre 2018, alors que la zone d’attente de l’aéroport était saturée et comme l’île ne disposait pas de SPADA ni de CADA, c’est finalement un gymnase et un hôtel qui ont été réquisitionnés par la préfecture.</p>
<h2>Bricolages au « 306 »</h2>
<p>Un élan citoyen et des associations se sont alors mobilisés, notamment structurées autour d’un local nommé « le 306 » en référence au numéro de la rue où il se situe. Des nuits d’hôtel ont été payées, des personnes ont été accueillies au domicile de volontaires, des cours de français et des animations ont été organisés. Ce sont aussi ces personnes de bonne volonté qui ont amené les ressortissants sri-lankais à la préfecture pour faire enregistrer leur demande d’asile, où ils recevaient une attestation déclenchant l’aide de l’État.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’intérieur du 306 rue Maréchal Leclerc à Saint-Denis, un véritable lieu de vie, où se retrouvent à la fois les Sri-Lankais et les bénévoles de toute l’île pour créer du lien social grâce à des échanges culturels, culinaires et linguistiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Egambarane et Naranma Sindraye/Ansamb Oi</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ce bricolage mené par les associations et les avocats a permis d’accompagner les Sri-Lankais jusqu’à la création par les autorités d’un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) à la toute fin 2018. C’est donc une structure <em>ad hoc</em> qui a été mise en place, d’abord au sein d’un bâtiment collectif (un <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/IMG/pdf/03_fiche_pratique_les-centres-d-hebergement-et-de-reinsertion-sociale-_chrs__mai_2021_cle2bb6b1.pdf">CHRS</a>). Géré par la Croix-Rouge, cet HUDA ne pouvait pas accueillir l’ensemble des demandeurs d’asile, notamment parce que les lits picots, installés dans l’urgence, n’étaient pas suffisants. La préfecture procéda alors à la réquisition de logements sociaux à Saint-Denis, et la Croix-Rouge à la location de deux logements dans le secteur privé à Saint-André, abandonnant progressivement l’idée d’un accueil collectif pour un ensemble de logements diffus (36 appartements).</p>
<p>Rapidement débordé et confronté à un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/croix-rouge-une-affaire-d-agression-sexuelle-etouffee-la-direction-outre-mer-mene-un-audit-a-la-reunion-1431497.html">personnel peu habitué à l’accueil</a> des demandeurs d’asile (aucune formation au droit d’asile et des étrangers, une très faible maîtrise de l’anglais et des <a href="https://parallelesud.com/episode-5-la-justice-reconnait-la-souffrance-psychologique-des-migrants-et-libere-le-capitaine/">lacunes dans l’accompagnement des personnes</a>, complétées par un important turn-over des salariés contractuels), cet HUDA a été vite saturé, laissant certaines familles dans l’expectative, désemparées ou principalement accompagnées par les associations citoyennes.</p>
<h2>Une expérimentation des mesures d’exclusions</h2>
<p>Au-delà de la question de l’HUDA, plusieurs dysfonctionnements permettent d’identifier que l’État ne s’est pas conformé aux procédures habituelles d’accueil des demandeurs d’asile.</p>
<p>L’un d’entre eux, administratif, se passe à la première étape de la demande d’asile : le document généralement présenté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’est pas celui de la procédure “normale”, mais celui proposant une “procédure accélérée” dans lequel la case “Vous avez présenté de faux documents” est pré-cochée.</p>
<p>Cela induit que la procédure menée doit s’effectuer dans un délai de 15 jours, et non de 6 mois pour une procédure normale, et qu’un seul juge examine le recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) si la demande d’asile est rejetée (au lieu de 3 en procédure normale). Cette procédure accélérée peut également avoir un <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article5118">impact</a> sur les aides matérielles ou l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).</p>
<p>Les entretiens menés auprès de l’OFPRA, qui visent à comprendre la situation des demandeurs d’asile pour mieux statuer sur l’acceptation ou le rejet de leur accueil, se sont également effectués par visioconférence – l’administration ne disposant pas de bureau sur l’île – et via des traducteurs pour certains décriés, car peu compétents ou transcrivant des points de vue subjectifs ancrés dans les hiérarchies de pouvoir qui traversent <a href="https://cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-219.htm">l’histoire sri-lankaise</a> (notamment entre Tamouls et Cinghalais).</p>
<p>Ces diverses entraves administratives, qui se concrétisent par de nombreux accrocs dans la procédure, nécessitent la vigilance des associations et l’intervention des avocats. Ces derniers déploient beaucoup d’énergie à contester ces façons de faire et à déposer des recours. Bien que les juges leurs donnent souvent raison, les lenteurs de la justice et l’amoncellement des difficultés pour suivre les dossiers leur demande un engagement chronophage et exigeant, surtout qu’ils sont peu nombreux.</p>
<h2>Une brigade de police inédite</h2>
<p>Au-delà de ces complications administratives, une brigade de police, baptisée Groupe de Recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement (GRE), composée de six policiers, a aussi été créé début 2023. Cette unité spécifique de la Police aux frontières consacre son action vers l’ensemble des personnes sous Obligation à quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Unique en son genre, c’est la première fois qu’une telle brigade se déploie sur le territoire français, et <a href="https://parallelesud.com/oqtf-les-methodes-deloyales-du-nouveau-groupe-de-recherche-des-etrangers/">ses méthodes sont déjà beaucoup décriées</a>. En effet, les témoignages de personnes recherchées parlent par exemple de policiers qui se font passer pour des facteurs afin qu’elles sortent de leur résidence et puissent être arrêtées.</p>
<p>Mais c’est bien le fichage systématique, permettant des arrestations ciblées, qui pose question : des procès-verbaux relatant l’arrestation de personnes recherchées témoignent du fait que les policiers disposent non seulement de toutes leurs données personnelles, mais aussi de leurs photographies. Les avocats et les associations s’interrogent sur la légalité de tels documents tout comme la <a href="https://www.lacimade.org/le-groupe-de-recherche-pour-lexecution-des-mesures-deloignement-une-specificite-reunionnaise/">Cimade</a> qui souhaite aller en contentieux.</p>
<p>La GRE constitue un prolongement direct de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_2022-11-17.pdf">circulaire</a> du 17 novembre 2022 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, intitulée « Exécution des obligations de quitter le territoire français et renforcement de nos capacités de rétention », et qui a été adressée aux préfets quelque temps après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/affaire-lola-ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-dahbia-benkired_6148557_3224.html">meurtre de Lola</a>, une jeune fille de 12 ans tuée par une personne sous OQTF. Pourtant, ses méthodes singulières posent la question de leur légalité.</p>
<h2>Une gestion de l’asile à la Réunion qui questionne</h2>
<p>De manière générale, l’arrivée des bateaux sri-lankais et l’inorganisation de la réponse humanitaire et politique ont permis de pointer les déficiences de l’État dans la gestion de l’asile à La Réunion.</p>
<p>Ce sont les associations qui ont pallié les faiblesses de l’État en guidant les demandeurs d’asile dans leurs procédures, en leur trouvant des solutions de logement, en aidant aux soins (notamment psychiques), etc.</p>
<p>L’État est alors entré dans un rapport de force avec les acteurs de l’asile et les migrants, envoyant des signaux forts qui s’incarnent par maints bricolages administratifs. Or, comme le mentionne le préfet de la Réunion, Jérôme Filippini, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/migrants-sri-lankais-400-personnes-arrivees-en-5-ans-cela-ne-s-appelle-pas-une-invasion-selon-le-prefet-de-la-reunion-1357010.html">« la Réunion n’est pas une destination pour les migrations irrégulières »</a>. La nouvelle unité de police présente sur l’île interroge elle aussi : ne va-t-elle pas être répliquée dans d’autres régions françaises ?</p>
<p>En attendant, les Sri-Lankais, et tout spécifiquement les familles, dont certaines ont eu des enfants à la Réunion et ont scolarisé les aînés depuis leur arrivée en 2018, se retrouvent dans des situations d’incertitude complexes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice CORBET a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p>Depuis quelques années, l’île de la Réunion voit un afflux de migrants originaires de Sri Lanka, mais les procédures inédites mises en place à leur arrivée interrogent le cadre légal français.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159082023-10-22T15:16:29Z2023-10-22T15:16:29ZComment Lampedusa incarne les mythes migratoires européens<p>Le 3 octobre 2023 a marqué le dixième anniversaire du naufrage survenu au large de Lampedusa, qui a provoqué la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naufrage_du_3_octobre_2013_%C3%A0_Lampedusa">mort de plus de 300 migrants en 2013</a>, et qui constitue encore aujourd’hui un des épisodes les plus meurtriers et emblématiques de la <a href="https://theconversation.com/mort-de-migrants-en-mer-la-veritable-responsabilite-incombe-aux-politiques-mises-en-place-par-les-etats-europeens-210371">crise des migrants et des réfugiés</a> en Méditerranée.</p>
<p>Ironie de l’histoire, quelques jours avant ce triste anniversaire, l’île a connu un nouvel épisode de crise migratoire lorsque, en septembre 2023, une <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">dizaine de milliers de migrants sont arrivé en quelques jours</a>, saturant les capacités d’accueil et provoquant l’habituelle série de réunions d’urgence, visites de responsables politiques, annonce de nouvelles mesures, etc.</p>
<p>Ce type d’événement relève désormais d’une forme de jour sans fin. À intervalles réguliers, les mêmes problèmes se posent, à Lampedusa ou ailleurs. Et à chaque fois, les États européens y réagissent dans l’urgence, en refaisant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642231182889">exactement la même chose que lors du précédent épisode de crise</a> : ils renforcent le contrôle des frontières, intensifient la coopération avec les pays tiers, durcissent leur législation, promettent de lutter contre les passeurs et <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/leffet-lampedusa-ou-comment-se-fabriquent-des-politiques-migratoires-repressives-20230917_23WCBIMHNBHOFJRRL3HLUXEEZU/">d’accroître les expulsions, etc.</a></p>
<p>En France, la même impression de surplace se dégage de l’actualité politique. Rappelons que le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-29-lois-depuis-1980-pour-quel-bilan-20221215">gouvernement travaille actuellement à la 30ᵉ loi sur l’immigration depuis 1980</a> : au rythme de presque une nouvelle loi par an, le pays est engagé dans un processus continu et probablement sans fin, de nature sisyphéenne, qui voit une nouvelle loi chasser la précédente sans que le « problème » posé par les migrations ne soit d’une quelconque manière résolu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a>
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<h2>« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »</h2>
<p>Il en va de même des discours politiques. En septembre 2023, <a href="https://www.leparisien.fr/politique/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-lhistoire-derriere-la-celebre-phrase-de-rocard-reprise-par-macron-24-09-2023-NZXNP7IPRFC2PFYEYZDCA2KWEA.php">Emmanuel Macron a repris la célèbre phrase prononcée par Michel Rocard en 1989</a> : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Laquelle phrase avait été déjà reprise par Manuel Valls en 2012, et par Macron lui-même à plusieurs reprises depuis 2017.</p>
<p>En 1989, François Mitterrand évoquait une politique migratoire alliant <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/137997-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-la">sévérité aux frontières et humanité</a>, soit presque la même expression (humanité et fermeté) que le gouvernement actuel emploie pour <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1263404/article/2022-12-06/loi-immigration-fermete-et-humanite-pari-du-camp-presidentiel-pour-seduire-l">justifier la nouvelle loi en cours d’élaboration</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bateau de migrants à l’approche de Lampedusa, Italie. En septembre 2023 une dizaine de milliers de migrants sont arrivés en quelques jours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/194913085@N07/53201458968">Fellipe Lopes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette répétition sans fin des mêmes propos est d’autant plus frappante qu’ils n’ont aucun sens. Personne n’a en effet jamais suggéré que la France accueille toute la misère du monde : on voit donc mal pourquoi il est nécessaire de continuellement exclure ce scénario. Et si on comprend à peu près en quoi consiste la fermeté des États, personne n’a jamais réussi à définir ce à quoi ressemblerait une politique migratoire ferme et humaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a>
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<h2>L’appel d’air, un vrai faux argument</h2>
<p>On pourrait faire la même observation à propos de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">l’argument de l’appel d’air</a>, selon lequel un accueil décent des migrants et des réfugiés serait incompatible avec la maîtrise de l’immigration irrégulière car il les encouragerait à venir en France. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/04/francois-heran-sur-l-immigration-abandonnons-les-vieilles-rengaines-et-prenons-la-mesure-du-monde-tel-qu-il-est_6192352_3232.html">Cela n’a jamais été démontré</a>, mais le concept est devenu un mot magique, repris de manière pavlovienne par tous les gouvernements successifs de gauche comme de droite.</p>
<p>Les politiques migratoires reposent ainsi sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Du point de vue de la raison, c’est incompréhensible : un gouvernement qui constate l’échec de sa politique devrait, en toute logique, remettre en cause les postulats de son action et réévaluer sa stratégie.</p>
<p>Mais malgré l’échec de leurs politiques, les États européens continuent de croire dans ce qu’il faut bien qualifier de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/migrations-la-politique-europeenne-en-3-minutes/">monde imaginaire</a> : dans cet univers parallèle, les frontières sont bien contrôlées, la distinction entre migrants et réfugiés est claire pour tout le monde, les migrants économiques viennent docilement combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs dits « en tension », les pays tiers font preuve de bonne volonté pour aider l’Europe à prévenir l’immigration irrégulière, l’aide au développement est judicieusement allouée pour réduire la pression migratoire dans les pays du Sud, etc.</p>
<p>Il n’y a aucune chance que tout cela se produise dans le monde réel. Mais cet horizon inatteignable est tellement désirable qu’on ne cesse de l’invoquer en espérant le faire advenir. Il n’est donc pas surprenant que des responsables politiques prononcent exactement la même phrase à près de quarante ans d’intervalle : c’est précisément la manière dont les mythes fonctionnent, avec la répétition rituelle des mêmes mantras hérités de nos ancêtres, que chaque génération se répète et transmet à la suivante.</p>
<h2>Un rapport complexe à la réalité</h2>
<p>Rappelons que le mythe entretient un rapport complexe à la réalité. Il ne perd pas son pouvoir d’attraction, même lorsque la réalité ne cesse de le démentir. Dans la mesure où le mythe sert à unir et rassurer une société, il devient au contraire d’autant plus précieux et valable que cette réalité s’avère <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-2-page-427.htm">menaçante ou échappe au contrôle</a>. Chaque nouvelle « crise » migratoire constitue ainsi une raison de plus pour les sociétés européennes de réitérer leur croyance dans un horizon utopique qui les verrait atteindre leur objectif de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/20160-la-politique-dimmigration-la-maitrise-des-flux-migratoires">« maîtrise des flux migratoires »</a>.</p>
<p>La croyance dans le mythe s’accommode aussi de quelques contradictions. Dans un livre célèbre, Paul Veyne se demande si les Grecs de l’Antiquité <a href="https://books.google.fr/books?id=ZX6BAAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">croyaient à leurs mythes</a> et il avance l’hypothèse qu’il existe différents « programmes de vérité », qui cohabitent au sein des sociétés et en chacun d’entre nous. Comme le malade qui espère un miracle à Lourdes mais n’en prend pas moins ses médicaments, cela nous permet tout à la fois de croire et de ne pas croire, ou de croire tout en adoptant des comportements peu conformes avec nos croyances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>L’exemple italien</h2>
<p>C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement actuel se montre à la fois intransigeant et souple dans sa politique migratoire. Issue de l’extrême droite où l’immigration est systématiquement présentée comme une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">« invasion »</a>, et élue sur la promesse d’un « blocus » maritime contre l’immigration irrégulière, Giorgia Meloni <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/24/italie-georgia-meloni-admet-qu-elle-esperait-faire-mieux-en-matiere-de-migration_6190785_3210.html">reconnaît ainsi que ses objectifs sont difficiles à atteindre</a>, sans pour autant changer de discours.</p>
<p>Par ailleurs, son gouvernement continue de régulariser des sans-papiers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">prévoit même d’accroître l’immigration de travail</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Q43VfCwWgo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lampedusa, l’échec de Meloni ? France 24, septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>On peut n’y voir qu’un double discours, ou l’illustration du cynisme de dirigeants qui font des promesses électorales auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. La frontière ne serait alors plus qu’un théâtre, où les États européens mettent en scène leur volonté insincère de contrôle de l’immigration, à la seule fin de rassurer leurs concitoyens et de détourner leur attention.</p>
<h2>Concilier l’inconciliable ?</h2>
<p>Mais c’est oublier que les politiques migratoires soulèvent de véritables dilemmes, et qu’une des fonctions des mythes est précisément de dépasser les contradictions qui sont au cœur de l’expérience humaine. De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. La formule incantatoire « fermeté et humanité » promet ainsi de concilier ouverture et fermeture, générosité et sévérité, exclusion et solidarité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. Astérion le Minotaure dans les rues de Toulouse, géant de la compagnie « La Machine » – (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Le_Minotaure.jpg/1024px-Le_Minotaure.jpg">Mrniko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>De façon plus fondamentale, l’Europe est l’héritière de deux croyances antinomiques. Depuis les Lumières, elle se pense comme le berceau <a href="https://institutdelors.eu/publications/de-quelle-universalite-les-valeurs-europeennes-sont-elles-le-nom/">des droits humains, de l’universalité, du progrès et de l’égalité</a> – d’où la référence à l’humanité. Mais de par son histoire coloniale, elle est de longue date structurée autour d’une opposition entre « eux » et « nous », qui fonde une différence structurelle de traitement entre Européens et non-Européens, et qui motive sa « rage à marquer sa différence contre le reste du monde », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_postcolonie-9782348057502"><em>De la postcolonie</em></a>.</p>
<p>La contradiction réapparaît à chaque nouveau naufrage. L’Europe est choquée, elle se désole, se mobilise et exprime sa solidarité. Mais dans le même temps elle ne change rien à ses politiques, et s’accommode finalement de voir ses frontières transformées en une fosse commune pour non-Européens.</p>
<p>On conçoit que dans le monde réel il ne soit pas simple de concilier ces deux héritages, et qu’il est donc tentant de se réfugier dans un monde magique où la contradiction disparaîtrait. Cela se fait bien sûr au détriment d’une refondation pourtant nécessaire des politiques migratoires : mais après tout, de même que la religion est l’opium qui maintient le peuple dans le statu quo, les mythes tendent à être du côté de l’ordre établi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques migratoires semblent reposer sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Comment comprendre que ces dernières perdurent ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136742023-09-20T16:13:45Z2023-09-20T16:13:45ZLoi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile<p>Une <a href="https://theconversation.com/topics/reforme-immigration-78382">nouvelle loi sur l’immigration</a> doit être discutée en novembre à l’Assemblée nationale. Il s’agirait du <a href="https://www.histoire-immigration.fr/politique-et-immigration/la-29e-loi-sur-l-immigration-depuis-1980">29ᵉ texte</a> voté depuis 1980 ; cela fait un tous les 17 mois. Le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/02/darmanin-et-dussopt-sur-le-projet-de-loi-immigration-nous-proposons-de-creer-un-titre-de-sejour-metiers-en-tension_6148145_3224.html">projet</a> déposé en décembre 2022 envisage, outre une exonération, sous certaines conditions, du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler pour les demandeurs d’asile, un durcissement des règles du droit d’asile et une accélération des expulsions.</p>
<p>Si le sujet occupe un espace central dans le débat politique français, les réalités de l’<a href="https://theconversation.com/topics/immigration-21314">immigration</a>, les concepts et les chiffres qu’elle recouvre restent cependant au mieux l’objet de confusions, au pire de falsification et de fantasmes.</p>
<p>On se retrouve souvent face à la figure du <a href="https://theconversation.com/topics/demandeurs-dasile-56740">demandeur d’asile</a> en guenille qui incarnerait toute ou partie de l’immigration avec l’idée que la France « ne peut pas accueillir toute la misère du monde », <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/04/22/misere-du-monde-ce-qu-a-vraiment-dit-michel-rocard_1256930/">formule</a> lancée par le Premier ministre Michel Rocard en décembre 1989 et maintes fois reprises depuis.</p>
<p>Rechercher « migrants » dans un moteur de recherche, c’est s’exposer à des dizaines de photos de personnes en détresse tentant de traverser la méditerranée ou de longues colonnes de marcheurs le long de routes et barrières barbelées. Et ce plus encore alors que l’île italienne de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/15/l-ile-de-lampedusa-epicentre-de-la-crise-de-la-gestion-des-flux-migratoires-par-les-etats-europeens_6189471_3210.html">Lampedusa</a> revient à la Une des journaux, sujet à propos duquel le ministre de l’Intérieur français a affirmé une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/la-france-n-accueillera-pas-de-migrants-de-lampedusa-les-propos-de-gerald-darmanin-en-opposition-avec-emmanuel-macron-selon-un-depute_6072057.html">« position ferme »</a> : la France « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa » sinon « les réfugiés politiques », a-t-il assuré.</p>
<h2>Confusion entre politique d’asile et politique migratoire</h2>
<p>La thématique des migrations fait pourtant l’objet de toujours plus de statistiques, de travaux et de publications au niveau international. Comme le rappelle, par exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, dans un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/immigration-le-grand-deni-francois-heran/9782021531145">ouvrage récent</a>, la prophétie du <a href="https://www.lepoint.fr/debats/francois-heran-ni-chaos-ni-tsunami-migratoire-12-06-2023-2524068_2.php">Tsunami migratoire</a> ne s’est pas réalisée. En 2022, la France a pris en charge <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/asylum-applications-eu/#:%7E:text=Nombre%20de%20premi%C3%A8res%20demandes%20par,l%E2%80%99Autriche%20(11%20%25).">16 % des demandes d’asiles</a> adressées à l’Europe quand notre PIB représente <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD?locations=EU">16,7 % du PIB européen</a>. Au total, les titres de séjours octroyés au titre de l’Asile et d’étrangers malades représentent environ 13 % de l’ensemble des titres en 2022.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1631564098465849346"}"></div></p>
<p>L’une des pierres d’achoppement du débat réside sans doute dans le maniement des mots et dans une confusion entre politique d’asile et politique migratoire. Il existe pourtant une distinction claire entre les deux : la première relève du droit international et du respect de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de Genève de 1951</a> dont la France et les pays européens sont signataires, la seconde relève de la politique ordinaire d’un état souverain. La politique d’asile est élaborée <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.p20161062">au profit des personnes Bénéficiaires de la protection internationale</a> (réfugiés et protégés subsidiaires) tandis que la politique migratoire ordinaire est élaborée par les États, en fonction de leurs intérêts à un moment donné.</p>
<p>Pour le reste, les discussions quant à l’orientation à donner à la politique d’asile souffrent d’un réel manque d’études quantitatives robustes sur lesquelles se fonder.</p>
<h2>Peu d’études malgré un matériau disponible</h2>
<p>À l’aube d’une nouvelle loi migration, la France est, de fait, peu documentée quant aux effets de sa politique d’asile et des programmes destinés à l’intégration des réfugiés. Dans un <a href="https://academic.oup.com/oxrep/article/38/3/531/6701697">article de recherche récent</a>, l’économiste danois Jacob Nielsen Arendt détaille avec ses coauteurs les travaux publiés qui évaluent les politiques relatives aux réfugiés et leurs performances sur le marché du travail. N’y apparaît qu’une seule étude sur la France, celle d’<a href="https://docs.iza.org/dp11331.pdf">Alexia Lochmann, Hillel Rapoport et Biagio Speciale</a>. On compte en parallèle plus d’une quinzaine d’études sur le Danemark et près d’une dizaine sur la Suède généralement fondées sur des données administratives de grande dimension.</p>
<p>L’étude sur la France date de surcroît de 2019. Les chercheurs y évaluent l’impact de la composante linguistique du Contrat d’accueil et d’intégration, l’ancêtre du Contrat d’intégration républicain. Par rapport aux études scandinaves, les auteurs doivent s’en remettre à des données d’enquête qui offrent un éventail d’indicateurs restreints et autodéclarés quant à la participation au marché du travail tandis que le nombre de Bénéficiaires de la protection internationale au sein de leur échantillon est relativement faible.</p>
<p>La France dispose pourtant de l’ensemble des outils et connaissances pour évaluer rigoureusement sa politique d’asile. Les centres de recherche français comptent de nombreuses équipes spécialistes de l’immigration et de l’évaluation expérimentale et non expérimentale. À ce titre, rappelons que la prix Nobel d’Économie 2019, Esther Duflo, est une Française spécialiste de l’évaluation par les méthodes expérimentales qu’elle a largement contribué à populariser.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a>
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<p>Du côté des données, la France dispose de très importants dispositifs statistiques d’une qualité inégalable et le <a href="https://www.casd.eu/">Centre d’accès sécurisé aux données</a> (CASD) permet d’accéder à distance à une infrastructure sécurisée où les données confidentielles sont sanctuarisées. Toutes les conditions techniques sont réunies pour mener des travaux d’évaluation du meilleur niveau académique fondés sur un large panel de méthodes afin d’étudier finement notre politique d’asile et verser au débat des propos fondés sur des preuves scientifiques.</p>
<h2>Sans évaluation, des bénéfices bien moins visibles</h2>
<p>Quel que soit l’issue du débat sur la loi immigration, il convient donc de consacrer l’évaluation de notre politique d’asile en se dotant des moyens requis. Cela implique notamment d’anticiper le financement et le soutien à des évaluations scientifiques rigoureuses mais également de mener à bien l’élaboration de dispositifs statistiques appariés pour pallier le risque de voir les chiffres être manipulés et les scientifiques se détourner du contexte français pour mener leurs recherches.</p>
<p>Celles-ci s’avèrent nécessaires, notamment car les coûts liés à l’immigration sont plus directement visibles que ses retombées positives dont la mesure requière des évaluations plus fines.</p>
<p>Du point de vue des coûts, en plus d’instruire les demandes d’asile, la France est tenue de garantir les conditions matérielles d’accueil en vertu du <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/public/reception-FR.pdf">droit européen</a>. Tout ceci est chiffré au sein des programmes 303 et 104 du projet de loi de finances (PLF). Dans le PLF 2022, l’action n°2 du programme 303, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représentait près de 90 % du budget du programme et recouvrait les crédits d’allocation pour les demandeurs d’asile (la fameuse « ADA »), l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile au sein du dispositif national d’accueil (le DNA), et le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra.</p>
<p>Du côté du programme 104 qui compte pour un peu plus de 20 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration, plusieurs actions sont en lien direct avec la politique d’asile. On y retrouve notamment une part du financement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701639152356213133"}"></div></p>
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<p>À très grosse maille, près de 74 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration seraient ainsi fléchés vers la politique d’accueil des demandeurs d’asile et l’accompagnement des réfugiés. Face à ces dépenses, l’unique <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-04/NEB-2022-Immigration.pdf">recommandation</a> formulée par la Cour des comptes en avril 2023 lors de son exercice d’analyse de l’exécution budgétaire est :</p>
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<p>« Améliorer le taux d’hébergement des demandeurs d’asile en poursuivant le développement des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA), simplifiant les types d’hébergement des DNA, homogénéisant leurs modalités de tarification et de financement. »</p>
</blockquote>
<p><em>A contrario</em>, identifier les dividendes économiques d’une politique telle que la politique de l’asile requiert des calculs autrement plus élaborés. Quelques enseignements sont néanmoins déjà disponibles.</p>
<h2>Flux et performances économiques</h2>
<p>Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS et à l’École d’économie de Paris, détaché auprès de l’Inspection générale des finances comme Chef économiste, montre avec ses co-auteurs que sur la période 1985-2015, les flux de demandeurs d’asile <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aaq0883">ne détériorent pas les performances économiques</a> ou l’équilibre budgétaire des pays d’Europe de l’Ouest. L’explication réside dans le fait que l’augmentation des dépenses publiques qu’ils induisent est plus que compensée par une augmentation des recettes fiscales nettes des transferts. Mieux, au fur et à mesure que les demandeurs d’asile deviennent des résidents permanents, c’est-à-dire qu’ils obtiennent une forme de protection, leur impact macroéconomique devient positif.</p>
<p>Pour les États-Unis, Michael Clemens du <em>Center for Global Development</em> montre, quant à lui, que la politique visant à réduire les arrivées de réfugiés et de demandeurs d’asile entre 2017 et 2020 coûterait plusieurs milliards de dollars chaque année à l’économie américaine. Selon ses estimations, déduction faite des dépenses publiques, le manque à gagner pour les caisses publiques à tous les niveaux de gouvernement s’élèverait à <a href="https://academic.oup.com/oxrep/article/38/3/449/6701682">plus de 2 milliards de dollars par an</a>.</p>
<p>Néanmoins, pour pleinement profiter du potentiel du dividende économique que représente l’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés, il convient d’élaborer et de financer des politiques et programmes efficaces, que seules des évaluations rigoureuses permettent d’identifier. Dès septembre 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, l’économiste Jens Weidmann alors président de la banque fédérale d’Allemagne <a href="https://www.sueddeutsche.de/wirtschaft/jens-weidmann-das-staerkt-mir-den-ruecken-1.2648708?reduced=true">déclarait</a> au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung que l’afflux de réfugiés représentait « des chances qui sont d’autant plus grandes si nous parvenons à bien intégrer dans la société et dans le marché du travail ces personnes ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Michallet a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, du CNRS et de la Direction Générale des Étrangers en France au cours des trois années passées.
Benjamin Michallet travaille à l’École d'Economie de Paris dont une partie des activités consiste à mener des évaluations de politiques publiques à des fins de recherche scientifique. </span></em></p>Même si les données existent et que les méthodes pour les exploiter ont fait leurs preuves, les évaluations quantitatives de la politique d’asile en France restent très rares. Cela pénalise le débat.Benjamin Michallet, Chercheur en économie des réfugiés à PSE-École d'Économie de Paris, associé à la Chaire économie des migrations internationales et l'Institut Convergences Migrations, enseignant à IEP Paris, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1665322021-08-24T12:27:09Z2021-08-24T12:27:09ZRéfugiés afghans : une nécessaire mise au point sur le droit d’asile en France<p>Le « blitzkrieg » victorieux des talibans illustre parfaitement l’échec, quelles qu’en soient les causes, des différentes stratégies de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2010-1-page-83.html?contenu=resume">contre-insurrection</a> menées sur place depuis 20 ans – tout comme il souligne combien le calendrier de retrait des forces américaines avait été sans doute mal ordonné.</p>
<p>S’il ne s’agit nullement d’une surprise stratégique ou d’un <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/1407-le-cygne-noir">« cygne noir »</a>, la rapidité avec laquelle les talibans sont sortis de la clandestinité et ont repris le pouvoir interpelle.</p>
<p>Leur « retour » a en ce sens provoqué de nombreuses réactions internationales. Et la question migratoire figure au centre de bien des préoccupations. Compte tenu de la dégradation de la situation sur place, les États européens se <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/14/le-sort-des-refugies-afghans-divise-l-union-europeenne_6091417_3210.html">divisaient</a> déjà au début de l’été sur la pertinence du maintien des éloignements des Afghans en situation irrégulière vers leur pays d’origine.</p>
<p>Depuis, le Président de la République française a déclaré, dans son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/08/16/allocution-relative-a-la-situation-en-afghanistan">allocution télévisée</a> du 16 août, qu’il était de « l’honneur de la France » d’« aider » certains Afghans – « défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants » – mais qu’il importait également de « nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants ».</p>
<p>Bref, seuls quelques heureux élus mériteraient la protection de la France. Du « sauve qui peut » au « sauve qui je veux » ?</p>
<h2>Droit applicable aux mouvements de population</h2>
<p>La situation afghane appelle de ce fait certaines précisions et mises au point quant au droit applicable aux mouvements de population qu’elle génère, a généré, et générera dans les prochaines années. Les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/17/en-afghanistan-les-talibans-annoncent-une-amnistie-generale-pour-les-fonctionnaires_6091628_3210.html">gages</a> donnés par les nouvelles autorités talibanes sont déjà contredits par plusieurs <a href="https://www.liberation.fr/international/cote-talibans-des-paroles-et-des-traques-20210818_DIEUWPJU5VGXBK6LEZBEMBK5DE/">exactions</a> sur le terrain.</p>
<p>Certes, il est probable que les talibans veilleront à se distancier davantage d’Al-Qaïda et à ne pas servir de <a href="https://theconversation.com/lecons-afghanes-pour-la-france-et-pour-le-monde-166358">base arrière</a> à des groupes armés terroristes prônant le djihad global. Mais, en interne, ils ne se laisseront pas déborder par plus radical qu’eux et chercheront à se venger de ceux qui les ont « trahis ».</p>
<p>Qui peut croire à une gouvernance <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-il-faut-un-gouvernement-inclusif-qui-montre-que-les-talibans-ont-change-espere-jean-yves-le-drian_4740465.html">« inclusive »</a> ?</p>
<p>Le besoin de protection internationale des Afghans ne va pas disparaître – bien au contraire.</p>
<h2>Un phénomène ancien</h2>
<p>L’afflux de migrants et réfugiés afghans n’est pas un phénomène nouveau du fait de la durée et de la dureté du conflit. Premier pays d’origine des migrations internationales de 1979 à 2013 – année où la Syrie prend la tête de ce classement –, on compte à la fin de l’année 2020 plus de <a href="https://www.unhcr.org/60b638e37/unhcr-global-trends-2020">2,6 millions de réfugiés afghans</a> (contre 6,7 pour la Syrie et 4 pour le Venezuela), et plus de <a href="https://www.refworld.org/pdfid/611a4c5c4.pdf">550 000 déplacés internes</a>, contraints de fuir les diverses conséquences du conflit.</p>
<p>L’Union européenne (UE) n’est toutefois concernée qu’à la marge par cette migration contrainte des Afghans vers l’étranger : seules 47 000 demandes de protection (demandes d’asile) d’Afghans en 2017 et 2018 ont été enregistrées, un chiffre en légère augmentation en 2019 (61 000) mais minime comparé aux 2,2 millions de réfugiés que comptent le <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/details/88207">Pakistan et l’Iran</a></p>
<h2>Une répartition très inégalitaire en Europe</h2>
<p>La répartition géographique de ces demandes au sein de l’UE est toutefois très inégalitaire : ainsi, en 2019, l’Allemagne, la France et la Grèce enregistraient respectivement 11 000, 12 000 et 23 000 demandes de protection afghanes, quand l’Italie et l’Espagne n’en enregistraient, par exemple, que 600 et 130 – d’après <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Asylum_statistics#Citizenship_of_first-time_applicants:_largest_numbers_from_Syria.2C_Afghanistan.2C_Venezuela_and_Colombia">Eurostat</a>. L’Afghanistan représente d’ailleurs, depuis 2018, le premier pays d’origine des demandes d’asile en France (comme le soulignent les derniers <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/nos-publications/rapports-d-activite">rapports d’activités</a> de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, OFPRA).</p>
<p>En 2020, la France a protégé 80 % des Afghans qui en faisaient la demande, alors que le taux moyen de protection s’établissait, toutes nationalités confondues, à moins de 25 % (Cour Nationale du Droit d’Asile, CNDA, <a href="http://www.cnda.fr/content/download/179204/1758937/version/2/file/RA2020-book.pdf">Rapport d’activité, 2020</a>).</p>
<p>Si les chiffres demeurent ainsi très modestes au regard des migrations globales générées par la situation afghane, le propos n’est pas ici de nier les quelques tensions qu’elles peuvent générer au sein des pays de l’Union européenne, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/18/afghanistan-defiance-et-pragmatisme-au-sein-de-l-union-europeenne_6091731_3210.html">notamment la défiance vis-à-vis des réfugiés</a>.</p>
<p>Pourtant, les migrants originaires d’Afghanistan ne sauraient être qualifiés de « migrants illégaux » aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur leur demande d’asile. Si elle est acceptée, au terme d’un processus qui prend un an environ en France, ils seront protégés et leur statut régularisé.</p>
<h2>Le statut de réfugié</h2>
<p>En effet, en vertu de l’article 1A2 de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié, doit se voir reconnaître cette qualité toute personne qui « craint avec raison d’être persécutée » dans son pays d’origine pour des motifs tenant à son ethnie, à sa religion, à son appartenance à un certain groupe social, ou à ses opinions politiques – soit autant de motifs qui génèrent traditionnellement des persécutions de la part des talibans.</p>
<p>La France protège ainsi très régulièrement des Afghans sur ce fondement. C’est le cas en particulier lorsqu’il est établi que le demandeur d’asile a un lien, même très distendu, avec les autorités gouvernementales, la coalition ou une organisation internationale, mais aussi lorsqu’il adopte un profil, un style de vie jugé occidentalisé, ou une pratique de la religion jugée contraires aux canons des talibans (pour un exemple récent voir <a href="http://www.cnda.fr/content/download/169967/1697343/version/2/file/CEREDOC_REC_2019_Recueil%202019.pdf">CNDA, Rec. 2019, p. 26</a>).</p>
<p>Nombreux sont ainsi ceux qui pourraient prétendre à une telle protection après la reprise du pouvoir par les talibans. Les inquiétudes d’organisations de <a href="https://rsf.org/fr/actualites/rsf-demande-une-reunion-du-conseil-de-securite-de-lonu-formule-arria-pour-lancer-un-plan-durgence">journalistes</a> ou de la <a href="https://www.lepoint.fr/societe/afghanistan-la-communaute-judiciaire-se-mobilise-en-france-19-08-2021-2439480_23.php">communauté judiciaire</a> pour leurs homologues afghans en témoignent, mais au-delà de ces corporations et des minorités ethniques ou religieuses (comme les Hazaras), c’est en réalité des groupes bien plus larges que les talibans pourraient persécuter.</p>
<h2>La protection subsidiaire</h2>
<p>En outre, à défaut de la Convention de Genève, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006147795/2005-03-01/">protection subsidiaire</a> pourrait aussi bénéficier aux Afghans. Prévue par le <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:337:0009:0026:fr:PDF">droit européen</a>, elle protège ceux qui craignent la peine de mort, des traitements inhumains ou dégradants (quel qu’en soit le motif), ou un conflit armé.</p>
<p>Jusqu’en novembre 2020, la CNDA protégeait à ce titre tout Afghan, du fait du « conflit armé d’intensité exceptionnelle » affectant Kaboul, seul point d’entrée international dans le pays. Si cette jurisprudence a été renversée récemment – au prix d’une décision fort <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/13/le-revirement-de-la-cour-nationale-du-droit-d-asile-a-propos-des-afghans-critique_6066098_3224.html">commentée</a> et dont l’évolution de la situation afghane a révélé la difficulté d’appréhender juridiquement la volatilité des conflits – elle pourrait redevenir d’actualité.</p>
<p>Car la fin des hostilités entre les troupes régulières et les talibans ne signifie nullement la fin de la conflictualité et de la violence. La concorde interclanique est fragile, l’opposition historique se regroupe dans la vallée du Panshir et affiche sa <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2021/08/18/mujahideen-resistance-taliban-ahmad-massoud/">volonté</a> d’en découdre. <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">L’État islamique au Khorasan, région entre le Pakistan et l’Afghanistan</a> cherchera aussi à profiter de toute faiblesse locale.</p>
<h2>Arriver jusqu’en France</h2>
<p>En définitive, l’essentiel pour ces personnes en besoin de protection est d’arriver jusqu’en France. Or, en la matière, c’est à chaque État qu’il revient de favoriser – ou non – l’accès à son territoire.</p>
<p>La déclaration présidentielle annonce à ce titre que 800 personnes ayant aidé l’armée française sont déjà parvenues sur le territoire et que les autorités restent mobilisées pour en faire venir des dizaines d’autres. En dehors de cette voie spécifique – mais qui reste <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/16/l-angoisse-des-afghans-qui-tentent-de-faire-venir-leur-famille-en-france_6091532_3224.html">aléatoire</a> et réclame parfois le <a href="https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-02-26/436176">recours</a> au juge administratif – les mots présidentiels se situent dans une longue tradition de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000029103363/">crainte</a> face aux flux engendrés par les conflits armés.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins qu’aucun candidat à une protection internationale n’est en situation irrégulière tant que le bien-fondé de sa demande n’a pas été examiné.</p>
<p>Comme le HCR l’a rappelé le 16 août, un État ne saurait refouler ceux – journalistes, artistes, défenseurs des droits, ou rien de tout cela – qui fuient la situation afghane, laquelle génère « un besoin croissant de protection internationale ». Ce n’est pas seulement une question d’honneur, mais surtout de respect par la France et par chacun des États membres de l’UE de leurs obligations juridiques. Il serait regrettable qu’ils s’en défaussent quand leur concours apparaît plus que jamais nécessaire.</p>
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<p><em>Les auteurs sont co-porteurs du projet <a href="https://www.refwar.fr/">« RefWar. Protection en France des exilés de guerre »</a> (ANR 2019-2023).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166532/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est membre de RefWar.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexis Marie est membre de Refwar.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julian Fernandez est membre de RefWar</span></em></p>Comme le prévoit le droit de l'asile, au-delà des « plus menacés » c’est toute personne qui craint certaines persécutions ou atteintes graves qui doit être protégée.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayAlexis Marie, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Julian Fernandez, Professeur en droit public, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1657922021-08-09T17:41:40Z2021-08-09T17:41:40ZQuand la politique biélorusse s’invite aux JO de Tokyo<p>Ce fut l’un des grands moments extrasportifs des Jeux olympiques qui viennent de prendre fin à Tokyo : la sprinteuse biélorusse Krystyna Tsimanouskaya, 24 ans, s’est retrouvée au cœur d’un véritable scandale diplomatique.</p>
<p>Loin d’être anecdotique, cet épisode, digne d’un roman policier, jette une lumière crue sur la réalité du régime d’Alexandre Loukachenko, l’homme fort de Minsk depuis 1994, confronté depuis un an dans son pays à une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bielorussie-anniversaire-contestation-entre-morosite-fierte-2021-08-09-1201170030">fronde sans précédent</a>.</p>
<h2>Retour sur les faits</h2>
<p>Le 1<sup>er</sup> août, Krystyna Tsimanouskaya apprend par ses entraîneurs qu’ils l’ont inscrite au dernier moment pour le relais 4x400 mètres. Engagée initialement pour le 100 et le 200 mètres, disciplines dont elle est spécialiste, à la différence du 400 mètres, qui réclame une préparation et des efforts très différents, elle refuse.</p>
<p>Si les responsables de la délégation biélorusse ont décidé de faire participer Tsimanouskaya au relais, c’est parce que ses compatriotes qui devaient effectuer le tour de piste ont été évincées par le CIO pour ne pas s’être soumises à suffisamment de <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20210801-tokyo-2021-une-athl%C3%A8te-bi%C3%A9lorusse-emmen%C3%A9e-de-force-%C3%A0-l-a%C3%A9roport-pour-avoir-%C3%A9mis-des-critiques">contrôles anti-dopage</a>. Mais la sprinteuse ne souhaite pas pâtir de l’incapacité de la fédération biélorusse à se conformer aux règles olympiques. Elle estime que prendre part au 4x400 mètres nuirait à ses chances de bien figurer sur 200 mètres ; surtout, elle est ulcérée d’avoir été mise devant le fait accompli à quelques jours à peine des courses, et fait part de son mécontentement sur son compte Instagram.</p>
<p>S’ensuit alors un échange incroyable dont la transcription en russe se trouve <a href="https://meduza.io/feature/2021/08/01/tebya-gordynya-nachinaet-v-krugovorot-dyavola-brat-i-krutit-toboy">ici</a> et en anglais <a href="https://meduza.io/en/feature/2021/08/02/that-s-how-suicide-cases-end-up">là</a>, et qui a été traduit par le <a href="https://twitter.com/LukasAubin/status/1422124927491219459">chercheur Lukas Aubin sur Twitter</a>. Il s’agit d’une conversation entre l’athlète récalcitrante et deux responsables de sa délégation : Iouri Moïssevitch, entraîneur en chef de l’équipe nationale d’athlétisme, et Artur Choumak, directeur du centre de préparation des athlètes aux épreuves olympiques. Les deux hommes semblent avoir rencontré la jeune femme dans sa chambre d’hôtel, sans se douter qu’elle enregistrait leurs échanges. Ce qui les met dans tous leurs états, c’est moins son refus de participer au relais que le fait qu’elle a osé dénoncer la situation sur les réseaux sociaux. Ils la menacent, lui rappellent son devoir de soumission et lui expliquent que, pour elle, les Jeux sont terminés : elle ne participera ni au relais, ni au 200 mètres, et doit rentrer immédiatement à Minsk.</p>
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<p>Tsimanouskaya lance alors un message d’alerte sur son compte Instagram, affirmant craindre pour sa vie. Entretemps, la fédération de Biélorussie annonce officiellement le retrait de la sprinteuse en raison de « son état émotionnel, qui l’empêche de prendre part à la course ». À l’aéroport, elle parvient à demander la protection de la police nippone qui, comprenant la situation, la met en sécurité dans un hôtel. Rapidement, la Pologne propose de lui offrir l’asile humanitaire. Le 4 août, Tsimanouskaya <a href="https://twitter.com/flightradar24/status/1422849699095195652">quitte le Japon pour l’Autriche</a> avant de se réfugier en Pologne, où elle est rejointe par son mari, qui bénéficie du même statut. L’homme, qui se trouvait à Minsk, était <a href="https://news.sky.com/story/belarusian-sprinter-arrives-at-polish-embassy-in-tokyo-after-refusing-to-board-flight-home-12370591">parti pour l’Ukraine dès l’éclatement du scandale autour de son épouse</a>, de crainte d’être arrêté.</p>
<h2>Le sport, une affaire politique</h2>
<p>Alexandre Loukachenko aime le sport. Il a entrepris depuis des années la construction de nombreux complexes sportifs, dont l’un des joyaux est la <a href="https://fr.minskarena.by/">Minsk-Arena</a>, inaugurée en 2010. Il se met également régulièrement en scène dans sa pratique sportive. Les rencontres de hockey contre la Russie menée par Vladimir Poutine sont <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Poutine-et-Loukachenko-brisent-la-glace-a-Sotchi-1672730">mémorables</a>.</p>
<p>Loukachenko a fait main basse sur le sport de compétition dès son premier mandat. En 1997, il devient président du Comité national olympique (CNO). Il se sert de ce statut pour imposer sa présence aux <a href="https://sociologieeconomique.org/2021/02/23/numero-64/">JO de Nagano de 1998</a>, alors que les autorités nippones (déjà !) ne l’avaient pas invité suite à l’affaire de l’<a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/06/23/minsk-les-diplomates-claquent-la-porte-expulses-de-leurs-residences-ils-quittent-la-bielorussie_239392/">expulsion des diplomates</a>. Arrivé sur place, il accuse le CIO et le comité d’organisation de comploter pour empêcher la Biélorussie de décrocher des médailles. Son coup d’éclat le plus marquant reste, néanmoins, son <a href="https://by.tribuna.com/tribuna/blogs/hockeyknyrko/1565950.html">irruption dans les vestiaires</a> lors d’une mi-temps d’un match de hockey sur glace contre le Canada, au mépris des règles protocolaires. Il est certain que Loukachenko n’est <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-bielorussie_les_mises_en_scene_du_pouvoir_alena_lapatniova-9782747504171-7948.html">pas réputé pour son respect de la bienséance</a>…</p>
<p>Plus récemment, il n’hésite pas à affirmer que la pratique sportive est un excellent remède contre la <a href="https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_buvez-de-la-vodka-allez-au-sauna-et-travaillez-dur-le-remede-miracle-bielorusse-contre-le-coronavirus?id=10470369">pandémie de Covid-19</a> – sa gestion de la crise sanitaire lui a d’ailleurs valu d’être régulièrement cité parmi les chefs d’État les plus inaptes face à l’épidémie, aux côtés par exemple du brésilien Jair Bolsonaro.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250752861862051840"}"></div></p>
<p>Toutefois, sa politique de propagande par le sport s’effrite avec la violente répression des manifestations qui ont éclaté dans le pays en août 2020, au lendemain de sa réélection pour un sixième mandat, entachée de fraudes évidentes. La Biélorussie se voit retirer l’organisation du <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/01/18/le-mondial-de-hockey-sur-glace-n-aura-pas-lieu-en-bielorussie_6066696_3242.html">Mondial de hockey sur glace</a> au profit de la Lituanie. De même, la CIO suspend Loukachenko de la présidence du CNO, les répressions contre les opposants étant contraires aux principes de la <a href="https://www.lapresse.ca/sports/jeux-olympiques/2020-12-07/bielorussie/le-cio-sanctionne-loukachenko-pour-discrimination-politique.php">Charte olympique</a>. Le président obtempère après des contestations, et se fait remplacer à ce poste par… son fils Viktor, 45 ans. Le CIO <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Actualites/Le-cio-refuse-de-reconnaitre-l-election-de-viktor-loukachenko-a-la-presidence-du-comite-olympique-de-bielorussie/1230454">ne reconnaît pas ce dernier</a> : Viktor Loukachenko est en effet le chef de la sécurité nationale et a activement participé à l’écrasement des manifestations.</p>
<p>De leur côté, de nombreux sportifs s’engagent dans l’opposition. Certains sont en première ligne depuis les débuts du mouvement de contestation. C’est par exemple le cas de la <a href="https://www.lequipe.fr/Basket/Actualites/Bielorussie-yelena-leuchanka-est-libre/1184299">basketteuse Yelena Leuchanka</a> qui a, d’ailleurs, écopé de quinze jours de détention. Dès fin août 2020, 300 sportifs de haut niveau dont des médaillés olympiques s’insurgent contre les élections truquées et appellent à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/tokyo-2020/jo-de-tokyo-comment-le-regime-d-alexandre-loukachenko-brise-le-destin-des-athletes-bielorusses-dissidents_4626975.html">nouveau scrutin</a> dans une lettre ouverte adressée au président. D’autres encore optent pour la <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1422483788706295808">fuite</a> afin d’assurer leur sécurité. La <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/les-choix-de-la-redaction-sport/jo-2021-la-fuite-des-muscles-quand-les-athletes-profitent-des-competitions-internationales-pour-disparaitre_4709391.html">« fuite des muscles »</a> pour reprendre le titre d’un article de <em>France Info</em>, est une pratique ancienne. Les athlètes préfèrent quitter leur État plutôt que de servir la propagande d’un régime auquel ils <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2017/10/03/on-a-retrouve-nadia-comaneci-la-reine-de-glace_5195475_3242.html">s’opposent</a>.</p>
<p>Ainsi, lorsque Krystyna Tsimanouskaya écrit sur les réseaux sociaux qu’elle craint pour sa vie, l’expérience de cette dernière année ne peut que lui donner raison. Si elle était rentrée à Minsk, même si sa disgrâce est due non pas à une prise de position politique mais seulement à une dénonciation du fonctionnement de sa fédération elle aurait probablement été identifiée comme opposante – un qualificatif très large et à la discrétion du pouvoir – et peut-être incarcérée. Personne n’est dupe de la véritable raison de son retrait forcé des JO. Son état émotionnel n’y est pour rien, c’est bien son refus de se soumettre aux décisions des entraîneurs, et par extension à une autorité étatique, qui est la véritable cause. Les vidéos des aveux du journaliste d’oppostion <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vrLkD9g0W50">Roman Protassevitch</a> après sa rocambolesque arrestation consécutive au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/24/le-detournement-d-un-avion-de-ligne-et-l-arrestation-de-l-opposant-roman-protassevitch-par-la-bielorussie-suscitent-une-forte-emotion_6081269_3210.html">déroutement sur Minsk du vol commercial dans lequel il se trouvait</a>, en mai dernier, sont encore très présentes dans les esprits et tout laissait présager que la sprinteuse subirait le même traitement.</p>
<h2>Une affaire révélatrice de l’état du régime</h2>
<p>Depuis la présidentielle d’août 2020, la situation est plus que tendue en Biélorussie. Voilà un an que les citoyens manifestent contre les résultats accordant un nouveau mandat, frauduleux, à Alexandre Loukachenko. Jamais la Biélorussie n’a connu de troubles aussi longs en temps de paix. Les manifestants sont <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1421048732456476674">victimes d’une sévère répression</a> mise en œuvre par les forces policières, militaires et paramilitaires fidèles au président. L’opposante <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/betes-noires-des-regimes-autoritaires-44-bielorussie-svetlana-tikhanovskaia-lopposante-exilee">Svetlana Tikhanovskaïa</a> est toujours en exil en Lituanie. Elle rencontre régulièrement tous les leaders démocratiques, y compris récemment <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210728-joe-biden-a-re%C3%A7u-l-opposante-bi%C3%A9lorusse-svetlana-tikhanovska%C3%AFa">Joe Biden</a>, afin de maintenir la pression sur le régime et la visibilité de l’engagement des manifestants. Le procès de <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1422838829841633284">Maria Kalesnikava</a>, autre figure de la contestation, débute à huis clos.</p>
<p>Depuis les élections, la Biélorussie est <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eastern-partnership/belarus/">sanctionnée</a> par la communauté internationale. Les dignitaires du régime, au premier rang desquels Loukachenko, en sont les cibles principales. Aux sanctions financières (gels des avoirs) et aux interdictions de territoire, s’ajoute, suite au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/21/avion-detourne-par-la-bielorussie-les-europeens-frappent-les-revenus-du-regime-de-loukachenko_6085044_3210.html">détournement de l’avion</a> de Roman Protassevitch en mai dernier, un boycott aérien. Les vols internationaux ne survolent plus l’espace aérien de la Biélorussie et les avions biélorusses sont refoulés des aéroports de l’UE. Désormais, sept ans après avoir tenté de s’acheter un statut de président fréquentable par son action en faveur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2015/02/11/minsk-capitale-improbable-des-negociations-entre-l-ukraine-et-la-russie_4574614_3210.html">accords de paix lors de la crise ukrainienne</a>, Loukachenko se trouve isolé et n’a pas d’autres choix que de se replier vers le soutien historique de la Biélorussie : la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/29/a-sotchi-poutine-et-loukachenko-font-front-commun-face-aux-europeens_6081955_3210.html">Russie</a>.</p>
<p>Dans cette situation d’isolement relatif et de dénonciations tant nationales qu’internationales, le régime est acculé. Il ne peut faire autrement que d’affirmer son pouvoir par tous les moyens. En même temps que l’affaire Tsimanouskaya, une autre éclate, cette fois en Ukraine. <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-russie-qui-tue-lopposant-bielorusse-vitali-chichov">Vitali Chichov</a>, directeur de l’ONG <em>Maison biélorusse en Ukraine</em>, disparaît le 2 août. Il est retrouvé pendu dans un parc le lendemain. La possibilité d’un meurtre maquillé en suicide est envisagée. Ce militant aidait les opposants au régime à fuir le pays.</p>
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<p>La question migratoire participe de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-3-page-31.htm">« guerre hybride »</a> que la Biélorussie livre à ses détracteurs. Sa cible première est la Lituanie. Depuis, un moment, le gouvernement organise, avec le soutien d’agences de tourisme fidèles, le passage de la frontière vers la Lituanie par des <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1422462830293491712">migrants irakiens</a>. Loukachenko met ainsi à exécution la menace formulée par son homologue turc <a href="https://www.france24.com/fr/20200303-fronti %C3 %A8re-gr %C3 %A9co-turque-erdogan-menace-l-europe-de-l-arriv %C3 %A9e-de-millions-de-migrants">Recep Tayyip Erdogan</a> à l’égard de l’UE. <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/34107/frontiere-lituanie-bielorussie-minsk-annonce-la-mort-d-un-irakien-vilnius-parle-de-desinformation">Le décès d’un jeune migrant</a> le 4 août devient un argument politique anti-européen inespéré : les journaux favorables au régime de Minsk <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1423173398063198208">accusent</a> la Lituanie d’avoir tué le jeune homme en voulant le renvoyer en Biélorussie. Cette technique semble s’accompagner d’une stratégie de <a href="https://twitter.com/andreivaitovich/status/1423173414752296961">fausses menaces à l’attentat islamiste</a>. Bref, Loukachenko cherche à récupérer à son avantage les tensions européennes liées à la gestion de la crise migratoire et la peur des attentats qui touchent l’ensemble de l’Union.</p>
<h2>Un scandale dont le régime se serait bien passé</h2>
<p>Depuis son arrivée en Pologne, la sprinteuse a tenu une conférence de presse durant laquelle elle a assuré être en <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210806-la-sprinteuse-bi %C3 %A9lorusse-krystsina-tsimanouskaya-se-dit-soulag %C3 %A9e-d- %C3 %AAtre-en-pologne">sécurité</a>. De son côté, le CIO a également pris les choses en mains. Il a fait savoir via <a href="https://twitter.com/iocmedia/status/1423428872456925187">son compte Twitter</a> qu’il a retiré à titre provisoire les d’accréditations des deux entraîneurs afin de protéger les athlètes toujours en lice. Il leur a aussi été demandé de quitter le village olympique. Vendredi 6 août, le président du CIO <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20210806-tokyo-2021-krystsina-tsimanouskaya-veut-juste-poursuivre-sa-carri %C3 %A8re-sportive">Thomas Bach</a> a expliqué que « la procédure continuait » : « Elle n’est pas terminée, la commission disciplinaire prendra les sanctions et décisions appropriées. » Le CIO a déjà fait preuve de sévérité envers la Russie ; la Biélorissie doit-elle désormais s’attendre au même traitement ? Sur le plan olympique, le cas Tsimanouskaya pourrait-il être un signal lancé aux régimes non démocratiques ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1423607427195342852"}"></div></p>
<p>Ce qui est certain, c’est que l’affaire Tsimanouskaya a le mérite de braquer de nouveau les projecteurs sur la Biélorussie qui, à l’exception de l’épisode du détournement du vol de Roman Protassevitch, avait quelque peu disparu des médias internationaux malgré la poursuite des manifestions post-présidentielles.</p>
<p>Cette affaire montre à quel point le régime est aux abois et fait tout pour maintenir son autorité sur l’ensemble de la société par la violence et l’intimidation. S’attaquer à une athlète (qui plus est non politisée) en plein JO paraît cependant contre-productif. En effet, cette séquence donne des arguments supplémentaires aux opposants pour illustrer et rappeler au monde (et à leurs concitoyens encore attachés à leur inamovible président) ce qu’est la réalité de ce pouvoir autoritaire dont la paranoïa s’étend à tous les niveaux…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pauline Soulier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un épisode rocambolesque survenu lors des Jeux olympiques de Tokyo a rappelé au monde la réalité brutale à laquelle les Biélorusses sont confrontés en permanence sous le régime de Loukachenko.Pauline Soulier, Docteur en science politique, Institut de Recherche Montesquieu-Centre Montesquieu de Recherche Politique, Laboratoire Cultures – Éducation – Sociétés, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1552262021-03-11T17:53:58Z2021-03-11T17:53:58ZPourquoi l’« esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali<p>Ces dernières années, les images de migrants africains enchaînés et <a href="https://edition.cnn.com/videos/world/2017/11/13/libya-migrant-slave-auction-lon-orig-md-ejk.cnn">vendus en Libye</a> ont rappelé la triste contemporainité de pratiques esclavagistes semblant relever d’un autre âge. Mais en Afrique, et notamment en Afrique subsaharienne, la longue histoire, souvent méconnue, de l’esclavage a encore de lourdes conséquences dans de nombreux pays. Ainsi, au Mali, se perpétue une forme d’esclavage appelée « esclavage par ascendance ». Il s’agit de l’assignation du « statut d’esclave » à une classe de personnes sous le prétexte que l’un de leurs ancêtres aurait été réduit en esclavage par le passé par des familles de l’élite locale.</p>
<p>L’esclavage et les traites internes en Afrique de l’Ouest ont prédaté la traite transatlantique et se sont perpétuées au-delà des abolitions. Le commerce transatlantique a accéléré le recentrage des économies ouest-africaines sur la traite : pour répondre à la demande atlantique mais également trans-saharienne, des razzias et des guerres sont menées, les <a href="https://www.academia.edu/3630439/_L_esclavage_au_Soudan_fran%C3%A7ais_1848_1931_In_Captivit%C3%A9_et_abolition_de_l_esclavage_dans_les_colonies_fran%C3%A7aises_ouest_africaines_Analyse_juridique_historique_et_anthropologique">captifs</a> sont gardés localement et/ou vendus comme esclaves pour financer les prochaines guerres.</p>
<p>L’esclavage en Afrique de l’Ouest connaît un regain au XIX<sup>e</sup> siècle. La multiplication de conflits locaux fait de nombreux captifs de guerre alors que l’abolition progressive de la traite transatlantique réduit la demande. L’« offre » devient alors pléthorique et les prix abordables pour toutes les couches de population. L’Afrique de l’Ouest entame à la même époque une reconversion dans l’économie de plantation, pour laquelle elle a besoin de main-d’œuvre. Les économies ouest-africaines sont dès lors basées essentiellement sur le travail des personnes esclavisées. Les enfants de ces personnes héritent du statut de leurs parents, créant une classe héréditaire reproductible et endogame, corvéable et exploitable à merci. Les rachats sont possibles mais rares.</p>
<p>Si le commerce des esclaves n’existe plus aujourd’hui, les pratiques d’exploitation sociale et économique héréditaire de type « esclavagage par ascendance » s’observent encore au sein des communautés nomades touarègues et peules résidant dans le <a href="https://www.academia.edu/3321988/2005_Article_Facing_Dilemmas_Former_Fulbe_slaves_in_modern_Mali">centre</a> et le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00083968.2005.10751309">nord</a> du pays, mais elles sont en réalité présentes dans toutes les régions du Mali, ainsi que dans d’autres pays comme le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, le Soudan et le Sénégal.</p>
<p>En 2020, quatre <a href="http://bamada.net/pour-avoir-refuse-de-conserver-le-statut-desclavage-4-hommes-ont-ete-battus-a-mort-dans-le-village-de-djandjame-region-de-kayes">militants</a> maliens qui oeuvraient contre cette <a href="https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26219&LangID=E">pratique</a> ont été battus à mort à Djandjoumé, dans l’ouest du pays, sur l’ordre d’élites locales qui continuent de défendre les hiérarchies sociales héritées du passé esclavagiste. S’en sont suivies d’importantes manifestations contre l’esclavage à <a href="https://www.studiotamani.org/index.php/magazines/24920-esclavage-a-kayes-des-associations-accusent-l-etat-de-ne-pas-faire-assez">Kayes</a>.</p>
<h2>Une perpétuation silencieuse de l’esclavage</h2>
<p>Après <a href="https://www.academia.edu/3630439/_L_esclavage_au_Soudan_fran%C3%A7ais_1848_1931_In_Captivit%C3%A9_et_abolition_de_l_esclavage_dans_les_colonies_fran%C3%A7aises_ouest_africaines_Analyse_juridique_historique_et_anthropologique">l’abolition de la traite interne des esclaves africains de 1905</a> par l’État colonial français, la libération totale des personnes esclavisées a été lente. Les autorités coloniales se préoccupaient davantage <a href="https://www.academia.edu/21746132/_I_Ask_for_Divorce_Because_My_Husband_Does_not_Let_Me_Go_Back_to_My_Country_of_Origin_with_My_Brother_Gender_Family_and_the_End_of_Slavery_in_the_Region_of_Kayes_French_Soudan_1890_1920">du contrôle des populations</a> et du recrutement des populations anciennement esclavisées pour le travail forcé sur les chantiers coloniaux.</p>
<p>Les propriétaires d’esclaves se sont adaptés au nouvel environnement juridique en <a href="https://www.academia.edu/2005269/_Under_the_Guise_of_Guardianship_and_Marriage_Mobilizing_Juvenile_and_Female_labor_in_the_Aftermath_of_Slavery_in_Kayes_French_Soudan_1900_1939">cachant la pratique</a> sous le couvert de domesticité, de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-autre-2014-2-page-167.htm">confiage</a> et de mariage. <a href="https://stichproben.univie.ac.at/fileadmin/user_upload/p_stichproben/Artikel/Nummer20/20_Pelckmans_Hahonou.pdf">L’esclavage par ascendance continue</a> ainsi d’exister aujourd’hui.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Diambourou : esclavage et émancipation à Kayes au Mali.</span></figcaption>
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<p>Les victimes de l’esclavage par ascendance sont confrontées à des discriminations et des abus et peuvent se retrouver contraintes de travailler sans rémunération. Toute rébellion vis-à-vis de leurs supposés « maîtres » les expose à des <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">sanctions</a> dans les villages où elles résident : on les empêche d’accéder aux ressources essentielles comme l’eau, la terre ou les biens de consommation de base.</p>
<h2>Un phénomène difficilement observable</h2>
<p>Il n’y a pas de législation sur l’esclavage par ascendance. Il est donc difficile de connaître le nombre exact de personnes victimes de ce phénomène. En 2020, nous avons lancé un <a href="https://www.slaveryforcedmigration.org/">projet de recherche</a> de trois ans pour analyser et cartographier les déplacements forcés de personnes cherchant à échapper aux conflits liés à l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes au Mali.</p>
<p>L’esclavage a une place centrale dans l’histoire de Kayes ; au XIX<sup>e</sup> siècle, la région était une <a href="https://www.jstor.org/stable/44723365?seq=1">zone de transit</a> importante pour les caravanes d’esclaves. Nos recherches démontrent la continuité historique et l’ampleur des déplacements successifs liés à l’esclavage au Mali depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle. Depuis 2018, plus de 3 000 personnes victimes d’esclavage par ascendance ont dû quitter leurs villages dans la région de Kayes, notamment en raison de leur engagement contre cette pratique. Nombre d’entre elles ont subi des <a href="https://observers.france24.com/en/20190924-video-malian-man-tied-public-opposing-traditional-slavery">exactions</a>.</p>
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<img alt="L’esclavage par ascendance se perpétue au Mali" src="https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384019/original/file-20210212-23-drzroy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’esclavage par ascendance se perpétue au Mali.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/visionafrique23/5764820725/in/photolist-aWz184-7FD1r6-7zwpMk-ie8s6c-7JQTYX-Et6Hp-9MqcWB-9MqdmM-9Gppkg-9GsmKS-9Gprd2-9GptRk-9Gsroo-8F4gVK-9GpqnF-9Gpvqa">Nicolas Jalibert/Flickr</a></span>
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<p>Ces déplacements internes – principalement au sein de l’espace rural dans le Sahel occidental – sont largement ignorés. Il est important de les étudier pour permettre une meilleure compréhension du phénomène et épauler les responsables politiques concernés dans la prévention et l’accueil de ces flux migratoires. Il s’agit également de pouvoir anticiper ces flux et renforcer la résilience des communautés d’accueil face à l’arrivée soudaine de familles déplacées. Nos recherches visent à proposer des mesures concrètes pour remédier à cette situation et pour gérer et prévenir le déplacement prolongé des victimes qui tentent d’échapper à l’esclavage.</p>
<p>Il n’existe pas de loi spécifique criminalisant l’esclavage par ascendance au Mali, contrairement aux pays voisins, le Niger et la Mauritanie. En raison de cette absence de cadre juridique protecteur, les victimes de l’esclavage par ascendance n’ont souvent d’autre choix que de fuir vers des régions plus « hospitalières ». Ces déplacements sont souvent causés par des conflits résultant de formes extrêmes d’exclusion ou de discrimination. Une large partie de ces déplacements est totalement <a href="https://www.academia.edu/45032934/_2020_Fugitive_Emplacements_Slave_Concubines_in_Niger_Nigerian_Borderlands_In_Invisibility_in_African_Displacements_edited_by_Jesper_Bjarnesen_and_Simon_Turner_216_235_London_Zed_Books">invisible/invisibilisée</a>.</p>
<p>Il s’agit d’une tendance historique. Depuis que les Français ont aboli l’esclavage dans la majeure partie de l’Afrique occidentale française en 1905, les résistances contre l’esclavage ont généré des <a href="https://vimeo.com/245704895">vagues successives de déplacements</a>. Parmi ceux et celles qui ont échappé à l’esclavage, certains ont tenté de <a href="https://www.jstor.org/stable/181190">retourner</a> dans leur village d’origine, mais beaucoup ont décidé de ne pas le faire et se sont ré-installés ailleurs.</p>
<h2>Une diaspora militante</h2>
<p>La résistance à l’esclavage pour échapper aux violences systématiques a conduit à la fondation de <a href="https://bouillagui.soas.ac.uk/#EN_d%C3%A9part">communautés indépendantes</a> mais également à la migration vers les villes et les pays voisins comme le Sénégal. Ces migrations ont été largement ignorées et <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/history-in-africa/article/abs/listening-to-the-history-of-those-who-dont-forget/9AA0CD0C1FE6622C4A7EBB13EFECD752">passées sous silence</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Hh1WfUQxOaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ligne Directe : Résister à l’esclavage au Mali.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les personnes auxquelles sont encore assignés le « statut d’esclave » et leurs alliés continuent de protester contre leur traitement et leur exclusion de la société. Ils ont créé des réseaux internationaux, tels que <a href="https://web.facebook.com/ARMEPES/?_rdc=1&_rdr">Ganbanaxuun Fedde Armepes</a>, qui est activement soutenu par la diaspora. Ils utilisent largement les <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">réseaux sociaux</a>. Le sujet a également été repris par la communauté des blogueurs maliens, qui a lancé la campagne « Mali sans esclaves » <a href="https://benbere.org/dossiers-benbere/mali-sans-esclaves/">#MaliSansEsclaves</a>.</p>
<p>Les partisans locaux des hiérarchies sociales historiques, avec la complicité d’une partie de l’élite dirigeante demeurée largement silencieuse sur ces questions, ont pour la plupart réagi violemment à cet activisme anti-esclavagiste. Les gens qui contestent l’ordre social basé sur l’esclavage par ascendance sont attaqués, et dans certains cas, assassinés. Ce qui provoque le déplacement forcé de centaines de familles.</p>
<p>Ces groupes déplacés de force, principalement des femmes et des enfants, font partie des populations les plus pauvres et les plus vulnérables du Sahel.</p>
<h2>Une crise non reconnue</h2>
<p>Les autorités maliennes continuent de <a href="https://bouillagui.soas.ac.uk/#EN_3.3">refuser</a> de reconnaître qu’il y a encore des victimes de l’esclavage par ascendance au Mali et prétendent plutôt que les victimes ne sont pas des esclaves mais des participants à des pratiques culturelles dites « traditionnelles », lesquelles devraient donc être respectées par souci de cohésion sociale.</p>
<p>Pourtant, le Mali est <a href="https://antislaverylaw.ac.uk/country/mali/">signataire</a> de diverses conventions internationales contre l’esclavage et la traite et qui prévoient, entre autres, le droit à la vie et à la liberté.</p>
<p>Depuis 2012, une <a href="http://news.abamako.com/h/55194.html">coalition d’organisations maliennes de défense des droits de l’homme</a> plaide pour l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage par ascendance. Mais ce projet de loi a finalement été relégué dans un tiroir par le gouvernement sous prétexte d’autres priorités de crise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220816876206469121"}"></div></p>
<p>Le gouvernement semble incapable ou peu désireux de s’attaquer à l’esclavage par ascendance et reste <a href="https://www.dependency.uni-bonn.de/en/publications/report-pelckmans.pdf">silencieux</a> sur le sujet. L’esclavage est considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/15854">héritage tabou</a> qu’il est honteux d’aborder ouvertement car il risque de délégitimer certaines élites dirigeantes actuelles qui ont fermé les yeux sur les tentatives de dissimulation de ces pratiques.</p>
<p>Tant que l’esclavage par ascendance ne sera pas criminalisé au Mali, il sera très difficile de poursuivre le combat contre les abus que subissent les personnes à qui est assigné le « statut d’esclave ». D’autant plus que le système judiciaire malien reste très dysfonctionnel et enclin à la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/08/01/au-mali-le-systeme-est-infeste-par-la-corruption-et-les-citoyens-y-sont-habitues_5495410_3212.html">corruption</a>.</p>
<p>Nous <a href="https://www.slaveryforcedmigration.org/">proposons</a> des mesures concrètes pour remédier à cette crise durable en formant des professionnels de la justice et en plaidant pour l’adoption d’une loi qui criminalise l’esclavage par ascendance. Nous préconisons la formation des gouvernements locaux et nationaux sur la manière de gérer efficacement les déplacements prolongés des victimes de cette pratique.</p>
<hr>
<p><em>Leah Durst-Lee, qui travaille actuellement comme stagiaire de recherche à l’Université de Copenhague avec Lotte Pelckmans sur les déplacements ruraux prolongés, a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Rodet works as a Reader in the History of Africa for SOAS, University of London. She has received research funding from the AHRC, the ESRC, the British Library and the British Academy.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lotte Pelckmans is associate professor at the Centre for Advanced Migration Studies, Copenhagen University. She is an anthropologist working on the legacies of slavery, post-slavery and anti-slavery and their impact on different forms of mobilities. She received funding from UKRI-GCRF, UK for the project described here. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bakary Camara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré l’abolition de l’esclavage en 1905, ce fléau n’a pas totalement disparu au Mali, où les supposés « descendants » des esclaves d’antan continuent d’être catégorisés comme esclaves eux-mêmes.Marie Rodet, Reader in the History of Africa, SOAS, University of LondonBakary Camara, Professeur Titulaire Agrégé des facultés de droit et Doyen de la Faculté de Droit Public, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoLotte Pelckmans, Associate Professor, Centre for Advanced Migration Studies, University of CopenhagenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466172020-09-28T18:19:40Z2020-09-28T18:19:40ZLes réfugiés syriens, grands oubliés de la crise libanaise<p>Ces dernières semaines ont été marquées par <a href="https://theconversation.com/que-peut-la-france-au-moyen-orient-145719">l’implication française</a> dans la réponse internationale aux <a href="https://theconversation.com/le-liban-peut-il-sortir-de-la-crise-142970">explosions du port de Beyrouth</a> du 4 août 2020.</p>
<p>Avant même la catastrophe du 4 août, le Liban était confronté à d’immenses défis : aggravation de la crise économique, remise en question du système politique par la <a href="https://theconversation.com/beyrouth-capitale-de-la-colere-144311">contestation sociale</a>, crise de la Covid-19… autant de sujets qui ont relégué au second plan une question cruciale, celle du sort du <a href="https://www.solidarites.org/fr/pays/liban/liban-la-crise-sans-fin-des-refugies-syriens/">million de réfugiés syriens</a> se trouvant actuellement dans le pays.</p>
<h2>Le Liban, terre meurtrie et terre d’asile</h2>
<p>Parmi les pays d’accueil de la région, le Liban se caractérise par la fragilité de son système politique, extrêmement <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-22.htm">polarisé sur la question des réfugiés syriens</a>. Devenu le pays où le pourcentage de réfugiés est le plus élevé au monde en proportion de sa population, le Liban accueillait dès 2015 plus d’un million de Syriens, selon le <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/syria/location/71">Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies</a> (UNHCR). Membre exécutif de l’UNHCR, l’État libanais n’est cependant pas signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, et interdit cette même année 2015 à l’UNHCR de continuer à enregistrer l’arrivée de nouveaux réfugiés dans le pays. Cette mesure est prise dans le but de durcir les conditions de renouvellement du statut de résident de ceux que l’État libanais ne reconnaît pas comme « réfugiés » mais comme « déplacés », posant un <a href="https://reliefweb.int/report/lebanon/je-veux-un-endroit-s-r-les-r-fugi-es-de-syrie-d-racin-es-et-sans-protection-au-liban">défi majeur au plan de réponse de la communauté internationale et de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Face aux difficultés liées à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/01/au-liban-les-refugies-dans-le-collimateur-du-ministere-du-travail_5495519_3210.html">régularisation de leur situation</a>, le taux de réfugiés doté d’un statut légal <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/73118.pdf">a continué de baisser</a> passant de 27 % en 2018 à 22 % en 2019. Leur vulnérabilité est d’autant plus grande que les <a href="https://www.euromed-france.org/temoignage-situation-refugies-syriens-liban-lextr%C3%AAme-vulnerabilite-femmes-enfants/">femmes et les enfants représentent</a> 81 % des réfugiés syriens au Liban.</p>
<p>Précédant la catastrophe du 4 août, la 4<sup>e</sup> <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2020/06/30/">« conférence de Bruxelles »</a> s’est tenue le 29 juin 2020 sous l’égide de l’UE et des Nations unies. Loin des questions liées à la reconstruction de la Syrie, elle s’inscrit dans la lignée des conférences humanitaires en rappelant l’urgence des besoins, promettant 2,3 milliards d’euros pour la période 2020-2021. Le Haut-Commissaire de l’UNHCR <a href="https://europa.eu/!kU96jk">Filippo Grandi</a> a souligné les conséquences de la récession économique sans précédent sur les conditions de vie des réfugiés dans les principaux pays d’accueil (Turquie, Liban, Jordanie, Irak).</p>
<p>Dans un Liban qualifié de pays emblématique de l’urgence humanitaire au Moyen-Orient, cette dégradation des indicateurs questionne l’avenir de la politique poursuivie jusqu’à présent, en particulier par l’UE. En juin 2020, le taux de la population libanaise vivant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/26/le-liban-un-pays-en-banqueroute_6044321_3210.html">sous le seuil de pauvreté</a> est estimé à 45 % et 75 % des réfugiés syriens au Liban vivent désormais <a href="https://www.unhcr.org/news/stories/2020/8/5f45190d4">sous le seuil d’extrême pauvreté</a>.</p>
<h2>Une réorientation de l’effort de solidarité internationale</h2>
<p>Au Liban, l’Union européenne mène de front différentes négociations. La question des réfugiés, en tête de l’agenda politique en 2016, est désormais au second plan derrière celle de la mise en place de réformes économiques conditionnant les soutiens financiers promis par les bailleurs de fonds européens et internationaux. Lancée en 2018 sous l’égide de la France, la conférence internationale <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018">C.E.D.RE</a> vise à soutenir le développement et le renforcement de l’économie libanaise à travers des réformes profondes qui <a href="https://orientxxi.info/magazine/once-again-lebanon-is-on-a-financial-tightrope,3224">se font encore attendre</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p0gtppWaVw0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean‑Yves Le Drian et le président du conseil des ministres libanais, M. Saad Hariri (CEDRE).</span></figcaption>
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<p>À la suite de la plus grande explosion de l’histoire du Liban le 4 août 2020, la solidarité internationale s’est mobilisée <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/macron-a-declare-a-la-conference-des-donateurs-au-liban-nous-devons-agir-rapidement.html">sous l’impulsion de la France</a> pour répondre aux besoins humanitaires des populations mais également pour rappeler l’urgence de ces plans de réformes.</p>
<h2>La résilience des réfugiés syriens en question</h2>
<p>Après une décennie de conflit, la réponse humanitaire internationale à la crise syrienne rend compte d’une certaine <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/30/world/europe/syria-aid-refugees-united-nations.html"><em>fatigue de l’aide</em></a>. Au niveau européen, la pérennité des différents programmes d’aide reste également tributaire du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/eu-budget/long-term-eu-budget/2021-2027_en">nouveau budget pluriannuel 2021-2027</a> dont l’adoption a été retardée par la nécessaire prise en compte des défis intra-européens liés notamment à la pandémie de Covid-19. Premier bailleur de fonds international en réponse à la crise syrienne au Moyen-Orient, l’UE a alloué pour le seul cas du Liban 1,7 milliard d’euros dont <a href="https://ec.europa.eu/echo/where/middle-east/lebanon_fr">580 millions d’aide humanitaire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306684348867936258"}"></div></p>
<p>La « Résilience » est devenue l’un des maîtres mots de la politique étrangère de l’UE. Elle est définie dans la <a href="http://eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf">nouvelle Stratégie globale de 2016</a> comme la capacité des États et des sociétés à se réformer eux-mêmes, en résistant et en se relevant des crises internes et externes. Né <a href="http://pure.iiasa.ac.at/id/eprint/26/1/RP-73-003.pdf">dans le courant de l’écologie politique et des crises écologiques</a> dans les années 1970, le concept renvoie à la capacité des systèmes à recouvrer leur état initial après un choc. Cette politique, parfaitement illustrée par la position française de <a href="https://www.lci.fr/international/liban-emmanuel-macron-de-retour-a-beyrouth-mardi-1er-septembre-2020-2163310.html">« l’exigence sans l’ingérence »</a>, gouverne désormais <a href="https://www.routledge.com/Resilience-The-Governance-of-Complexity/Chandler/p/book/9780415741408">l’action extérieure de l’ensemble de la communauté internationale</a> et marque une certaine rupture avec le modèle interventionniste des années 1990-2000. En réponse à la crise syrienne, elle est incarnée à la fois par la mise en place en 2014 d’un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/fonds-madad-pour-la-syrie.html">fonds européen exceptionnel dit « MADAD »</a> et par le lancement du plan « 3RP » (<a href="http://www.3rpsyriacrisis.org">Regional Refugee & Re-silience Plan</a>) des Nations unies.</p>
<h2>Une génération sacrifiée pour construire la Syrie de demain ?</h2>
<p>La <a href="https://www.nolostgeneration.org/">réponse</a> aux besoins des réfugiés à travers leur intégration au secteur éducatif public a constitué l’un des axes de la politique de construction de la résilience du Liban. Le soutien extérieur au renforcement des systèmes nationaux existants doit permettre à l’État hôte de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables. Près de 346 millions d’euros <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/eu-support-to-lebanon-factsheet.pdf">ont été alloué par l’UE</a> au secteur éducatif et de la protection de l’enfance, dont une majeure partie au pilier dit « de l’accès » à l’éducation.</p>
<p>Mais dans la conjoncture actuelle, la fragilité des programmes d’aide s’accroît dangereusement, en particulier celle du programme d’envergure national <a href="http://racepmulebanon.com/index.php/features-mainmenu-47/race2-article">RACE</a>. lancé en 2014. Malgré les progrès avancés par l’État libanais et la communauté internationale, le constat reste alarmant puisqu’on estime qu’après quatre ans d’efforts <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">46 % des enfants syriens</a> ne sont pas scolarisés au Liban. Alors que le secteur public accueille 30 % des libanais les plus vulnérables et que ses <a href="https://www.researchgate.net/publication/324744292_Who_shapes_education_reform_policies_in_Lebanon">multiples fragilités</a> préexistaient à l’arrivée des réfugiés syriens. La destruction de nombreuses écoles causée par les explosions du 4 août accélère la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/north-africa-west-asia/how-generation-syrian-children-lebanon-were-robbed-their-education/">nécessité de repenser la réponse</a>.</p>
<p>Cette génération d’enfants déscolarisés est aussi celle qui devra reconstruire la Syrie. Force est de constater que l’intégration à travers l’accès aux services de base n’est <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">pas une solution viable</a> mais que l’horizon du retour, invoqué par la <a href="https://orientxxi.info/magazine/liban-une-croisade-haineuse-contre-les-refugies-syriens-et-palestiniens,3228">classe politique libanaise</a> et consigné dans l’<a href="https://www.consilium.europa.eu/media/24224/st03001en16docx.pdf">accord UE-Liban</a> de 2016, <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/eastern-mediterranean/lebanon/211-easing-syrian-refugees-plight-lebanon">ne l’est pas non plus</a>. Face à ce discours diffusé par les élites, le mouvement de protestation populaire du 17 octobre 2019, rassemblant des milliers de Libanais à travers tout le pays et transcendant les divisions confessionnelles pour demander le changement profond d’un système à bout de souffle, s’est cependant distingué en <a href="https://wrmcouncil.org/events/crisis-in-lebanon/">faisant spontanément preuve de solidarité</a> avec les réfugiés syriens.</p>
<p>Construire la résilience des réfugiés pose le défi de les mettre effectivement en capacité de subvenir à leurs besoins. Au-delà, le bilan des politiques d’aide mises en œuvre rappelle également l’urgence de leur fournir des <a href="https://www.unhcr.org/protection.html">droits et une protection</a>, afin d’éviter de leur confier la responsabilité de leur propre exil.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lyla André a reçu des financements du Fonds pour la Recherche en Sciences Humaines (FRESH) du FNRS. </span></em></p>Le sort du million de réfugiés syriens au Liban reste incertain alors que le pays connaît une crise économique, politique et sociale sans précédent. Quelle réponse de la communauté internationale ?Lyla André, Doctorante en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1313482020-02-11T19:37:50Z2020-02-11T19:37:50Z« Réfugiés climatiques » : une décision historique du Comité des droits de l’homme de l’ONU ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314033/original/file-20200206-43074-hqqjp4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C15%2C5035%2C3352&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un groupe de personnes traverse un lagon dans l'île de Tarawa, Kiribati.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/group-people-crosses-lagoon-tarawa-kiribati-669501271">Nava Fedaeff/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Ioane Teitiota, un citoyen de Kiribati qui demandait l’asile à la Nouvelle-Zélande depuis des années, aurait bien pu devenir le premier réfugié climatique du monde. Le 24 janvier dernier, le <a href="https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/ccpr/pages/ccprindex.aspx">Comité des droits de l’homme de l’ONU</a> (« le Comité ») a <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2020/1/5e2b0deaa/decision-comite-droits-lhomme-nations-unies-changement-climatique-signal.html">soutenu</a> le refus opposé à sa demande par la Cour suprême de Nouvelle-Zélande, observant que la situation de M. Teitiota ne représentait pas un danger imminent ni une atteinte réelle à ses droits fondamentaux ; mais le Comité a également estimé que les personnes fuyant les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles ne devraient pas être renvoyées dans leur pays d’origine (le principe de « non-refoulement ») si leurs droits humains fondamentaux s’en trouvaient menacés.</p>
<p>Avant de revenir sur cette décision <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/01/un-landmark-case-for-people-displaced-by-climate-change/">qualifiée d’historique</a> et sur ses conséquences potentielles, rappelons brièvement les faits, la fonction du Comité ainsi que la définition d’un réfugié et les obligations étatiques de non-refoulement dans le contexte du droit international.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’île de Tarawa, dans l’archipel de Kiribati.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tarawa-kiribati-pacific-1231235311">Kyung Muk Lim/Shutterstock</a></span>
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<h2>Le changement climatique aux Kiribati</h2>
<p>M.Teitiota, de l’archipel des Kiribati, s’est expatrié en Nouvelle-Zélande d’où il demandait l’asile depuis 2007, arguant que le changement climatique et la montée des eaux rendaient la situation sur l’atoll de Tarawa de l’archipel intenable et dangereuse.</p>
<p>L’archipel des îles Kiribati compte parmi les plus exposés à la montée des eaux. Il est menacé de disparition dès 2050 <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/28/l-onu-ouvre-une-breche-pour-la-reconnaissance-des-refugies-climatiques_6027531_3244.html">selon une estimation du GIEC</a> (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Pour M. Teitiota, l’archipel pourrait même devenir inhabitable dans les dix à quinze prochaines années puisque les conséquences de la montée des eaux incluent entre autres la salinisation, ce qui entraîne la raréfaction de l’eau potable, la pollution, la destruction des récoltes, des inondations fréquentes et une diminution du terrain habitable créant des conflits souvent violents entre communautés.</p>
<p>En 2015, au terme d’un long processus juridique, les tribunaux de Nouvelle-Zélande ont finalement tous rejeté la demande d’asile de M. Teitiota et l’ont ainsi contraint à retourner aux Kiribati avec sa famille. Il s’est alors tourné vers le Comité des droits de l’homme pour demander un arbitrage, alléguant que la Nouvelle-Zélande avait enfreint l’articles 6 (droit à la vie) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« le Pacte »).</p>
<h2>Le Comité des droits de l’homme de l’ONU : observateur du Pacte</h2>
<p>Le <a href="https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/ccpr/pages/ccprindex.aspx">Comité des droits de l’homme</a> des Nations unies est un organe composé de 18 experts indépendants qui surveillent la mise en œuvre du <a href="https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20999/volume-999-I-14668-French.pdf">Pacte international relatif aux droits civils et politiques</a> par les États parties.</p>
<p>De manière générale, le Comité examine les rapports que sont tenus de présenter les 172 États parties sur la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte. Il fait ensuite part de ses préoccupations et de ses recommandations à l’État partie sous la forme d’observations finales.</p>
<p>Le <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/OPCCPR1.aspx">premier Protocole facultatif du Pacte</a>, ratifié quant à lui par 116 États – dont la Nouvelle Zélande –, permet également au Comité d’examiner des <a href="https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/TBPetitions/Pages/HRTBPetitions.aspx">plaintes individuelles</a> de particuliers tels que M. Teitiota qui s’estiment victimes d’une violation d’un ou de plusieurs droits reconnus par le Pacte, une fois tous les recours juridiques épuisés au niveau domestique.</p>
<p>Les observations données par le Comité dans ses rapports étatiques ou dans le cadre des procédures de plaintes individuelles ne sont pas juridiquement contraignantes en soi, bien qu’elles imposent une obligation pour les États parties de s’y conformer de bonne foi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre total de procédures de communications individuelles acceptées par le Comité des droits de l’homme, par pays (jusqu’en juin 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nations unies</span></span>
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</figure>
<h2>Ce que sont et ne sont pas les réfugiés</h2>
<p>L’impact des facteurs environnementaux et des catastrophes résultant du changement climatique <a href="https://reliefweb.int/report/world/la-d-cision-du-comit-des-droits-de-l-homme-des-nations-unies-sur-le-changement">sont reconnus</a> comme pouvant avoir « des effets complexes sur les pays, les communautés, le bien-être des individus et leur capacité à jouir et à exercer leurs droits ».</p>
<p>Cependant, ni le droit international ni la décision du Comité ne parlent de « réfugié climatique », et la raison est simple. Les personnes déplacées pour des raisons climatiques ne semblent pas pouvoir être reconnues comme réfugiées selon les termes de la <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/StatusOfRefugees.aspx">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a> (dite Convention de Genève) puisqu’un réfugié est une personne qui</p>
<blockquote>
<p>« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».</p>
</blockquote>
<p>La Convention de Genève et <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ProtocolStatusOfRefugees.aspx">son protocole</a> sont les instruments principaux de droit international définissant à la fois ce qu’est un réfugié, quels sont ses droits et enfin quelles sont les obligations des États signataires à son égard.</p>
<p>Bien que les cinq critères énoncés dans la définition ci-dessus semblent exhaustifs, d’autres <a href="https://www.refworld.org/docid/3ae68cca10.html">instruments régionaux</a> ainsi que la pratique de certains États ont permis d’élargir cette définition afin de l’adapter aux conflits modernes. En somme, de nos jours, sont généralement considérés comme réfugiés les personnes fuyant des conflits armés. Concernant ceux fuyant les effets du changement climatique, cela semble pour l’instant plus délicat.</p>
<p>Un des principes essentiels de la Convention de Genève est celui voulant que les réfugiés ne soient pas expulsés ni renvoyés vers une situation où leur vie et leur liberté seraient menacées : c’est le principe de <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/7/55e45d87c/point-vue-hcr-refugie-migrant-mot-juste.html">non-refoulement</a>. Celui-ci est donc ancré dans le droit international d’asile mais également dans le droit humanitaire et le droit coutumier. Il est en particulier inscrit dans l’article 6 du Pacte, et ainsi protège non seulement les réfugiés mais tous ceux pouvant démontrer que leur expulsion ou renvoi dans leur pays d’origine constituerait une <a href="http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2bWPAXhNI9e0rX3cJImWwe%2fGBLmV8vPSoRQdWkmKfdj8zlc8%2bqGX5iSqHtVuksml%2bE6Z%2bdpCA8xSG5aNum3VDSP0HF0C">menace réelle et personnelle</a> pour leur vie et leur liberté. Cependant, la barre reste très haute.</p>
<h2>Ce que pourrait être un réfugié climatique</h2>
<p>Le Comité a ainsi estimé que la situation personnelle de M. Teitiota et de sa famille était insuffisante pour renverser la décision de la Cour suprême néo-zélandaise, et que celle-ci n’avait donc pas porté atteinte au principe de non-refoulement en renvoyant la famille Teitiota aux îles Kiribati en 2015.</p>
<p>Interrogé par les auteurs pour cet article, professeur Gentian Zyberi directeur du <a href="https://www.jus.uio.no/smr/english/about/">Centre norvégien des droits de l’homme</a> et membre du Comité des droits de l’homme a ainsi expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très difficile de constituer une opinion contraire à la décision des tribunaux de Nouvelle-Zélande. Au vu des faits et de la loi, le jugement n’est ni erroné, ni arbitraire, ni ne viole les droits fondamentaux de M. Teitiota. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, lorsque les risques d’inhabitabilité deviennent imminents, le Comité a observé qu’il pourrait être illégal pour les gouvernements de renvoyer des personnes dans des pays où les effets du changement climatique les exposent à des phénomènes mettant leur vie en danger (article 6 du Pacte) ou dans lesquels elles courent un risque réel de subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7).</p>
<p>Bien que la catégorie de « réfugié climatique » n’existe pas encore aux yeux du droit international et qu’en conséquence, il n’existe pas de « seuil minimum » d’éligibilité, les personnes fuyant les effets néfastes du changement climatique et l’impact des catastrophes, que celles-ci soient soudaines ou lentes à se manifester, pourraient avoir des raisons valables de demander le statut de réfugié en vertu de la Convention de Genève ou d’autres instruments régionaux relatifs aux réfugiés. Pour le Comité, il est nécessaire que les évidences scientifiques soient examinées au cas par cas afin d’en tirer les conclusions légales qui s’imposeront.</p>
<p>Les tribunaux néo-zélandais avaient eux-mêmes au préalable estimé que les dégradations environnementales pourraient être interprétées comme répondant aux critères de définition d’un réfugié selon la Convention de Genève.</p>
<p>Ainsi, en pratique, l’importance des efforts nationaux et internationaux visant à contrer le changement climatique est un élément clé de la décision du Comité. Comme l’explique toujours le professeur Zyberi :</p>
<blockquote>
<p>« Le Comité reconnaît au vu des évidences présentées que Tarawa pourrait bel et bien devenir inhabitable d’ici dix à quinze ans parce que les conditions se détériorent. Deux choses peuvent arriver dans cet intervalle. D’abord, il est possible que les autorités nationales ou internationales trouvent quelque solution en mettant en place des mesures qui retarderaient ou enrayeraient le processus de montée des eaux et ses conséquences. Ou alors, il est possible que la situation se détériore complètement et alors une personne qui s’exilerait dans une autre juridiction pour demander l’asile ne pourrait pas être retournée aux Kiribati selon la règle du non-refoulement. Tous les habitants des Kiribati seraient alors potentiellement dans cette situation. »</p>
</blockquote>
<p>D’où l’importance de trouver des solutions structurelles – en particulier pour les petits États du Pacifique, par le biais de la coopération régionale et internationale entre les États, ou par celui d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU. En outre, il s’agit non seulement de contrer les effets du changement climatique par le développement de politiques environnementales, mais également de penser la relocalisation des futurs déplacés.</p>
<h2>L’Australie, prochain pays à faire face à ses responsabilités climatiques devant le Comité ?</h2>
<p>Si le Comité reconnaît que les politiques environnementales des Kiribati témoignent que les autorités nationales cherchent à remédier aux causes et effets du changement climatique, en 2019 il a reçu une <a href="https://www.lecourrieraustralien.com/australie-des-communautes-aborigenes-attaquent-le-gouvernement-pour-inaction-contre-le-rechauffement-climatique/">communication</a> des communautés aborigènes du Détroit de Torrès (îles australiennes situées entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée) et de leurs avocats affirmant que le réchauffement climatique menace leur survie et que l’inaction des autorités australiennes constitue à ce titre une violation de leurs droits humains. Plus précisément, ils estiment que leur droit à la vie, à une vie de famille et à la culture garantis par le Pacte sont directement menacées par les <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/l-australie-choisit-le-charbon-contre-le-climat-146242.html">politiques pro-charbon du gouvernement australien</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La centrale à charbon de Loy Yang, État de Victoria, Australie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/loy-yang-brown-coal-power-station-1154037241">Robyn Charnley/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Bien que cette plainte soit présentement au stade d’admissibilité devant le Comité, elle a été qualifiée de <a href="https://www.commondreams.org/news/2019/05/13/indigenous-australians-file-landmark-human-rights-claim-un-over-governments-inaction">« potentiellement révolutionnaire »</a> par le professeur John Knox, premier rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’environnement. En effet, en vertu du Pacte et <a href="http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2bWPAXhNI9e0rX3cJImWwe%2fGBLmV8vPSoRQdWkmKfdj8zlc8%2bqGX5iSqHtVuksml%2bE6Z%2bdpCA8xSG5aNum3VDSP0HF0C">selon une observation du Comité</a>, la responsabilité étatique de protection des populations dépend, entre autres, « des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des acteurs publics et privés ».</p>
<p>Même si le Comité prend en compte la plainte des habitants du Détroit de Torrès, sa décision ne pourra pas être légalement contraignante. Mais elle participerait à faire pression sur le gouvernement australien, de la même manière que le cas de M. Teitiota rappelle à la communauté internationale que le temps d’agir, et d’agir ensemble… c’était déjà hier.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse reçoit des financements de l'UNSW. Elle est affiliée au Centre Kaldor de droit international pour les réfugiés</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Domenico Zipoli reçoit des financements de l'Université d'Oslo. Il est affilié au Centre Norvégien des Droits Humains.</span></em></p>Une décision récente rendue par le Comité des droits de l’homme de l’ONU pourrait, dans un futur proche, conduire à la reconnaissance de la notion de « réfugié climatique ».Camille Malafosse, Doctorante, Centre Kaldor de droit international pour les réfugiés, UNSW SydneyDomenico Zipoli, Doctorant au Centre norvégien pour les droits de l'homme, University of OsloLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245252019-11-11T20:34:07Z2019-11-11T20:34:07ZComment fabrique-t-on l’immigration irrégulière en France ?<p>La plupart des mesures qu’Édouard Philippe a annoncées <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/11/dossier_de_presse_-_comite_interministeriel_sur_limmigration_et_lintegration_-_06.11.2019.pdf">« pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration en France »</a> relèvent en réalité de la lutte contre l’immigration irrégulière.</p>
<p>Elles reflètent aussi l’ambition d’Emmanuel Macron de peser sur la politique européenne de l’asile. Pour convaincre ses partenaires européens d’« accueillir mieux », il considère qu’il faut être <a href="https://www.lepoint.fr/politique/immigration-pour-macron-la-france-ne-peut-pas-accueillir-tout-le-monde-25-09-2019-2337543_20.php">« plus efficace pour reconduire ceux qui n’ont pas vocation à rester en Europe »</a>.</p>
<p>Mais que faut-il exporter du modèle français en Europe ? Sa complexité, qui en fait le premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe ? Ou bien sa fermeture à l’immigration économique ?</p>
<h2>La France, championne des obligations à quitter le territoire</h2>
<p>On pense souvent que l’immigration irrégulière désigne simplement les étrangers arrivés sans autorisation sur le territoire. Dans les médias et les lieux de pouvoir, on s’étonne alors que le <a href="https://www.la-croix.com/France/Exclusion/expulsions-migrants-legere-hausse-2019-05-10-1201020898">taux d’expulsion ne soit pas plus élevé</a>. En réalité, les étrangers qui vivent régulièrement en France pendant des années peuvent devenir des sans-papiers.</p>
<p>Pour le comprendre, prenons l’exemple récemment médiatisé de Geneviève, cette <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190928.OBS19073/genevieve-a-failli-etre-expulsee-de-france-car-elle-travaillait-trop.html">doctorante en situation régulière qui a failli être expulsée pour avoir trop travaillé</a>.</p>
<p>Après un Master de droit en France, Geneviève travaille pour financer son diplôme de doctorat (BAC+8). Mais les étudiants, s’ils sont étrangers, n’ont pas le droit de travailler plus de 60 % de la durée légale de travail. S’ils dépassent ce seuil, ils risquent le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=84402E4517F7D79D8F54B969B55CBF49.tplgfr38s_2?cidTexte=LEGITEXT000006070158&idArticle=LEGIARTI000006335062&dateTexte=20190929&categorieLien=id#LEGIARTI000006335062">non-renouvellement, voire le retrait, de leur carte de séjour</a> et deviennent des sans-papiers.</p>
<p>Geneviève a travaillé quelques heures de plus (65 %) et la préfecture lui a adressé une obligation de quitter le territoire (OQTF) et même une interdiction de revenir en France (IRTF). La préfecture a ainsi grossi les rangs de l’immigration irrégulière dont on déplore le taux d’expulsion trop bas.</p>
<p>Ce cas n’est pas isolé. La France n’est pas seulement la championne européenne des obligations à quitter le territoire. La productivité de son administration est, elle aussi, impressionnante : une OQTF sur cinq (22 %) délivrées dans toute l’Union européenne est le fruit du travail d’un fonctionnaire français.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Obligations quitter le territoire (Eurostat, 2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eurostat</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En matière d’immigration irrégulière, il est difficile de savoir combien de personnes sont devenues, comme Geneviève, des sans-papiers et combien sont arrivées en France sans-papiers.</p>
<p>Mais une enquête du Ministère de l’Intérieur a permis d’estimer que les personnes <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Themes/Enquete-ELIPA/Enquete-ELIPA-Les-nouveaux-migrants-en-2009">arrivées légalement et devenues sans-papiers étaient bien plus nombreuses (63 %)</a> que celles arrivées sans-papiers (37 %). Leur durée de présence en France avant la réadmission au séjour était aussi plus longue que celle des personnes arrivées sans-papiers. Les hommes sont en France depuis 8 ans en moyenne, contre 6 ans pour les femmes, avant d’obtenir à nouveau des papiers.</p>
<h2>L’immigration irrégulière : la fabriquer pour la combattre</h2>
<p>La lutte contre l’immigration irrégulière gagnerait en efficacité si on cherchait à comprendre comment la France est devenue premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe.</p>
<p>Le premier facteur est la complexité de la loi. L’opinion publique, même éduquée, ne la comprend plus. Mais c’est au nom de l’opinion publique que les politiques changent la loi, tous les deux ans en moyenne, en la rendant toujours plus complexe. L’effet est presque mécanique : chaque nouveau critère transforme des étrangers présents de façon tout à fait régulière, en sans-papiers.</p>
<p>Un second facteur est le niveau de risque associé au simple renouvellement du titre de séjour. Aucune erreur n’est permise car la loi prévoit qu’un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=F9AA78522C4FB9CB2ABA7C517D61B385.tplgfr28s_2?idArticle=LEGIARTI000037400993&cidTexte=LEGITEXT000006070158&categorieLien=id&dateTexte=">refus de renouveler un permis de séjour soit accompagné d’une obligation à quitter le territoire</a>. Comme si cela ne suffisait pas, depuis 2016, les OQTF sont assorties, dans de nombreux des cas, d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idArticle=LEGIARTI000032171754&idSectionTA=LEGISCTA000032171793&cidTexte=LEGITEXT000006070158&dateTexte=20170901">interdiction de retour en France</a>.</p>
<p>Sans comprendre que la création de l’immigration irrégulière est largement endogène, l’actuel gouvernement érige cette lutte en politique internationale. Il propose même de détourner une partie de l’aide au développement au profit de la France.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vingt mesures pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration en France (6 novembre 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Comité interministériel immigration</span></span>
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<h2>Travailler, un risque de devenir sans-papiers</h2>
<p>L’une des mesures annoncées par le gouvernement est l’ouverture (au débat) de l’immigration de travail. Il s’agirait de mettre à jour la liste des métiers sous tension.</p>
<p>Pour comprendre la timidité de cette mesure, il faut savoir que la carte de séjour « salarié » est la plus difficile à obtenir en France. L’employeur qui déciderait de recruter un étranger doit d’abord déposer une demande d’autorisation de travail.</p>
<p>Le code du travail <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019108569&cidTexte=LEGITEXT000006072050">prévoit</a> un dossier complexe :</p>
<ul>
<li><p>L’employeur doit prouver que l’emploi a été publiquement annoncé pendant plusieurs semaines et qu’il est resté vacant.</p></li>
<li><p>Il doit vérifier que l’emploi fait partie des métiers déclarés « sous tension ».</p></li>
<li><p>Il doit montrer l’adéquation entre l’emploi et les qualifications de l’étranger.</p></li>
<li><p>L’employeur doit montrer qu’il respecte la législation du travail et de la protection sociale. Par le passé, les ministres de l’Intérieur ont recommandé aux préfets de bien vérifier que l’entreprise respecte les obligations de formation professionnelle des salariés, de recours aux travailleurs handicapés, de l’instauration de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences…</p></li>
<li><p>Le recruté doit avoir respecté toutes les dispositions réglementaires (avoir travaillé, comme Geneviève, 65 % de la durée légale pendant ses études, est une raison de refus de l’autorisation de travail).</p></li>
<li><p>L’employeur doit montrer que la rémunération est de la même nature que celle offerte aux autres employés de l’entreprise.</p></li>
<li><p>Les parties doivent payer des taxes (55 % du salaire mensuel brut pour l’employeur et 250 euros pour le recruté).</p></li>
</ul>
<p>L’employeur n’a pas droit à l’erreur car le travailleur étranger court le risque de devenir sans-papiers. Si l’administration n’a pas répondu dans les deux mois, l’autorisation de travail est refusée. Dans ce cas, l’autorisation de séjour sera, elle aussi, refusée et le travailleur recevra une obligation à quitter le territoire.</p>
<p>Aujourd’hui, la proposition du gouvernement de revoir la liste des métiers sous tension pourrait modifier un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?numJO=0&dateJO=20080120&numTexte=9&pageDebut=01048&pageFin=01052">arrêté pris par Brice Hortefeux en 2008</a>. Cet arrêté dispense l’employeur souhaitant recruter un étranger de remplir les deux premières conditions susmentionnées, mais seulement pour un nombre très limité de métiers, défini par région. Pour la Bretagne, par exemple, seuls 27 métiers sont concernés, alors que la région connaît des <a href="https://www.ouestfrance-emploi.com/actualite-emploi/metiers-penuriques-bretagne">difficultés de recrutement</a> pour plus de 130 milles postes.</p>
<p>Si la proposition du gouvernement va dans le bon sens, elle ne dispensera ni les employeurs de la demande d’autorisation de travail, ni les candidats du risque de devenir des sans-papiers. Les entreprises qui auront trouvé un candidat devront attendre plusieurs mois l’accord de plusieurs administrations pour pouvoir l’embaucher. Si elles n’ont pas le choix, elles attendront et finiront par accroître l’immigration de travail au-delà de 10 % de l’immigration totale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Admission par motif France 2007-2018 (12 juin 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">MI-DSED</span></span>
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<p>Pour un étranger qui souhaiterait travailler en France, il sera toujours mieux de passer par l’immigration familiale, dont les titres de séjour sont pour la plupart dispensés de la demande d’une autorisation de travail.</p>
<h2>Faut-il exporter le modèle français en Europe ?</h2>
<p>Si la France produit le plus grand nombre d’obligations à quitter le territoire, elle n’attire en revanche qu’environ 3 % de l’immigration économique en l’Europe.</p>
<p>En 2018, les titres de séjour pour motif économique délivrés en France ont été moins nombreux qu’en République tchèque, petit pays dont la population est six fois moins nombreuse et le PIB, 12 fois plus petit. Inutile de comparer la France à la Pologne, où l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-double-discours-de-la-pologne-sur-limmigration-143403">immigration économique est 10 fois plus grande</a>, ni à la Grande Bretagne (3 fois plus) ou l’Allemagne et l’Espagne (2 fois plus). La France est plutôt comparable à la Hongrie, dont le gouvernement est réputé xénophobe et le PIB, 18 fois plus petit.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Immigration économique en Europe en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eurostat</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les mesures du gouvernement ne rendront pas la France plus ouverte à l’immigration économique que les pays du Groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque), réputés hostiles à l’immigration.</p>
<p>Pour « regarder en face » la politique migratoire, ne faut-il pas déjà cesser de parler « d’accueil » ? Cette métaphore détonne dans un système qui cherche à expulser le plus grand nombre d’étrangers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Speranta Dumitru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France est la championne européenne des obligations à quitter le territoire et les vingt mesures annoncées par le gouvernement n’y feront rien.Speranta Dumitru, Maitre de Conférences, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1254782019-10-20T19:40:58Z2019-10-20T19:40:58ZCe que les demandeurs d’asile pensent du système d’accueil d’urgence belge<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297648/original/file-20191018-56228-l1mtox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un centre d'accueil près de Namur, l'un des plus grands en Belgique.</span> <span class="attribution"><span class="source">LUCA MANUNZA/lucalasius/instagram</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Lorsqu’on évoque la question des réfugiés ou des migrations contemporaines, les médias et les spécialistes se concentrent souvent sur les <a href="https://www.dailytelegraph.com.au/blogs/tim-blair/asylum-seekers-and-their-motives/news-story/1ac1b9135509c7d3a2ac4dab176fdc9">raisons</a> qui expliquent ces migrations et leur lien avec les débats houleux qui animent aujourd’hui toute l’Europe.</p>
<p>Certains évoquent aussi des conditions d’accueil des migrants et des demandeurs d’asile dans les pays européens, mais on s’intéresse rarement à ce que pensent les réfugiés et les migrants eux-mêmes du système, de la structure et des procédures d’accueil en Europe.</p>
<h2>Les initiatives citoyennes ont joué un rôle clé</h2>
<p>Le système d’asile belge, tout comme celui d’autres pays européens, est en crise depuis 2015 en raison du <a href="https://www.cgra.be/en/news/asylum-statistics-survey-2015">nombre de demandes de protection internationale</a> qui dépasse régulièrement les capacités des structures d’accueil mal préparés et inadaptées. Pourtant, ce nombre reste moins élevé qu’<a href="https://ec.europa.eu/eurostat/documents/3433488/5285137/KS-SF-07-110-EN.PDF/c95cc2ce-b50c-498e-95fb-cd507ef29e27">à la fin des années 1990 et au début des années 2000</a> (52 689 en 2014 et 2015, contre 78 470 en 1999 et 2000) et a eu tendance à fluctuer de manière prévisible et cyclique durant les vingt dernières années.</p>
<p>Pour tenter de répondre à cette crise, le gouvernement et l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile <a href="https://www.fedasil.be/fr">(FEDASIL)</a> ont décidé dans l’urgence de simplifier et de généraliser les procédures de sélection ainsi que d’ouvrir une série de <a href="https://www.fedasil.be/fr/les-centres-daccueil">centres d’accueil collectif</a> s à travers le territoire.</p>
<p>Dans ce contexte, des initiatives citoyennes ont vu le jour et ont apporté un soutien indispensable aux migrants arrivés pendant l’été 2015. Ces initiatives ont en effet remplacé des institutions incapables de répondre immédiatement aux besoins les plus élémentaires des migrants, notamment en hébergeant les migrants, en distribuant de la nourriture et des vêtements, ou en leur apportant une aide administrative et juridique. Les citoyens mobilisés sont aussi allés au-delà des considérations purement matérielles, en ouvrant des espaces permettant aux migrants de retrouver leur identité, souvent niée tout au long de leur périple ou perdue dans des procédures administratives perçues comme déshumanisantes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1NGElW6W6kA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">BxlRefugees est une plate-forme créée pour aider les demandeurs d’asile et les réfugiés en Belgique.</span></figcaption>
</figure>
<h2>« J’ai mis du temps à recommencer à faire des choses normales »</h2>
<p>Tout au long de notre travail de recherche sur le terrain, qui nous a servi de base pour un article en cours d’édition, il est apparu que les structures et les procédures mises en place dans l’urgence ont été des facteurs de déshumanisation pour les migrants mais qu’en parallèle, grâce aux relations nouées entre les citoyens mobilisés et les migrants, ces derniers ont pu retrouver de leur humanité. Comme l’explique B. :</p>
<blockquote>
<p>« Le périple ne s’arrête pas là. Vous arrivez à la gare, vous allez au commissariat, et puis vous prenez le bus pour le centre. Je suis arrivé sous la pluie par une soirée glaciale. […] J’ai mis du temps à recommencer à faire des choses normales, à avoir des pensées normales. On devient un numéro. […] J’ai beaucoup d’amis parmi les gens qui viennent ici de l’extérieur. Je suis redevenu une personne normale grâce à eux. Je joue au foot, on sort ensemble, on va au cinéma. C’est super important. Je me suis fait des amis ici. »</p>
</blockquote>
<p>Presque tous les migrants, demandeurs d’asile ou réfugiés qui ont participé à notre étude ont souligné la nature arbitraire et l’injustice inhérente du système d’asile. Leur histoire personnelle, notamment les raisons et les circonstances tragiques qui les ont poussés à partir de chez eux, était évacuée sous la pression de la procédure de sélection.</p>
<p>L’entretien au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, le <a href="https://www.cgra.be/">CGVS/CGRA</a>, chargé d’examiner en profondeur les demandes d’asile, est la procédure principale qui dépouille les migrants de leur identité personnelle, comme l’explique A., qui vivait dans le centre d’accueil de Namur en mai 2018, après deux ans de démarches et un avis négatif du CGVS/CGRA.</p>
<blockquote>
<p>« Tu es là, avec ton histoire, ton parcours, la famille que tu as laissée derrière toi. Ça ne compte pas, ils s’en foutent. Ils te posent des questions, suivies d’autres questions. Ils veulent te déstabiliser et te demandent la même chose, encore et encore, jusqu’à ce que tu t’embrouilles. Alors ils disent que tu n’es pas un vrai réfugié et ta demande est rejetée. Ce que tu as vécu avant d’arriver là n’a pas d’importance. »</p>
</blockquote>
<p>La <a href="https://www.cgra.be/fr/asile/procedure-standard">procédure standard</a> prévoit que quand le statut de réfugié ou de protection subsidiaire est refusé à un demandeur de protection internationale, il peut faire appel auprès du Conseil d’État. Si la décision est confirmée, un ordre de quitter le territoire est émis. La demande d’asile, les entretiens, les recours et la procédure complète peuvent prendre plusieurs années.</p>
<h2>Une vie figée dans l’espace-temps</h2>
<p>La notion du temps est centrale dans le ressenti et la frustration des migrants. Comme nous l’avons remarqué lors de nos entretiens, la plupart ont l’impression que le temps s’est arrêté. Les centres d’accueil traduisent concrètement, dans leur dimension spatiale, ce sentiment <a href="https://www.mup.com.au/books/waiting-paperback-softback">d’être coincé</a>, piégé dans l’immobilité, l’incertitude et l’impuissance.</p>
<p>La temporalité compte pour beaucoup dans l’impression des demandeurs d’asile d’être face à une procédure de sélection déshumanisante et arbitraire. Une longue attente est subitement interrompue par de courtes périodes où la procédure est réactivée et où l’on demande aux migrants de se montrer soudain proactifs. Là encore, l’entretien auprès du CGVS/CGRA est le principal élément qui cristallise les sentiments négatifs des personnes que nous avons interrogées.</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce qu’ils veulent ? Tu attends des mois et puis, un jour, le Commissariat te convoque. Au début, tu y penses tous les jours mais, au bout d’un moment, tu as envie de retrouver une vie normale […] Un jour, on t’appelle et tu dois aller répondre à leurs questions. Ils te mitraillent de questions. […] Ils veulent que tu te replonges dans ton dossier, mais tu es fatigué. Très fatigué. »</p>
</blockquote>
<p>Après une longue période passée dans des structures collectives, les migrants commencent parfois à redouter la vie à l’extérieur. Même après avoir obtenu leur statut de réfugié, ils n’ont plus l’habitude des relations interpersonnelles, des tâches quotidiennes, de la vie ordinaire. La désorientation est d’autant plus grande chez ceux qui vivent dans des structures loin des centres urbains :</p>
<blockquote>
<p>« Vous imaginez vivre ici pendant un an ? On est au milieu des champs, à plusieurs heures de la ville, avec aucun bus le week-end. […] Au bout d’un moment, on s’habitue à cette vie et on a l’impression de n’avoir besoin de rien d’autre. Mais c’est pas une vie, c’est pas normal. J’ai vu des gens devenir fous quand ils devaient partir d’ici. […] Bien sûr, ils étaient contents, mais ils avaient peur. Ils ne savaient pas ce qui les attendait. »</p>
</blockquote>
<h2>« On se regardait les uns, les autres comme du poisson à l’étal du marché »</h2>
<p>Les pratiques de sélection sont une autre grande source de frustration. Après tout, le principe de sélection est essentiel dans la manière dont les démocraties modernes aspirent à gérer les flux migratoires mondiaux, et il est au centre des débats sur la migration depuis les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Gastarbeiter">années 1950</a>.</p>
<p>Ce qui caractérise la question des réfugiés, et la crise de 2015 en particulier, c’est l’extrême simplification et généralisation des critères. En 2015, la Commission européenne a notamment relancé la discussion sur la création d’une liste de « pays d’origine sûrs » pour les demandeurs d’asile. La Belgique a approuvé cette liste en <a href="https://www.cgra.be/fr/actualite/publication-de-la-liste-des-pays-dorigine-surs-au-moniteur-belge">2016</a>.</p>
<p>S., un Sénégalais en attente d’une première décision, exprime toute sa déception et frustration face au système et aux critères de sélection retenus par le CGVS/CGRA. Selon lui, la procédure de demande d’asile crée une rupture dans les relations interpersonnelles au sein du centre d’accueil :</p>
<blockquote>
<p>« Vous savez, on finit par se regarder les uns, les autres comme du poisson à l’étal du marché. On juge de ceux qui sont bons, de ceux qui sont mauvais. La seule chose qui compte, c’est le pays d’où on vient. […] Si on considère que ton pays d’origine est sûr, tu peux faire une croix sur ta demande. […] On voit des gens passer ici mais on sait que certains resteront des années [dans le centre d’accueil], et que d’autres ne seront jamais acceptés. […] Parfois c’est injuste, inacceptable. J’ai vu des personnes dans le besoin, qui méritaient de rester, que l’on rejetait. J’ai aussi vu des sales types être acceptés. On ne considère plus les gens pour ce qu’ils sont. On devient jaloux et commence à ressentir de la haine envers les autres. »</p>
</blockquote>
<p>Ceux que nous avons interrogés nous ont confié avoir peur de ne plus être considérés comme des individus dont on doit garantir les droits en toutes circonstances. Ils se sentent seulement classés en différentes catégories selon qu’ils « courent a priori un risque » ou qu’ils sont a priori « en sécurité », s’ils sont là a priori « légalement » ou « illégalement ».</p>
<h2>« Ils s’en foutaient complètement que j’ai subi des tortures »</h2>
<p>Les organismes chargés de la sélection mettent l’accent sur l’analyse et la vérification permanente de l’authenticité des profils des demandeurs d’asile. Un interprète payé pour les assister pendant l’entretien au CGVS/CGRA constate que l’on consacre beaucoup d’efforts à vérifier qu’ils viennent bien de la région ou de la ville dont ils affirment être originaires.</p>
<p>Cependant, d’après notre source, le personnel engagé lors de la crise d’accueil n’a reçu qu’une formation superficielle et était très mal préparé à identifier les origines géographiques et culturelles variées des demandeurs d’asile. Dans ce contexte, l’analyse et la vérification des profils des demandeurs sont perçues par ces derniers comme une recherche d’incohérences dans leur discours plutôt que comme une collecte de données et une analyse rigoureuses de leur passé et de ce qui les pousse à demander l’asile :</p>
<blockquote>
<p>« Ils m’ont posé cent fois la même question. J’avançais, ils me demandaient d’autres choses, puis ils revenaient à cette question stupide. […] “De quelle couleur était l’uniforme des gardiens de la prison où vous étiez enfermé ?” […] J’ai été torturé ! Ils s’en foutaient complètement que j’aie subi des tortures, tout ce qu’ils voulaient, c’est m’embrouiller. Et vous n’avez pas intérêt à dire que vous ne vous souvenez pas. »</p>
</blockquote>
<h2>L’inefficacité des situations d’urgence</h2>
<p>Nous sommes convaincus que ce que nous ont raconté les migrants interrogés dans le cadre de notre étude est essentiellement dû à l’urgence dans laquelle l’État fédéral belge et l’ensemble de l’Union européenne ont dû agir pendant et après l’été 2015.</p>
<p>Nous nous demandons dès lors dans quelle mesure cette urgence n’a pas servi, au fond, l’approche anti-migratoire adoptée par de nombreux gouvernements et les tendances à une sélection stricte des migrants qui <a href="https://www.brusselstimes.com/brussels/47733/theo-francken-belgian-asylum-policy-should-learn-from-australia/">fascinent aujourd’hui les responsables politiques</a>.</p>
<p>Début 2018, l’État fédéral belge a tenté de <a href="https://www.fedasil.be/en/news/reception-asylum-seekers/closure-reception-places">réduire les capacités d’accueil</a>, avant de faire marche arrière dès la reprise des arrivées de migrants cet été-là. Critiquant de manière à peine voilées la politique du gouvernement, le directeur de la FEDASIL, Jean‑Pierre Luxen, a qualifié cette augmentation des demandes de « malheureusement prévisible » dans son avant-propos du <a href="https://www.fedasil.be/sites/default/files/rapport_annuel_2018.pdf">rapport annuel 2018</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, nous suggérons, en tant que chercheurs (et en tant qu’êtres humains, citoyens et contribuables), d’adopter d’autres formes d’accueil, rigoureusement organisées et fondées sur des solutions locales à (plus) petite échelle, afin de favoriser les échanges interpersonnels avec les citoyens, et l’intégration future des demandeurs d’asile dans nos sociétés.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://actus.ulb.be/fr/12-mois-12-experts/2019-2020">Cliquez ici</a> pour retrouver le dossier « 12 mois,12 experts » de l’Université Libre de Bruxelles.</em></p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Valeriya Macogon pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125478/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que pensent les réfugiés et les migrants des procédures d’accueil en Europe ? Le cas de la Belgique.Alessandro Mazzola, Post-doc Research Fellow, Sociologist, Université de LiègeAntoine Roblain, Post-doc Research Fellow, Social Psychology, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1238332019-09-23T18:26:21Z2019-09-23T18:26:21ZEdward Snowden et la France : les ressorts d’une demande d’asile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293663/original/file-20190923-54759-126kzbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C1500%2C1093&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tag d'Edouard Snowden.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Alors qu’il publie <em>Mémoires vives</em>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden">Edward Snowden</a>, le lanceur d’alerte, vient de demander l’asile politique en France. Le résultat de cette requête est porteur de conséquences lourdes pour les libertés et la démocratie. Et c’est bien cette démocratie que Snowden a décidé de défendre au péril de sa vie depuis maintenant six longues années.</p>
<h2>De multiples refus</h2>
<p>Après ses révélations mettant en lumière l’ampleur des renseignements collectés par les services secrets américains et britanniques, Edward Snowden a essuyé de multiples refus suite à ses demandes d’asile politique en 2013 (en France notamment celui d’Emmanuel Valls). Finalement accueilli en Russie, où il bénéficie d’un droit de résidence limité qui expire en 2020, il a récemment réitéré son souhait de rejoindre la France. Or, cette demande doit se faire à l’ambassade de France en Russie, dont le personnel consultera ensuite le ministère de l’Intérieur.</p>
<p>Mais une fois sur place sur le territoire national, Edward Snowden pourrait être extradé vers les États-Unis au titre des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000218360&dateTexte=">infractions poursuivies</a>.
Le droit français pourrait donc ne pas aider l’informaticien.</p>
<h2>La France incommodée par la demande de Snowden</h2>
<p>Inutile de faire une étude approfondie des conséquences de l’action de Snowden, son retentissement se fait ressentir quotidiennement pour des milliards de personnes.</p>
<p>À la question <a href="https://theconversation.com/la-societe-a-t-elle-change-grace-a-snowden-67919">« la société a-t-elle changé grâce à Snowden ? »</a> chacun est en position de répondre par l’affirmative : n’avez-vous pas obturé la caméra de votre ordinateur ?</p>
<p>C’est donc l’incompréhension qui règne face à l’inertie des autorités nationales et au sein de l’Union européenne qui ont été les premiers bénéficiaires de ces révélations.</p>
<p>Tous en ont tiré les leçons à la fois pour leur sécurité intérieure et du point de vue des libertés fondamentales en renforçant la protection des données à caractère personnel. L’<a href="https://theconversation.com/les-citoyens-europeens-prets-a-controler-leurs-donnees-personnelles-face-aux-geants-du-web-52666">annulation du Safe Harbor</a>, l’adoption du RGPD, les multiples poursuites contre les géants du net pour violation du <a href="http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/a-la-commission-europeenne-margrethe-vestager-va-rester-le-cauchemar-des-gafa-20190910">droit de la concurrence</a> jusqu’à la taxe sur les GAFAM ; les retombées de l’action de Snowden se font aussi sentir à l’échelle mondiale, y compris aux États-Unis.</p>
<p>Même si le Congrès américain a limité cette collecte automatique, massive, et indiscriminée avec le <a href="https://www.nytimes.com/2015/06/03/us/politics/senate-surveillance-bill-passes-hurdle-but-showdown-looms.html"><em>Freedom Act</em></a> en 2015, les États poursuivent l’espionnage des conversations, qui se trouve normalisé avec l’adoption par exemple en France de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030931899&categorieLien=id">Loi renseignement</a>.</p>
<p>Quant aux entreprises, les plus grandes d’entre elles font encore l’objet d’enquêtes pour <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-appareils-a-commande-vocale-nous-enregistrent-ils-quels-en-sont-les-risques-122908">violation de la vie privée</a>. Les déséquilibres s’exacerbent sur le plan des cadres juridiques, des acteurs qui monopolisent la collecte des données et maintenant sur le rôle des machines (IA, super-calculateurs). </p>
<p>Les données sont plus que jamais au cœur de la bataille.</p>
<h2>Décision politique d’intérêt général</h2>
<p>Inculpé aux États-Unis pour espionnage et vol de secrets d’État, l’ancien agent de la CIA s’était caché treize jours <a href="https://youtu.be/ayz7AMYbFdQ">parmi des réfugiés sri-lankais</a> de Hong Kong. En effet, aucun statut juridique uniforme et suffisamment solide n’existe pour préserver un <a href="https://theconversation.com/lalerte-ethique-et-la-denonciation-legitime-dun-acte-touchant-linteret-general-49690">lanceur d’alerte</a> de cette envergure, véritable fugitif international.</p>
<p>Edward Snowden n’est pas un lanceur d’alerte comme les autres. Citizenfour (son premier pseudonyme) a été menacé de peine de mort par le secrétaire d’État américain Michael Pompeo.</p>
<h2>Droit de séjour</h2>
<p>Parmi les options possibles, la demande d’Edward Snowden pourrait être entendue par le président Emmanuel Macron au titre du droit de séjour, pouvoir régalien.</p>
<p>En effet, seule une décision politique, telle que celle prise par le François Mitterrand en faveur des <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/quand-paris-servait-de-base-arriere-aux-brigades-rouges-3710258">Brigades rouges italiennes</a> ou plus récemment par Nicolas Sarkozy pour laisser entrer des membres des <a href="http://www.cettefrancela.net/volume-1/descriptions/article/l-invitation-faite-aux-farc">Farc</a>, les rebelles colombiens, pourrait servir de fondement juridique à son entrée sur le territoire. Or, ce statut est révocable à tout moment en cas d’une alternance politique.</p>
<p>Sans user de ce pouvoir, la France pourrait accorder une protection à Snowden, en tant que <a href="https://www.ohchr.org/FR/Issues/SRHRDefenders/Pages/Defender.aspx">défenseur des droits de l’homme</a> au titre de la déclaration des Nations unies éponyme, car le lanceur d’alerte a rendu service à l’humanité et œuvre à la promotion ou à la protection des droits de l’Homme partout et pour tous. L’homme le plus dangereux selon les États-Unis est-il aussi le plus héroïque ?</p>
<p>Pour finir, quelques réminiscences de l’Internet qui fut un temps espace de liberté, rêvé par quelques geeks de la Silicon Valley. C’était avant…</p>
<p>Devenir qui tu es, échouer et recommencer, grâce à Internet ? Oui, c’était possible à une époque pas si lointaine.</p>
<p>Aujourd’hui, vous n’avez plus le droit à l’erreur : tout est archivé, référencé, et retweeté. A ce propos, lisez ce qu’en dit Chris Wetherell, inventeur du <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/alexkantrowitz/how-the-retweet-ruined-the-Internet">bouton « retweeter »</a>. Il nous explique comment cette fonction a ruiné Internet. Initialement prévue pour relayer la voix de communautés sous-représentées, elle a été détournée par les attaquants du <a href="https://medium.com/message/72-hours-of-gamergate-e00513f7cf5d">Gamergate</a>, jusqu’aux scandales de désinformation durant la <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-01-26/twitter-says-russian-linked-bots-retweeted-trump-470-000-times">campagne de 2016</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123833/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Le lanceur d’alerte vient de demander l’asile politique en France. Le résultat de cette requête est porteur de conséquences lourdes pour les libertés et la démocratie.Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1083502018-12-09T20:07:47Z2018-12-09T20:07:47ZLe Pacte mondial pour les migrations : des polémiques et des avancées<p>Les 10 et 11 décembre 2018 se tient à Marrakech (Maroc) une conférence sous l’égide des Nations unies afin d’adopter <a href="https://refugeesmigrants.un.org/sites/default/files/180711_final_draft_0.pdf">le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> Élaboré dans une certaine indifférence depuis 2016, ce Pacte a fait l’objet, tout au long de l’automne 2018, d’une intense politisation et de polémiques virulentes. Pourtant, <a href="http://icmigrations.fr/2018/12/09/defacto-2-002/">il suffit de lire ce document</a> pour se rendre compte du caractère modéré de son contenu – du moins par rapport à ses ambitions initiales. </p>
<p>Comment, dès lors, expliquer le rejet qu’il suscite, et quelle sera l’influence de ce Pacte onusien sur les politiques migratoires nationales ?</p>
<h2>Prendre la mesure de l’enjeu migratoire global</h2>
<p>Selon ses propres termes, l’ONU a pour mission de <a href="http://www.un.org/fr/sections/about-un/overview/">« prendre des mesures pour résoudre un grand nombre de problèmes auxquels est confrontée l’humanité au XXIème siècle ».</a> Les migrations constituent, à n’en pas douter, un de ces « problèmes ». Qu’il s’agisse <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/venezuela-les-frontieres-des-pays-voisins-se-referment_2031834.html">des Vénézuéliens fuyant la crise économique dans leur pays</a>, des Honduriens de la « caravane » de migrants <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/12/04/97001-20181204FILWWW00058-des-migrants-de-la-caravane-entrent-aux-etats-unis.php">bloqués à la frontière entre les États-Unis et le Mexique</a>, des réfugiés Rohingyas qui se sont échappés de Birmanie <a href="https://www.unhcr.org/fr/urgence-rohingya.html">pour s’installer au Bangladesh</a>, ou encore <a href="https://www.cairn.info/politiques-des-frontieres--9782348040740-page-129.htm">des dizaines de milliers de migrants noyés en Méditerranée</a> : partout dans le monde, les migrations suscitent <a href="https://theconversation.com/le-spectacle-politique-du-territoire-mure-50668">crises humanitaires, surenchères sécuritaires</a> et rejets politiques.</p>
<p>L’intérêt de l’ONU pour les migrations n’est pas nouveau. Dès 2003, Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations unies et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2006/06/07/kofi-annan-defend-les-bienfaits-sur-le-long-terme-de-l-immigration_780647_3210.html">fervent partisan de la cause des migrants</a>, met sur pied <a href="https://www.iom.int/global-commission-international-migration">la Commission mondiale sur les migrations internationales.</a> En 2006 et 2013 sont organisés <a href="http://www.un.org/fr/ga/68/meetings/migration/">deux Dialogues de haut niveau sur les migrations dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU</a>, tandis qu’<a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-le-forum-mondial-sur-la-migration-et-le-developpement-67609">un Forum mondial sur la migration et le développement est organisé annuellement depuis 2007.</a> </p>
<p>L’objectif de ces réunions multilatérales est d’élaborer des recommandations politiques à destination des États afin de « résoudre » les problèmes posés par les migrations. La crise des migrants dans la région euro-méditerranéenne a accéléré ce processus, avec l’organisation en 2016 d’un Sommet de l’ONU sur les migrations, à l’issue duquel fut prise la décision de préparer le « Pacte de Marrakech ».</p>
<p>Ce Pacte a été finalisé en juillet 2018, en vue d’une adoption formelle en décembre 2018. C’est avant tout <a href="https://theconversation.com/les-dilemmes-de-lorganisation-internationale-pour-les-migrations-99170">l’Organisation internationale pour les migrations</a> (OIM) qui a été à la manœuvre, tandis que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) est en parallèle chargé d’un autre Pacte, <a href="https://www.unhcr.org/fr/vers-un-pacte-mondial-sur-les-refugies.html">le Pacte pour les réfugiés</a>, qui semble aujourd’hui en retrait par rapport à celui sur les migrations.</p>
<h2>Objectif : concilier l’inconciliable</h2>
<p>Le caractère feutré de ces débats ne doit pas masquer le caractère périlleux de la tâche. Les migrations constituent un enjeu sensible et les États, très attachés à leur souveraineté, sont réticents à l’élaboration de normes internationales qui viendraient contraindre leurs politiques. </p>
<p>De plus, les gouvernements n’ont pas les mêmes intérêts ni le même agenda. Ainsi, si le contrôle des frontières est une priorité pour les pays occidentaux, ce n’est pas le cas pour les pays du Sud, qui ont au contraire besoin de l’émigration pour soulager leur marché du travail et contribuer à leur développement. De même, les pays du Nord cherchent à attirer les migrants qualifiés (ingénieurs, professionnels de santé, etc.), alors que ce sont précisément ces derniers que les pays du Sud souhaiteraient retenir chez eux. </p>
<p>A ces divergences entre États s’ajoutent les critiques d’acteurs non-étatiques, comme les employeurs désireux d’avoir accès à une main d’œuvre étrangère, ou les ONG remontées contre les politiques sécuritaires des pays occidentaux et les violations des droits des migrants.</p>
<p>De manière plus générale, les pistes avancées par l’ONU se heurtent aux dilemmes presque insurmontables que pose la gouvernance des migrations dans le monde actuel. Comment concilier une économie libérale de marché, fondée sur la circulation du capital et du travail, avec les impératifs de sécurité et de contrôle des frontières ? Comment protéger les droits sociaux des migrants dans des économies dérégulées qui prospèrent sur l’exploitation des travailleurs étrangers ? Comment faire respecter les droits fondamentaux des migrants, et notamment l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui proclame le droit de quitter son pays, avec le respect de la souveraineté des États ?</p>
<p>On conçoit que, face à la difficulté de la tâche, l’ONU se réfugie dans un discours aseptisé et parfois ambigu. Le titre du Pacte est éloquent. On ne parle pas de « contrôle » des migrations, mais de migrations « ordonnées » et « régulières ». L’ONU se démarque ainsi de l’obsession sécuritaire des pays riches et envisage des migrations de travail légales, lesquelles bénéficieraient tant aux pays riches – dont la population vieillit et qui manquent de main d’œuvre dans certains secteurs économiques – qu’aux pays de départ qui y trouvent un levier de développement. </p>
<h2>Un pacte non contraignant</h2>
<p>De même, la notion de migrations « sûres » implique la nécessité de protéger les migrants, dans un contexte où nombre d’entre eux perdent la vie en tentant de franchir des frontières, mais sans pour autant insister sur les droits des migrants (comme le droit d’asile), que les États occidentaux perçoivent comme un obstacle à leur souveraineté et à leur volonté d’expulser les migrants.</p>
<p>Parmi les 23 objectifs affichés par le Pacte de Marrakech se trouvent d’autres enjeux consensuels, comme la lutte contre les causes profondes des migrations (sous-développement, changement climatique) ou le combat contre les « passeurs » et les « trafiquants » coupables d’exploiter les migrants et de les faire traverser les frontières dans des conditions dangereuses. </p>
<p>C’est également en raison du caractère politiquement sensible que le Pacte, à l’instar des autres documents précédemment adoptés par l’ONU sur le sujet, est un instrument de <em>soft law</em> non-contraignant : il se contente d’énoncer des principes <a href="https://news.un.org/en/story/2018/11/1026791">sans obliger juridiquement les États à les mettre en œuvre.</a> On est donc très loin du fantasme d’un <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/01/austria-criticised-not-signing-un-global-migration-compact-european-commission">« droit de l’homme à la migration » véhiculé par les opposants au Pacte</a>.</p>
<h2>Une fronde inattendue des États</h2>
<p>Mais rien n’y fait : malgré une recherche constante de consensus, le Pacte ploie sous les critiques et semble aujourd’hui davantage creuser les clivages que faciliter la coopération. </p>
<p>Tout a commencé en décembre 2017, <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/dec/03/donald-trump-pulls-us-out-of-un-global-compact-on-migration">avec le retrait des États-Unis</a>. Cette décision de Donald Trump n’était pas réellement une surprise, étant donné son hostilité à l’égard du multilatéralisme et la tonalité anti-migrants de sa campagne électorale. Mais loin d’être isolé, ce retrait fut suivi d’une spectaculaire cascade d’autres décisions similaires. En novembre 2018, <a href="https://www.timesofisrael.com/israel-wont-sign-global-migration-pact-netanyahu-announces/">Israël</a>, <a href="https://edition.cnn.com/2018/11/20/australia/united-nations-migration-pact-intl/index.html">l’Australie</a>, la Hongrie, <a href="http://www.thenews.pl/1/9/Artykul/392943,Poland-will-not-sign-UN-migration-pact-govt-minister">la Pologne</a>, la Slovaquie et <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/01/austria-criticised-not-signing-un-global-migration-compact-european-commission">l’Autriche</a> ont ainsi imité les États-Unis. Étonnement, d’autres Etats-clés du multilatéralisme se posent la question de leur retrait, <a href="https://www.levif.be/actualite/belgique/la-n-va-ne-veut-pas-signer-le-pacte-mondial-sur-les-migrations/article-normal-1053415.html?fbclid=IwAR364e0MAZSiSbz5AkQU6WU5j43mjIWQ3J7zRWgmGPD49tMletn6vEokNJc&cookie_check=1543926403">comme la Belgique </a> ou la Suisse.</p>
<p>Partout, l’argument est le même : l’ONU empêcherait les États de contrôler leurs frontières, entraverait leur souveraineté et conduirait à un afflux incontrôlable de migrants. Le Pacte est pourtant très clair : il prévoit que les États gèrent leurs frontières<a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-les-nations-unies/le-pacte-mondial-sur-les-migrations/"> « selon le principe de la souveraineté nationale », en « prévenant la migration irrégulière » et « dans le respect des obligations prévues par le droit international ».</a>.</p>
<p>Il respecte donc le droit des États à déterminer leurs politiques migratoires et à contrôler leurs frontières – ce qui est naturel si on considère que l’ONU est une organisation intergouvernementale qui répond aux États, et que le Pacte a fait l’objet de consultations approfondies avec l’ensemble des gouvernements de la planète. Lorsque le Pacte énonce des principes contraignants, comme le respect du droit international, il ne fait que rappeler des obligations auxquelles les États se sont de toute manière déjà astreints. </p>
<p>Cette fronde est inattendue. En général, les États européens sont parmi les « bons élèves » à l’ONU et soutiennent, tant financièrement que politiquement, les efforts de cette organisation. De plus, les arguments des États récalcitrants sont infondés et surtout, le Pacte étant en gestation depuis 2016 et sa version définitive connue depuis juillet 2018, les gouvernements auraient aisément pu faire valoir leurs arguments plus tôt. </p>
<p>Certains États ont même joué un rôle clé dans la préparation du Pacte : c’est le cas de la Suisse, très active sur le sujet, mais le travail mesuré et discret des diplomates helvétiques a volé en éclats lorsqu’il a été confronté à un climat politique dominé par les populistes et la méfiance à l’égard des étrangers.</p>
<p>Le Pacte fait aussi l’objet d’une politisation à des fins électorales. Ce week-end, en Belgique, la <a href="https://www.lesoir.be/194586/article/2018-12-09/crise-gouvernementale-charles-michel-senvolera-en-fin-de-journee-pour-marrakech">N-VA flamande</a> a claqué la porte du gouvernement fédéral pour officiellement s’opposer à la signature du Pacte par le premier ministre Charles Michel. En réalité, elle mobilise une nouvelle fois une rhétorique anti-migratoire pour se préparer aux élections fédérales de mai prochain. </p>
<p>En France, dans un contexte social agité, le gouvernement dépêchera le secrétaire d’État aux Affaires étrangères pour le signer alors que <a href="http://www.leparisien.fr/politique/immigration-massive-et-pleins-pouvoirs-que-dit-vraiment-le-pacte-de-l-onu-sur-les-migrations-03-12-2018-7959921.php">les réseaux sociaux bruissent de rumeurs fantaisistes</a> sur le Pacte et que Marine Le Pen dénonçait samedi ce « <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/09/migration-marine-le-pen-et-steve-bannon-denoncent-a-bruxelles-le-pacte-avec-le-diable_5394839_3210.html">Pacte avec le diable</a> », aux côtés de Steve Bannon et de ses amis du Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés (MENL) avec en ligne de mire les élections européennes.</p>
<h2>Un pacte sans ambition ?</h2>
<p>A l’image d’Amnesty International, la société civile pointe, quant à elle, les insuffisances du Pacte et regrette que les États ne se soient pas montrés plus ambitieux : le Pacte justifierait des pratiques comme l’enfermement des migrants et ne défendrait <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/07/un-refugee-compact-world-leaders-not-up-to-the-challenge/">pas assez les droits des migrants.</a> En revanche, les États du Sud restent favorables au Pacte, à l’instar du Maroc, qui organise la conférence à Marrakech.</p>
<p>L’ONU était, jusqu’à présent, parvenue à contourner l’hostilité à l’égard des migrants qui caractérise un grand nombre de ses États-membres. Depuis près de vingt ans, elle s’activait à développer ses propositions en matière de politiques migratoires qui, malgré leur tiédeur, n’en avait pas moins le mérite de proposer une autre lecture des migrations, axée au moins autant sur la sécurité que sur les droits de l’homme ou le développement. La relative indifférence qui entourait ce processus la protégeait des polémiques, mais au prix d’un décalage grandissant entre ses positions et celles qui dominent le débat public, et au détriment de son influence sur les politiques migratoires des États.</p>
<p>La donne est clairement en train de changer. Il faudra beaucoup de courage politique à l’ONU et aux États qui soutiennent le Pacte pour affirmer la nécessité d’un changement de politique. On peut craindre que ce courage vienne à manquer et que les critiques à l’égard du Pacte ne sonnent le glas des initiatives de l’ONU. </p>
<p>Toutefois, la politisation de ce Pacte a le mérite de mettre les États face à leurs responsabilités : à Marrakech, les 10 et 11 décembre, ils auront l’opportunité d’affirmer leur volonté d’ancrer les politiques migratoires dans les valeurs cardinales de la communauté internationale… ou d’offrir aux opposants des migrations une nouvelle victoire symbolique et politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Élaboré dans l'indifférence, ce Pacte fait l'objet d'une intense politisation et de polémiques virulentes. Pourtant, il suffit de le lire pour se rendre compte du caractère modéré de son contenu.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordDamien Simonneau, Chercheur postdoctoral en science politique, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1046422018-10-12T09:38:53Z2018-10-12T09:38:53ZL’Allemagne, un pays d’immigration qui s’assume au-delà des tensions<p><a href="https://www.letelegramme.fr/monde/allemagne-la-tension-ne-retombe-pas-a-chemnitz-09-09-2018-12072047.php">Les images des incidents de Chemnitz</a> inquiètent à juste titre en France. Tout événement pouvant rappeler le passé nazi de l’Allemagne doit être analysé avec la plus grande attention, sans toutefois donner lieu à la surinterprétation. Prenons garde, notamment, à l’essentialisme qui menace parfois d’affleurer lorsque l’on regarde l’Allemagne depuis la France.</p>
<h2>Un pays ouvert à l’immigration</h2>
<p>L’Allemagne est aujourd’hui un pays extrêmement diversifié qui compte parmi sa population une part d’immigrés plus importante que la France <a href="https://www.oecd.org/fr/migrations/indicateursintegration/indicateursclesparpays/name,219043,fr.htm">selon l’OCDE</a>. En 2017, 19,3 millions de personnes (<a href="https://www.bpb.de/wissen/NY3SWU,0,0,Bev%F6lkerung_mit_Migrationshintergrund_I.html">23,5 % de la population</a>) étaient issues de l’immigration en Allemagne (immigrés ou enfants d’immigrés), dont 9,8 millions d’Allemands (12 %) et 9,4 millions d’étrangers (11,5 %).</p>
<p>La crise des réfugiés de 2015 n’est pas la première du genre en Allemagne depuis 1945. Sans remonter à l’arrivée des « Vertriebenen » (les « Expulsés ») dans l’immédiat après-guerre, chassés des anciens territoires allemands d’Europe de l’Est, il est intéressant de comparer la crise des réfugiés des années 1990 avec la situation actuelle.</p>
<p>En effet, entre les deux crises, de profondes mutations se sont produites en Allemagne : le pays se considère désormais officiellement comme un pays d’immigration, il a mis en œuvre une politique d’intégration, tente d’organiser ses relations avec les responsables du culte musulman, etc.</p>
<h2>La violence d’extrême droite dans les années 90</h2>
<p>Dans les années 90, au lendemain de la réunification, l’Allemagne accueille la majorité des réfugiés au sein de l’Union européenne : plus de 400 000 demandes d’asile en 1992, plus de 300 000 en 1993 par exemple (issues notamment de l’ex-Yougoslavie).</p>
<p>De plus, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, des citoyens des anciennes républiques communistes aux lointaines origines allemandes font usage de leur droit à regagner l’Allemagne (environ 200 000 personnes par an entre 1991 et 1995) : ce sont les « Aussiedler », puis les « Spätaussiedler » (les « Rapatriés » et les « Rapatriés tardifs »).</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’on assiste à la montée de la violence d’extrême droite dans le pays. A Rostock, près de 3000 habitants applaudissent l’incendie d’un foyer qui abrite des immigrés vietnamiens en août 1992. Ailleurs en Allemagne, y compris à l’Ouest, des étrangers ou des immigrés sont victimes de la violence de groupes d’extrême droite. La même année, à Mölln (Nord), par exemple, deux familles turques périssent dans l’incendie criminel de leur maison.</p>
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<p>A l’époque, le chancelier allemand Helmut Kohl n’avait pas jugé pertinent de participer aux obsèques des membres de ces deux familles. Le journaliste Christian Jakob estime à plus d’une trentaine le nombre de victimes de l’extrême droite en 1992 si bien que l’on a pu parler d’une <a href="http://www.bpb.de/shop/zeitschriften/apuz/223928/zufluchtsgesellschaft-deutschland">« ambiance de pogroms »</a>.</p>
<p>Sur le plan politique, la situation a mené à un durcissement de la politique de l’asile connu sous le nom de l’« Asylkompromiss » (le compromis sur l’asile), en 1993.</p>
<p>Toutefois, la violence d’extrême droite n’a pas pris fin dans les années 90, comme l’ont montré les meurtres de la NSU, une organisation terroriste d’extrême droite née en Allemagne de l’Est. Celle-ci est responsable du meurtre de 9 immigrés entre 2000 et 2006. A l’époque, la police allemande n’a pas pris au sérieux le motif raciste de ces actes (comme l’a illustré le cinéaste Fatih Akin <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=231371.html">dans son film <em>In the Fade</em></a>), se montrant incapable de repérer les liens qui unissaient les différentes affaires.</p>
<p>C’est seulement à la suite du suicide de deux membres de ce groupuscule que le scandale a éclaté. Il a débouché, en 2018, sur la condamnation à la prison à perpétuité du seul membre du groupe vivant, Beate Zschäpe. En 2012, une cérémonie officielle à laquelle participait Angela Merkel avait été organisée en mémoire des victimes.</p>
<h2>La rupture du début des années 2000</h2>
<p>L’arrivée au début des années 2000 de la coalition rouge-verte au pouvoir, qui associe le SPD aux Verts, a marqué un tournant majeur dans la politique migratoire de l’Allemagne. Depuis 2005 et la promulgation d’une loi sur l’immigration, l’Allemagne est devenue officiellement un pays d’immigration, ce qu’elle était dans les faits depuis bien longtemps.</p>
<p><a href="http://kjbade.de/">Selon l’historien Klaus Bade</a>, qui avait appelé avec d’autres chercheurs à ce que la classe politique allemande reconnaisse le fait migratoire dans le « Manifeste des 60 » dès 1993, il s’agit là d’un pas essentiel mais qui arrive bien tard. En effet, la République fédérale allemande avait signé, à partir de 1955, des accords de recrutement de travailleurs étrangers avec de nombreux pays tels que l’Italie, la Turquie ou la Grèce.</p>
<p>Mais les politiciens allemands considéraient cette immigration comme temporaire. Or, à la suite du choc pétrolier de 1973, ces travailleurs sont restés en Allemagne, ont fait venir leur famille, si bien que l’Allemagne s’est retrouvée avec une immigration de fait, mais sans politique d’intégration.</p>
<p>Les communes ne restaient certes pas inactives, mais c’est bien au début des années 2000 que la politique d’intégration s’est considérablement développée au niveau national. Ce mouvement a ensuite été amplifié, en 2014, avec l’introduction de la double nationalité, sous la pression du SPD, pour tous les enfants de parents étrangers ayant obtenu un diplôme en Allemagne, suivi leur scolarité dans le pays pendant six ans ou bien vécu sur place pendant huit ans.</p>
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<p>Cette nouvelle législation rendait ainsi caduc le système de l’« Optionspflicht » introduit sous Gerhard Schröder en 2000 : jusqu’en 2014, les jeunes de deux parents étrangers obtenaient la nationalité allemande à leur naissance, mais à leur majorité ils devaient choisir entre la nationalité allemande et celle de leurs parents. Un choix considéré par beaucoup comme particulièrement injuste.</p>
<p>Par ces diverses mesures, l’Allemagne s’est ainsi rapprochée de façon décisive, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, de la situation des pays d’immigration classiques.</p>
<h2>Le pari d’Angela Merkel</h2>
<p>Lorsqu’Angela Merkel prend la décision, en août 2015, de ne pas fermer les frontières de l’Allemagne aux réfugiés syriens, elle est donc à la tête d’un pays qui a accompli des pas importants dans la reconnaissance de sa diversité et d’une société qui se considère majoritairement comme ouverte et tolérante.</p>
<p>Toutefois, les conflits et les polémiques n’ont jamais cessé outre-Rhin avec les débats sur l’idée d’une culture de référence (« Leitkultur ») et sur l’existence de sociétés parallèles (« Parallelgesellschaften »), mais aussi les craintes exprimées par certains d’une islamisation rampante de l’Allemagne attisées par les écrits de <a href="http://www.thilo-sarrazin.de/">Thilo Sarrazin</a> qui a vendu de très nombreux exemplaires de son ouvrage <em>Deutschland schafft sich ab</em> (« L’Allemagne s’auto-détruit ») en 2010 (et qui réitère son succès en 2018 avec un brûlot anti-islam). Sans oublier l’aveu d’échec de la chancelière Angela Merkel elle-même <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2010/10/17/01003-20101017ARTFIG00129-angela-merkel-admet-l-echec-du-multiculturalisme-allemand.php">à propos du « multiculturalisme »</a>.</p>
<p>Toujours est-il qu’Angela Merkel prend, à l’été 2015, la décision d’accueillir les réfugiés, une décision d’abord largement approuvée par la population allemande, avant de susciter de fortes interrogations.</p>
<p>Or, il faut souligner que sans l’engagement de très nombreux bénévoles en faveur de l’accueil des réfugiés, les structures publiques auraient été complètement dépassées par l’ampleur de la tâche. L’Église protestante (très active dans le domaine social, comme l’Église catholique) estime que <a href="https://www.welt.de/politik/deutschland/article150200411/Viele-Deutsche-helfen-haben-aber-auch-Angst.html">10 % des Allemands ont participé personnellement</a> à des actions en faveur de l’accueil des réfugiés.</p>
<p>Ce mouvement de solidarité a été rendu possible grâce au développement des initiatives locales depuis les années 70 après la révolte étudiante, renforcé par la mise en place de programmes tels que <a href="https://www.staedtebaufoerderung.info/StBauF/DE/Programm/SozialeStadt/soziale_stadt_node.html">« Soziale Stadt »</a>, qui reposent sur la mise en réseau et l’activation des acteurs locaux dans les territoires en difficulté.</p>
<h2>Le temps de la désillusion</h2>
<p>Mais à l’engouement initial a vite succédé la désillusion, accrue par les <a href="https://theconversation.com/angela-merkel-face-a-leffritement-de-la-culture-de-laccueil-53341">événements du réveillon de la Saint-Sylvestre 2015</a> où des hommes, dont de nombreux réfugiés, s’en sont pris à des femmes allemandes, quelques heures après qu’Angela Merkel avait répété dans son allocution télévisée pour la nouvelle année que leur arrivée était une « chance pour l’Allemagne ».</p>
<p>Dans un contexte général de baisse de la criminalité en Allemagne, on constate cependant une hausse des faits impliquant <a href="http://www.spiegel.de/panorama/justiz/kriminalitaet-in-deutschland-die-fantasiezahlen-des-donald-trump-a-1213951.html">des étrangers</a>, surreprésentés (avec de fortes variations en fonction des pays d’origine). Beaucoup d’Allemands prennent alors conscience que l’intégration des réfugiés va demander du temps, que l’insertion professionnelle avance doucement, etc.</p>
<p>Au plan politique, ce changement d’ambiance se traduit par les difficultés politiques d’Angela Merkel, en fin de règne, péniblement réélue fin 2017 et attaquée par ses partenaires historiques de la CSU, en difficulté pour constituer une coalition gouvernementale avec un Bundestag qui compte désormais plus de 90 députés d’extrême droite, une première dans l’après-guerre.</p>
<p>Lors des élections législatives, l’<a href="https://theconversation.com/lafd-radiographie-dun-ovni-politique-en-allemagne-88196">AfD</a>, revigorée par la crise migratoire, fait en effet un score à deux chiffres (12,6 %), enregistrant de bons résultats dans l’ex-RDA (supérieurs à 18 % dans tous les <em>Länder</em> de l’Est, sauf Berlin, et même jusqu’à 27 % en Saxe), mais pas seulement. L’AfD est aussi représentée dans de nombreux parlements régionaux d’Allemagne de l’Ouest.</p>
<p><a href="https://www.svr-migration.de/presse/presse-svr/ib2018/">Le baromètre de l’intégration</a> de septembre 2018 montre toutefois qu’une majorité d’Allemands reste favorable à l’accueil des réfugiés, tout en souhaitant une réduction du nombre d’arrivées.</p>
<h2>Les mystères de la Saxe</h2>
<p>C’est à Dresde, en Saxe, que le mouvement <em>Pegida</em> a été lancé, détournant le slogan « Wir sind das Volk ! » (« Nous sommes le peuple ! ») de la révolution pacifique de 1989-1990 dans un sens xénophobe et populiste. C’est aussi en Saxe que certains groupes d’extrême droite s’en sont pris à des foyers de réfugiés <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1672959-20150826-incidents-racistes-allemagne-president-denonce-face-sombre-pays">comme à Heidenau</a>, suscitant la venue d’Angela Merkel, huée lors de sa visite, ou bien ont protesté de façon violente dans une véritable chasse à l’homme contre les migrants à Chemnitz.</p>
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<p>Cette concentration – non-exclusive – de manifestations en Saxe interroge. Le taux de chômage n’y est pas élevé (5,8 % pour l’ensemble de la population locale, 7,3 % pour les jeunes en août 2018). De plus, la part de la population immigrée et étrangère y est beaucoup plus faible que dans d’autres régions allemandes.</p>
<p>Mais les zones rurales connaissent de vraies difficultés. Beaucoup de jeunes partent encore à l’Ouest, où les opportunités professionnelles sont plus nombreuses. Et la politique d’aide locale peut paradoxalement y être perçue comme une forme d’abandon par la puissance publique des zones en difficulté (Chemnitz et Heidenau sont concernées par le programme « Soziale Stadt »), alors que les groupes d’extrême droite s’engagent parfois dans le soutien associatif au plus près des populations.</p>
<p>Surtout, ces personnes qui soutiennent aujourd’hui l’extrême droite ont vécu l’effondrement du communisme, l’introduction de l’économie de marché dont elles n’avaient pas la culture. Elles ont vécu de nombreuses années dans un système où le rôle de l’État n’avait rien à voir avec celui qu’il a dans une République fédérale marquée par l’idée de subsidiarité et d’auto-responsabilisation des acteurs. Elles se perçoivent comme des perdants de la réunification, des perdants de la mondialisation et idéalisent parfois le passé communiste. En définitive, elles estiment qu’Angela Merkel, « la fille de l’Est », les a trahies.</p>
<p>En RDA, les travailleurs immigrés vietnamiens ou mozambicains étaient tenus à l’écart. Ainsi, si une travailleuse étrangère venait à tomber enceinte, elle devait avorter ou bien rentrer dans son pays. La confrontation avec la diversité culturelle vient donc pour la plupart après la réunification.</p>
<p>Beaucoup d’immigrés turcs, partis dans les nouveaux <em>Länder</em> juste après la réunification afin d’y faire des affaires (y ouvrant, par exemple, des magasins de primeurs), le savent bien : ils y ont été accueillis froidement, les vitrines de leurs magasins ont parfois été saccagées et nombre d’entre eux sont finalement rentrés à l’Ouest. Vingt-huit ans après la réunification, rien n’aurait donc changé ?</p>
<h2>Des tensions, mais pas de panique !</h2>
<p>Ce n’est pas notre analyse. Les tensions sont bien présentes, les manifestations de rejet et la violence également, y compris à l’Ouest. On a enregistré depuis 2015 de très nombreuses attaques contre des réfugiés ou leurs résidences. Mais, contrairement à l’année 1992, il n’y a pas eu, à notre connaissance, de victimes parmi les réfugiés depuis la crise de 2015, même si on dénombre des blessés.</p>
<p>La violence verbale s’est certes accrue avec l’arrivée de l’AfD au Bundestag qui dispose ainsi d’une résonance nouvelle. Si ce mouvement d’extrême droite possède un fort pouvoir de nuisance, et si l’on assiste à un effritement de la position des partis traditionnels, on ne peut toutefois pas parler d’effondrement : 41 % des Allemands soutiennent toujours les deux principaux partis au pouvoir, <a href="https://www.tagesschau.de/inland/deutschlandtrend-1405.html">d’après un sondage de l’ARD datant d’octobre 2018</a>. Il s’agit néanmoins du pire score historique jamais enregistré dans une enquête d’opinion par la grande coalition, tandis que les Verts progressent (17 %) et que l’AfD reste stable (16 %).</p>
<p>Quels enseignements pourra-t-on tirer des élections régionales qui se déroulent en Bavière ce dimanche 14 octobre ? Confirmeront-elles l’embellie des Verts dans les sondages ? Quelles seront les répercussions de ce scrutin sur la politique allemande au niveau fédéral ? Et quel sera, notamment, le sort réservé à l’encombrant ministre de l’Intérieur, issu des rangs de la la CSU, Horst Seehofer ?</p>
<p>Quel que soit le résultat, la démocratie allemande est forte, les positions exprimées y sont souvent très tranchées. Mais les protections constitutionnelles sont élevées et la société civile est prête à faire entendre sa voix.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104642/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Sellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Allemagne, qui se considère officiellement comme un pays d’immigration, a mis en œuvre une politique d’intégration, et tente d’organiser ses relations avec les responsables du culte musulman.Julien Sellier, MCF d'allemand, Faculté d'AEI, IMAGER, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1020722018-09-03T20:52:14Z2018-09-03T20:52:14ZEn Bavière, les limites du discours radical de droite<p>La fin du mois d’août est marquée en Allemagne par les manifestations et violences racistes de Chemnitz, en Saxe (est de l’Allemagne). L’expression de la frange la plus extrémiste de la droite radicale est visible sur tous les écrans de télévision européens. L’étonnement de beaucoup de médias est important devant la capacité mobilisatrice de la droite radicale saxonne : quelques 4 500 personnes à Chemnitz (ville de 250 000 habitants) se sont réunies le 1<sup>er</sup> septembre.</p>
<p>Si les élections du Land avaient lieu cette semaine, le parti radical de droite, l’AfD, obtiendrait près de 25 % des voix, selon les derniers sondages. Le contexte politique est donc celui d’une droite radicale bien établie dans certains Länder – avec des propensions à la violence qui ne sont plus à démontrer.</p>
<p>Intéressons-nous, dès lors, aux stratégies des partis de gouvernement, comme le parti chrétien-social (CSU, parti sœur de la CDU), en vue des prochaines élections qui auront lieu le 14 octobre prochain et aux réactions qu’elles suscitent.</p>
<h2>Mobilisation en Bavière</h2>
<p>Au cœur de l’été, le dimanche 22 juillet, une manifestation, frappante de par son ampleur, mais certainement moins visible que celles de Chemnitz, a eu lieu <a href="https://www.zeit.de/politik/deutschland/2018-07/muenchen-demonstration-ausgehetzt-csu-asylpolitik">dans la capitale bavaroise, Munich</a>. Plus de 20 000 personnes se sont rassemblées afin de protester contre la politique d’asile menée par le ministre fédéral de l’Intérieur (ancien Ministre-Président du Land), Horst Seehofer, et la CSU. Avec des slogans comme « Seebrücke statt Seehofer » (« Seebrücke l’[association venant à la rescousse de migrants dans la mer Méditerranée] plutôt que Seehofer »), les manifestants sont venus rappeler à la CSU que toute la Bavière n’était pas réceptive à sa politique migratoire restrictive.</p>
<p>À la veille des élections de l’État de Bavière où la CSU détient la majorité absolue, cette mobilisation civile sonne comme un avertissement. Davantage, elle semble indiquer la cooptation par le parti social-chrétien des idées radicales de droite n’est pas sans susciter des réactions critiques.</p>
<p>Un retour sur l’histoire des stratégies politiques de la famille chrétienne-démocrate face à l’émergence des partis radicaux de droite semble utile pour éclairer la situation actuelle.</p>
<h2>L’enjeu central du droit d’asile</h2>
<p>Dans les années 1980, l’Allemagne de l’Ouest, et particulièrement les deux États du sud de l’Allemagne, la Bavière et le Bade-Wurtemberg, font face à l’essor d’un parti radical de droite, les <a href="https://www.booklooker.de/B%C3%BCcher/Hans-G-Jaschke+Die-Republikaner/id/A01ZaB4c01ZZ8?zid=f7e5ae4c66ec4c76c5999f3420e5e0e1"><em>Republikaner</em></a> – dont les cadres sont des dissidents de la CSU (et de la CDU). Dans un contexte marqué par l’arrivée de réfugiés des Balkans et de violences racistes, les chrétiens-démocrates adoptent alors une rhétorique proche de celle des <em>Republikaner</em>, particulièrement sur la thématique du droit d’asile – stratégie de cooptation qui atteindra son apogée en 1993 avec la réforme qui vient restreindre le <a href="https://www.br.de/nachrichten/fluechtlinge-rueckblick-kosovo-balkan-100.html">droit d’asile en Allemagne</a>.</p>
<p>Une vingtaine d’années plus tard, la politique d’accueil des demandeurs d’asile <a href="https://www.zeit.de/2015/38/angela-merkel-fluechtlinge-krisenkanzlerin/seite-4">affirmée par la chancelière en 2015</a> et symbolisée par le désormais célèbre « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ») est immédiatement suivie de réticences émanant de la CSU. Dès l’automne 2015, Seehofer se positionne en faveur de quotas d’accueil, dans une tentative de limiter le nombre de demandeurs d’asile.</p>
<p>Durant 2017 et les négociations portant sur le programme de la CDU-CSU en vue des élections législatives de septembre 2017, la chancelière reprend le dessus et la question des quotas n’apparaît pas. À l’issue des élections parlementaires fédérales du 24 septembre, la CSU bavaroise obtient un score de près de 10 points inférieur qu’en 2013. En parallèle, l’AfD, parti radical de droite, obtient <a href="https://www.bundeswahlleiter.de/bundestagswahlen/2017/ergebnisse/bund-99/land-9.html">10,5 % des suffrages exprimés</a>.</p>
<p>À cette occasion, le leader de la CSU affirme son intention de fermer l’espace à la droite de la CSU (« wir werden diese rechte Flanke schließen »). Il semble alors clair que le parti va se repositionner plus fortement sur des thématiques visant à attirer l’électorat perdu au profit de l’AfD. Le différend entre la CDU et la CSU sur la question migratoire débouche, au printemps 2018, sur un ultimatum d’Horst Seehofer, devenu depuis ministre de l’Intérieur fédéral, venant déstabiliser le gouvernement pendant plusieurs semaines. Le conflit se focalise sur l’application de la législation européenne permettant le <a href="https://blog.francetvinfo.fr/bureau-berlin/2018/06/13/immigration-conflit-ouvert-entre-merkel-et-son-ministre-de-linterieur.html">renvoi des demandeurs d’asile vers le premier pays européen pénétré</a>.</p>
<h2>« L’original plutôt que la copie »</h2>
<p>Dans ce contexte, la mobilisation d’une partie de la population en faveur d’une autre politique migratoire est le signal le plus visible de l’opposition à la reprise de la rhétorique des partis radicaux de droite. <a href="https://www.sueddeutsche.de/bayern/csu-kirche-landtagswahl-bayern-1.4082709">D’influents représentants de l’Église en Bavière</a> prennent également leurs distances avec la CSU. Les sondages, qu’il faut prendre avec toutes les précautions habituelles, tracent la baisse de popularité de la CSU dans l’opinion qui se situe désormais, et depuis plusieurs semaines, <a href="https://www.wahlrecht.de/umfragen/landtage/bayern.htm">sous la barre des 40 %</a> – score dont rêverait tout parti français mais <a href="https://www.bayern.landtag.de/fileadmin/Internet_Dokumente/Wahlergebnisse.pdf">historiquement bas pour la Bavière conservatrice</a>.</p>
<p>La reprise du discours radical de droite par des partis de gouvernement fonctionne en termes électoraux sur certains territoires, le FIDESZ hongrois (parti conservateur) en est l’exemple le plus frappant. Cela semble plus compliqué en Bavière où les positions radicalement restrictives concernant la politique d’asile restent associées à l’AfD et ne résonnent pas complètement au sein de la population – <a href="https://www.routledge.com/Radical-Right-Parties-in-Central-and-Eastern-Europe-Mainstream-Party-Competition/Pytlas/p/book/9781138889668">deux conditions pourtant nécessaires pour que la cooptation soit réussie</a>.</p>
<p>De fait, une partie de l’électorat chrétien-social semble vouloir se tourner vers l’AfD suivant le désormais célèbre adage choisir « l’original plutôt que la copie ». On remarque également que l’autre grand parti de gouvernement, le Parti social-démocrate, qui a progressivement vu <a href="https://www.cambridge.org/core/books/the-transformation-of-european-social-democracy/C92F284FC17302253C3B5B14123BBA80">sa base électorale s’effriter depuis trois décennies</a> ne profite pas de cette chute de la CSU. Le parti vert, en revanche, devient attractif pour une partie de l’électorat chrétien-social en opposition avec les récents choix politiques de la CSU.</p>
<h2>L’efficacité des politiques de prévention</h2>
<p>Si ces tendances venaient à se vérifier dans les urnes, cela montrerait les risques politiques pour un parti de gouvernement à coopter les idées de partis radicaux de droite – ce qui a d’ailleurs déjà été <a href="http://www.cambridge.org/gb/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/party-competition-between-unequals-strategies-and-electoral-fortunes-western-europe?format=HB&isbn=9780521887656">mis en évidence</a> par une partie de la littérature en <a href="http://eprints.lse.ac.uk/70882/1/blogs.lse.ac.uk-Hungary%20Poland%20and%20Slovakia%20show%20the%20risks%20associated%20with%20mainstream%20parties%20co-opting%20the%20platforms.pdf">science politique</a>.</p>
<p>L’objectif de la mobilisation actuelle est donc bien de rendre visible l’opposition d’une partie de l’électorat aux partis de gouvernement cooptant le discours radical de droite. Elle semble aussi indiquer que les <a href="https://theconversation.com/extreme-droite-et-terrorisme-perspectives-franco-allemandes-99335">politiques préventives</a> menées depuis deux décennies pour contrer le radicalisme de droite ont marqué les attitudes d’une partie de la population, capable de se mobiliser largement contre les idées radicales de droite.</p>
<p>A contrario, les récentes <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/sachsen-eine-schande-1.4106168">manifestations xénophobes de Chemnitz</a> suggèrent l’importance de ces politiques sur les (contre)-dynamiques militantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102072/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Laumond a reçu des financements de la Fondation Heinrich Böll. </span></em></p>À quelques semaines des élections en Bavière, la stratégie populiste contestée du parti conservateur risque de profiter davantage à l’extrême droite qu’au SPD.Bénédicte Laumond, Docteure en science politique, spécialiste de l'Allemagne, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/982672018-06-18T22:15:23Z2018-06-18T22:15:23ZLa politique migratoire du Président Macron, entre pression intérieure et espoir européen<p>Bien que l’Europe ait dû affronter une vague exceptionnelle de demandeurs d’asile et de migrants irréguliers au cours des années 2014-2016, le candidat Macron n’avait pas accordé une attention significative au dossier migratoire durant la campagne présidentielle. Pourtant, une fois Président, il lui fallait bien traiter le sujet qui apparaît, dans un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/06/06/la-popularite-demmanuel-macron-se-stabilise-en-juin-edouard-philippe-seloigne-du-plancher-sondage-exclusif_a_23452487/">récent sondage</a> comme la deuxième préoccupation des Français derrière la question de l’emploi mais au même niveau que l’avenir de la protection sociale.</p>
<p>Il est vrai que la période tragique des attentats depuis 2015 avait fait évoluer les perceptions des Français sur l’islam, l’immigration et le communautarisme, tout en provoquant un raidissement d’une partie de la classe politique lors de la déplorable séquence du projet de loi sur la <a href="https://theconversation.com/la-decheance-de-la-nationalite-au-risque-de-linegalite-entre-francais-49184">déchéance de la nationalité</a>.</p>
<h2>En quête d’équilibre</h2>
<p>Le Président français a intégré la vision de dirigeants comme Barack Obama, qui subordonnent la politique étrangère à l’agenda présidentiel global. Il doit trouver un équilibre propre à satisfaire son aile conservatrice-libérale (minorer le coût des politiques sociales et, en premier lieu, celle en faveur des quartiers urbains déshérités et réduire l’essor d’un fondamentalisme menaçant pour les mœurs d’une société post-moderne), garantir la sécurité du pays (une défaillance sur ce terrain pourrait raviver les doutes sur les capacités d’un jeune Président n’ayant connu ni la guerre, ni le service militaire), contribuer à la réforme générale du service public, et s’inscrire dans un pragmatisme qui fait de l’Europe autant l’instrument que la finalité du programme présidentiel.</p>
<p>C’est ainsi qu’avec une véritable cohérence il a conçu sa politique, exposée lors des discours à la <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-l-ouverture-de-la-conference-des-ambassadeurs/">Conférence des ambassadeurs</a>, devant le Parlement européen de Strasbourg, à Ouagadougou, ou encore lors du sommet euro-africain à Abidjan. Il s’agit de faire progresser de concert plusieurs actions. La première vise à réduire, sur le territoire français, le nombre de sans-papiers ou demandeurs d’asile sans perspectives d’obtenir le statut de réfugiés.</p>
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<p>Au même moment, Paris doit contribuer à la mise en œuvre d’une véritable politique migratoire européenne indispensable à la diminution des arrivées sur le territoire national par le biais des « mouvements secondaires » (le demandeur d’asile quitte le territoire de l’État européen où sa demande a été enregistrée pour s’installer dans un pays correspondant davantage à son projet de vie) ; enfin, il est nécessaire d’établir un compromis avec les pays de départ (désormais en grande partie africains) dont la croissance démographique et la situation sociale ou politique désastreuse nourrissent un flux apparemment intarissable sur le long terme.</p>
<h2>Freins techniques</h2>
<p>Un président jupitérien disposant d’une majorité docile à l’Assemblée nationale ne devrait pas, a priori, rencontrer de grandes difficultés pour construire le premier volet. <a href="https://theconversation.com/projet-de-loi-asile-immigration-la-fermete-en-attendant-lhumanite-92202">L’accélération du traitement de la demande d’asile</a> est une mesure de bon sens, propre à illustrer cette transformation de l’État que la nouvelle équipe gouvernementale entend par ailleurs conduire.</p>
<p>Toutefois, un certain nombre de freins techniques pour reconduire à la frontière les déboutés nécessitaient une loi. La discussion de celle-ci au Parlement a fait apparaître, pour la première fois, un trouble chez une partie des députés de la République En Marche, alors que le Sénat, plus conservateur, <a href="https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/communication/Lois/2018-37_Asile_immigration__annexe_.pdf">a durci le projet</a> lors de l’examen en commission. Pas de risque politique majeur pour le Président, conforté par les sondages et une opinion publique qui lui sait gré de faire disparaître les campements sauvages en pleine capitale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GKADIgs_7Y0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Evacuation du plus grand campement de migrants à Paris.</span></figcaption>
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<p>Habilement, tant pour faciliter le dialogue avec les pays africains que pour montrer l’exemple à ses partenaires européens et édulcorer l’image brutale qui semble désarçonner l’aile progressiste de son mouvement, le Président avait chargé le député Aurélien Taché de lui remettre un rapport visant à une réforme ambition de la politique d’intégration. Ce dernier trace des voies de nature à proposer un équilibre en matière de politique migratoire qui rappelle que la France est aussi une terre d’accueil.</p>
<p>Il demeure que la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture s’avère plus timorée. Surtout, ces positions de principe – accélération des reconduites à la frontière ou accroissement de l’effort en matière d’apprentissage du français – risquent de se briser sur la réalité budgétaire qui tend à défaire ce que le discours à construit (<a href="http://www.senat.fr/rap/l17-108-316/l17-108-3162.html">lire le rapport de la Commission sénatoriale des finances sur la mission immigration du PLF 2018</a>).</p>
<h2>L’utilité de l’Europe</h2>
<p>Sur le deuxième volet, Emmanuel Macron va faire de la politique migratoire aussi bien l’enjeu qu’une des preuves de l’utilité de l’Europe. La survie de l’espace de Schengen nécessite que l’Union européenne contrôle les frontières extérieures et répartisse les entrants, légaux ou non, parmi tous les États membres.</p>
<p>Ce contrôle doit être renforcé sur deux lignes de front : à la périphérie de l’Europe (d’où l’ambiguïté de la politique européenne de voisinage, finançant des régimes parfois désinvoltes avec le respect des droits de l’Homme) et sur les pays dits de première ligne (Italie, Grèce, Malte…). Mais il faut surtout répartir les demandeurs d’asile pour soulager les États en première ligne, qui n’ont pas vocation à prendre en charge tout le fardeau, et chez qui d’ailleurs les migrants n’entendent pas rester.</p>
<p>La relance du projet européen passe gagnerait en crédibilité si l’Allemagne et la France s’engageaient fermement derrière la Commission européenne pour rapprocher les législations, les conditions d’accueil, pour une mise en œuvre plus pragmatique mais réaffirmée dans ses principes du règlement de Dublin ainsi qu’en faveur d’une relocalisation des migrants accueillis par les pays de première ligne.</p>
<p>Las, le contexte politique s’est rapidement dégradé, tant en Allemagne (poussée de l’extrême droite) que dans un certain nombre de pays (Europe de l’Est, Autriche, Italie…), où l’hostilité de l’opinion publique s’est aggravée : à force de ne pas traiter la question, elle devient toujours plus délicate à gérer en dehors des passions.</p>
<p>Le refus d’accepter les relocalisations de la part des pays dit de Visegrad (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Tchéquie) s’évanouira difficilement devant la <a href="https://theconversation.com/lunion-europeenne-et-la-pologne-le-grand-ecart-84018">menace des sanctions financières brandies par la Commission</a>. Et, d’ailleurs, l’absence d’attaches historiques et diasporiques dans ces pays offrant par ailleurs peu d’opportunités professionnelles rend peu crédible l’installation durable des migrants. Et l’abandon de leurs responsabilités par les pays de la première ligne aggravera le délitement de l’espace de Schengen, déjà mis à mal par le rétablissement provisoire des contrôles à la frontière entre certains pays membres.</p>
<p>Il faudrait, certes, envisager une prise en charge plus importante par les pays d’accueil traditionnels comme la Suède, les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, moyennant une compensation financière de l’Europe.</p>
<h2>Procrastinations budgétaires</h2>
<p><a href="https://www.afp.com/fr/infos/335/lue-veut-tripler-son-budget-consacre-la-crise-migratoire-doc-15v3er2">La Commission européenne vient de proposer un triplement du budget</a> alloué aux questions migratoires (dont l’essentiel pour le contrôle des frontières, il est vrai). Mais les discussions âpres pour la préparation du cadre <a href="https://theconversation.com/budget-2021-2027-quelles-priorites-politiques-pour-quelle-europe-97352">des perspectives financières 2021-2027</a> (disparition de la contribution britannique) ne facilitent pas l’émergence d’une telle solution, et le coût politique pour les responsables nationaux pourrait s’avérer sévère – plus, d’ailleurs, pour le Président Macron que pour une Angela Merkel qui devrait vivre son dernier mandat.</p>
<p>Il faut toutefois noter que cette dernière doit affronter la fronde d’une partie de son gouvernement, dont le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui appelle à une redéfinition de la politique migratoire allemande dans un sens très restrictif, en évoquant notamment la nécessité d’expulser massivement et à courte échéance les « dublinés » présents sur le sol allemand.</p>
<p>Les mêmes procrastinations budgétaires se retrouvent sur le troisième volet, qui conjugue l’action nationale et la politique de coopération européenne. L’approche bilatérale française – celle des accords de gestion des flux concertés, qui proposent une aide économique en échange d’une réadmission facilitée par le pays de départ de leurs nationaux expulsés – n’a eu que des résultats mitigés : l’aide n’était pas à la hauteur des enjeux, et les migrants ont précisément pris de grands risques pour échapper à une absence de perspectives économiques.</p>
<p>Il s’agit, désormais, de répondre à ces enjeux, et de lier lutte contre le djihadisme, aide au développement et limitation des départs de migrants, souvent issus des zones rurales délaissées par les politiques publiques locales. La France a recentré son effort en matière d’aide au développement sur la zone sahélienne, et l’Europe a créé un <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0472-la-cooperation-union-europeenne-afrique-l-externalisation-des-politiques-migratoires">fonds fiduciaire d’urgence</a> qui s’inscrit dans cette logique.</p>
<p>Mais, là encore, les montants ne sont pas à la hauteur, et insuffisamment orientés vers la relance de l’agriculture et la création d’activités économiques pour les jeunes. Le plan Marshall en faveur du Sahel, que Berlin a ébauché en ayant pris conscience que le djihadisme africain pouvait aussi frapper l’Europe centrale, doit se concrétiser et c’est le moins que l’on puisse attendre d’une Allemagne qui laisse les soldats français se faire tuer pour tenter de ramener l’ordre dans cette région.</p>
<h2>L’urgence d’une initiative conjointe</h2>
<p>L’odyssée de l’<em>Aquarius</em>, ce bateau rempli de migrants repêchés en Méditerranée, demandant à accoster, mais repoussé par l’Italie, Malte et la France avant que l’Espagne accepter de laisser débarquer ses passagers, marque bien la désunion des Européens et le caractère très sensible d’un dossier qui a provoqué, au passage, de nouvelles tensions entre Paris et Rome.</p>
<p>Après l’échec du dernier Conseil de l’Union (4-5 juin) sur les propositions de réforme du régime de l’asile européen, il est urgent qu’une initiative conjointe de Jean‑Claude Juncker, d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron soumette un plan de financement de la coopération avec l’Afrique et d’accueil des relocalisés, adossé à une réduction des États qui ne participent pas au traitement commun et solidaire de l’Asile.</p>
<p>Si cette relance venait à manquer, le régime de Dublin et l’espace de Schengen seraient gravement menacés et l’actuel projet de loi asile et immigration bien insuffisant à résorber le surcroît de migrants irréguliers.</p>
<p>Le durcissement des relations avec les pays tiers qui en résulterait (rétorsion contre les États refusant de collaborer au retour de leurs nationaux) dégraderait encore l’indispensable coopération, et pourrait contribuer à terme à l’incompréhension de l’opinion publique envers notre engagement militaire au Sahel. Nous serions alors parvenus assez loin des objectifs de l’agenda présidentiel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98267/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Prost est conseiller au Haut-Commissaire à l'engagement civique. </span></em></p>La relance du projet européen gagnerait en crédibilité si l’Allemagne et la France s’engageaient fermement derrière la Commission européenne pour rapprocher les législations en matière migratoire.Yannick Prost, enseignant en relations internationales (Sciences Po) - responsable de l'unité d'enseignement "aire juridique et administrative'" (Master Lisi, UFR EILA, Université Paris VII Denis DIderot), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/973482018-06-05T19:18:12Z2018-06-05T19:18:12ZLa génération « Windrush » : un dommage collatéral de la politique britannique de dissuasion migratoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/221725/original/file-20180605-119885-1c1skyq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C6%2C2032%2C1526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gilets de sauvetage pour rappeler les naufragés en Méditerranée et protester contre la politique migratoire restrictive de Londres.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/howardlake/37895084052/in/photolist-ZJEdf9-5L66fv-WuQKtZ-VqfftC-Y34b8z-21s2dxE-24D117J-QZMXVJ-GPiV24-VsWxrc-24RDfGy-sdhLfW-853MMq-bEo95i-bs7bjB-6syGJd-bEoobc-7ZCGNm-7Uf3BW-wx95M-eaQAqs-9wej6u-ypH6Kq-ddASVA-agweAg-Skc3Xn-8k2qvk-86ifx1-agwbFx-agyZjE-aHDwht-7CxRkg-ddATCJ-dmXPuC-qMjWcu-ddARUM-dmXLhx-bMrNcK-dmXLug-dmXNMN-agQWa2-csEsPj-nggsHv-pdj86r-brhFSE-agwfkM-qLcTn8-SgT9Gx-zkF6s9-neh83C">Howard Lake/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>60 000 personnes de la génération « Windrush », du nom de ce bateau qui a accosté à Tilbury en 1948 menacées d’expulsion… Venus participer à l’effort de reconstruction de l’après-guerre, ces citoyens britanniques en provenance des Caraïbes anglaises doivent aujourd’hui apporter la preuve de leur citoyenneté ou de résidence <a href="https://www.bbc.com/news/uk-43795077">sous peine d’être expulsés</a>.</p>
<p>Le Home Office, ministère de l’intérieur britannique, ne s’est pas encombré, à l’époque, de leur donner des papiers prouvant leur nationalité. En l’absence de ce type de documents aujourd’hui, leurs comptes en banque ont été bloqués, leur accès aux soins médicaux interdit et ils se sont vus menacés d’expulsion depuis 2014 et l’introduction de la nouvelle loi sur l’immigration (Immigration Act 2014). La carte d’identité n’existant pas au Royaume-Uni, ces personnes, souvent d’origine modeste, n’ont jamais fait de demande de passeport pour voyager à l’étranger.</p>
<h2>Environnement hostile et délation</h2>
<p>Mais au-delà de cette situation ubuesque pour des personnes ayant contribué à l’essor économique de la Grande-Bretagne, la Génération Windrush est en réalité un dommage collatéral d’une politique qu’on peut appeler de « dissuasion migratoire ». Alors même que Theresa May était ministre de l’Intérieur de 2010 à 2016, elle a mis en place une politique d’« environnement hostile » visant à casser l’image auprès des immigrés et réfugiés d’un Royaume-Uni perçu comme une terre d’immigration.</p>
<p>Tous les segments de la société anglaise ont été mobilisés pour dénoncer à l’État les immigrés irréguliers sur le territoire. Les hôpitaux, les écoles, les universités, les municipalités et employeurs sont fortement incités à faire de la délation. Par exemple, les universités doivent apporter le preuve que les personnes qu’elles rémunèrent ont le droit de travailler légalement au Royaume-Uni. Le gouvernement a également affiché l’objectif de diminuer par deux les visas délivrés aux étudiants étrangers.</p>
<h2>Objectif 100 000</h2>
<p>Forcée de démissionner après avoir affirmé, à tort, devant une commission parlementaire, que son ministère n’avait pas d’objectifs chiffrés d’expulsion, la ministre de l’Intérieur Amber Rudd n’est donc qu’un bouc-émissaire pour Theresa May.</p>
<p>Depuis le référendum du Brexit, son gouvernement a accéléré cette politique d’environnement hostile. L’objectif affiché par May a toujours été de réduire l’immigration annuelle nette à 100 000 individus par an : en <a href="https://www.migrationwatchuk.org/statistics-net-migration-statistics">septembre 2017, ce chiffre était de 244 000</a>]. La politique d’asile britannique est également parmi les moins généreuses d’Europe avec seulement 14,767 demandes d’asile acceptées en 2018 par le Home Office, contre <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-clefs/LES-DEMANDES-D-ASILE-STATISTIQUES">32 011</a> en France.</p>
<h2>La contribution économique des migrants</h2>
<p>Les partisans d’une sortie de l’Union européenne ont surfé sur une vague eurosceptique associée à l’idée d’un trop plein d’immigrés. En quittant l’UE, ont-ils promis, le Royaume-Uni retrouverait enfin sa souveraineté sur les questions migratoires. Ceci est faux pour plusieurs raisons.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221726/original/file-20180605-119867-jhd1xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre britannique, Theresa May (en septembre 2017).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/cd/Theresa_May_%28Sept_2017%29.jpg/512px-Theresa_May_%28Sept_2017%29.jpg">Annika Haas/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Tout d’abord, le Royaume-Uni a bénéficié d’une <a href="https://theconversation.com/brexit-shocking-isnt-it-54877">position privilégiée au sein de l’UE</a> qui lui a permis, de décider souverainement quelle législation européenne il souhaitait mettre en œuvre. Ce sont les fameux mécanismes d’opt-outs décidés lors du traité d’Amsterdam et de Lisbonne. Ainsi, bien qu’ayant pris part à certaines mesures européennes en matière d’immigration irrégulière et d’asile, le Royaume-Uni est bien resté maître de sa politique d’immigration légale et du contrôle de ses frontières.</p>
<p>Ensuite, lors de l’élargissement de 2004, le Royaume-Uni a décidé de son plein gré d’ouvrir les portes de son marché du travail aux nouveaux citoyens européens de l’Est. Contrairement à la France et l’Allemagne qui ont mis en place une période transitoire de sept ans avant que les Européens de l’Est ne puisse venir travailler chez eux, le Royaume-Uni, tout comme la Suède et l’Irlande, les a accueillis.</p>
<p>Ayant besoin de main d’œuvre, ces immigrés européens ont participé au boom de l’économie britannique. Selon une étude de l’<a href="https://www.ucl.ac.uk/news/news-articles/1114/051114-economic-impact-EU-immigration/">université britannique UCL</a>, les immigrants européens arrivés au Royaume-Uni entre 2000 et 2011 ont contribué à hauteur de 20 milliards de livres sterling (22,75 milliards d’euros) aux finances britanniques.</p>
<h2>« Little Britain » a besoin d’immigrés</h2>
<p>Dans le contexte du Brexit, où le gouvernement promet à ses citoyens que le Royaume-Uni redeviendra une puissance globale, l’immigration est plus que nécessaire et la politique d’environnement hostile est contre-productive.</p>
<p>L’économie britannique a besoin d’immigration, en particulier dans le secteur de la santé. Or la délivrance de 400 visas pour du personnel médical en provenance notamment de pays situés hors de l’Espace économique européen est actuellement bloquée par le Home Office, pénalisant d’autant le National Health Service dans ses missions de soin.</p>
<p>Par ailleurs, de nombreux Européens boudent le Royaume-Uni du fait de l’incertitude qui règne à propos de leur futur statut après le Brexit. La politique de dissuasion migratoire mise en œuvre par Theresa May, mise en lumière par l’affaire Windrush, ne va guère les rassurer. Au lieu d’œuvrer en faveur du projet de « Global Britain », qui projetterait le Royaume-Uni au sein d’un monde globalisé, les conservateurs britanniques semblent davantage travailler à la mise en place d’une « Little Britain » par le biais d’une politique migratoire étriquée et, à bien des égards, surréaliste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Wolff a reçu des financements de Leverhulme Trust, Fulbright-Schuman, Queen Mary University of London. Elle est également Senior Research Associate Fellow at the Netherlands Institute for International Relations (Clingendael)</span></em></p>Dans le contexte du Brexit, l’immigration est plus que jamais nécessaire au Royaume-Uni, où la politique d’environnement hostile déployée par le gouvernement apparaît contre-productive.Sarah Wolff, Lecturer, School of Politics and International Relations, Queen Mary University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/922022018-02-21T14:46:54Z2018-02-21T14:46:54ZProjet de loi asile-immigration : la fermeté, en attendant l’humanité ?<p>Quelques semaines après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, nous analysions les <a href="https://theconversation.com/le-president-macron-face-aux-defis-migratoires-en-marche-vers-la-continuite-80112">premières mesures mises en place en matière d’immigration</a>. En les mettant en rapport avec le programme électoral du candidat d’En marche, nous anticipions alors une réforme future s’inscrivant dans une certaine continuité de la politique migratoire française.</p>
<p>Depuis, Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, jouent une partition bien rodée, mêlant humanité et fermeté. Si le premier insiste dans ses prises de parole publiques sur les notions d’accueil et d’intégration en faveur des réfugiés et des « talents » provenant de l’étranger, le second incarne une politique beaucoup plus restrictive à l’égard des déboutés du droit d’asile qu’il souhaite expulser et des migrants irréguliers qu’il cherche à dissuader de venir en France.</p>
<p>Cette stratégie du « good cop, bad cop » (bon flic, mauvais flic) est l’incarnation du sempiternel « et en même temps » développé par Emmanuel Macron depuis la campagne pour la présidentielle, lui permettant de se montrer intransigeant sur les questions migratoires par rapport à la frange conservatrice de son électorat, tout en concédant quelques gages de solidarité à la gauche.</p>
<p>Toutefois, en matière d’asile et d’immigration, ce discours est <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-20-fevrier-2018">loin d’être une nouveauté</a> : François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et son ministre de l’Intérieur Manuel Valls ont tous eu recours à ce diptyque pour décrire leur politique migratoire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aru3kVwuETs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ainsi, en reprenant à son compte l’opposition simpliste qui en découle entre d’une part les réfugiés qui « méritent » d’être accueillis et d’autre part les « migrants économiques » – catégorie aussi fourre-tout que difficilement identifiable sur le terrain – qui doivent être expulsés, le chef de l’État s’inscrit clairement dans la lignée de ses prédécesseurs.</p>
<h2>Un traitement toujours plus sécuritaire et restrictif des migrations</h2>
<p>Jusqu’alors, il est pourtant difficile de voir autre chose que de la fermeté dans le traitement de la question migratoire par la Place Beauvau. En témoignent trois circulaires rédigées par le ministre de l’Intérieur ces derniers mois, loin d’être équivoques.</p>
<p>La <a href="https://www.lacimade.org/presse/circulaire-collomb-laccueil-personnes-etrangeres-asservi-a-logique-dexpulsion/">première</a> fixe les objectifs et les priorités en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. La deuxième prévoit d’orienter les personnes étrangères qui demandent un hébergement et un accompagnement social en fonction de leur statut administratif, tandis que la <a href="http://www.federationsolidarite.org/images/stories/PDF/Circulaires.pdf">troisième</a> organise l’examen des situations administratives des personnes sans abri étrangères accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence, soulevant l’inquiétude des associations d’aide aux migrants et du <a href="http://lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/01/19/le-defenseur-des-droits-recommande-le-retrait-de-la-circulaire-sur-l-hebergement-d-urgence_5244032_1654200.html">Défenseur des droits, Jacques Toubon</a>.</p>
<p>Ces circulaires, en franchissant un pas supplémentaire vers un traitement toujours plus sécuritaire et restrictif des migrations, ont annoncé la couleur du projet de loi asile-immigration présenté ce mercredi 21 février en Conseil des ministres. Témoignant du fort enjeu politique de cette réforme, Emmanuel Macron et le chef du gouvernement, Édouard Philippe, s’investissent depuis plusieurs semaines aux côtés de Gérard Collomb pour défendre ce texte vivement contesté par les associations d’aide aux migrants.</p>
<p>Comme son intitulé l’indique – « Projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » –, cette réforme se focalise sur trois priorités fixées par le Chef de l’État dès le début de sa campagne électorale.</p>
<h2>Améliorer l’effectivité du droit d’asile, au risque d’en restreindre l’accès</h2>
<p>L’un des objectifs de ce projet de loi est d’abord de rendre toute son effectivité au droit d’asile. L’argumentaire de l’exécutif pointe la nécessité de réformer la politique d’asile pour ne pas le diluer en l’assimilant à d’autres formes d’immigration, dans le but de sauvegarder ce qui fait la spécificité du statut de réfugié (garanti par la Convention de Genève de 1951).</p>
<p>L’enjeu principal fixé par l’ancien candidat En Marche est de réduire à six mois le délai de traitement des demandes d’asile recours compris, ce qui permettrait de désengorger le système d’accueil des demandeurs d’asile et d’accélérer l’intégration des individus reconnus réfugiés. Si cette volonté est louable, ce n’est pas tant la procédure d’examen de la demande qui est longue (l’Ofpra est déjà mobilisée en ce sens) mais surtout l’accès au guichet d’enregistrement pour qu’une demande d’asile soit déposée. Au cours de ce laps de temps – estimé en moyenne à 35 jours par le ministère de l’Intérieur –, les migrants vivent dans l’irrégularité et, sans aucune aide, errent dans des campements de rue improvisés.</p>
<p>Cela étant, plutôt que de traiter ce problème en augmentant les capacités d’enregistrement des demandes, le projet de loi vise, au contraire, à réduire le délai au cours duquel un étranger en situation irrégulière peut déposer une demande d’asile (passant de 120 à 90 jours après l’entrée sur le territoire français), ce qui risque de maintenir en clandestinité un certain nombre de demandeurs d’asile potentiels.</p>
<p>De la même manière, la réduction du délai pour exercer le droit de recours (qui passe d’un mois à 15 jours après la décision rendue par l’Ofpra) représente là encore un risque d’atteintes aux droits de ces individus.</p>
<p>Autre restriction relative à l’asile instaurée par le projet de loi, l’interdiction faite aux demandeurs d’asile de solliciter un titre de séjour après avoir été déboutés, sauf « circonstances nouvelles », empêchant par exemple un certain nombre d’entre eux de demander un visa pour étranger malade. En outre, ce texte prévoit que le recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’est plus suspensif pour certaines catégories de déboutés du droit d’asile, comme ceux provenant de pays tiers sûrs, ouvrant la voie à leur renvoi avant même la décision en appel.</p>
<p>Si l’un des objectifs du texte est de « sacraliser » l’asile, plusieurs dispositions contenues dans le projet de loi participent donc à en restreindre considérablement l’accès, voire à placer dans la clandestinité certains demandeurs d’asile potentiels. <a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=newssearch&cd=4&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjT_p6RyLbZAhXDKewKHSm8AuoQqQIINSgAMAM&url=https%3A%2F%2Fwww.20minutes.fr%2Fpolitique%2F2223303-20180219-projet-loi-asile-immigration-arrive-mercredi-conseil-ministres&usg=AOvVaw1m_17_PLz23LrOqM9xtylV">Pour le Gisti</a>, « ces mesures concourent en réalité à dissuader les demandes considérées a priori comme dilatoires ».</p>
<p>L’une des conséquences directes de leur application pourrait être une baisse du nombre de dépôts de demandes d’asile, rendus de plus en plus compliqués pour des personnes vulnérables (en 2017, plus de <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-clefs/LES-DEMANDES-D-ASILE-STATISTIQUES">100 000 demandes</a> ont été déposées en France, soit une hausse de 17 % par rapport à 2016).</p>
<p>Serait-ce volontaire de la part du gouvernement, pour désengorger l’Ofpra, la CNDA et les structures d’accueil des demandeurs d’asile ? En tout état de cause, la proposition de titre de séjour de quatre ans (au lieu d’un an renouvelable actuellement) délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides ne constitue qu’une maigre trace d’humanité en faveur des migrants forcés, en dépit des déclarations du Président et des attentes des associations.</p>
<h2>Expulser et dissuader les migrants irréguliers : un degré de fermeté inédit</h2>
<p>La seconde priorité du projet de loi concerne la maîtrise des flux migratoires, en ciblant comme enjeu central l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière, serpent de mer de la politique migratoire française et européenne. Cette dimension est justifiée par le gouvernement comme étant une nécessité pour limiter la présence de nombreuses personnes en situation irrégulière livrées à elles-mêmes, dans la rue, débouchant sur des situations humanitaires dramatiques dont les campements de Calais et du nord de la capitale sont de parfaites illustrations.</p>
<p>Avec certaines dispositions contenues dans le texte, l’exécutif cherche à faciliter et à multiplier les expulsions de personnes résidant sur le territoire français de manière irrégulière. C’est le cas avec l’augmentation de la durée maximale de rétention administrative (passant de 45 à 90 jours, voire 135 dans certains cas) qui permet aux pouvoirs publics de retenir contre son gré un migrant sous le coup d’une décision d’éloignement dans l’attente d’être reconduit à la frontière. Or, <a href="https://www.lacimade.org">si l’on en croit la Cimade</a>, « au-delà de 15 jours, le taux d’éloignement est inférieur à 2 % », démontrant du potentiel limité que représente la mesure proposée.</p>
<p>De même, la durée de retenue administrative pour vérification du droit au séjour et renforcement des pouvoirs d’investigation se voit elle aussi augmentée, passant de 16 à 24 heures, exacerbant là encore une mesure privative de liberté visant spécifiquement les non-nationaux.</p>
<p>Toujours dans l’optique de favoriser les expulsions, le projet de loi donne une base légale à la circulaire Collomb organisant le <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/pjl2018_pjl-norintx1901788l-rose-1.pdf">recensement des migrants dans les centres d’hébergement d’urgence</a>, puisqu’il prévoit « des échanges d’informations entre les services chargés de l’hébergement d’urgence et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés ».</p>
<p>En l’état, il s’agirait d’une « ingérence » de l’Intérieur dans les prérogatives du ministère du Logement, dont les services gèrent les structures d’hébergement d’urgence. Cela s’inscrit dans une tendance plus globale à la centralisation des questions relatives à l’immigration au sein du ministère de l’Intérieur, entamée en 2007, sous Nicolas Sarkozy, avec la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire.</p>
<p>En outre, le texte vise également à limiter la venue de potentiels migrants irréguliers – si tant est que cela soit possible – par le biais de diverses mesures dissuasives. Sont ainsi proposés des délits de franchissement non-autorisé des frontières extérieures de l’Espace Schengen (ou des frontières intérieures en cas de rétablissement des contrôles entre États membres, comme c’est actuellement le cas en France depuis les attentats du 13 novembre 2015) et d’utilisation de document d’identité appartenant à autrui dans l’optique de « se maintenir sur le territoire et […] y travailler ».</p>
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<p>Ce texte, tel qu’il est présenté, contient un degré de fermeté inédit dans la mesure où le traitement répressif des flux migratoires irréguliers par les services du ministère de l’Intérieur atteint aujourd’hui son paroxysme, <a href="http://www.liberation.fr/direct/element/la-cimade-demande-le-retrait-du-projet-de-loi-asile-immigration_77763/">faisant dire aux associations d’aide aux migrants</a> qu’il s’agit du « pire projet de loi sur l’immigration qu’on ait vu depuis longtemps ».</p>
<p>Si tout est fait dans ce projet de loi pour dissuader la venue de certaines catégories de migrants, certaines dispositions se concentrent au contraire sur la facilitation de l’immigration pour certains profils particuliers d’étrangers, annonçant un retour à l’immigration choisie.</p>
<h2>Le retour à « l’immigration choisie » ?</h2>
<p>La maîtrise des flux migratoires que souhaite atteindre le gouvernement à travers ce projet de loi vise en parallèle à faciliter la venue d’une certaine forme d’immigration, « l’immigration de la connaissance », <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/immigration-et-asile">comme le mentionnait le programme électoral du candidat Macron</a>. Cela explique pourquoi certains articles contenus dans ce texte prévoient d’étendre le « passeport talent » à de nouvelles catégories d’étrangers, ou encore de faciliter l’installation des étudiants chercheurs dans le pays, dans la lignée des propos du Président appelant les <a href="http://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/video-macron-lance-un-appel-aux-americains-et-envoie-un-message-aux-francais-11-02-2017-6672861.php">chercheurs climatologues américains à venir en France</a>.</p>
<p>En cherchant à faciliter l’immigration de ceux qui <a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwjgyrrlw7bZAhWDzKQKHVsRDoAQFggoMAA&url=https%3A%2F%2Fwww.gisti.org%2FIMG%2Fpdf%2Fplj20180130_analyse-sejour.pdf">« participent tant de notre dynamisme économique que de notre rayonnement linguistique et culturel »</a>, l’exécutif amorce un <a href="http://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites/actualites-choisies/sarkozy-dille-son-immigration-choisie">retour à l’immigration choisie</a> contre l’immigration subie, rhétorique chère à Nicolas Sarkozy sous son quinquennat. Si les flux migratoires irréguliers sont combattus avec force par l’exécutif, l’immigration de la connaissance est perçue au contraire comme une véritable chance et un atout pour renforcer le <em>soft power</em> français.</p>
<h2>Un projet de loi en attendant une refonte de la politique d’intégration ?</h2>
<p><a href="http://lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/01/10/plusieurs-associations-vont-saisir-le-conseil-d-etat-pour-obtenir-la-suspension-d-une-circulaire-sur-le-recensement-des-migrants_5240042_1654200.html">Premiers à monter au front face aux circulaires Collomb</a>, les responsables d’associations d’aide aux migrants dénoncent la fermeté inouïe que comprend ce projet de loi, qu’ils perçoivent comme un <a href="https://www.lci.fr/societe/migrants-on-leur-dit-de-venir-ici-pour-demander-l-asile-mais-ils-n-ont-aucune-idee-de-ce-qui-les-attend-loi-asile-immigration-gerard-collomb-2079208.html">« message de dissuasion adressé aux migrants parfaitement inutile et punitif »</a>. Regrettant amèrement l’<a href="https://blogs.mediapart.fr/association-gisti/blog/100118/concertation-asile-immigration-lettre-ouverte-au-premier-ministre">absence de dialogue</a> avec l’exécutif lors de sa phase d’élaboration, les associations déplorent un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/le-projet-de-loi-asile-et-immigration-un-texte-grave-et-dangereux-pour-la-cimade_2619142.html">« texte grave et dangereux »</a>, présentant un « durcissement très net » et une <a href="http://www.rtl.fr/actu/debats-societe/migrants-les-associations-ressortent-decues-de-leur-reunion-a-matignon-7791794942">« vraie fermeté assumée et dure vis-à-vis des personnes migrantes »</a>.</p>
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<p>Fait rare pour être souligné, plusieurs syndicats de l’Ofpra et de la CNDA se sont joints au débat public et ont appelé à la grève ces derniers jours. Ce faisant, ils veulent montrer leur désapprobation face à un texte qui, selon eux, ne leur donne pas les moyens de mener correctement leur mission et qui <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/02/19/projet-de-loi-sur-l-immigration-tout-vise-a-entraver-l-acces-a-la-procedure-d-asile_1630780">« vise à entraver l’accès à la procédure d’asile »</a>.</p>
<p>Dans la sphère politique, si les <a href="https://www.republicains.fr/actualites_projet_loi_asile_immigration_republicains_inquiets_laxisme_gouvernement_20180111">réactions à droite</a> fustigent le « laxisme du gouvernement face au défi migratoire », les commentaires les plus vifs proviennent de l’opposition de gauche, dénonçant un texte « déséquilibré » <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/02/20/01016-20180220ARTFIG00314-loi-asile-et-immigration-la-gauche-s-insurge-et-se-prepare-a-riposter.php">voire « inhumain »</a>.</p>
<p>Le projet de loi suscite également des réactions diverses au sein même des rangs de la majorité, <a href="http://www.rfi.fr/france/20180220-loi-asile-immigration-deputes-majorite-affichent-leur-desaccords">plusieurs députés La République en marche (LREM)</a> témoignant ouvertement de leurs inquiétudes vis-à-vis du texte proposé et de leur volonté de l’adoucir lors des futures discussions parlementaires. C’est donc un exercice de funambulisme qui attend l’exécutif, qui souhaite sauvegarder la nature du projet de loi tout en rassemblant ses troupes.</p>
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<p>Le texte rédigé par le gouvernement pour réformer la politique d’asile et d’immigration ne satisfait quasiment personne : si l’ancien candidat En Marche avait effectivement annoncé un durcissement de la politique migratoire à l’égard des migrants irréguliers, les mesures proposées pour réformer le droit d’asile sont plus surprenantes. Loin de témoigner de l’accueil et de l’humanité de la France, ce texte restreint au contraire les droits des demandeurs d’asile.</p>
<p>Alors que l’intégration des étrangers constituait l’une des priorités d’Emmanuel Macron pendant la campagne électorale, cette dimension est finalement absente du projet de loi présenté cette semaine en Conseil des ministres.</p>
<h2>Montrer ses muscles</h2>
<p>Le député LREM Aurélien Taché a toutefois rendu un <a href="http://lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/02/19/le-depute-tache-presente-ses-72-propositions-pour-favoriser-l-integration-des-immigres_5259177_1654200.html">rapport très attendu</a>, présentant 72 propositions pour favoriser l’intégration des immigrés dans notre pays. Si plusieurs préconisations vont dans le sens d’une politique d’accueil ambitieuse et volontariste, adoucissant un tant soit peu la fermeté contenue dans le projet de loi asile-immigration, il reste à voir ce qu’en fera le comité interministériel qui se réunira ces prochaines semaines pour étudier les suites à donner à ce rapport.</p>
<p>Désireux d’appliquer les engagements de campagne fixés par Emmanuel Macron, l’exécutif montre les muscles à travers ce projet de loi sur l’asile et l’immigration. Il s’agit avant tout, pour le gouvernement, de renforcer l’arsenal législatif français afin de limiter drastiquement l’immigration irrégulière, dans un contexte où une partie de l’opinion publique se radicalise sur le sujet.</p>
<p>Si la démonstration de fermeté est évidente à l’égard de ceux qui ne sont pas autorisés à séjourner sur le territoire, la <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« tradition historique d’accueil »</a> de la France peine à transparaître dans ce projet de loi qui n’a pas fini de cliver.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Dravigny est rédacteur en chef de la revue Migrations Société. </span></em></p>Loin de témoigner de l’accueil et de l’humanité de la France, ce texte restreint au contraire les droits des demandeurs d’asile et promeut un traitement plus sécuritaire et restrictif des migrations.Josselin Dravigny, Doctorant en science politique, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/811472017-07-24T20:57:33Z2017-07-24T20:57:33ZRéfugiés : à l’ouest, rien de nouveau ?<p>La crise de l’asile est-elle derrière nous ? Si les chiffres d’entrées ont diminué par rapport à 2015, les récents développements concernant la politique européenne face aux demandeurs d’asile semble poursuivre le fil tracé précédemment : une approche nationale et sécuritaire plus qu’une manifestation de solidarité européenne.</p>
<h2>L’isolement de l’Italie</h2>
<p>Du côté européen, les récentes conférences internationales de Rome et de Tallinn (Estonie), début juillet, ont montré la réticence des pays de l’UE à adopter une politique commune à l’égard de voisins situés en première ligne. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-16-juin-2016">L’Italie</a> se trouve à nouveau en proie à l’afflux de réfugiés et de migrants sur son sol suite à la signature de l’<a href="https://theconversation.com/echange-demandeurs-dasile-contre-refugies-57402">accord Union européenne-Turquie de 2016</a>. Cet accord a eu pour effet de fortement diminuer les flux vers la Grèce.</p>
<p>On observe un <a href="http://www.telerama.fr/livres/la-fin-de-l-hospitalite,152771.php">désengagement général</a>, sauf du côté des associations, dans les opérations de sauvetage. Le 28 juin 2017, l’Italie a menacé de fermer ses ports si aucune solidarité européenne ne venait la sortir de son isolement face à la montée des flux et si les ONG refusaient de passer par ses ports.</p>
<p>Autre constat : l’échec de la lutte contre les passeurs via la destruction de leurs bateaux – un objectif de l’Union européenne depuis deux ans qui ne semble pas avoir eu un effet dissuasif. Ni du côté des trafiquants ni de celui des migrants. Les discussions sur un accord avec la Libye semblent progresser, avec, côté européen, un projet de coopération en matière de formation des garde-côtes libyens. Cet accord inclurait aussi la mise en place de politiques de reconduction des déboutés du droit d’asile vers ce pays de transit, <a href="https://www.fidh.org/fr/themes/droits-des-migrants/cooperation-ue-libye-risques-graves-de-violations-des-droits-humains">malgré ses graves atteintes aux droits de l’Homme</a> (avec des formes de quasi-esclavage, de prostitution, la corruption des personnels d’autorité, les emprisonnements) qui ont cours sur place.</p>
<p>Ni les couloirs humanitaires portés <a href="http://www.la-croix.com/France/Immigration/Louverture-couloirs-humanitaires-pour-refugies-syriens-sera-enterinee-mardi-2017-03-11-1200831136">par la communauté de Sant’Egidio</a>, ni les formes de solidarité déployées par les citoyens comme en France ou en Allemagne, ni enfin le démantèlement annoncé des réseaux de passeurs ne sont en mesure de résoudre la crise de l’accueil et le défaut de solidarité des pays d’Europe centrale et orientale dans ce défi que doit relever l’Europe.</p>
<h2>Illusions</h2>
<p><a href="http://www.france24.com/fr/20170203-sommet-malte-europe-ue-affaiblie-crise-migratoire-migrants-trump">Le sommet de Malte de début 2017</a> a cherché à harmoniser le droit d’asile au niveau européen par la définition de critères communs : l’établissement d’une liste de pays et de pays tiers sûrs – des notions qui, introduites dans la procédure, limitent la possibilité de demander l’asile si on est passé par tel point d’entrée –, le financement commun d’une politique de retour et la définition d’aides au développement.</p>
<p>Mais ces mesures ne font que reprendre des méthodes du passé, qui ont donné de <a href="https://theconversation.com/migrations-en-europe-lechec-tragique-de-la-dissuasion-47129">maigres résultats</a> tout en fournissant l’illusion à court terme dans l’opinion publique que l’on allait faire quelque chose, non pour résoudre la crise, mais pour calmer les craintes. Pourtant l’Europe a besoin de migrations <a href="https://theconversation.com/geopolitique-du-risque-les-refugies-une-chance-pour-leconomie-80589">pour des raisons démographiques et économiques</a> et le respect du droit d’asile fait partie de ses fondements.</p>
<p>En France, les reconductions à la frontière récemment annoncées par le nouveau gouvernement sont inscrites au programme. L’accueil reste imprécis dans ses modalités, on ne parle quasiment plus des campements de Calais ni du métro Stalingrad et le gouvernement affiche une politique centrée sur l’expulsion des déboutés.</p>
<h2>Spirales de l’intolérable</h2>
<p>Les associations considèrent le plan migrants comme inquiétant, notamment par sa position ferme à propos de situations floues (avec la notion de <a href="http://www.unhcr.org/fr/migration-mixte.html">flux « mixtes »</a>). La position du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, à propos de Calais, marquée par la dissuasion alors que seul un accord avec le Royaume Uni pourrait assouplir la situation, l’insuffisance des centre d’accueil et d’orientation des demandeurs d’asile, l’annonce de politiques d’éloignement alors qu’il est souvent difficile de les pratiquer dans les faits, la fermeture de la frontière à Vintimille laissant l’Italie seule face à la rive sud de la méditerranée : tout cela ne rassure guère.</p>
<p>La France a accueilli infiniment moins de nouveaux arrivants <a href="http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/l-europe-et-les-migrants-faits-et-chiffres-19-03-2017-6775920.php">que l’Allemagne ou l’Italie</a> mais elle veut rester dans la cour des grands « accueillants » pour soigner son image, tout en affichant la fermeté. Il est bon d’afficher une politique de respect du droit d’asile, mais il n’est pas aisé de « faire le tri » en renvoyant les autres migrants qui n’en font pas partie. De même, comment faire pour les dissuader de revenir si la situation qu’ils fuient devient intenable et s’ils sont protégés par d’autres droits fondamentaux (droits de l’enfant, regroupement familial) ?</p>
<p>Il faut revenir sur l’analyse des causes profondes des migrations, les spirales de l’intolérable et de l’urgence absolue même s’il ne s’agit pas d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution individuelle comme le demande la Convention de Genève. Il faut aussi trouver des solutions de protection temporaire, examiner avec quel pays et quels acteurs chaque État européen peut travailler à la sauvegarde des populations. Et sanctionner les pays de l’Union qui résistent aux appels à la solidarité européenne.</p>
<p>Rappelons, pour finir, que la France se situe à la quinzième place pour l’accueil des migrants en Europe par nombre de demandeur d’asile par habitant.</p>
<p><em>Catherine Wihtol de Wenden a récemment publié : Migrations, La nouvelle donne. Paris, ED. FMSH, 2016 (sorti en janvier 2017).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81147/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Wihtol de Wenden ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La politique européenne face aux demandeurs d’asile semble poursuivre le fil tracé précédemment : une approche nationale et sécuritaire plus qu’une manifestation de solidarité européenne.Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches sur les migrations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/801122017-06-27T18:13:58Z2017-06-27T18:13:58ZLe président Macron face aux défis migratoires : en marche vers la continuité ?<p>Malgré le manque d’intérêt manifesté par le candidat Emmanuel Macron durant la campagne électorale pour les enjeux liés à l’immigration et à l’asile, le sujet rythmera nécessairement le quinquennat à venir tant les chantiers en la matière sont explosifs.</p>
<h2>Désengorger le système français d’accueil d’urgence des « migrants »</h2>
<p>Le premier dossier brûlant dont le nouvel exécutif doit s’emparer au plus vite est l’accueil des mal-nommés « migrants », dont la situation d’urgence humanitaire est particulièrement alarmante à <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/03/les-pouvoirs-publics-face-a-un-nouvel-afflux-de-migrants-a-calais_5138214_3224.html">Calais</a>, en <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/06/20/01016-20170620ARTFIG00333--paris-1000-migrants-dorment-aux-alentours-du-centre-de-premier-accueil.php">Île-de-France</a> et dans l’est du pays. Face aux divers flux d’exilés, c’est tout le système français d’accueil dans sa globalité qui est saturé.</p>
<p>Néanmoins, les premiers signes du nouveau ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, laissent peu entrevoir de réponse à ce chaos hérité des quinquennats précédents. En témoigne l’envoi de 200 policiers en renfort à Calais pour <a href="http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/06/05/le-ministre-de-l-interieur-envoie-des-policiers-supplementaires-a-calais-et-adopte-une-ligne-dure-anti-migrants_5139128_1654200.html">« éviter tout point de fixation »</a>, élément de langage politiquement correct Place Beauvau pour désigner la volonté ministérielle d’empêcher toute réinstallation de campements de migrants dans les Hauts-de-France et ailleurs.</p>
<p>Ce durcissement policier se matérialise à l’égard des migrants, découragés de rester sur place, mais aussi à l’encontre des associations et des bénévoles sur le terrain, <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/01/calais-les-associations-se-plaignent-des-entraves-a-l-aide-aux-migrants_5137267_3224.html">empêchés d’offrir eau et nourriture à ces personnes</a>. Cette politique répressive, déjà visible sous la mandature précédente, semble atteindre son point culminant ces dernières semaines, avec des violences policières dénoncées par les migrants, les acteurs de la société civile qui les aident et le Défenseur des droits, <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/decision.pdf">Jacques Toubon</a>.</p>
<p>Or, le ministre de l’Intérieur justifie cette ligne stricte en affirmant que l’une des priorités est de « réprimer les atteintes à l’ordre public » et ainsi d’éviter que se crée un « appel d’air », théorie pour le moins contestée à laquelle <a href="http://www.leprogres.fr/lyon/2016/08/10/collomb-on-ne-laissera-pas-des-gens-s-installer-toxp">il semble pourtant souscrire</a>. Place Beauvau, l’urgence est de <a href="http://www.leparisien.fr/politique/ministere-de-l-interieur-gerard-collomb-nous-livre-ses-priorites-05-06-2017-7017948.php">« tarir les flux d’arrivées »</a>, alors qu’Emmanuel Macron insistait, au cours de sa campagne, sur la nécessité pour la France de prendre <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« sa juste part dans l’accueil des réfugiés »</a>, jugeant courageuse et juste la décision de la chancelière allemande, Angela Merkel, d’ouvrir les frontières de son pays à près d’un million de demandeurs d’asile en 2015.</p>
<p>En réalité, le projet du nouveau président pour désaturer le système d’accueil français tient en deux priorités : réduire le nombre de demandeurs d’asile pris en charge par l’État en raccourcissant les délais d’examen de leur demande, et renvoyer systématiquement les déboutés du droit d’asile hors de France.</p>
<p>Dès lors, l’une des principales propositions de son programme vise à repenser les conditions d’examen des demandes d’asile pour qu’une décision soit rendue en moins de six mois (recours compris), quand cette période dure actuellement jusqu’à un an. Si cette mesure représenterait certaines avancées, notamment au regard de l’attente imposée aux demandeurs d’asile, le flou qui persiste quant à sa mise en œuvre ne fait pas taire certaines inquiétudes, notamment de voir une baisse de la qualité de l’examen de la demande d’asile et des procédures inéquitables.</p>
<p>En parallèle, Emmanuel Macron compte sur le renvoi systématique des déboutés du droit d’asile pour désengorger les structures d’hébergement d’urgence et décourager les futurs arrivants. Or, tout laisse à penser que ces renvois, <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/99966/785921/file/Les-eloignements-2016_16_janvier_2017-2.pdf">qui étaient en baisse en 2016</a>, ne sont pas amenés à se multiplier ces prochains mois tant ces opérations mobilisent de ressources financières et humaines au sein d’un ministère de l’Intérieur déjà pressurisé.</p>
<h2>Refonder la politique européenne d’immigration et d’asile</h2>
<p>Le début de mandat du nouveau président illustre le besoin de refonte de la politique européenne d’immigration et d’asile, puisque l’UE est empêtrée entre des flux d’arrivées qui ne faiblissent pas, le refus de plusieurs États membres de respecter le programme européen de répartition des demandeurs d’asile, et un Règlement Dublin III <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-3-page-107.htm">dont les limites sont atteintes</a> en faisant reposer l’instruction des demandes d’asile uniquement sur les États par lesquels les migrants sont entrés sur le territoire européen.</p>
<p>Néanmoins, sur ce dernier point, les tensions entre États sont telles qu’il est pour l’instant quasi-impossible d’envisager une réforme ambitieuse de la politique européenne en matière de droit d’asile qui instaurerait un véritable espace européen d’asile outrepassant les États membres. Même Emmanuel Macron, qui avait laissé un temps entendre au cours de la campagne électorale qu’il était prêt à « rouvrir le sujet » du Règlement Dublin, son ministre de l’Intérieur nouvellement nommé a affirmé dans l’une de ses premières interviews que la <a href="http://www.leparisien.fr/politique/ministere-de-l-interieur-gerard-collomb-nous-livre-ses-priorites-05-06-2017-7017948.php">procédure Dublin serait bel et bien appliquée</a>.</p>
<p>Plus généralement, c’est toute la politique européenne de gestion des frontières qui atteint ses limites. Or, même s’il semble urgent et indispensable de la refonder pour agir plus efficacement dans la situation migratoire que nous connaissons tout en respectant le droit d’asile et les droits de l’homme, tout laisse à penser que le nouveau président est en faveur d’une continuité européenne en la matière.</p>
<p>En effet, toutes ses propositions de campagne concernant les négociations européennes autour de l’immigration se trouvent dans la continuité de ce qui est débattu et décidé à Bruxelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175661/original/file-20170626-29088-14jszz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un agent de Frontex à la frontière entre la Grèce et la Turquie (en 2010).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/robdeman/5157508361/in/photolist-8RKzxX-SZLqo1-SZLsbu-T3bw8X-SDGT5U-SDGSFh-RZFjiz-RZFjQM-SDGTnN-T3bznn-T3bAPR-RZFopv-T3bv4H-RZFjzB-SZLsn1-SDGTFy-SDGRv1-SDGTNC-T3bx9z-4Uid5u-4Uid4G-4Uid7u-4Ue148-nayejV-4UicVY-4UWXnN-4UicYd-nayzDR-o6SSJ5-oaFGjc-o8U7e6-mWXvy8-ir8W3J-nRpYiJ-ir9z4r-naAiPm-nayfjk-nayevg-o8AKqc-fChQTg-o8NRHj-nRq1cH-nayy9B-ir9zn2-cLSxHy-cLT79U-cLT9Mb-cLSZRJ-oaFbeH-nayzw6">Rock Cohen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Ainsi son programme prévoyant de mettre en place un « Schengen renforcé » en octroyant plus de garde-frontières à Frontex, d’intensifier la lutte contre les passeurs, et d’externaliser les contrôles aux frontières vers les pays voisins non membres de l’UE reprend autant de priorités qui guident l’action européenne.</p>
<p>Il en est de même pour la volonté d’Emmanuel Macron de multiplier les accords de réadmission signés entre l’Union et les pays de transit et/ou d’origine des flux migratoires et de conditionner l’aide au développement délivrée par Bruxelles à la mise en œuvre de politiques de lutte contre l’immigration irrégulière par les pays tiers.</p>
<p>En outre, son souhait de faciliter l’<a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« immigration de la connaissance »</a> s’inscrit plus globalement dans une tendance européenne qui consiste à favoriser le franchissement des frontières pour les voyageurs de « bonne foi » (<em>bona fide</em>).</p>
<h2>Favoriser l’intégration des populations immigrées</h2>
<p>L’intégration des primo-arrivants comme de leurs enfants et petits-enfants constitue, là encore, un dossier épineux pour le nouvel exécutif, tant celle-ci est <a href="http://www.oecd.org/fr/publications/les-indicateurs-de-l-integration-des-immigres-2015-9789264233799-fr.htm">jugée moyenne</a> ces dernières années. Tandis que le sentiment anti-migrants est agité par des populismes xénophobes, l’urgence est d’œuvrer pour une meilleure intégration des immigrés, de lutter contre les discriminations et de refonder le vivre-ensemble au sein de la République.</p>
<p>Alors que sur les questions liées à l’immigration et à l’asile Emmanuel Macron s’inscrit surtout dans la continuité de ses prédécesseurs, il fait de l’intégration une <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« priorité absolue »</a>, ce qui témoigne d’une première prise de conscience. Néanmoins, les <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">propositions avancées</a> demeurent trop imprécises, insistant surtout sur l’apprentissage du français et l’acquisition des valeurs de la République, notamment en faisant de ces connaissances une condition à l’accès à un titre de séjour de longue durée.</p>
<p>D’une manière plus générale, Emmanuel Macron souhaite refonder un certain vivre-ensemble en s’opposant au multiculturalisme et à l’assimilationnisme. Préférant utiliser la notion de culture française <a href="https://en-marche.fr/article/meeting-macron-reims-discours">« nourrie de plusieurs affluents »</a> à l’expression plus étroite d’« identité française », l’ancien favori des sondages s’inscrit dans un <a href="http://www.ladepeche.fr/article/2017/03/17/2538092-macron-oppose-patriotisme-ouvert-nationalisme-etrique-pen.html">« patriotisme ouvert et volontaire »</a>. Cette vision volontariste de l’appartenance à la nation française transparaît chez lui lorsqu’il affirme vouloir une France <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« bienveillante et exigeante »</a>, pour laquelle l’État et ses citoyens doivent œuvrer ensemble et dans une même direction.</p>
<p>Si <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/02/16/pour-macron-la-colonisation-fut-un-crime-contre-l-humanite_5080621_4854003.html">ses propos</a> jugés maladroits par certains sur la colonisation française en Algérie semblent surtout témoigner d’une volonté de réconcilier les mémoires et de reconstruire ce vivre-ensemble, l’action du nouveau président dans ce domaine sera évaluée sur sa capacité à intégrer, au sein de la société française, des populations immigrées encore trop stigmatisées, voire marginalisées.</p>
<h2>Un nouveau quinquennat pour espérer ?</h2>
<p>Qu’attendre de ce nouveau mandat présidentiel qui débute ? Pour de nombreuses associations d’aide aux migrants, le quinquennat qui s’ouvre devrait nécessairement être le moment de l’action. Action en faveur d’un accueil humain des migrants qui arrivent sur le territoire français, du plein respect du droit d’asile, d’une refonte de la politique européenne en la matière, plus respectueuse des droits de l’homme, et d’une meilleure intégration des immigrés et de leurs enfants, qui reste pour l’instant beaucoup trop <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2014-5.htm">enlisée</a>.</p>
<p>Lors de la campagne, certains propos de l’ancien candidat étaient porteurs d’espoir : la remise en question des <a href="https://www.senat.fr/rap/l03-008/l03-0080.html">accords du Touquet</a>, du règlement Dublin III ou de l’<a href="https://theconversation.com/laccord-union-europeenne-turquie-sur-les-migrants-un-troc-de-dupes-57601?sr=1">accord UE-Turquie</a>, le soutien apporté à Angela Merkel pour sa politique en faveur des exilés, ou encore la volonté patente d’accueillir plus dignement des réfugiés en France, mais aussi en Europe.</p>
<p>Cet espoir s’est toutefois relativement affaibli au cours des premiers jours du gouvernement nommé par Emmanuel Macron, lequel a, sans surprise, reconduit les prérogatives du ministère de l’Intérieur sur les questions migratoires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175673/original/file-20170626-29082-qtyu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ancien Préfet du Doubs Stéphane Frattaci nouveau directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/rue89strasbourg/20273618692/in/photolist-vXfMvU-wTvAvS-wBEUjo-vXftsu-wRWHEN-wTw3uf-wTvKnQ-wTvEUb-wRWDPb-wTwDJU-wBHPJK-wBEmeQ-wUgMxB-wTxneC-wTuriL-vXfY6G-wTuknY-wRW8Tu-wUhzeB-vXp2Lv-wBJ2qv-vXqb3i-vXgsB9-wUhqMr-vXg6Nf-vXg2Wh-wUgXbV-wBM66v-wUgtRz-vXeWwG-wBDvLN-wRW4So-vXnZ7p-wBKQgx-vXdZqQ-wBCDf7-wULp6R-wTv9Jb-wBKnnx-wUeJZz-wBK99D-wBK36M-wBJWQB-vXd69W-wUKhMa-vXmcJH-wTtXgU-wUdBwa-wTtDfU-wTtrBy">Rue89 Strasbourg/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le nouveau locataire de la Place Beauvau, peu ouvert à l’accueil des migrants pendant son mandat à la mairie de Lyon, a choisi comme directeur de cabinet Stéphane Fratacci, ancien Préfet du Doubs lors de l’<a href="http://www.leparisien.fr/politique/deux-ans-et-demi-apres-l-affaire-leonarda-est-serveuse-au-kosovo-16-03-2016-5631325.php">affaire Leonarda</a> et Secrétaire général du très critiqué ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire sous la présidence Sarkozy. La « patte » sécuritaire de ce spécialiste des enjeux migratoires se révèle déjà sur le terrain.</p>
<p>Alors que ces premiers signes font craindre une continuité de la politique d’immigration et d’asile telle qu’elle est conduite aux niveaux national et européen, plusieurs responsables <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/150617/un-appel-un-changement-radical-de-politique-migratoire-en-France">associatifs</a> et <a href="http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/06/20/migrants-anne-hidalgo-exhorte-le-gouvernement-a-faire-face-a-l-urgence_5147744_1654200.html">politiques</a> dénoncent la situation actuelle et demandent que les droits fondamentaux des migrants soient respectés.</p>
<p>Il reste alors à voir si le futur « plan migrants » annoncé par Gérard Collomb et la nomination hypothétique d’un Haut-commissaire (à l’immigration ou aux réfugiés) sauront contrebalancer cette approche sécuritaire. Pour que la France soit véritablement <a href="https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf">« à la hauteur de sa tradition historique d’accueil »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Dravigny est rédacteur en chef de la revue Migrations Société. </span></em></p>Malgré le manque d’intérêt d’Emmanuel Macron pour les enjeux liés à l’immigration et à l’asile lors de sa campagne électorale, les chantiers explosifs vont nécessairement rythmer le quinquennat.Josselin Dravigny, Doctorant en science politique, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.